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ANNAL
DE LA
SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE*
DE NANTES
ET DU DÉPARTEMENT DE LA LOIRE-INFÉRIEURE
DÉCLARÉE
ÉTABLISSEMENT D'UTILITÉ PUBLIQUE
Pur Décret du 27 décembre 1877.
Volume 1er de la 7e Série.
1890
PREMIER SEMESTRE.
NANTES,
>1!' CAMH LINET, IMPRIMEUR DU LA SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE,
Place du Pilori, 5.
L. MELL1NET ET Cie, SDC".
TABLE.
Statuts ei règlement ï ni ■ rieur de la Société 6
Liste des membres résidants taisant actuellement partie de la
Société 21
Liste des membres résidants décédés, démissionnaires ou devenus
correspondants (de 1880 à 1889) 25
Liste des membres correspondants 26
Liste des Sociétés correspondantes 27
Allocution de M. Andouard, président sortant 31
Allocution de M. Julien Merland, président nommé 33
Notice nécrologique sur M. Manchon, par M. Julien Merland 37
Notice nécrologique sur M. Rouxel, par M. Julien Merland Ul
Occanes, par H. Lmile Oger 48
Sous escorte, par M. Emile 0;j,er 52
Compte rendu du roman La lloun, de Mme Riom, par M. Emile Oger. 60
Erdra, légende de l'Erdrc, par M. Francis Merlant 67
Autobiographie littéraire, par M. Dominique Caillé. . . . , SI
Louis XIV aux dunes, par M. Dominique Caille 86
Les Hémiptères de la Loire-Inférieure, par l'abbé J. Dominique.... 87
La Contrer guérandttite da nul l'histoire ancienne, par M. E. Orieux. 117
ANNALES
r __ *
DE LA SOCIETE ACADEMIQUE
DE NANTES
ANNALES
DE LA
SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE
DE NANTES
ET DU DÉPARTEMENT DE LA LOIRE-INFÉRIEURE
DÉCLARÉE
ÉTABLISSEMENT D'UTILITÉ PUBLIQUE
Par Décret du 27 décembre 1877.
Volume Ie' de la 7e Série.
1890
NANTES,
Mme yve CAMILLE MELLINET, IMPRIMEUR DE LA SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE,
Place du Pilori, 5.
I.. MELLINET et O, sucrs.
UBL
Conformément aux prescriptions de l'article 68 des
Statuts et Règlement intérieur de la Société Académique
les Annales de la Société sont publiées par séries de dix
années.
Le Règlement de la Société est imprimé à la tête du
premier volume de chaque série, ainsi que la liste:
1° Des Membres résidants faisant actuellement partie de
la Société, classés par ordre de réception ;
1° Des Membres résidants qui, reçus pendant la série
précédente, seraient décédés, ou démissionnaires, ou devenus
correspondants ;
3° Des Membres correspondants admis pendant celte série ;
4° Des Sociétés savantes avec lesquelles la Société Acadé-
mique est en relations.
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Statuts
STATUTS ET REGLEMENT INTÉRIEUR
DE
LA SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE
DE NANTES ET DE LA. LOIRE-INFÉRIEURE,
DÉCLARÉE
ÉTABLISSEMENT D'UTILITÉ PUBLIQUE
Par Décret du 27 décembre 4877.
Nota. — Les caractères ilaliques indiquent les articles des Statuts; les caractères
ordinaires, ceux du Règlement intérieur.
Art. 1er. — La Société Académique, fondée en 1798, a pour
but de cultiver les lettres, les sciences et les arts, et d'en déve-
lopper le goût et les applications, à Nantes et dans le département
de la Loire- Inférieure, par ses propres travaux et par des
récompenses annuelles. (Art. 1er des Statuts.)
Ses séances si; tiennent à Nantes.
AitT. '1. — La Société est administrée par :
I" Un Bureau;
2" Un Comité central;
'■'," Un Comité de rédaction des Annales. (Art. 7 des Statuts.)
Du Bureau.
Art. 3. — Le Bureau se compose de sept Membres: un Pré-
sident, un Vice-Président, un Secrétaire {jetterai, un Secrétaire
adjoint, un Trésorier, un Bibliothécaire-Archiviste et un Bibliothé-
caire ml joint. (Art. 8 des Statuts.)
An r. i. La durée du mandat de chaque Membre du Bureau
est annuelle avec réélection facultative. (Art. !) des Statuts.)
De la Présidence.
Art. o. — Les fondions du Président consistent à régler et
maintenir l'ordre dans les séances mensuelles et publiques de la
Société, à correspondre avec les diverses Sociétés savantes de la
France.
Il communique à la Société, en séance, le résultat de ses
relations avec les diverses Académies; il lui fait part des
ouvrages qu'il a reçus pour elle, et lui propose les nominations
des Commissions et les Membres qui doivent les composer.
Art. 6. — Le Président représente la Société en justice et dans
les actes de la vie civile. (Art. 18 des Statuts.)
Art. 7. — Le Président sortant fait, de droit, partie du
Comité central, aux mêmes titres que les Membres du Bureau,
pendant l'année qui suit celle de sa présidence.
Art. 8. — Le Vice-Président supplée le Président en cas
d'empêchement; et, en cas d'absence de l'un et de l'autre, le
doyen d'âge occupe le fauteuil.
Du Secrétariat.
Art. 9. — Le Secrétaire général rédige les procès-verbaux
des séances mensuelles. Il l'ait, en séance publique, le rapport
des travaux des Membres résidants et des Membres corres-
pondants qui ont été adressés à la Société durant l'année qui
vient de s'écouler. Il partage, avec le Président, le soin de
correspondre avec les autres Sociétés savantes. Il est chargé des
convocations générales et particulières, ainsi que de l'expédition
des diplômes aux Membres qui ont été reçus.
Art. 10. — Le Secrétaire adjoint remplace le Secrétaire
général, en cas d'empêchement; et, en cas d'absence de l'un
et de l'autre, le plus jeune des Membres présents prend place
au Bureau.
Des Finances.
Art. 11. — Les dépenses sont mandatées par le Président dans
les limites des crédits ouverts à chaque article du budget établi
annuellement par le Comité central. (Art. 14 des Statuts.)
Tous les mémoires doivent être visés par le Président; ceux
8
dos fournitures do bureau, dos Annales, des achats et reliures
de livres, des abonnements aux journaux et aux revues doivent
l'être, en outre, par le Bibliothécaire-Archiviste.
Art.- 12. — Le Trésorier administre les finances de la Société
et rend compte, chaque année, de sa gestion au Comité central.
(Art. 15 des Statuts.)
Art. 13. — Les comptes du Trésorier sont joints à la présen-
tation du budget, et le Comité central statue sur cette compta-
bilité, d'après le rapport d'une Commission nommée ù cet effet.
(Art. 16 des Statuts.)
Celte, Commission dile de finances se compose de trois
Membres nom niés par le Comilé central même.
La présentation du budget et la reddition des comptes ont
lieu au commencement de chaque année.
Art. 14. — Les comptes annuels rendus et les quittances à
l'appui sont déposés dans les archives, après que le Trésorier a
été valablement déchargé de sa comptabilité, sur son grand livre,
par la Commission des finances. (Art. 17 des Statuts.)
De la Bibliothèque et des Archives.
Art. 15. — Le Bibliothécaire est spécialement chargé du soin
de recueillir el de classer tous les livres, mémoires, brochures,
journaux, revues, adressés à la Société, ainsi que les rapports
dos Commissions, les titres d'admission des candidats et les
mémoires qui ont concouru pour les prix.
Art. 16. — Tout Membre résidant qui veut prendre en
communication un des ouvrages, mémoires ou rapports com-
posant la Bibliothèque, est tenu de le demander au Biblio-
thécaire, <>u, en son absence, au concierge, qui le lui remet.
Celui qui reçoit un ouvrage s'inscrit, sur un registre propre à cet
effet. L'ouvrage communiqué ne peut être retenu au delà d'un
mois.
Du Comité central.
Ain . 17. — Le Comité central se compose :
1° Des sept membres du Bureau;
1" Du Président sortant ;
3° De représentants des Sections, pris au nombre de trois dans
chacune d'elles. (Art. 10 des Statuts.)
Les Membres affiliés à une Section ne seront nommés pour la
représenter que, lorsqu'après une première élection restée sans
résultat, il sera notoire qu'aucun des Membres titulaires de ladite
Section susceptibles d'être élus, n'est disposé à accepter la
fonction.
Art. 18. — Le Comité central se réunit le lundi qui précède
de dix jours chaque séance générale.
Ses attributions consistent à délibérer sur toutes les pro-
positions et communications faites à la Société ; sur les prix
à distribuer ; sur l'admission à présentation des candidats pro-
posés, soit comme Membres résidants, soit comme Membres
correspondants; sur la fixation de l'ordre du jour de chaque
séance générale; enfin, sur tout ce qui a rapport à l'intérêt
général de la Société.
Art. 19. — Au Comité central, la présence de la moitié des
Membres plus un est nécessaire pour la validité des voles. (Art. 13
des Statuts.)
Art. 20. — Les procès-verbaux des séances du Comité
central sont rédigés par l'un des Secrétaires, sur un registre
spécial.
Art. 21. — Le Comité central a la faculté de proposer et de
recevoir des questions sur les divers objets dont la Société
s'occupe; de les renvoyer à l'examen de Commissions qu'il
désigne sur la proposition du Président; et, après leur rapport,
en cas d'acceptation, de les soumettre à la sanction de la Société
en séance générale.
Tout Membre qui accepte de faire partie du Comité central
est tenu de verser aux mains du Trésorier une somme de 12 fr.
et en reçoit, à chaque séance mensuelle a laquelle il assiste, un
jeton de la valeur d'un franc.
Conditions et mode d'élection du Bureau et du
Comité central.
Art. 22. — Les Membres du Bureau et du Comité central sont
10
tous nommés en Assemblée générale, au scrutin secret, à la majorité
absolue des suffrages, le lendemain de la séance publique annuelle.
(Art. 1 1 (les Statuts.)
Si un troisième tour de scrutin est nécessaire, le ballotagc a
lieu entre les Membres qui ont obtenu le plus de voix au deuxième
scrutin.
Art. 23. — Le Président peut être choisi parmi tous les
Membres résidants.
Le Vice-Président ne peut être pris dans la même Section que
le Président.
Le Secrétaire général peut être choisi, comme le Président,
parmi tous les Membres résidants.
Le Secrétaire adjoint ne peut être élu dans la Section qui a
fourni le Secrétaire général.
Le Trésorier cl le Bibliothécaire-Archiviste peuvent être choisis
entre tous les Membres résidants, pourvu qu'ils n'appartiennent
pas à la même Section.
Celle disposition n'est pas applicable au Bibliothécaire adjoint.
Art. 24. — 'Les représentants des Sections au Comité cent rai
sonl nommés pour trois années, de manière à être renouvelés par
tiers. (Art. 10 des Statuts.)
Ils ne sonl rééligibles qu'après un an écoulé.
En cas de décès ou démission d'un Membre, le Membre appelé
à le remplacer ne conservera les fondions que pour le reste du
mandat de son prédécesseur.
Des présentations et des réceptions.
Art. 2.'i. — La Société se compose de membres résidants et de,
Membres correspondants. (Art. i des Statuts.)
Art. ilî. — Le nombre de ces différents Membres n'est pus
limité. (Art. 3 des Statuts.)
Art. 27. — Pour être admis dans la Société, comme résidant
ou correspondant, il faut être présenté par trois Membres rési-
liants, admis depuis deux ans au moins, et justifier par des titres
un drs productions qu'on s'occupe des connaissances mentionnées
• a l'article Ier. (Art. V des Statuts.)
11
Les ouvrages imprimés produits à l'appui des demandes
d'admission, deviendront la propriété de la Société; mais les
ouvrages manuscrits seront rendus aux candidats sur leurs récla-
mations motivées.
Art. 28. — Le jour même de la présentation d'un candidat, il
est nommé une Commission de trois Membres, chargée d'exa-
miner ses titres. Le bulletin de présentation, signé des trois pré-
sentateurs, est affiché immédiatement dans la salle de lecture,
où il restera exposé jusqu'au jour du scrutin ; et les litres
seront adressés sans relard à la Commission par le Secrétaire
général.
Art. 29. — Le rapporteur ayant terminé son travail, lira au
Comité central son rapport signé de lui cl des deux autres Com-
missaires ; et si le candidat est admis à présentation, au scrutin
secret et à la majorité absolue, le rapport sera mis à l'ordre du
jour de la séance, générale, qui devra se tenir dix jours après.
Art. 30. — Conformément à l'ordre du jour, le rapporteur
donnera lecture de son travail: et si le candidat obtient, au
scrutin secret, la majorité des suffrages, il sera proclamé
Membre de la Société. Sont dispensés de l'obligation du scrutin:
le Général commandant le XIe Corps, le Préfet du département,
L'iïvêque du diocèse, le Maire de Nantes.
Art. 31. — Les Membres résidants qui auront quitté la ville,
deviendront Membres correspondants, sur la demande qu'ils en
adresseront au Président.
Tout Membre correspondant qui vient habiter Nantes, doit
prendre le litre et supporter les charges de Membre résidant, le
droit de diplôme compris ; autrement, il est considéré comme
démissionnaire.
Art. 32,. — Les Membres correspondants sont invités à donner
à la Société des mémoires ou observations sur les différents
sujets dont elle s'occupe, et à lui faire part du résultat de leurs
expériences.
Admission temporaire et gratuite des étrangers.
Art. 33. — Tout Membre de la Société qui désirerait présenter
12
un étranger, devra ou faire la demande au Président, ou, on son
absence, au Vice-Président, qui, sur l'avis du Bureau, lui déli-
vrera une carte d'entrée.
La carte d'admission temporaire sera valable pour trois mois.
Art. 34. — Les avantages dont jouissent les Membres de la
Sociélé seront acquis à l'étranger admis comme visiteur, sauf le
cas de délibéral ion.
Il disposera, mais sans déplacement, des livres de la
Bibliothèque.
Art. 35. — Chaque Membre résidant aura la faculté, sou- sa
responsabilité personnelle, d'introduire un étranger dans l'Aca-
démie, niais avec l'obligation de l'accompagner pendant la visite
du local que celui-ci aura désiré de faire.
Art. 36. — Aucun étranger ne pourra être admis à une
séance de la Sociélé, ou de l'une de ses Sections, s*il n'est pré-
senté par un Membre résidant, cl s'il n'a obtenu l'autorisation du
Président de la séance.
Art. 37. — Tous les cas d'admission d'étrangers, non prévus par
les dispositions ci-dessus, sont laisses à l'appréciation du Bureau.
Des séances mensuelles.
Art. 38. — Il y a une séance générale le premier mercredi de
chaque mois. Elle commence à sept heures et demie du soir
pour toute l'année.
Les Membres résidants sont convoqués à cet effet. Après la
lecture du procès-verbal de la séance précédente et de la corres-
pondance, el après l'annonce des ouvrages envoyés à la Sociélé,
il est procédé à la lecture des rapports des Commissions.
Art. 39. — Tout Membre résidant ou correspondant qui se
propose de communiquer un travail quelconque à la Société,
dans l'une de ses séances générales, est tenu d'en prévenir le
Secrétaire général douze jours à l'avance, afin que celte com-
munication reçoive son rang d'inscription dans l'ordre du jour
de la séance.
Art. 40. — Les Rapporteurs seront inscrits, comme suit, a
L'ordre du jour des séances générales :
13
1° Rapporteurs sur la présentation d'un Membre résidant ou
correspondant ;
G2° Rapporteurs des Commissions nommées par la Société en
séance générale ;
3° Rapporteurs nommés par le Comité central, pour tout
autre objet que pour l'examen des titres d'un candidat;
4° Rapporteur des Sections.
Art. 41. -- Chaque lecture ne pourra durer plus d'une heure,
et si le même ouvrage exige plusieurs lectures, l'auteur, après
l'avoir lu dans une première séance, prendra, pour la séance
suivante, le dernier numéro de l'ordre du jour.
Art. 42. — Lorsqu'un auteur aura fait mettre à l'ordre du
jour un travail quelconque, et que, après avoir été appelé pour
la lecture, il n'aura pas répondu* à cet appel deux fois consé-
cutives, sa proposition de lecture sera considérée comme non
avenue, et il ne pourra plus être porté à l'ordre du jour sans une
nouvelle demande spéciale écrite par lui au Secrétaire général.
Art. 43. — Lorsqu'un Sociétaire aura lu, en séance générale,
un ouvrage de sa composition, il sera libre de le faire imprimer,
mais il ne pourra mentionner que cet ouvrage a été lu et
approuvé en séance, sans un consentement formel de la
Société.
Art. 44. — La publication des votes, des rapports et de tous
les actes administratifs ou délibéralifs de la Société, du Comité
central et des Commissions, ne peut jamais avoir lieu sans
l'autorisation ou l'ordre exprès du Comité central ou de la
Société.
Les ordres du jour des séances générales sont adressées en
temps utile par le Secrétaire général, aux journaux de Nantes,
auxquels la Société est abonnée.
Art. 45. — Aucune communication ne peut être faite, dans
une séance, par des personnes étrangères à la Société, si, au
préalable, elle n'a été autorisée par le Président.
Nulle décision de la Société, sur un sujet quelconque, n'est
valable que si le nombre des votants est au moins de quinze
14
Membres à la première délibération. Si le vote ne peut aboutir,
la majorité absolue suffira à la séance suivante, quel que soit
le nombre des volants.
Des séances publiques.
Art. 46. — Une séance solennelle à laquelle sont invitées les
Autorités publiques, se lient chaque année, indépendamment des
réunions mensuelles ou extraordinaires de la Société et des Sec-
tions. (Art. <l\ des Statuts.)
Art. 47. — La séance publique annuelle se tient l'un des
dimanches du mois de novembre.
Art. 48. — La séance publique se compose du discours du
Président, du rapport du Secrétaire général sur les travaux de
Tannée et du rapport du Secrétaire adjoint sur les prix à
décerner.
Art. 49. — Une Commission dite du cérémonial et composée
d'un Président, d'un Vice-Président et d'un Secrétaire est chargée
de l'organisation des séances publiques.
Celle Commission, dont le mandat est de trois années, est
nommée par le Comité central qui en approuve le règlement.
Art. 50. — Il pourra y avoir, dans le cours de l'année
académique, une ou plusieurs séances publiques extraordinaires
consacrées à la lecture d'œuvres de Membres de la Société
Académique seulement.
Les travaux ne pourront être admis à la lecture publique
qu'après approbation d'une Commission spéciale de quinze
Membres nommés par le Comité central, et qui pourront être
pris dans son sein.
Le Comité central reste d'ailleurs chargé d'assurer les voies
et moyens d'exécution.
Des Prix.
Art. .M. — La Société pourra décerner des prix d'encoura-
gement à tous les travaux importants exécutés dans le départe-
ment, de quelque nature qu'ils soient.
Art. lii. — Les Sections devront, chaque année, si les
finances de la Société le permettent, fournir au Comité central
15
un certain nombre de questions sur toutes les études dont la
Société s'occupe, questions parmi lesquelles le Comité choisira
celles qui seront proposées à litre de sujets de prix à décerner,
en séance publique, aux auteurs des mémoires jugés dignes de
celte distinction.
Art. 53. — Les sujets de concours sont annoncés dans la
séance publique de chaque année ; et les prix décernés, soit
un an, soit deux ans après, selon que le peut exiger la nature
du concours.
Art. 54. — Dans l'un et l'autre cas, les mémoires des con-
currents devront être adressés au Secrétaire général de la
Société avant l'époque fixée* chaque année par le Comité
central.
Art. 55. — Dans la séance qui suivra immédiatement le terme
fixé pour la remise des mémoires, le Comité central désignera
les Membres qui composeront la Commission chargée d'examiner
les travaux des concurrents.
Le Secrétaire adjoint fait de droit partie de la Commission,
la préside et soumet à son approbation le rapport qu'il est
chargé de présenter au Comité central.
Art. 56. — A l'époque fixée par le Comité central, la Com-
mission aura discuté le mérite des travaux soumis à son appré-
ciation, décidé quelle récompense peut être décernée à chacun
de ceux qui lui paraîtront dignes de recevoir, soit un prix, soit
une mention.
Art. 57. — Le Comité central sera ensuite convoqué pour
entendre la lecture du rapport approuvé par la Commission, et
en discuter les formes et les conclusions.
Les Membres de la Commission seront appelés à cette séance;
ils pourront y prendre la parole, mais ils n'auront voix délibé-
rative qu'autant qu'ils feront partie du Comité central.
Les décisions prises dans celte séance seront définitives.
De la cotisation annuelle.
Art. 58. — Chaque Membre résidant paie une cotisation
annuelle et un droit de diplôme (Art. G des Statuts.)
16
Colle cotisation, qui doit être versée aux mains du Trésorier
dans le Ier trimestre de chaque année, est de 40 fr., dont le
montant est employé aux dépenses diverses de la Société.
Tout membre qui aura refusé d'acquitter la cotisation de
l'année au 31 décembre sera considéré comme démissionnaire,
sauf justification auprès du Bureau.
Le droit de diplôme, fixé à 20 fr., est facultatif. 11 devra
être acquitté immédiatement après la réception. Ce droit est
aussi de 20 fr. pour les Membres correspondants qui demandent
un diplôme.
Art. 59. — On ne paie l'annuel de la première année qu'au-
tant qu'on est admis avant le dernier trimestre de celle année.
Des Commissions.
Art. 00. — Le premier Membre nommé dans chaque Com-
mission est chargé de convoquer ses collègues, pour la première
réunion seulement. Dans celle réunion, le Rapporteur est
nommé et considéré comme Secrétaire; il convoque ensuite
ses Collègues autant de fois qu'il le juge nécessaire.
Des Sections.
Art. 01. — Les Membres résidants sont, suivant leurs aptitudes,
répartis en quatre Sections :
1° Agriculture, Commerce , Industrie et Scie?ices économiques ;
"2,° Médecine et Pharmacie;
3° Lettres, Sciences et Arts;
4° Sciences naturelles. (Art. S des Statuts.)
Chaque Membre, immédiatement après son admission, est
placé par le Comité central dans la Section de sa spécialité.
Néanmoins, il peut assister aux séances d'une autre Section
avec l'autorisation du Président, sans y avoir voix délibéralive.
Il peut, en outre, être affilié, sur sa demande, à une ou plusieurs
Sections dont il supporte les charges et partage les travaux.
Toulefois, par des motifs de convenance qui ont toujours
élé appréciés par la Société, la Section de Médecine et de
Pharmacie ne peut admettre dans son sein et à ses séances que
17
ries docteurs en médecine et en chirurgie, des pharmaciens et
des vétérinaires.
Akt. 02. — Tout Membre de la Soeiélé Académique qui
désirera passer d'une Section dans une autre, devra, en adres-
sant sa demande de déclassement au Comité central, fournir à
l'appui la preuve justificative qu'il s'occupe de travaux relatifs
à la spécialité de celle Section. Le Comilé, sur l'examen de
celle preuve, pourra statuer immédiatement, ou nommer, dans
son sein, une Commission chargée de l'éclairer sur l'opportunité
de la demande.
Art. 63. — Chaque Section a son règlement spécial, qu'elle
soumet à l'approbation de la Société Académique.
Les rapports annuels de ses travaux seront lus en séance
générale.
Art. 64. — Les Présidents des Sections sont admis aux
séances du Comilé central, toutes les fois qu'ils s'y présentent,
mais seulement avec voix consultative.
Art. 65. — Lorsqu'un ouvrage quelconque est offert à la
Société, il est envoyé au Président de. la Section, qui s'occupe
des matières qu'il traite, pour qu'un rapport en soil fait, s'il y a
lieu.
Annales de la Société Académique.
Art. 66. — La Soeiélé publie un journal de ses travaux,
sous le titre à' Annales de la Société Académique de Nantes et de
la Loire- Inférieure. Ces Annales se composent des divers écrits
lus à la Société en séance générale mensuelle, ou à l'une de
ses Sections. La Société a le droit, après qu'une des Sections a
publié un travail, de se l'approprier, avec le consentement de
l'auteur.
Art. 67. — Tout travail lu dans une séance de la Société
Académique sera remis dans la huitaine au Secrétaire général.
Celui-ci, après la correction des épreuves par l'auteur,
vérifiera si le texte est conforme au lexte lu en séance. En
cas de changements notables, il en référera au Comité de
rédaction.
2
1 s
Art. 08. — Les Annales de la Société paraissent deux fois
par an, de six mois en six mois, de manière à former, chaque
année, un volume de 500 pages in-8° environ.
Néanmoins, l'impression et la publication de certains travaux
particuliers pourront devancer ces deux époques semestrielles,
en vertu d'une décision spéciale du Comité central, après avis
du Comité de rédaction.
Les Annales de la Société sont publiées par séries de dix
années.
Le Règlement de la Société est imprimé à la tête du premier
volume de chaque série, ainsi que la liste :
1° Des Membres résidants faisant actuellement partie de la
Société, classés par ordre de réception ;
2° Des Membres résidants qui, reçus pendant cette série,
seraient décédés, ou démissionnaires ou devenus correspondants;
3° Des Membres correspondants admis pendant celte série;
4° Des Sociétés savantes avec lesquelles la Société Académique
est en relations.
Du Comité de rédaction.
Art. 69. — Le Comité de rédaction des Annales se compose du
Président, du Secrétaire général, du Trésorier, du Bibliothécaire-
Archiviste, Membres de droit, et de deux Membres par chaque
Section, élus pour deux ans par le Comité central au scrutin
secret, et à la majorité absolue des suffrages. (Art. 1J2 des
Statuts.)
On procédera, chaque année, a l'élection d'un Membre seule-
ment par Section.
Le Comité de rédaction est présidé par le Président de
la Société; en son absence, par le Secrétaire général; en
l'absence de l'un et de l'autre, par le plus âgé des Membres
présents.
Dans ce dernier cas, le plus jeune Membre remplira les
fondions de Secrétaire de la séance.
Les décisions du Comité seront consignées sur un registre
particulier.
19
Art. 70. — Au Comité de rédaction, la présence de la moitié
des Membres plus un, est nécessaire pour la validité des votes.
(Art. 13 des Statuts.)
Art. 71. — Le Secrétaire général réunira les Membres du
Couiilé de rédaction des Annales, dans la dernière quinzaine
des mois de juin et de décembre, dans le but d'arriver £ la
publication, aussi régulière que possible, des deux semestres
des Annales de la Société Académique.
Du règlement intérieur.
Art. 72. — Un règlement, intérieur, dont l'exécution est confiée
au Président, prescrit la date des réunions mensuelles et extraor-
dinaires de la Société, des Sections, du Comité central et du
Comité de rédaction des Annules, l'ordre des lectures, la limite
du temps qui leur est attribué. (Art. 22 des Statuts.)
Art. 73. — En dehors des réunions, les salons de la Société
sont ouverts tous les jours à tous les Membres qui veulent lire les
revues littéraires et scientifiques auxquelles elle est abonnée, ou
qui se proposent de consulter les ouvrages de sa bibliothèque.
Toutes les distractions des cercles ordinaires sont formellement
interdites. (Art. 23 des Statuts.)
Art. 74. — Le règlement intérieur préparé par le Comité central
est adopté en séance générale. (Art. 24 des Statuts.)
Art. 75. — La liste générale des Membres résidants de la
Société sera affichée dans la salle de ses séances; le Règlement
sera imprimé et distribué aux Membres entrants, indépendam-
ment de son insertion dans les Annales.
Des ressources de la Société.
Art. 76. — Les ressources de la Société se composent actuelle-
ment :
1° Du mobilier nécessaire à la tenue des séances, des installa-
tions diverses, d'une bibliothèque importante, de collections
botaniques, etc. ;
2° Des cotisations mentionnées en l'art. G ;
3° Des subventions du Gouvernement, du Département et de la
Ville. (Art. 19 des Statuts.)
20
Art. 77. - Les délibérations relatives à l'acceptation de dans
et legs, aux acquisitions, aliénations ou échange d'immeuble, seront
soumises à l'approbation du Gouvernement. (Art. <20 des Statuts.)
Art. 78. — En cas de dissolution de la Société, la dévolution
et l'emploi de son avoir tant mobilier qu immobilier, feront l'objet
d'une délibération du Comité central qui sera soumise à l'appro-
bation du Gouvernement. (Art. 25 des Statuts.)
Toutefois, en raison de leurs apports primitifs et des cotisa-
tions particulières que peuvent s'imposer les Sections, il paraît
équitable que, dans le cas où le tiers au moins des Membres de
l'une d'elles constituerait une Société succédant à la Société
Académique, cette Société reçoive en partage les livres et les
collections se rapportant à sa spécialité.
Les livres qui, dans le délai de trois années révolues, n'auraient
pas reçu ainsi leur attribution, seraient dévolus défi nili veinent
à la Bibliothèque publique de la Ville, dans laquelle ils auront
dû être déposés tout d'abord provisoirement, après inventaire
dressé en double expédition.
Art. 79. — Les présents Statuts ne pourront être modifiés qu'en
vertu d'une délibération du Comité central et de l'approbation du
Gouvernement. (Art. 26 des Statuts.)
Du Concierge.
Art. 80. — Les attributions du Concierge sont délerminées
par le Comité central.
Délibéré par le Comité central et approuvé par la Société, en
ce qui concerne le Règlement intérieur, dans la séance du
5 juin 1878.
LISTE
DBS MEMBRES RÉSIDANTS
FAISANT ACTUELLEMENT PARTIE DE LA SOCIÉTÉ
CLASSÉS PAR ORDRE DE RÉCEPTION.
1847
l. De ea Tour du Pin Chambly, propriétaire 3 t'cvr.
Blanchet, docteur-médecin 2 juin.
1851
Lechat ft, 0. A., ancien maire de Nantes 5 mars.
1853
Livet &, 0. 1., chef d'institution 5 juin.
1854
Lefecvre, docteur-médecin 5 avril.
1857
Bernkaudeaux, 0. A., docteur-médecin 2 sept.
1858
Laennec, 0. 1., directeur de l'École de Médecine 7 juillet.
Viaud-Grand-Marais, O.A., docteur-médecin I déc.
1859
Orieux #, agent-voyer en chef en retraite 6 avril.
Housse, banquier .* 7 déc.
1861
Heurtaux, 0. A., docteur-médecin . 9 janv.
Kirchberg, id. 7 mars.
Jouon (François), 0. A., id. 1 mai.
1862
Chartier, 0. I., docteur-médecin 5 t'évr.
1854
Biou, juge de paix 0 avril.
2*2
1865
MM. Poirier, ingénieur civil des mines 1 mars.
Andouard, 0. L, professeur à l'École de Médecine 3 mai.
1868
Linïer, bâtonnier de l'ordre des avocats 5 t'evr.
Goi'llin (Gustave), négociant 4 mars.
Dolmetsch, 0. A., professeur de musique 7 oct.
' 1869
Raingearp, docteur-médecin 3 mars.
1870
Barthélémy, docteur-médecin 2 mars.
Montfort, 0. A., id. id.
Teillais &, id. 6 avril.
Bonamy, id. id.
Maître, 0. I., archiviste du département 4 mai.
Merland (Julien), juge suppléant 7 sept.
1871
Abbé Coquet 1 mai.
1872
Mémer, 0. A., professeur à l'Ecole de Médecine......... 5 déc.
Grimaud #, docteur-médecin id.
1873
Malherhe (Albert), 0. A., docteur-médecin 3 janv.
Thibault (Théobald), id. id.
Luneau, id. 3 déc.
1874
Porson, docteur-médecin 4 févr.
Gadeceau, négociant id.
1875
Le Grand de la Liraye, docteur-médecin 3 mars.
Dianolx, id. 7 juillet.
Génuit, id. ,. 8 déc.
1876
Guillemet, docteur-médecin 4 oct.
1877
Leroux, avocat 6 juin.
Poisson, docteur-médecin 1 août.
Simom.au, id. id.
MÉNAGER, id. 5 déC.
23
1878
MM. Mauot, docteur-médecin 2 janv.
Bureau (Louis), 0. A., id id.
1879
Hervouet, docteur-médecin . . . . 8 janv.
Rauturau, pharmacien id.
Guénel, docteur-médecin 1 oct.
Mobel, 0. I., principal de Collège en retraite 3 déc.
1881
Jollan de Ci.ervillk, docteur-médecin 6 janv.
Gourraud, id. 4 févr.
Maisonneuve, ingénieur des arts et manufactures 2 mars.
1882
Larocque, 0. I., directeur de l'École des Sciences 4 janv.
Rouxeau fils, docteur-médecin 1 févr.
Abbé Heurtin 3 mai.
1883
Viard, chimiste 3 janv.
Gauuucheau, docteur-médecin 6 janv.
Delteil #, pharmacien de la marine en retraite 1 août.
1884
Olmve, docteur-médecin 6 févr.
Gergaud, id. 2 avril.
1885
Chacuereau, docteur-médecin 4 févr.
Attimont, id. id.
DelaRabrie, id. 8 mai.
1886
De Chastellux #, ancien sous-préfet 4 juillet.
1887
Le Beau, 0. #, 0. I., commissaire de la marine 5 janv.
Polo, docteur-médecin id.
Gahier, avocat 2 mars.
1888 ■
Pérochaud, docteur-médecin 4 janv.
Legendkë, architecte 4 avril.
Legrand, avocat id.
Callandreau, pharmacien 2 mai.
Samson, docteur-médecin 5 déc.
24
1889
MM. Cesbiion, pharmacien 2 janv.
Caillé (Dominique) , avocat ti févr.
Mgr Le Coq, évéque du diocèse 6 mars.
Cocu mi d, docteur-médecin , . . . id.
Pilon (Eugène) , industriel id.
Merlant (Francis), id id.
Renaud (Paul) #, iil id.
Dcbocuet (Louis) , négociant id.
Favremj, pharmacien id.
Caingeard, id id.
Allaire, id id.
Robert, id id.
Moïon, id id.
Mm» Riom 4 avril.
MM. Lenoir, architecte id.
Cormerais, conseiller général id.
Simon (Charles), armateur id.
Le Gloahec, médecin-vétérinaire id.
Sémeuil, ancien pharmacien id.
Dlpi'.é #, ingénieur de la marine 1 mai.
Chevalier, médecin-vétérinaire id.
Plessis, pharmacien id.
Thibault (Eugène), négociant id.
M»s de Ternay, conseiller général 5 juin.
Ci« de Landemont, maire d'Aucenis id.
Cosse (Victor), industriel id.
COSSÉ (Dominique) , id id.
Roiitin, docteur-médecin id.
Oui, y, négociant id.
Herbelin, propriétaire id.
Mercier, ancien pharmacien id.
Rivuii, o. #, 0. L, préfet de la Loire-Inférieure 7 août.
Vimi), pharmacien 4 sept.
Oger (Emile), littérateur 18 déc.
Bossis, docteur-médecin id.
LISTE
DES MEMBRES RÉSIDANTS
QUI, REÇUS PENDANT LA 6« SÉRIE (DE 1880 A 1889 INCLUSIVEMENT)
SONT DÉCÉDÉS
DÉMISSIONNAIRES OU DEVENUS CORRESPONDANTS.
Benoist, avocat, admis 4 février 1881, démissionnaire en 1884.
Messine, pharmacien, id. 6 août 1881, id. en 1883.
Arnault, profr d'agiic, id. 6 juillet 1881, id. 9 janvier 1889.
Bon, proviseur du lycée, id. 4 janvier 1882, id. 5 sept. 1883.
Bonfante, ingr des arts
et manuf., id. 1er févr. 188*2, id. 9 janvier 1889.
Jamet, profr au lycée, id. 1er mars 1882, id. 2 octobre 1889.
Boques, id., id. 1er mars 1882, id. 2 octobre 1889.
Catusse, préfet du dép«t, id. 6 sept. 1882, id. en 1885.
Lemaiué, pharmacien, id. 2 janvier 1884, id. 27 nov. 1888.
Fahuies (le pasteur), id. 6 février 1884, id. 30 déc. 1889.
Aumaîtiie, doct.-médec, id. 5 mai 1884, id. 27 déc. 1880.
Biaute, id., id. 4 juin 1884, id. 25 janvier 1886.
Citerne, id., id. 4 juin 1884, id. 24 janvier 1886.
Maisonneuve (Th.), litr, id. 4 février 1885, id. ■ 23 janvier 1888.
Delétano, doct.-méd., id. 3 juin 1885, id. en 1888.
Leuat, id., id. 3 juin 1885, id. 27 nov. 1888.
TniERRY-RisLEit, propre, id. 2 juin 1886, id. en 1887.
Audrain, pharmacien, id. 6 mars 1889, décédé 5 mai 1889.
LISTE
DES MEMBRES CORRESPONDANTS
REÇUS PENDANT LA 6» SÉRIE (DE 1880 A 1889 INCLUSIVEMENT).
Charrier, juije de paix à Noirmoutier admis le 3 déc. 1379.
Bourgault-Ducoudray, compositeur à Paris. .. . — le l*rfév. 1882.
Gauglet (Elie), éditeur à Paris — le 5 juillet 1882.
Delamare (de Saint-Pierre) — le 2 juillet 1884.
MacaRIO (de Nice) — le 1er déc. 1884.
CorjËTOux, docteur-médecin — le 5 mai 1886.
Liénas, docteur-médecin au Cap-Haïtien — le 3 nov. 1886.
Hublé, médecin militaire — le 2 mars 1889.
Delauney, rédacteur au Ministère de l'intérieur. — le 7 sept. 1887.
Goillotin DE Corson (abbé), à Rennes — le 1er fév. 1888.
Bernon, pharmacien à Chàteaubriant — le 5 juin 1889.
SuiuiiFFE, médecin-vétérinaire à Machecnul — le 5 juin 1889.
Bi.aizot, médecin à Doulon — le 6 nov. 1889.
LISTE
DES SOCIÉTÉS SAVANTES
AVEC LESQUELLES
LA SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE EST EN RELATIONS.
.1 Angers. — Société industrielle.
2 — Société d'études scientifiques.
3 — Société d'Agriculture, Sciences et Arts.
4 — Société académique.
5 Abbeville. — Société d'émulation.
0 Amiens. — Société des Sciences, Lettres et Arts.
7 — Société des antiquaires de Picardie.
8 — Société linnéenne du Nord de la France.
1) Auxerre. — Société des Sciences historiques et naturelles.
10 Autun. — Société éduenne.
11 Aix (Bouches-du-Rhône). — Académie des Sciences.
12 Bordeaux. — Académie des Sciences.
13 Bourg. — Société d'émulation.
14 — Société littéraire, historique et archéologique.
15 Boulogne-sur-Mer. — Société d'Agriculture, Commerce et
Arts.
16 Besançon. — Académie des Lettres, Sciences et Arts.
17 Bézier. — Société archéologique.
18 — Société d'études des Sciences naturelles.
19 Brest. — Société académique.
2,0 Bar-le-Duc. — Société des Lettres, Sciences et Arts.
21 Bourges. — Société littéraire, historique et archéologique.
°22 Caen. — Société des Beaux-Arts.
23 — Société linnéenne de Normandie.
24 — Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts.
25 Cholet. — Société des Sciences, Lettres et Arts.
20 Cambrai. — Société d'émulation.
27 Chalons-sur-Marne. — Société d'Agriculture et de Com-
merce.
28 Cherbourg. — Société des Sciences naturelles.
29 — Sociélé académique.
30 Clermont-Ferrand. —Académie des Sciences, Lettres et Arls.
31 Colmar. — Sociélé des Sciences naturelles.
32 Chambéry. — Académie des Sciences, Lettres et Arls de
Savoie.
33 Dunkerque. — Société des Sciences et Lettres.
34 Dijon. — Académie des Sciences, Lettres et Arts.
35 Douai. — Société d'Agriculture, Sciences et Arls.
36 Evreux. — Sociélé d'Agriculture, Sciences et Lettres.
37 Elbeuf. — Sociélé industrielle.
38 Epinal. — Société d'émulation.
39 Grenoble. — Académie délpinale.
40 Lyon. — Sociélé d'Agrici.llure et des Sciences naturelles.
41 — Sociélé littéraire, historique et archéologique.
42 - Académie des Sciences, Lellres et Arts.
43 Le Havre. — Société d'études diverses.
44 Lille. — Sociélé des Sciences, Agriculture el Arls.
45 — Société industrielle du Nord de la France.
46 Le Mans. — Sociélé d'Agriculture, Sciences et Arts.
47 — Sociélé philolechnique.
48 Laon. — Sociélé académique.
49 La Rochelle. — Société d'Agriculture, Sciences et Arls.
50 Le Puy. — Société d'Agriculture, Sciences el Arls.
51 Le Caire. — Institut égyptien.
52 .Maçon. — Académie des Sciences, Arls el Belles-Lettres.
•V. Montauban. — Société des Sciences, Lettres et Arts.
54 Mayenne. — Sociélé d'Agriculture.
55 Metz. — Académie des Sciences, Lettres et Arts.
•Mi — Société des Sciences naturelles.
57 Montbéliard. — Société d'émulation.
58 Montpellier. — Sociélé centrale d'Agriculture.
.V.) Marseille. — Sociélé de Statistique.
60 — Académie des Sciences, Lellres et Arls.
99
61 Moulins. — Sociélé d'émulation.
62 Moscou. — Sociélé impériale des Naturalistes.
63 Nancy. — Académie de Stanislas.
64 Nantes. — Sociélé des Bibliophiles bretons.
65 — Sociélé de Géographie commerciale.
06 — Société archéologique.
67 — Société d'Horticulture.
68 Niokt. — Sociélé de Statistique, Sciences, Lettres et Arts.
69 Nîmes. — Académie du Gard.
70 Nice. — Sociélé des Lettres, Sciences et Arts.
71 Orléans. — Sociélé d'Agriculture, Sciences et Arts.
72, — Société d'archéologie.
73 Ottavia. — Institut canadien français.
74 Paris. — Sociélé centrale d'Agriculture.
75 ._ Société protectrice des animaux.
76 — Sociélé de Numismatique.
77 — Société philolechnique.
78 — Ministère de l'Instruction publique.
79 — Muséum d'Histoire naturelle.
80 — Institut.
81 — Société zoologique.
82 — Sociélé d'Anlropologie.
83 Poitiers. — Sociélé académique.
84 Pau. — Sociélé des Lettres, Sciences et Arts.
85 Perpignan. — Sociélé agricole, scientifique et littéraire.
86 Reims. — Académie des Sciences, Lettres et Arts.
87 Roche- sur-Yon. — Sociélé d'émulation.
88 Rochefort. — Sociélé de Géographie.
89 Rouen. — Académie des Sciences, Lettres et Arts.
90 — Sociélé centrale d'Agriculture.
91 — Société des Amis des Seiences naturelles.
92 Rennes. — Sociélé d'Archéologie.
93 — Annales de Bretagne.
94 Rio-de-Janeiko. — Archives du Musée national.
95 Saint-Etienne. — Sociélé d'Agriculture, Industrie et
Sciences.
80
96 Saint-Quentin. — Société académique.
97 Saint-Brieuc. — Société d'émulation.
98 Saint-Lô. — Société d'Agriculture, Archéologique et
Sciences naturelles.
99 Semur. — Société des Sciences naturelles et historiques.
100 Strasbourg. — Société des Sciences, Agriculture et Arts.
101 Salem (Etats-Unis). — The Association American Massa-
chusset.
102 Toulon. — Société des Sciences, Arts et Lettres.
103 Toulouse. — Sciences physiques et naturelles.
104 — Société académique franco-hispano-portugaise.
105 — Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres.
106 — Société des Sciences naturelles.
107 — Société centrale d'Agriculture.
108 Tours. — Société des Sciences, Agriculture et Arts.
109 — Société d'Archéologie.
110 Troyes. — Société académique.
111 Valenciennes. — Société d'Agriculture, Sciences et Arts.
112 Versailles. — Société des Sciences morales, Lettres et Arts.
113 Vannes. — Société polymalique du Morbihan.
114 Vesoul. — Société d'Agriculture, Sciences et Arts.
115 Vitry-le-Français. — Société des Sciences et Arts.
116 Washington. — United stales géologieal survey Smilhsonian
Institution.
Offerts gracieusement par les Ministères.
Bulletin des bibliothèques et des archives avec Annuaire.
Revue des travaux scientifiques.
Bulletin archéologique du Comité des travaux historiques.
Bulletin historique et philologique du Comité des travaux scien-
tifiques et historiques.
Bulletin du Comité des travaux historiques et scientifiques
(Section des sciences économiques et sociales).
Littérature latine et Histoire du Moyen-Age.
ALLOCUTION DE M. ANDOUARD
PRÉSIDENT SORTANT.
Mes chers Collègues,
Merci de la bienveillance que vous n'avez cessé de
me témoigner pendant la durée d'un mandat dont je suis
uniquement redevable à votre indulgente amitié. Merci a
mes dévoués collaborateurs de leur zèle et de leur empresse-
ment a m'aplanir les difficultés de la route que nous devions
parcourir ensemble. A eux revient la meilleure part de ce
qui a été fait d'utile pour notre Société dans le courant
du dernier exercice. Croyez, mes chers Collègues, que je
garderai de vos affectueux procédés à tous un souvenir
ineffaçable et bien reconnaissant.
En résignant aujourd'hui mes fondions, je suis heureux
de pouvoir dire que l'année dont nous atteignons le terme
n'a pas été stérile. Je ne saurais rien ajouter a l'éloge de
vos travaux, si élégamment fait par votre distingué Secrétaire
général. Vos Annales feront foi de votre activité aussi bien
que de la valeur et de la variété de vos recherches.
Parmi les œuvres que vous aviez entreprises, il en est une
qui reste inachevée; je veux parler de la réunion en une
même famille, ou au moins en une môme maison, de tous
les ouvriers de la pensée, aujourd'hui dispersés sur divers
points de la ville. Vous avez espéré un moment que cette
œuvre allait recevoir une solution conforme à vos désirs.
Les circonstances ne s'y sont pas prêté. Mais l'idée demeure
et elle fera son chemin, [tarée qu'elle intéresse l'avenir de
imites les Sociétés qui ont pour objet la culture des lettres,
des arts et des sciences.
Pour sa réalisation et pour celle des progrès de toute
nature que doit ambitionner une Compagnie comme la vôtre,
vous venez de choisir parmi vous des guides sûrs et vaillants.
C'est avec une véritable satisfaction et avec une confiance
absolue que j'invite MM. Merland, Bonamy et Pérochaud à
inaugurer la gestion de vos intérêts. Le succès ne peut
faire défaut, quand il est sollicité par l'intelligence et par le
dévouement.
18 décembre 1889.
ALLOCUTION PAR M. JULIEN MERLAND
PRÉSIDENT NOMMÉ.
Messieurs et chers Collègues,
En prenant possession du poste élevé auquel vous venez
de m'appeler, ma première parole doit être pour vous
remercier, pour remercier en votre nom et au mien les
membres du Bureau dont les pouvoirs viennent d'expirer et,
en particulier, M. le président Andouard et M. le secrétaire
général Gabier.
Succéder à M. Andouard est un grand honneur; c'est
aussi un grand danger. Si, en effet, vous n'aviez à demander
à votre Président qu'un dévouement absolu à vos intérêts, je
crois, sans fausse modestie, que je serais à la hauteur de
ma mission. Mais vous êtes en droit d'exiger de lui une
autorité qui, je le crains, me fera défaut, et un talent auquel
vous ont habitué mes prédécesseurs et que je ne puis espérer
égaler même de loin.
Je n'ai pas cru néanmoins devoir refuser les fonctions
que vous m'avez confiées ; car j'estime que nul n'a le droit
de se dérober aux manifestations librement exprimées de ses
concitoyens; parce que, ensuite, je sais quels sont les collègues
que vous m'avez adjoints au Bureau et au Comité central;
parce que, enfin, je n'ignore pas la bonne harmonie qui règne
parmi nous et la courtoisie parfaite, de nos discussions.
3
84
C'est, Messieurs, ce qui fait la force de la Société Acadé-
mique. Sur un terrain absolument neutre, nous cherchons à
développer autour de nous le goût des lettres et des sciences.
Profondément respectueux des opinions de chacun, nous
nous efforçons d'attirer et de grouper tous ceux qui, dans
notre grande cité, ont le culte des choses de l'esprit. Nous
écartons de nos séances toutes les discussions irritantes qui
touchent a la religion et à la politique, et je vous affirme
que, moins que jamais, sous ma présidence, la grande
dissolvante ne pénétrera point chez nous.
Mais, Messieurs, pour que notre Société progresse, il faut
sans cesse faire de la propagande. Chaque année, nous
devons remplacer les membres qui disparaissent. Les uns
nous quittent, souvent sans motifs bien plausibles, et a ceux-là,
j'en veux un peu. D'autres, poursuivant leur carrière ou
obéissant aux exigences de la vie, nous abandonnent pour
des régions plus ou moins éloignées. D'autres, enfin, nous
sont ravis par la mort.
L'année 1889 nous a été particulièrement cruelle. Nous ne
reverrons plus parmi nous ce jeune Maurice Audrain, qui
était notre collègue depuis deux mois à peine et qui nous
arrivait avec une réputation bien justifiée. Nous ne reverrons
plus Herbeliu, l'habile chimiste, que sa modestie a seule
empêché d'accepter, il y a quelques années, la première
place. Nous ne reverrons plus notre vénéré doyen, le
Dr Delamare, si soucieux de notre bibliothèque, si dévoué
à nos intérêts, et qui a voulu, après sa mort, nous laisser
un souvenir de lui. Il n'en était pas besoin pour que nous
conservions pieusement sa mémoire (*)•
Quand de tels hommes viennent à manquer, n'ai-jc pas
(*) Au moment même où nous prononcions cette allocution, nous appre-
nions la mort de M. Manehou, bibliothécaire adjoint. J. M.
85
raison de dire qu'ils laissent une place difficile à remplir.
Il ne faut pourtant pas que ces vides ne soient point comblés.
Il faut, au contraire, que de jeunes et vaillantes recrues
remplacent les vétérans qui tombent au combat de la vie.
La Société Académique sera bientôt vieille d'un siècle.
Dans quelques années, elle célébrera son centenaire. Nos
Annales prouvent ce qu'ont été nos prédécesseurs, ce que
nous avons été nous-mêmes. Nous enregistrons avec une
noble satisfaction les récompenses qui nous ont été accordées,
l'honneur que nous avons eu, en 1873, de voir nos Annales
représenter à l'Exposition de Vienne les Académies de pro-
vince, l'honneur que nous avons eu cette année en obtenant
à la grande Exposition du Centenaire une médaille d'argent.
Continuons donc à marcher dans la voie qui nous est
tracée. A chacun de vous, je vous demande d'apporter à
nos séances le résultat de vos travaux et de vos études.
Ne craignons pas de rendre trop pénible la tâche de notre
Secrétaire général. Nous connaissons sa valeur et nous
savons qu'il est à la hauteur de ses fonctions.
Je viens de prononcer le nom de notre secrétaire général,
M. le Dr Pérochaud. Vous l'avez enlendu à la séance du
8 décembre. Vous l'avez apprécié.
Notre Vice-Président porte un nom bien cher à la Société
Académique, qui n'a point oublié qu'en 1855 elle était présidée
par un autre docteur Bonamy, le père de noire collègue
actuel. Par suite de coïncidence, nos Présidents de 1890 se
trouvent être les fils de nos Présidents de 1855 et de 1877 (i)
qui, eux-mêmes, dans leur jeunesse, furent condisciples et
amis à la grande Faculté de Médecine de Paris.
Enfin, Messieurs, nos finances et nos bibliothèques, confiées
(4) M. le Dr Bonamy père a été président de la Société en 1855, M. le
Dr Merland père en 1877.
86
à MM. Delteil et Guénel, sont en bonnes mains. M. Guéncl
sera le digne continuateur de M. Delamare (t).
Pardonnez-moi, mes ehers Collègues, cette trop longue
allocution. Un mot encore cependant, mot qui, à force d'Être
répété, est devenu banal, qui trop souvent n'est pas justifié,
mais qui, dans la circonstance, le sera, j'en suis sûr : Je
puis, n'est-ce pas, compter sur vous tous, comme tous, je
vous l'atteste, vous pouvez compter sur moi.
18 décembre 1889.
(') A la séance de février, le Bureau a été complété par la nomination
de M. Francis Merlant, comme secrétaire adjoint, en remplacement de
M. D. Caillé, non acceptant, et de M. Gabier, comme bibliothécaire
adjoint, en remplacement de M. Manchon, décédé.
NOTICE NÉCROLOGIQUE
SUR M. MANCHON
Par M. Julien MERLAND
PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ ACADEMIQUE.
Messieurs,
Je suis Président de la Société Académique depuis quelques
jours à peine et j'ai déjà le triste devoir de vous présenter
une notice nécrologique.
Notre collègue, M. Manchon, est décédé à Nantes le
15 décembre 1889.
Né à Paris, le 28 janvier 1815, M. Manchon (Adrien-
François-Eiigène) se destina au notarial. Le 10 mai 1845,
il acheta l'étude de M. Ghenantais, notaire à Nantes, et se
maria dans notre ville le 2 septembre de l'année suivante.
Il devint ainsi complètement notre compatriote.
Le notariat d'alors n'était point le notariat de nos jours.
On achetait une étude; on restait de longues années notaire;
on mourait notaire ou on cédait son office à son fils, son
gendre ou un autre parent, et, en se retirant après plus de
vingt années d'exercice, on était fier d'obtenir l'honorariat.
Aujourd'hui, il n'en est plus de même. Nos mœurs sont
changées, pas h notre avantage. On achète une charge
souvent avec la pensée de faire un brillant mariage; on
reste quelques années notaire, puis on se retire, quelquefois
forcé, contraint.
38
M. Manchon était de la vieille école. Il fut notaire du
10 mai 18i5 au 10 octobre 1867, c'est-à-dire pendant plus
de vingt-deux années. Si des circonstances douloureuses
l'obligèrent a se démettre de ses fonctions, me disait un jour
un doyen du notariat nantais, l'honorable M. Boiscourbeau,
bon juge en pareille matière, il emporta dans sa retraite les
sympathies de ses collègues. On le plaignit. On ne l'accusa pas.
Pendant son long exercice, M. Manchon fut a plusieurs
reprises membre et même secrétaire de la Chambre de
discipline. Je sais que ses travaux y étaient fort goûtés.
Le 1er avril 1863, sur le rapport de M. le Dr Blanchet,
il fut admis en qualité de membre résidant de la Société
Académique. 11 a souvent fait partie du Comité central et a
été successivement secrétaire et président de la Section des
Lettres. En 1867, il a été vice-président de la Société et,
depuis 1882, il en était le bibliothécaire adjoint.
M. Manchon, en dehors de ses rapports comme secrétaire
de Section, n'a publié dans nos Annales qu'un seul autre
travail, du moins à ma connaissance. C'est un rapport sur
l'étude de notre collègue M. Orieux, César chez les Venètes
(Annales, année 1881, page 379). 11 était absolument dévoué
à notre Société, et nos séances n'avaient pas de membre plus
assidu. Aussi, lorsqu'à celle du 9 décembre dernier, j'ai remar-
qué son absence, j'ai bien pensé qu'il était gravement atteint.
M. Manchon aimait la littérature. Bien de ce qui touche
aux travaux de l'esprit ne le laissait indifférent. Aussi,
lorsque la Société de Géographie fut fondée sous l'impulsion
énergique de notre collègue M. Linyer, fut-il un des premiers
à y donner son adhésion.
Ceux d'entre vous, Messieurs, qui, nouveaux venus parmi
nous, n'ont connu M. Manchon que dans ces derniers temps,
n'ont pu l'apprécier à sa juste valeur. En effet, depuis
quelques années, les infirmités ne l'avaient point épargné.
39
Voilà déjà longtemps que nous nous apercevions que sa
sanlé déclinait. La inarche était plus pénible, la vue plus
basse, et, faut-il l'avouer, l'intelligence plus lente. Mais il a
conservé jusqu'au dernier moment cette politesse exquise,
cette urbanité parfaite, qui faisait que jamais il n'abordait
quelqu'un sans un mot aimable et affectueux. Je ne puis me
rappeler sans émotion la parole qu'il m'adressa, à la séance
du 26 novembre 1888, au moment où vous veniez de
m'appeler a la vice-présidence : « Votre père, me dit-il, s'il
était là, serait bien heureux. » Cette simple phrase prouve
que chez M. Manchon, un organe était resté bien intact :
le cœur.
Il était d'une grande bienveillance. Jamais un mot blessant
pour qui que ce soit n'est sorti de sa bouche. Indulgent pour
tous, il cherchait toujours à pallier les travers et les défauts
des autres. Aussi, peut-on dire qu'il n'a jamais eu un ennemi.
11 a suivi de près dans la tombe M. Delamare, dont il
était l'adjoint comme bibliothécaire. C'est ainsi que dispa-
raissent les plus anciens d'entre nous. Ah ! combien, combien
parmi ceux qui, en 1870, m'ouvrirent à deux battants, à
moi, jeune homme de vingt-quatre ans, les portes de la
Société Académique, que j'étais loin de penser présider un
jour, combien ne sont plus î Nous sommes, nous, Messieurs,
les représentants d'une nouvelle génération, qui, elle aussi,
passera vite pour faire place à une autre. Mais tant que
nous serons là, honorons nos morts; n'oublions pas ce qu'ils
ont été; prenons leur vie comme un exemple à suivre,
et, comme eux, maintenons intactes les vieilles traditions
d'honneur et de travail de la Société Académique de la
Loire-Inférieure.
8 janvier 1890.
NOTICE NÉCROLOGIQUE
SUR M. ROUXEL
Par M. Julien MERLAND
PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE.
Messieurs,
En moins d'un mois, la mort a deux fois frappé h la porte
de la Société Académique, et il semble que, depuis que je
suis votre Président, j'ai la douloureuse spécialité des notices
nécrologiques.
A la séance de janvier, je vous disais ce qu'avait été
M. Manchon. Aujourd'hui, j'ai à vous faire connaître ce que
fut M. Ilouxel.
Né à Nantes, le 14 juillet 1809, M. Rouxel (Athanase-
Eugène), y est décédé le 7 janvier 1890.
Certes, Messieurs, en le voyant, nul ne l'eût cru aussi
âgé. Il portait fièrement le poids des années. Il avait toute
l'apparence de la force, et il paraissait appelé à vivre encore
longtemps, lorsque tout a coup il a été terrassé pour ainsi
dire en pleine vie.
Après de fortes éludes au Petit-Séminaire et au Collège
de N'ailles, le jeune Rouxel fut reçu bachelier ès-lellres le
19 octobre 1827. Il avait été préparé à cet examen par le
vénérable M. Douein, dont la Société Académique gardera
41
toujours la mémoire, et je me souviens de l'étroite amitié
qui n'a cessé d'exister entre le maître et son ancien élève.
Cédant aux sollicitations de son père, M. Rouxel se prépara
a l'enseignement. Il fut d'abord professeur de cinquième au
Collège d'Ancenis (du 18 octobre 1830 au 2 février 1831)
et ensuite maître d'études au Collège d'Angers (du 2 février
1831 au 16 avril 1835). Mais la carrière universitaire était
loin de lui plaire. Il put enfin obtenir de son père l'autorisa-
tion de suivre ses penchants, et entra dans la marine. Ce
fut le 25 mai 1836 qu'il y obtint son premier grade, écrivain
de marine, et, dès lors, jusqu'au moment où il prit sa
retraite, il occupa dans cette Administration divers emplois,
soit sur terre, soit sur mer, soit en France, soit aux colonies.
Je sais que, pendant toute cette longue période, M. Rouxel a
tenu avec soin un journal relatant ses impressions de cliaqne
jour. Ayant beaucoup vu, beaucoup observé, avec son esprit
sagace, il a dû consigner sur ce journal quantité de faits
intéressants, et il est bien à regretter que sa modestie l'ait
empêché de nous en donner communication.
M. Rouxel a ainsi parcouru tous les degrés de la vie
administrative, et après quelques déboires inhérents aux
fonctionnaires de tous ordres, atteint par la limite d'âge, il
a pris sa retraite en qualité de commissaire adjoint de la
marine. Pendant sa longue carrière, la croix de la Légion-
d'Honneur avait justement récompensé de bons et loyaux
services.
En 1867, il vint habiter Nantes, et, dès le 5 janvier 1870,
sur le rapport de M. Biou, il fut admis en qualité de membre
résidant de la Société Académique. Il devint un de nos plus
fidèles habitués et, dans les premières années, nos réunions
n'avaient pas d'assistant plus exact. Lorsqu'il alla demeurer
dans le quartier des Salorges, son assiduité se ralentit
forcément. On comprend que, malgré sa vigueur, il était
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difficile à un homme aussi âgé de venir le soir suivre nos
séances. De la rue des Salorges a la rue Suffrcn, c'est un
véritable voyage, très pénible, surtout en hiver, pour un
vieillard, et on s'explique aisément pourquoi il fut à peu près
obligé de renoncer à des habitudes qui lui étaient chères.
Il n'avait pas voulu néanmoins se séparer de nous, et il
a tenu à mourir notre collègue.
Son activité le portait à s'occuper de travaux de diverses
natures. Ainsi, à la Société de Géographie, dont il fut un des
membres fondateurs, il faisait partie du Comité central. A la
Société d'Horticulture, il fut longtemps Vice-Président, et je
sais que sa modestie seule l'a empêché d'accepter la Prési-
dence, qui lui fut proposée a une certaine époque.
Mais il est d'autres fonctions plus modestes et plus
inconnues qu'il aimait à remplir. Vous savez tous ce que
sont les enquêtes de cornmodo el incommodo. Pour les
diriger, pour y présider, les municipalités sont obligées
d'avoir recours à la complaisance d'hommes éclairés. Dans
une grande cité comme la nôtre, ces enquêtes sont très
fréquentes et demandent un réel dévouement. Jamais en
vain la municipalité de Nantes n'a fait appel à M. Rouxel ;
el ces fonctions, qui nécessitent une réelle somme de travail,
il les remplissait avec une compétence et une courtoisie qui
rendront son remplacement bien difficile, d'autant plus que
ces missions toutes privées, ne procurant ni gloire, ni
honneur, ni profit, sont peu recherchées et qu'il faut pour
les accepter une véritable abnégation. Combien, en voyant
la manière dont il s'en acquittait, devons-nous regretter qu'il
ait cru devoir décliner les fonctions de juge de paix, qu'on
lui avait offertes alors qu'il venait d'être mis à la retraite!
Nul plus que lui n'eût été apte à exercer celte juridiction
toute de conciliation.
M. Rouxel, en 1871, fut cruellement éprouvé. Lui, le père
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de famille si dévoué, qui avait toujours entouré ses enfants
de tant de sollicitude, il perdit, à quelques jours d'intervalle,
un fils et une fille dans la force de la jeunesse. Ah! pour
résister à ces coups terribles, il fut heureux d'avoir celte
foi qui soutient et console. Il y puisa le courage, qui
permet de vaincre les plus grandes douleurs. 11 trouva, du
reste, un adoucissement à son malheur dans la dévouée
compagne de sa vie et dans les enfants qui lui restaient.
Par un pieux sentiment, ceux-ci ont voulu aujourd'hui
honorer sa mémoire en recueillant les divers témoignages
d'estimes donnés à celui qu'ils pleurent amèrement. Nos
regrets, Messieurs, se joindront a ceux que, sur sa tombe,
ont exprimés M. Huon, au nom de la Marine, et M. le
Dr Blanchet, au nom de la Société d'Horticulture. Les
enfants de M. Rouxel les transmettront eux-mêmes à leurs
propres enfants, afin que ceux-ci aient toujours présente
devant, leurs yeux, comme un exemple à suivre, la vie de
leur aïeul.
Il est un autre côté de l'existence de M. Rouxel que
j'aimerais a vous faire connaître. Mais là, je suis tenu à une
grande réserve. La vie privée doit être murée, et certains
voiles ne peuvent être soulevés même avec la main la plus
légère. Notre regretté collègue ne me le permettrait pas du
reste. Qu'il me soit permis de dire cependant que M. Rouxel
s'était consacré tout entier à l'œuvre des Cercles catholiques
d'ouvriers et qu'il n'a jamais marchandé aux malheureux ni
son temps ni sa peine. Il avait pour devise et répétait souvent
à ses enfants « qu'il faut savoir faire le bien pour le bonheur
de le faire. » Dans le misérable quartier de Sainte- Anne
qu'il habitait, les pauvres sont nombreux. Nombreux sont
ceux qui ont besoin de secours et de conseils. M. Rouxel
prodiguait les uns et les autres; et la foule tristement émue
qui suivit son cercueil prouve que, quoi qu'on en dise, dans
44
le cœur des hommes il est encore des sentiments de recon-
naissance. Le concours des malheureux qui se 'pressaient
autour des restes de notre collègue ne démontrc-t-il pas
mieux que mes paroles l'affection et l'estime qu'il avait
inspirées à tous, surtout aux pauvres, qui avaient reçu de
lui aide et assistance.
Tel fut M. Rouxel. Il est de ces hommes qui ne meurent
pas tout entier. Son souvenir subsistera, mais nulle part plus
vivace qu'au sein de la Société Académique, qui a perdu en
lui non seulement un de ses membres distingués, mais encore
un parfait homme de cœur, un parfait homme de bien.
5 février 1890.
OGÉANES
PAR M. EMILE OOER
LA FALAISE.
En janvier. Un chemin perdu sur la falaise
Grise. Une pâquerette en ce sable où juillet
Peut à peine semer la rose odeur d'œillet,
Où siffle maintenant la rafale mauvaise.
Tu la cueillis, croyant y voir l'aveu qu'on baise,
Y lire, en l'effeuillant, comme on lit un billet :
Mignonne, l'âme seule a l'éternel feuillet
Qui dit vrai, que la fleur parle ou qu'elle se taise.
Pour aider ton travail nous allions pas à pas ;
Tu répétais des mots que je n'entendais pas
En ôtant à la fleur son coquet diadème :
Et le vent l'arracha tout à coup de ta main. . .
— Mais pourquoi ce labeur et pourquoi ce chemin
Quand nos cœurs souffraient tant de ce secret : « Je t'aime ! »
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LE BAIN.
Toujours, je les entends tes mignons cris d'effroi,
Tes supplications et tes éclats de rire.
Je te revois, toujours, quand la vague en délire,
Qui fuyait, te laissait frissonnante de froid.
Tu prolongeais le bain. J'avais beau te prescrire
Les avis du docteur, d'efforcer d'être adroit
Pour rentrer a la plage : — « Allons cncor ! . . . tout droit. . . »
— Et j'allais, t'adorant trop pour te contredire.
J'ai lu que tu m'aimais dans tes yeux ingénus ;
J'ai tenu dans mes bras tes chers petits bras nus,
Mais sans penser que, moi, j'étais homme, et toi, femme.
Va ! Rapprendre qu'il est des rêves sans grandeur,
Abuser de ta foi, te ravir la candeur,
Jamais! — Car, lorsqu'on aime on ne peut être infâme!
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LES PINS.
Le soir. L'étoile d'or au ciel. La mer étale.
Au bord, le flot bruit, — douce incantation.
Un phare, au loin, là-bas, moule sa faction.
Et la lune a grandi dans la nuit estivale.
C'est l'enchantement plein, l'heure sentimentale :
Les choses vont vibrer, prises de passion.
Et l'esprit s'égare en la fascination,
Et l'âme s'abandonne en l'extase totale.
N'est-ce point par un soir semblable à celui-là,
Mignonne, que ta main sur la mienne trembla ;
Que, sous l'ombre des pins que la brise balance,
Dans le grand calme où Dieu doit bénir les amours,
Dans l'infini repos, dans le lointain silence,
Nous nous sommes redit : — « Toujours ! Bien sûr?. . . » —
[« Toujours ! »
48
LE MOLE.
Le môle était étroit, et nous étions au bout,
Du côté de la mer. La lame impérieuse
Jaillissait sur ta robe, et toi, folle et rieuse,
Tu l'agaçais du pied, dans le grand vent debout.
Le ciel fut noir. Le vent redoubla. Tout a coup,
La rafale rasa le môle, furieuse,
Et faillit t'emporter!.. . Tremblante et sérieuse,
Tu dis : « Partons! » jetant tes deux bras à mon cou.
Mon cœur avait battu ; j'avais pâli de crainte.
Fier d'être ton sauveur, ivre de ton étreinte,
Aux endroits dangereux je te serrais plus fort.
— Désormais, entre nous, c'est l'absolu partage
Des périls, mon aimée. Irais-tu vers la mort :
Pour te suivre, mes bras t'étreindraient davantage.
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LE SALON.
L'ombre, dans le salon, épandait le mystère,
Se vêtant de silence et de mysticité.
Et l'amour veillait seul en celte obscurité, -
Comme, devant l'autel, veille la lampe austère.
Sur nous passait ce pur parfum d'intimité
Qui laisse croire au ciel, qui n'est pas de la terre.
Nous vivions en plein rêve, âmes que rien n'altère,
Nous sachant a nous seuls pour une éternité.
Dis-moi. Sais-tu, mignonne, où vaguaient nos pensées ?
As-tu le souvenir de ces heures passées ?
Moi, je sais seulement que, nos doigts enlacés,
Mon front à tes cheveux et l'épaule à l'épaule,
Sur tes grands yeux plus clairs qu'une aurore du Pôle,
.le posai le baiser chaste des fiancés.
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LA GRÈVE.
Derrière nous, les rocs fouillés des flots, sans art,
S'entassent ; à nos pieds, s'allonge molle et grise,
La grève au sable lin, à la sjpnteur qui grise
Des glauques goémons semés par le hasard.
La vague, dans le flux, monte au bord et se brise,
Et jette comme adieu son cher refrain bavard. —
Et nous restons, la main dans la main, le regard
Perdu dans l'infini, le front baigné de brise :
Toi, mignonne, rêvant de nos premiers aveux,
Moi, laissant mes baisers descendre à tes cheveux
Qu'un coup de vent défait et que le soleil dore.
Je le dis à l'oreille : « A quoi donc pensez-vous ? »
Et tu rougis : Tes doigts, d'un mouvement très doux,
Sur le sable ont écrit : — « Mon René, je t'adore ! »
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L'ÉPAVE.
D'où venait ce vieux mât, cette lugubre épave,
Gisant alors à sec au milieu des récifs,
Où nous nous asseyions attristés et pensifs ?
— Et quand le flux, deux fois par jour, l'épluche et lave,
Que peuvent raconter ses sourds râles plaintifs ?
Le navire était neuf, l'équipage était brave.
Tous, le mousse étonné, le vieux matelot grave,
Ont lutté jusqu'au bout contre les flots massifs.
Tous, pourtant, étaient forts de la forte pensée
Des petits, de la femme ou de la fiancée :
Ils sont restés quand même en les grands lointains bleus.
La vie a son naufrage et ses mortelles lames :
Mignonne, nous mourrons. Qu'importe ! si nos âmes
S'en retournent ensemble aux pays fabuleux !
SOUS ESCORTE
PAR M. EMILE OGER
A M. Pierre M O R E A U
I
« A Berlin ! » clamions-nous. C'était clameur de guerre.
Fort du devoir sacré, sans faiblesse vulgaire,
Digne du noble nom transmis par les aïeux,
Le comte du Floc s'est engagé. De son mieux,
Il a voulu cacher a sa femme ses craintes.
Mais, le moment venu des dernières étreintes :
— « Dieu me garde! dit -il. S'il n'en est pas ainsi,
» Sois bonne pour l'enfant, sois juste et ferme aussi.
» Répète à Marc qu'il fut ma plus tendre espérance.
» Qu'il vive en gentilhomme et qu'il aime la France. »
La comtesse, étouffant dans ses sanglots, promit.
Et lui, le lendemain, marchait à l'ennemi.
Saarbrùck, un jeu d'enfant, un combat de parade;
La dépêche Lebceuf; l'emphatique tirade
Des journaux ; puis, le deuil
53
Trois jours étaient passés.
Amenés au château, des officiers blessés
Contèrent Wissembourg, — la première défaite ! —
L'œuvre atroce pourtant que la mitraille a faite,
Et, parmi ceux tombés déjà pour le drapeau,
Ils nommèrent, hélas! le maître du château.
II
L'invasion allait grandir, barbare, horrible.
En décembre, un matin de ce passé terrible,
La comtesse, les yeux rougis, las de pleurer,
Vit son vieux serviteur, — presque un ami, — rentrer
D'un pas plus hésitant, plus lent que d'habitude.
Voici : le vieux en a la triste certitude :
Vaincus et prisonniers, des Français, par le bois,
S'avancent, escortés de soldats bavarois. . .
— « Des Bavarois! »
Aveu d'une douleur mortelle :
La veuve du soldat reste au soldat fidèle.
C'est bien à Wissembourg, — elle n'oubliait pas, —
Que, préférant mourir que reculer d'un pas,
Le comte a péri sous les balles de Bavière !
Elle est à deux genoux, sanglote une prière,
Se relève, et portant son fils, son petit Marc,
Va, traverse, affolée, en courant, tout le parc,
Ne s'arrêtant enfin qu'au bord de la grand'route.
Car, bourreaux et martyrs vont passer là, sans doute.
Rien, pour la protéger, qu'une grille de fer.
54
111
Le visage fouetté par l'âpre vent d'hiver,
La mère attend. L'enfant, qui tremble, balbutie :
— « J'ai froid ! » — Elle, elle écoute :
El la neige durcie
Sous des pas cadencés résonne tout à coup.
Les prisonniers venaient, — eux qui chantaient en août! —
Cavaliers sans chevaux, officiers sans épée,
Dignes soldats, malgré l'espérance trompée.
Et ces vaillants, traînés vers les buts inconnus,
La plupart en haillons, tête nue et pieds nus,
Etaient fils des géants, fils de la grande armée!
Tous, les vieux d'Italie et les vieux de Grimée,
Héros qui, maintenant, devaient courber le front,
Et dont, en ce premier, ce ténébreux affront,
Les dents grinçaient, claquaient sous la moustache grise ;
Les jeunes, — des enfants presque, — chez qui la bise
Dans les cils refermés faisait monter des larmes,
Et dont les doigts crispés cherchaient d'instinct ces armes
Remises au vainqueur, et les yeux, ce drapeau
Qu'on a su, le brûlant jusqu'au dernier lambeau,
Sauver de l'ennemi, sauver du sacrilège,
Tous s'en allaient, — muet et lugubre cortège !
IV
Peuple de Germanie, as-tu pour le vaincu
Os égards qui feront qu'il aura survécu?
Que vas-tu lui laisser? — Tes vins, tes blondes bières?
Ou ces sapins qu'on scie a la longueur des bières ?
55
Est-ce un cœur fier, loyal, qui vibre dans ton sein,
Ou ton soldat de fer n'est-il qu'un assassin?
Sais-tu qu'on se pardonne au soir de la bataille,
Que tout homme où l'épée a marqué son entaille
Est sacré pour tous, sauf, c'est vrai, pour des bandits,
Et que, pour lui, là-haut, Dieu tient des paradis?. . .
Honte ! Tu ne sais pas ! Gomme Attila naguère
Tu sèmes l'infamie et tu dis : « C'est la guerre ! »
Tu souilleras tes doigts dans le sang du blessé :
Et combien des vaincus de France auront laissé,
Au jour, hâté par loi, de la suprême épreuve,
Les petits, orphelins, et leur épouse, veuve;
La fiancée en pleurs au pied du crucifix ;
Le village, sans gars, et l'aïeule, sans fils ! . . .
V
Us allaient. — Et la femme, à la grille appuyée,
En les voyant venir, conçut, l'âme broyée,
Le rêve noir, affreux, des nôtres entassés
Par milliers, vers le Nord, dans les cachots glacés,
Sans vêtement, sans pain, et bientôt, morts livides,
Dans les fosses jetés par des bourreaux avides.
De l'atroce douleur, rien, du moins, ne parut.
Sans penser à l'escorte, aussitôt qu'elle crut
Qu'on l'entendait et la voyait, elle fit signe,
Saluant de la main ; puis, souriante et digne,
Mais plus pâle peut-être en son costume noir,
Cria pour les martyrs:
— « Mes amis, au revoir ! »
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C'était beau, c'était grand. Nul, n'est-ce pas, n'outrage
Une fierté si noble, un si noble courage ?
Erreur! — Pas de respect pour les inères en deuil!
Ces Bavarois voudront de la boue à ce seuil !
Et les voilà, hurlant de ces galanteries
Qu'il Munich ou Wiirlzbourg, au fond des brasseries,
Enlre deux bocks, hardis en leur fébrile ardeur,
Ils débitaient, le soir, aux filles sans pudeur! —
VI
Belle et chaste, la veuve hésite d'abord, blême,
Sans réplique devant cette injure suprême.
Quand elle s'est remise, elle prend dans ses bras
Son fils, et, lui montrant autour de nos soldats
L'escorte infâme :
— « Va ! ne crains pas. Mais regarde,
» Mon petit Marc, dit-elle. Au moins, si Dieu le garde,
» Si tu grandis, lu les reconnaîtras un jour,
» Le jour où ta pairie, enfant, aura son tour!
» Oh ! regarde-les bien : ils ont tué ton père ;
» Et, maintenant, — écoute, — ils insultent la mère!
Puis, presque délirante, et le serrant plus fort :
— « Dis, sauras-tu, plus tard, te souvenir encor? »
Femme, c'est bien! — Qu'importe a notre haine franche
Qu'on attende longtemps l'heure de la revanche;
Oui, qu'importe, pourvu que l'heure sonne enfin !
Nous n'aurons pas toujours contre nous le destin!
Femme, tu parlas vrai, dans Ion orgueil de mère,
Dans ton juste mépris, dans la douleur amère :
En nos pays volés, on saura bien haïr;
Mieux se venger encore, et non pas obéir.
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VII
Surpris par cette ardeur héroïque de femme,
Tirés de ce dégoût qui les prenait a l'âme,
Oublieux qu'ils allaient sans savoir le chemin,
Oublieux de la veille, oublieux de demain
Qui, peut-être, devra finir toute souffrance,
Les nôtres, ont le mot d'amour :
— « Vive la France! »
— « Kœnig und Vaterland ! » rugissent les gardiens ;
» Forwerth ! forwerlh ! allons, en avant, maudits chiens ! »
L'un d'eux, ivre, écumant, pris d'une ignoble rage,
Epaule son fusil, ajoutant à l'outrage
Le crime. — Le plomb part, fatal, traverse l'air,
Siffle entre les barreaux de la grille de 1er
L'héroïne à son cœur porte la main : « Blessée ! »
Mais, c'est aux seuls vaincus qu'appartient sa pensée
Elle est fille française : elle reste debout,
Bien que frappée à mort, défiant jusqu'au bout
Cette cruauté lâche et celte barbarie,
— Emblème trois fois saint de la sainte patrie.
Gomme si, pour mourir, ce n'était pas assez
D'attendre que les chers prisonniers soient passés.
Ils sont déjà très loin, qu'étanchant sa blessure,
Elle salue encor d'une voix forte et sûre :
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Et son cri, son beau cri, synonyme d'espoir,
Dans le ciel gris et froid se répète :
— « Au revoir! »
Le convoi disparaît. Affaiblie et lointaine,
Se perd une clameur dernière :
— « Adieu, Lorraine! »
VIII
Quand le vieux serviteur vint, le petit pleurait.
Et la comtesse, au sol blanc de neige expirait.
IX
Or, les gens d'un faubourg de l'Est, à la frontière,
Voient, chaque soir, depuis cinq mois, — d'allure fière,
Un jeune homme gravir seul un coteau voisin,
Y rester immobile et tourné vers le Rhin :
— Est-ce qu'il va rêver, là-haut, de chères mortes?
Quand il passe, on prétend bien bas, au seuil des portes,
Que ses yeux sont battus, qu'il pleure longuement
Sur le coteau. La cause? Un ami récemment
L'interrogeait :
— o Pourquoi donc ce pèlerinage,
» Cet air d'enterrement qui n'est pas de ton âge? »
11 répliqua :
— « Je rentre au quartier le front bas.
59
» Mais, ne t'ai-je jamais conté que j'ai, là-bas,
» Dans ma Lorraine, un saint héritage... deux tombes;
» Qu'enfin, j'y vois briller les croix des hécatombes,
» Et, planant au-dessus, l'âme de Jeanne d'Arc?... »
X
Cet homme est l'officier du Floc, — le petit Marc
D'il y a dix-huit ans : Il se souvient encore!
Il attend, aujourd'hui, le fier appel sonore
De nos jeunes clairons, de nos tambours battants :
— Les gloires de revanche et les jours éclatants !
COMPTE RENDU
DU ROMAN « LA HOUN »
DE Mme RIOM
PAR M. EMILE OGER
Messieurs,
Impossible, a-t-on dit, de trouver dans la langue française
deuy. mots vraiment synonymes. Le sont encore moins que
tous, peut-être, les mois rimeur et poète. Et j'en ai un lourd
regret. Le rimeur est insuffisant. Il eût fallu le poète pour
vous prouver que ma gratitude n'est point en retard sur
celte bienveillance qui, en l'espace de deux mois, me procla-
mait le premier de vos lauréats de lï&J, me faisait votre
collègue, puis le Secrétaire adjoint de votre Section des
Lettres.
J'ai essayé une preuve de gratitude ; j'ai, dans un oubli
de mon âge et de ma pauvreté de talent, accepté le délicat
honneur de vous parler du roman que Mme Riom venait de
nous offrir: « La Hoim. »
Nom au sou étrange, incompréhensible pour des oreilles
inaccoutumées au sonore parler d'Oc, « La Hoan » désigne
une source d'eau salée, découverte à Salies, — au Moyen-
Age, rapporte la légende, — et dont Jeanne d'Albrel, la
61
bonne reine, céda la propriété aux gens de l'endroit. Le
bourg des Salésiens est situé clans ce pays où les hommes
portent le béret et la chamarre, les femmes le madras et le
casabet, en un coin du Béarn, à quelques lieues d'Orthez,
avec, au loin, a gauche du Gave, à l'assaut du ciel, les
blanches cimes éternelles du pic de Bigorre, du mont Perdu
et du pic d'Ossau.
Les forets épaisses de cette contrée, coupées de clairières,
de chemins embroussaillés, bruissent pleines d'attirantes
senteurs, dans l'imagination de Pierre, le fils de la veuve
Gassabère. Les compagnons du jeune apprenti — il a
quinze ans, — ont beau le railler, lui répéter qu'il ne sera
jamais un bon sandalier, il revient, malgré lui, a ses souve-
nirs d'enfant, au temps où il aidait, dans un commerce de
bois, son père, mort il y a trois étés : Il rêve.
Elle rêve aussi, Jeanne Castel, la jolie brune, pure comme
les brises des seize printemps qui ont caressé son front ;
elle rêve, ce soir, à nuit close, de novembre, où elle néglige
de servir les anciennes réunies pour la veillée du sel ; elle
écoute distraitement les contes. Car on dit des contes encore,
— distraction que n'ont pu faire disparaître, là-bas, celles
plus civilisées ! de culotter une pipe, de tuer un Londres,
j'allais ajouter: et de manger du prochain. Mais... Mme de
Sévigné ayant estimé que c'était excellent après bien
dîner !.....
Les contes ne sont pas l'unique curiosité de ce pays. La
Jeanne, une vieille fille, marraine de Jeanne Castel, est, en
qualité d'ayant-droit à La Houn, électrice. Electrice ? —
Oui, Messieurs, électrice, féminin d'électeur, — votant,
s'occupant des intérêts de la commune, part-prenant non
seulement de la source, mais encore du suffrage universel !
— Nil novi sub sole. Si l'excentrique Amérique inventa la
décapitation par électricité, elle n'inventa pas du moins la
62
politique en jupon. Les Salésienncs d'alors eussent pu être
de fort bon conseil a la municipalité corsetée d'Oskaloosa,
ce chef-lieu d'un comté du Kansas. Et les reporters aux
abois eussent bien trouvé chez nos Béarnaises, le sourire,
les yeux, les cheveux, tant loués chez la plus jeune des
conseillères de la mairesse.
Pierre eut probablement pensé ainsi. Quand l'heure de
terminer la veillée fut venue, il se trouva a point pour prendre
son brandon enflammé au foyer et précéder, avec Jeanne
Castel, à la lueur de ces falots aux fantastiques reflets, la
rentrée à la maison.
Au moment de se quitter :
— Pourquoi ne viens-tu pas nous voir le dimanche,
demande Jeanne?
Pierre hésite, ne sachant que répondre. A l'église, il se
placera derrière elle, pour que les prières des deux cœurs
montent, unies, a Dieu, et un an ainsi tant aux salines qu'aux
veillées où l'on épluche le maïs, ils éviteront de se parler,
embarrassés, timides.
Timidités naïves, embarras exquis, gaucheries adorables,
mutisme qui pèse et dans lequel les âmes s'entendent, voilà,
je suppose, les symptômes de celte maladie vieille comme
l'extraction de la côte d'Adam, pour qui, toutefois, la
chirurgie n'a point de bistouri, ni la thérapeutique d'ordon-
nance ; qui ne choisit guère ses victimes qu'arrivées à l'âge
de puberté, et ne s'approche jamais des berceaux si ce n'est
pour déposer sous leur mousseline neigeuse, quelque chose
de très mignon, très frais et très rose !
Pierre et Jeanne Castel s'aiment : Pauvre et triste amour!
Un jour, Pierre dit à sa mère : — « Jeanne est une belle
et bonne fille. » — « Peut-être ; mais elle n'a rien. »
Mlle n'a rien. Lui, piètre sandalier, n'a qu'un salaire bien
faible. Né, comme ses parents, en dehors du territoire de
63
Salies, il ne peut puiser à La Houn. Un tel mariage serait
une folie. D'ailleurs, Sanche Cassabère, une femme de tête,
— à défaut de cœur, — connaît ce qui convient. La
marraine de la petite Gastel est part-prenant, droit dont
hérite le mari. Puis, elle en a convenu : C'est commode
d'avoir un homme dans une maison. Tout est bien. La veuve
propose à Pierre : — « Si tu épousais la vieille Jeanne ? »
Il consent. 11 a compté. L'une, soixante-quinze ans ; lui,
dix-huit ; l'autre, l'aimée, dix-sept. Calcul infâme qu'accom-
pagne une infâme espérance. L'ambition de la mère a fait du
fils plus qu'un lâche, presque un criminel.
Dans une semblable union, le prêtre n'ayant point d'âmes
h bénir, n'a rien à voir. Le demander, c'eût été blasphémer.
El l'épousée l'a avoué : Etre mariés à la ville suffit pour les
affaires d'intérêt.
Devant le Maire, ce quelqu'un alors comme un commis du
cadastre, la « chose commode dans une maison » et « la
part-prenant de La Houn » sont enregistrées.
La consécration de Dieu a manqué ; on prend celle du
ventre et de la chanson.
Mais, Jeanne Castel, la brune enfant, ne chante pas, ne
mange pas, toute pâle au bas de la table.
Belle figure, Messieurs, celle de celte pauvrette sacrifiée a
l'argent. Elle doit être la vision des premiers rêves ; la
désirée qu'enveloppe le mystère, blanche et pure à rendre
jaloux les neiges et les lys, idéale, pas humaine, à qui notre
hallucination, d'un rayon de soleil et d'un lambeau d'azur
façonne des ailes d'ange.
Elle restera l'ange. Elle le restera dans l'odieux ménage
où ses mains préparent le maïs et les légumes. Elle le restera
dans sa réponse chastement négative, le jour où Pierre,
envahi de remords et de passion, supplie : — « Je vais
partir pour l'Amérique: veux-tu me suivre? » -- Elle le
64
restera dans la lutte essayée, un soir, contre l'aimé ; dans sa
demi-chute même, en la seconde l'extase éperdue et de
volupté inconsciente où elle laisse leurs âmes se communier
en l'ineffable baiser, où, avouant son martyre, elle murmure:
« Je ne puis plus vivre ainsi : promets-moi de partir. » —
Elle le restera, enfui, dans ces nuits que, pleine de tendresse
et de sollicitude, elle passe a soigner Sanche Cassabère qui
meurt entre ses bras, pardonnée du ciel peut-être, ayant eu
pour derniers mots : — « Ma chère fille ! . . . Mon fils ! . . . »
Quand sa mère mourut, Pierre avait tenu sa promesse.
Il vivait de la vie du trappeur. C'est dans les Pampas de
l'Uruguay que lui parvint la lettre de Jeanne, la jeune. —
Plus de mère ! Le cœur de celle qu'il adore, pieusement
fidèle ! Et, c'était en post-scriptum, Jeanne, la vieille, sa
femme, affaiblie par les fièvres, veillée jour et nuit ! . . .
Vite, il réalise ses fonds, reprend la mer. Trois mois de
traversée. A la mi-août, il est à Bordeaux. Une autre lettre
de « sa chère fiancée, comme il l'appelle dans son cœur, »
l'y attend, qui confirme les mauvaises nouvelles. La filleule
est toujours garde-malade de la marraine.
11 approche. Mais voilà l'église Saint-Martin. A côté,
dorment son père et sa mère. Il s'en voudrait de passer sans
prier. Tout à coup, il éprouve une oppression étrange. Dans
le cimetière, un vent d'orage secoue les arbres, en de gémis-
santes accolades; leurs voix d'orgues accompagnent, sinistres,
un glas qui tinte, là-bas, à l'église de Salies.
... Il a continué sa route. Un enfant passe à cheval.
— « Qui donc est mort ? « lui crie-t-il.
— c On m'a dit que c'était Jeanne, vous savez, Jeanne
qui habitait la rue Poumayou ! »
Morte, sa femme f . . . Il est libre ! . . .
Il se haie. Ceux qui reviennent de l'enterrement n'osent
lui parler. Il est devant sa porte. Il entre. Et, fou d'amour,
65
dans un accent qui résume ses désirs deux ans contenus, les
souvenirs du passé, les espérances de l'avenir, il appelle :
— Jeanne ! Jeanne !
Du lit de serge verte, une voix qu'éraillcnt la vieillesse et
la fièvre, répond : — « Le bon Dieu s'est trompé. »
La marraine vivait ! La filleule était morte ! . . .
Dès lors, ce fut de lui comme de ces foyers de la veillée
du sel dont chacun emportait un brandon. Deux brandons
avaient éclairé son âme, allumés par Sanche Cassabère et
par Jeanne Castel. Elles étaient parties : maintenant, c'étaient
les ténèbres.
Sa mère n'est plus ! Sa fiancée n'est plus ! Ses vingt ans
ne sont plus ! Tout est fini.
Reste l'argent ; l'argent de l'héritier de la part-prenant de
La Houn ; l'argent du trappeur des Pampas. Dérision !! En
faut-il tant pour payer trois cercueils ; les deux qui sont
descendus, le troisième qu'on descendra bientôt, qui attend
la moribonde.
Et les pages se terminent en une malédiction.
— Maudite Hoan !
Pages douloureuses, direz-vous, Messieurs. Est-ce une
critique a adresser à l'auteur ?
— Non pas.
L'auteur, et avec elle, tous ceux dont les cheveux ont
blanchi peuvent être pris d'un élonnemenl navré devant les
générations nouvelles de ce siècle qui finit. Il est en eux plus
de jeunesse qu'en nous les hommes de vingt ans. Ce qui est
bon, ce qui est vrai, ce qui est beau éveille en leurs cœurs
des sentiments qui nous feraient sourire si nous savions
sourire encore. Et je comprends qu'ils traduisent cet étonne-
ment, qu'ils s'indignent même de nous voir fervents fidèles
des jouissances vite acquises, — pardonnez-moi l'étrangeté
brutale de l'expression, — de nous voir peser l'amour à la
5
GG
balance du banquier, faire de la muse une vache à lait, et
de la vieille France artistique un champ de foire !
Aussi, n'est-ce pas seulement une tristesse poignante, une
mélancolie à faire pleurer, qui se dégagent de l'œuvre de
Mme Riom ; c'est, avec le châtiment final, une haute et
éloquente leçon.
Puissent de telles œuvres être écrites nombreuses. Puissions-
nous les lire, nous, les jeunes hommes ! Nous saurons notre
erreur. Nous saurons que les luttes désintéressées de l'intel-
ligence et du cœur assurent le plus vrai des bonheurs ; que
prostituer l'Idéal, renier le Rêve, railler la Vérité, vendre
l'Amour, traîner la Musc aux halles sont des sacrilèges ; et,
que dans l'homme, enfin, le corps seul a droit à vieillir.
Quant au style dans lequel est écrit « La Eoun, » je n'en
dirai rien. Là, plus encore que dans l'analyse de l'œuvre, je
resterais au-dessous de ma tache. Puis, trop jeune, je n'ose
même formuler l'appréciation que j'ai sur les lèvres. Mais, vous
lirez « La Eoun, » Messieurs. Vous y reconnaîtrez l'auteur
des Légendes bretonnes, de Merlin, des Mobiles bretons.
Et c'est vous qui, dans l'expression de notre pensée a tous,
la vôtre et la mienne, direz que la plume demeure toujours
aux doigts de Mme Riom, ce qu'est la fleur aux doigts de
toute femme : la chose la plus spirituelle et la plus délicate,
la plus élégante et la plus poétique.
ERDRA
LÉGENDE DE L'ERDREC)
Par Francis MERLANT.
Membre de la Société Académique de la Loire-Inférieure.
I.
Au temps où les Croisés partirent à la conquête du Saint-
Sépulcre, la France entière présentait un bien triste spec-
tacle.
Entraînés par les exhortations des moines et des prêtres,
les habitants s'enrôlaient en foule sous la bannière de Dieu
pour marcher ensemble vers la Palestine.
Les seigneurs s'éloignèrent richement armés, accompagnés
d'une nombreuse suite, les pauvres vendirent tout ce qu'ils
possédaient pour se procurer des armes et prendre part
à la croisade.
Partout la même foi, le même cœur et la même espé-
rance.
Les villes se trouvèrent bientôt presque complètement
abandonnées ; seuls, les vieillards et les infirmes restèrent.
Dans les campagnes les paysans avaient suivi l'exemple,
aussi les bras manquaient-ils pour travailler la terre. Les
(*) L'auteur a recueilli cette légende de la bouche d'un vieux bûcheron
des bords de l'Erdre.
68
femmes et les enfants furent obligés de se mettre à la
charrue pour préparer les moissons, afin de nourrir ceux
qui restaient.
Les bandits n'ayant plus à redouter les poursuites des
preux chevaliers ne craignirent plus de piller et de voler.
Le pays était en proie à leurs rapines et à leur ravage,
au grand désespoir de ses habitants.
Les voyageurs étaient dépouillés et massacrés sans pitié:
souvent ces brigands se réunissaient en bande, attaquaient
les villages, mettaient les pauvres gens à rançon, et s'ils
ne pouvaient les payer, ils les égorgeaient'.
Les malfaiteurs, après avoir brûlé et saccagé tout, s'em-
paraient des troupeaux, les chassaient devant eux dans leurs
forêts, où ils allaient vivre en paix du fruit de leurs
brigandages. Quelques braves avaient bien essaya de leur
résister, mais ils s'étaient vu assaillis par le nombre, et
n'avaient pas tardé à succomber. Partout régnaient la
terreur et la consternation.
Dans un petit village de Bretagne, non loin de l'endroit
où la Loire devient un beau et magnifique fleuve, vivait
une famille de pauvres gens.
Le père vieux et impotent n'avait pu suivre ses com-
pagnons à la croisade. En vain avait-il promis au ciel de
partir s'il guérissait ; ses vœux n'avaient pas été exaucés.
Ne pouvant mettre son projet à exécution, il résolut de se
faire remplacer par ses deux fils.
Mes enfants, leur avait-il dit, une noble et sainte cause
vous appelle en Palestine, prenez vos armes, suivez vos
compagnons, et souvenez-vous que vous allez combattre
pour Dieu.
Et les jeunes gens, baignés des larmes de leur mère,
s'éloignèrent de la maison, après avoir reçu la bénédiction
paternelle.
69
Ces deux vieillards ne restaient pas seuls dans leur chau-
mière, ils gardaient auprès d'eux leur fille bien-aimée, Erdra,
désormais l'unique soutien de leur vieillesse. En voyant
partir ses frères, la jeune fille n'avait pas versé une larme,
non pas qu'elle ne les aimât point, mais elle avait une âme
généreuse, et elle était heureuse de voir sa famille se
sacrifier pour la grande cause. Si elle n'avait eu ses vieux
parents à soutenir, elle aussi serait partie de grand cœur
pour la Terre-Sainte, soigner les blessés et les malades.
De longs jours s'étaient déjà écoulés depuis le départ des
Croisés, les nouvelles n'arrivaient pas, aussi la famille
d'Erdra était-elle plongée dans la plus profonde désolation.
La jeune fille comprenant tout le chagrin de ses parents
cherchait par sa sollicitude à faire oublier le départ de ses
frères et à chasser les tristes pensées.
La plus douce intimité régnait dans l'humble chaumière,
le bonheur semblait entourer la .famille et sans le souvenir
des absents qui venait de temps à autre l'attrister, elle eût
joui d'une pure tranquillité.
Le matin le vieillard allait dans la forêt ramasser le bois
pour l'hiver ou bien il se rendait aux champs cultiver la
terre pour procurer aux habitants de la maison le pain de
chaque jour. La mère restait ii filer, tandis que la jeune
fille menait paître son troupeau dans les prairies qui bor-
daient la forêt.
Erdra était aimée dans le village dont elle paraissait être
la Providence. Sa pauvreté ne lui permettait pas de faire
l'aumône, mais elle n'épargnait pas ses soins aux malheu-
reux, et les plus douces consolations aux affligés. Le soir,
quand elle ramenait son troupeau a rétable, ses beaux yeux
étincelant de gaieté, ses cheveux épars sur les épaules, les
habitants du village disaient en la voyant passer : « Voilà
la sainte. »
70
Un soir d'hiver la famille se trouvait réunie dans la
chaumière autour de Pâtre flamboyant dont la lueur éclai-
rait la chambre entière, Erdra filait auprès de ses vieux
parents en récitant dos prières pour les absents.
Au dehors, il faisait froid, et la bise glaciale du nord
soufflait avec violence dans la toiture de la chaumière
qu'elle menaçait d'emporter dans un tourbillon.
Soudain on frappe à la porte, et une voix chevrotante
se fait entendre demandant l'hospitalité. Erdra s'empresse
d'ouvrir et laisse passer un moine mendiant.
« Entrez, homme de Dieu, dit le vieux père en s'élançant
au-devant de lui. — Soyez le bienvenu sous notre toil, qu'il
vous serve de refuge. Approchez-vous du feu, et réchauffez
vos membres glacés. »
En parlant ainsi le vieillard jette dans le foyer un fagot
de genêts secs qui s'enflamme aussitôt en pétillant, et
dont la chaleur bienfaisante se répand bientôt dans la
chaumière.
L'arrivée de ce personnage était chose toute naturelle ;
à cette époque les moines sortaient de temps à autre de
leur monastère, se dispersaient dans les campagnes pour
implorer la charité des habitants, et ils revenaient chargés
de provisions de tous genres.
Après avoir bu et mangé, le moine raconta à ses hôtes
que, depuis peu, il arrivait d'un grand voyage. Oh ! bonheur,
il revenait de Palestine et apportait des nouvelles des Croisés.
Après bien des misères et des déceptions les soldats de
Dieu avaient enfin vu Jérusalem et s'en étaient emparés,
non sans combats sanglants. Il connaissait les frères d'Erdra,
les deux jeunes gens s'étaient noblement comportés, et il
les avait laissés en bonne santé dans la Ville Sainte, d'où
ils reviendraient bientôt.
La famille écoutait avec bonheur les récils de l'homme
71
vénérable, l'orgueil brillait dans les yeux du père, heureux
du courasre de ses enfants, il reconnaissait en eux la valeur
de sa jeunesse ; la vieille mère pleurait d'attendrissement,
et Erdra, du fond du cœur, remerciait la Providence d'avoir
conserve sains et saufs ses frères. Pleine de sollicitude pour
le bon messager, la jeune fille l'entourait de prévenances et
de mille soins délicats.
Depuis longtemps déjà l'on causait autour du foyer. Au
dehors la tempête sévissait dans toute sa fureur. Des rafales
de vent s'abattaient sur la maison et faisaient trembler le
chaume qui la recouvrait.
Tout à coup, à travers le ronflement lugubre d'une bour-
rasque plus forte que les autres, un long sifflement aigu,
qui ne ressemble en rien au souffle du vent, se fait
entendre.
Les habitants de la chaumière tressaillent, écoutent ,
inquiets en regardant vers la porte. Seul le moine semble
n'avoir rien entendu ; mais sous son capuchon, qu'il avait
refusé d'abattre, il jette un regard plein de haine sur Erdra.
La jeune fille s'en aperçoit, et frémissante, s'élance vers
son père ; elle le serre dans ses bras, comme pour chercher
secours contre un danger qui la menace.
L'homme de Dieu rompt le silence le premier pour calmer
l'inquiétude de ses hôtes. — Ce n'est rien, c'est le vent
qui souffle dans les grands peupliers. Vous n'avez rien à
craindre, les malfaiteurs pensent plutôt à se mettre en
sûreté dans leur forêt qu'à piller, quand les éléments de la
nature se déchaînent comme ce soir.
A peine avait-il prononcé ces derniers mots qu'un choc
formidable ébranle la porte et fait trembler la maison au
milieu de hurlements sauvages.
« N'ouvrons pas, n'ouvrons pas, » s'écrie le vieux père
7-2
en s'élançant vers la porte pour voir si eHe ne cédait
pas aux coups des assaillants.
A peine avait-il fait quelques pas, que le. moine se lève
de son siège, et dépouillant sa robe de bure, il laisse voir
un bandit armé jusqu'aux dents. Il saisit un glaive pendu
à sa ceinture, écarte brusquement le vieillard, et faisant
tomber les claies qui ferment la porte , il l'ouvre en
grand.
Aussitôt une bande de forcenés fait irruption dans la
chaumière ; sur un signe du faux moine, qui n'était autre
que leur chef, ils s'emparent d'Erdra et de ses parents.
Les brigands se mettent à piller la maison, et ne trouvant
rien dans cette humble chaumière qui puisse assouvir leur
cupidité, ivres de fureur et de déception, ils brisent les
meubles en mille morceaux.
Ton argent; où est ton argent? s'écrie le chef en saisissant
brutalement le vieillard.
Je ne possède rien que ce que vous voyez ici, nous
sommes pauvres et vivons de notre travail.
Tu mens, reprend le faux moine avec colère, donne-moi
ton argent, ou lu vas mourir ?
Faites de moi ce que bon vous semble, mais je ne puis
vous donner ce que je ne possède pas.
Eh bien ! meurs donc
Et le brigand plonge son glaive dans le cœur du vieillard.
La mère est saisie à son tour et tombe, la gorge tranchée,
sur le corps de son mari.
Erdra va avoir le même sort. Déjà le bourreau lui serre
le bras, elle voit le glaive passer comme un éclair devant
ses yeux, un voile de sang l'aveugle, et poussant un cri de
terreur, elle s'atïai>se inanimée.
En voyant celle fille belle et jeune, le chef des brigands
suspend le coup meurtrier, il semble saisi de pitié, il hésite,
73
et jetant son poignard au loin, il se détourne vers ses
compagnons.
C'est assez de deux, dit-il, celle-ci est jeune et vigoureuse,
elle peut nous rendre quelques services, emmenons-la avec
nous.
Les bandits lient Erdra sur un cheval, s'emparent du
troupeau, et après avoir mis le feu à 1a chaumière pour
cacher leur crime, ils s'enfuient dans la forêt.
II,
Aux grands bouleversements de la nature succèdent le
calme et la tranquillité. La tempête s'était apaisée. De
temps en temps les rayons de la lune déchiraient les gros
nuages noirs qui l'obscurcissaient, et venaient éclairer la
petite troupe qui galopait silencieusement vers la forêt.
Erdra était étendue sur un cheval auquel on l'avait liée.
La blancheur de sa robe contrastait avec les costumes des
bandits, et sa chevelure d'ébène se mêlait à la crinière de
son coursier.
La fraîcheur de la nuit, les secousses du cheval ne
tardèrent pas à la rappeler a la vie qui semblait l'avoir
abandonnée. Peu à peu elle reprit ses sens, elle se crut
en proie à un cauchemar, mais le souvenir de la terrible
scène dont elle venait d'être témoin, la persuada qu'elle ne
rêvait point, mais qu'elle était bien victime de l'horrible
réalité.
Au détour d'une route, elle aperçut une grande lueur
qui s'élevait dans l'obscurité de la nuit : c'était sa chaumière
qui brûlait ; elle comprit alors ce qu'elle n'avait pas vu,
et se mit à pleurer.
Après avoir galopé pendant quelques heures, la petite
troupe arrive sur la lisière d'un bois.
74
Erdra est descendue de sa monture, et le chef lui dit,
en la rudoyant, qu'il fallait désormais marcher a pied.
Des torches sont allumées, et Erdra pénètre, avec ses
ravisseurs, dans l'épaisseur du bois. On s'engage dans un
sentier étroit, et après une longue course, on arrive dans
une clairière où s'élevaient quelques maisons recouvertes
de chaume : c'était la le repaire des brigands.
Le faux moine prend la jeune fille par la main et l'entraîne
dans une des cabanes.
Jehanne, Jehanne, s'écrie-t-il, en entrant : « Allons, vieille
sorcière, lève-toi, allume-nous du feu, et vient recevoir une
jeune tourterelle qui est tombée dans nos serres. »
Une voix chevrotante répondit en maugréant dans l'obs-
curité, et quelques minutes après un grand feu brillait au
milieu de la cabane.
Erdra vit s'approcher d'elle une vieille, hideuse et difforme,
appuyée sur un bâton. Elle était vêtue de mauvais haillons,
et sa tête dandinait sur ses épaules comme une feuille agitée
par le vent. Son visage osseux était recouvert d'une peau
ridée, semblable à un vieux parchemin que perçaient deux
petits yeux gris pleins de méchanceté.
La vieille étonnée, regarda fixement Erdra, et faisant un
geste de mécontentement, elle grommela entre ses dents
ébréchées quelques mots inintelligibles.
Eh bien, quoi ! murmura le chef, est-ce ainsi que l'on
reçoit mes hôtes ici ? Cette jeune fille restera avec loi, tu
us vieilli1 cl n'es plus bonne à rien, die l'aidera à faire
ta besogne, et lâche de t'enlendre avec elle, continua-l-il
d'un air terrible, ou sans cela, malheur à toi.
Puis se radoucissant : Allons, vieille, donne-nous les resles
de cet agneau que lu nous as rôli ce matin, nous avons
bien travaillé el nous avons faim.
La mégère s'approche alors d'Erdra en grimaçant un
75
sourire et veut lui prendre la main. La jeune tille glacée
de terreur à la vue de ce fantôme hideux s'élance vers la
porte pour fuir.
Comment, bel oiseau, s'écrie le chef en la retenant, tu
veux déjà t'échapper du nid. Oh ! nous saurons bien l'ha-
bituer à la cage.
Puis se tournant vers ses compagnons :
Oh là ! les autres, liez-lui les pieds et les mains et mettez-
la au fond de la chambre sur un peu de paille, elle dormira
là et demain j'espère qu'elle ne sera pas aussi farouche.
L'ordre est exécuté immédiatement et quelques minutes
après, malgré sa résistance désespérée, Erdra gisait dans
un coin de la chaumière.
Tandis que la vieille Jehanne prépare leur repas, les
bandits s'assoient en cercle autour du feu et se mettent à
deviser des événements de la soirée.
Par satan notre patron, dit en ricanant le chef, avouez
les amis que nous n'avons pas eu de chance aujourd'hui ?
Ce n'était vraiment pas la peine de prendre tant de pré-
cautions et de se donner tant de mal pour s'emparer de
quelques brebis galeuses.
Ah ! si vous m'aviez vu sous la défroque de ce moine
que nous avons envoyé ad paires l'autre jour sur la route,
vous auriez juré que j'étais né pour aller au couvent. Bah !
après tout, nous nous sommes divertis un peu.
Comment avez-vous trouvé la figure du vieux,- quand je
lui plongeais mon couteau dans la poitrine ? Et il se mit
à rire cyniquement avec ses compagnons.
Enfin, conlinua-l-il, nous n'avons pas travaillé pour rien,
puisque nous avons trouvé cette jeune fille qui remplacera
Jehanne ; mais elle me semble bien effarouchée, et je crains
qu'elle ne nous donne du mal à l'apprivoiser, nous en serons
quittes alors pour l'envoyer rejoindre ses parents.
76
Erdra écoutait cette horrible conversation en frémissant,
chacune des lugubres plaisanteries de ces monstres lui
résonnait au cœur. En vain essayait-elle de fermer ses
oreilles, malgré elle, elle entendait tout.
Elle se mit alors a prier ardemment et à demander au
ciel de la faire mourir plutôt que de rester avec ces gens
infâmes.
Les bandits commencèrent leur repas et ne tardèrent pas
à se plonger dans l'orgie.
La jeune fille sentait ses paupières s'alourdir, les
émotions et la fatigue l'avaient tellement accablée que,
malgré tous ses efforts pour vaincre le sommeil, bientôt
elle s'endormit profondément.
Elle rêva qu'elle se retrouvait dans sa chaumière. Sa
famille était dans la plus grande joie, ses frères venaient
d'arriver de Terre Sainte couverts de gloire et de renommée,
elle les entourait, leur prodiguait mille caresses. Le bonheur
était donc revenu, plus de crainte, plus d'inquiétude, désor-
mais on allait vivre réunis ensemble, dans la plus douce
tranquillité.
Puis Erdra se vit dans son petit jardin qu'elle affectionnait
tout particulièrement.
C'était par un beau soleil de printemps, la nature était
en fêle, les roses répandaient leur doux parfum qui se
mêlait à la suave haleine des œillets. Les tulipes étalaient
avec orgueil leur corolle veloutée, et les lys, sur leur gracieuse
tige, se balançaient aux caprices du vent.
Erdra joyeuse courait de fleur en fleur, les admirant et
respirant leur parfum. Elle les cueillait par brassées et
courait les porter aux pieds de la madone placée au fond
du jardin dans une niche de verdure.
Au milieu de ses ébats, la jeune fille entend prononcer
son nom. Elle se détourne, et aperçoit sa mère. Erdra
77
s'élance pour la serrer dans ses bras, la vision s'évanouit
tout a coup. Quelques minutes après elle reparaît. La
malheureuse est glacée d'effroi à la vue du visage pâle de sa
mère sur lequel étaient marquées la souffrance et la douleur.
Son cou portail une plaie béante d'où s'écoulait du sang qui
inondait ses vêtements. Erdra l'appelle en vain des noms les
plus tendres, le fantôme semble fuir les embrassements de
son enfant.
Soudain un sourire douloureux illumine son visage, elle
s'approche d'Erdra et, déposant un baiser sur son front,
elle lui dit:
« Fuis mon enfant, je serai avec loi. »
La jeune fille sentit le baiser de sa mère comme le froid
d'un fer qui eût louché son front, elle pousse un cri de
frayeur et s'éveille.
Le feu était près de s'éteindre ; de temps h autre une
faible lueur venait éclairer les brigands qui sommeillaient
étendus à terre. Leurs ronflements sonores troublaient seuls
le silence qui régnait dans la cabane.
Erdra regarde longtemps cette lugubre scène qui lui
rappelle l'horrible situation dans laquelle elle se trouve
plongée. Elle envisage avec effroi toute l'horreur de sa posi-
tion. Que va-l-elle devenir? Certes, mieux valait endurer
mille tortures que de rester plus longtemps entre les mains
des brigands. D'ailleurs sa mère ne lui a-t- elle pas dit de
fuir en lui promettant sa protection ; elle n'hésite plus, la
fuite, seule la délivrera de ces gens infûmes.
La jeune fille essaie de se lever en silence, elle retombe
bientôt sur sa couche de paille, elle ne peut faire un pas, les
liens paralysent tous ses mouvements. La prisonnière se met
alors à pleurer amèrement.
Enfin, à force de se tourner en tous sens, elle parvient à
78
rompre les liens qui retenaient ses pieds. C'était presque la
liberté conquise.
Encouragée par ce premier succès, la jeune fille essaie de
briser les cordes qui lui serrent les poignets. Elle les ronge
avec ses dents, mais en vain.
Le jour allait paraître, déjà une faible lueur commençait
à pénétrer dans la cabane par les interstices de la porte ;
d'un moment à l'autre les bandits pouvaient se réveiller, il
n'y avait plus de temps à perdre.
Une idée traverse l'esprit d'Erdra : elle se lève, poussée
par une héroïque inspiration, et se dirige sans bruit vers le
foyer à demi éteint. Elle cherche dans les cendres un tison
encore rouge et l'applique sur la corde qui retient ses mains
enchaînées. Les souffrances sont horribles, la chair brûle
en crépitant, vingt fois la jeune fille est sur le point de
faiblir. Elle se tord dans des convulsions épouvantables,
mais qu'importe la douleur, c'est la liberté qu'elle veut,
même au prix de sa vie.
Enfin la corde brûlée se rompt, la pauvre fille pousse un
soupir de soulagement et, le cœur plein d'espérance, elle va
vers la porte, l'ouvre sans bruit et s'élance dans la foret.
Le soleil commençait à paraître a l'horizon, la nature se
réveillait au lendemain de la tempête, et les petits oiseaux
dans la ramure secouaient leurs plumes baignées par la
rosée du malin.
Erdra marchait toujours, ou plutôt continuait sa course
effrénée. De temps à autre elle s'arrêtait émue, le cœur
battant, pour écouter si personne ne la poursuivait. Après
avoir repris haleine, elle s'enfuyait allant toujours devant elle.
Deux longues heures s'étaient ainsi écoulées lorsque la
fugitive aperçoit un ruisseau qui coulait sur un tapis de
mousse verte parsemée de fleurs. Erdra s'y dirige et tombe
épuisée. Ses blessures la faisaient horriblement souffrir, elle
70
plonge ses mains dans l'onde pure et arrose ses lèvres
desséchées, puis, reconnaissante envers la Providence, dont
elle reconnaît le secours, elle se met à prier.
A leur réveil, les brigands ne tardent pas a s'apercevoir
de la fuite de leur prisonnière. Le chef, furieux, accuse ses
compagnons de négligence et malmène la vieille Jehanne
qu'il avait préposée à la garde de la jeune fille. Tous se
mettent a la poursuite de la fugitive et jurent de punir de
mort son escapade.
Les premières recherches restent d'abord infructueuses :
rien, nulle trace ne dénoie le passage d'Erdra, les chiens
eux-mêmes ne parviennent pas a sentir la piste, quand la
vieille Jehanne apporte au chef un lambeau de la robe
d'Erdra qu'elle vient de trouver accroché aux épines d'un
petit sentier à peine frayé. Nul doute, c'est ce chemin qu'a
pris la fugitive, et les brigands se précipitent dans la forêt
en poussant des hurlements de triomphe.
Erdra était encore en prière quand la bande l'aperçut au
bord du petit ruisseau. La jeune fille, arrachée à sa médi-
tation par l'arrivée des malfaiteurs, se redresse d'un bond
et, jetant un cri de frayeur, s'élance comme une biche
effarouchée vers une petite colline qui s'élevait au milieu
d'une clairière voisine.
Les brigands la suivent de près, ils vont s'en emparer.
Erdra se voit perdue, elle tombe à genoux au pied d'un
vieux châtaignier dont la puissante ramure couvrait le sommet
de la colline. Elle se prépare a mourir et, les mains élevées
vers le ciel, elle le supplie de la réunir à ses parents.
Le chef, plein de fureur, s'approche d'Erdra et, la saisis-
sant par sa noire chevelure, fait tournoyer sa hache et
tranche d'un seul coup la tête de la jeune fille qui va rouler
sur le tapis de verdure.
Le choc est si terrible que la hache s'enfonce jusqu'à la
80
cognée dans le tronc de l'arbre. Le vieux châtaignier,
ébranlé jusque dans ses racines, gémit el un bruit semblable
au roulement du tonnerre se prolonge dans la forêt.
0 miracle! ô prodige! Ce n'est point du sang qui sort du
corps d'Erdra, mais une source limpide et abondante dont
les eaux se répandent dans la clairière.
Les bandits étonnés se regardent, répouvante fait place à
la stupéfaction, ils reconnaissent l'intervention divine. Saisis
de frayeur ils jettent loin d'eux leurs armes el cherchent à
fuir.
Mais l'eau les entoure de toute part, une vaste plaine
liquide s'étend à leurs yeux. Le flot monte, monte toujours,
gagne le sommet de la colline et ne tarde pas a engloutir
les assassins.
Erdra était vengée! •
111.
L'Erdre est une charmante rivière aux bords enchanteurs.
Semblable à un long serpent aux replis tortueux, elle coule
sur un lit de verdure parsemé de fleurs plus variées les unes
que les autres. Ses rives sont couvertes de marais verdoyants
ou de fécondes prairies.
Les châtaigniers centenaires paraissent l'affectionner tout
particulièrement et viennent plonger leur feuillage dans son
onde transparente.
Elle se pare de mille fleurs aquatiques. Les maercs s'éten-
dent ça et là en immense tapis de verdure; les nénuphars
aux larges feuilles laissent émerger timidement leurs fleurs
dont la blancheur ne cède en rien au plus pur albâtre. Les
digitales balancent mollement leurs clochettes multicolores
au souffle du zéphir imprégné de l'haleine des iris parfumés
et du thym odoriférant.
81
L'Erdre renferme en ses eanx mille sortes de poissons:
l'ablette se joue à sa surface en détours capricieux et fait
étinceler aux rayons du soleil sa robe argentée. La brème
majestueuse paît tranquillement les herbes qui croissent aux
pieds des roseaux, et la perche aux dards aigus s'endort
nonchalamment sur un lit de sable. Le brochet, chasseur du
fond de son antre, guette avec avidité ses victimes et l'an-
guille s'élance à travers les lianes avec la rapidité de l'éclair.
Les bateaux aux blanches voiles sillonnent la rivière de
toute part, et les canotiers en fêle font retentir la rive de
leurs refrains joyeux qui se mêlent aux battements sonores
des lavandières.
Après avoir arrosé les prairies, l'Erdre vient baigner les
murs d'une des plus grandes villes de France. De nombreuses
usines s'élèvent sur ses bords et elle porte de lourds bateaux
chargés de marchandises de toutes sortes.
Dans les campagnes, quand les étoiles brillent au firma-
ment et que la lune répand sa douce clarté, au milieu des
croassements des grenouilles et du cri-cri des grillons, l'on
entend parfois une voix plaintive qui s'élève de la rivière
comme une mélodieuse harmonie, c'est un murmure enchan-
teur, un zéphir parlant. Les paysans l'écoutent pieusement
et disent en se signant : « Ce soir, la Vierge de l'Erdre prie. »
AUTOBIOGRAPHIE LITTÉRAIRE
A M. René Kerviler.
Oui, j'aime la Bretagne et ses landes sauvages,
Et sa mer écumant au loin sur ses rivages
Sans pouvoir ébranler ses rochers de granit ;
Oui, j'aime ses forêts et leurs épais feuillages,
Ses rivières, ses monts, ses dolmens, ses villages
Qui se groupent au pied d'un vieux clocher bruni.
J'aime aussi ses pardons, ses anciennes coutumes,
Sa langue rude et fière et ses brillants costumes,
Et ses enfants si beaux dans leur simplicité,
Et ses villes au front élincelant de gloire,
Une d'elles surtout qui mire dans la Loire
Son gothique château : c'est Nantes, ma cité.
Près de son port rempli de marine marchande.
Ile Feydeau, devant la Petite-Hollande,
Le premier avril mil huit cent cinquante-six,
Trois heures du matin tintaient, l'on me vit naître,
Tandis qu'un incendie (*) éclairait ma fenêtre
El le fleuve embrumé, d'un éclat indécis.
(') Incendie de l'usine Mesnil, lie Gloriette, en avant de l'Ile Feydeau.
83
La maison de Carrier fut ma maison natale (•) ;
De ma chambre, le monstre à la face brutale,
Ecoutait crépiter les feux de pelotons,
Et pour se divertir, le sarcasme à la bouche,
Regardait, escorté d'une bande farouche,
Ses bateaux à soupape engloutir nos Bretons.
Par son ordre on liait l'un a l'autre, homme et femme,
Leur faisant contracter un mariage infâme,
Puis on les submergeait malgré leurs cris affreux ;
Mais l'eau dans leur gosier, vite éteignait le râle
Et les noyés bercés par l'onde froide et pâle,
Erraient, s'entrechoquant l'œil ouvert et vitreux. . .
Plus tard dans ce logis, dans cette môme chambre,
Mon père à son balcon, de janvier à décembre,
Regardait décharger le blé de ses vaisseaux.
Et bien loin des clameurs de la guerre civile,
Ecoutait dans la paix de notre bonne ville,
Et mes frères et moi, rire dans nos berceaux.
Sous les lambris fameux où se vautra le crime,
Tout respirait la joie et leur bonheur intime,
La bonté, la douceur régnaient autour de nous ;
Ma mère ou sa servante, au foyer domestique,
Narrant a mes aînés un conte fantastique,
Me berçait tout petit enfant sur leurs genoux.
Je me dis maintenant par un secret mystère,
Dieu peut-être voulut que je vins sur la terre,
A l'endroit où vécut jadis un meurtrier.
(') La maison qui porte le no 3, en face le marché de la Petite-Hollande,
fut habitée, en 1794, par le représentant du peuple Carrier (Annuaire Melliuet).
84
Afin que plein d'horreur pour ses crimes sinistres,
Je maudis l'assassin et ses lâches ministres,
Et mis au pilori l'affreux nom de Carrier.
Je suis d'une famille où d'une voix sonore
On a célébré les héros
Et flétri d'une voix plus véhémente encore
Les criminels et les bourreaux (i).
Les miens, Bretons de race ont vécu sans reproche
Dans les étals les plus divers ;
Mais toujours ils se sont transmis de proche en proche
Le goût sublime des beaux vers.
Tour à tour ils chantaient d'harmonieux cantiques;
Puis en descendant au tombeau,
0 poésie ! ainsi que les coureurs antiques,
Ils se léguaient Ion pur flambeau;
Et je l'ai reçu d'eux lorsqu'au bord de la Loire
Mon œil s'ouvrit à la clarté,
Je l'ai reçu, voila mon seul titre de gloire,
L'unique objet de ma tierlé.
Depuis j'ai fait vibrer, poésie éternelle,
Mon vers doucement cadencé
Au bord de la Chézine ou bien sous la tonnelle (2),
Dans le parc riant de Procé (3).
(4) Lire le sonnet XVllle du livre troisième, Famille, du recueil de sonnets
de Boulay-Paly et son ode à l'Aie de Triomphe de l'Etoile, couronnée par
l'Académie française dont le prix fut, à cette occasion, doublé par M. de
Salvandy, ministre de l'instruction publique.
(2) Titres de deux volumes de l'auteur qui plus bas en mentionne trois
autres : Lever d'étoiles, Parisina, le Gui sacré (inédit).
(3) Propriété de M. Gustave Caillé, père du poète.
85
C'est dans ce pave ombreux où l'écureuil sautille,
Qu'aux jours enchanteurs de l'été
Tranquillement je vis au sein de ma famille,
Dans une heureuse obscurité.
C'est là que j'ai passé les jours de ma jeunesse,
Près de ma mère et de mes sœurs,
Et que mon père coule une heureuse vieillesse,
Pleine de calme et de douceurs ;
C'est là que j'ai souvent, enveloppé des voiles,
De la nuit couvrant l'univers,
Regardé dans le ciel luire un lever d'étoiles,
Dans mon âme briller mes vers ;
C'est là qu'avec Byron, chantre à la voix sublime
Dont le charme me fascina,
J'ai médité longtemps sur les amours, le crime,
Les malheurs de Parisina ;
Oui, c'est là que mon cœur dans l'extase divine,
S'est, à la poésie, ouvert,
Au murmure léger des flots de la Chézine,
Sous l'ombrage d'un chêne vert ;
Et la rime en chantant de l'arbre au large faite,
Tombait de même qu'autrefois,
Sous la faucille d'or, au jour de grande fête,
Le gui sacré chez les Gaulois. . .
Ma seule ambition est de suivre la trace,
Et d'un pas jamais ralenti,
De trois de mes parents, trois poètes de race
Lambert, Halgan, Boulay-Paty (i).
Dominique CAILLE.
(') Trois cousins du grand père maternel de l'auteur.
86
LOUIS XIV AUX DUNES
D'APRÈS LE TABLEAU DE FRANCIS TATTEGRAIN.
L'aurore fait briller et le sabre et la lance,
Les balles fendent l'air avec un sifflement,
Le canon jette au loin son sourd rugissement,
L'escadron au galop sur les carrés s'élance.
Le bruit cesse. La nuit couvre le firmament.
Dans le ciel étoile, la lune se balance.
Les soupirs des blessés troublent seuls le silence,
Les villages partout flambent sinislrement.
Tout est fini. L'encens parfumé dans l'église,
A longs flots montera sur l'aile de la brise ;
Le Te Deum joyeux retentira demain ;
Et le prince viendra sur sa blanche monture
Voir le champ de bataille un bouquet à la main,
Pour chasser l'acre odeur des morts sans sépulture !
Dominique CAILLÉ.
LES HEMIPTERES
DE LA LOIRE -INFÉRIEURE
Par l'abbé J. DOMINIQUE (»)
Aucun travail d'ensemble n'a été entrepris jusqu'à ce jour
sur la faune des Hémiptères de la Loire-Inférieure. Elle
offre cependant au naturaliste un intérêt tout particulier,
grâce à la diversité des conditions biologiques que présente
le territoire de ce département.
L'Océan le baigne à l'ouest, et ses rivages sont hantés
par des insectes tout méridionaux. Un grand fleuve grossi par
des affluents au cours accidenté et pittoresque le traverse et
l'arrose dans toute sa longueur. La Loire-Inférieure possède
le plus grand lac de France, de nombreux marécages, de
vastes tourbières, des chaînes de collines, des forêts d'essences
diverses, des landes sauvages, de riches prairies, des cultures
de toute sorte.
L'hémiptériste a le droit de s'attendre, dans un pays si
varié, a de nombreuses et intéressantes captures. Cette
attente n'est nullement déçue ; nous espérons le prouver par
la suite de cette étude.
(*) Ce travail a obtenu une médaille d'or au Concours des prix de la
Société Académique de l'année 1888.
88
Inutile de le dire ; nous n'avons pas la prétention de dresser
la liste complète des Hémiptères de la Loire-Inférieure.
Aucun Catalogue régional ne peut s'annoncer ainsi. Notre
énumération comprendra tous les insectes de cet ordre vivant
à notre connaissance dans cette région de la France occiden-
tale. Nous sommes convaincu, toutefois, qu'il reste ample
matière aux recherches ultérieures.
Nous avons eu la bonne fortune de pouvoir joindre au
résultat de nos chasses celui des chasses d'un naturaliste
distingué, M. le Dr Marmottan, hôte de nos plages chaque
année, durant la belle saison. La bienveillance de ce zélé et
savant entomologiste a singulièrement enrichi notre Catalogue
pour la région maritime.
Dans plusieurs excursions de vacances sur le littoral de la
baie de Bourgneuf, M. l'abbé d'Antessanty a capturé de rares
et intéressantes espèces, parmi lesquelles deux nouvelles pour
la science. L'une, Rhgparockromus mixtus Horvalh, a été
depuis reprise dans l'Est. L'autre, Nolochilus Noviburgensis
d'Antess., parait confinée aux polders de Bourgneuf.
M. l'abbé d'Antessanty nous a constamment aidé de ses
conseils et encouragé de son amitié.
Au mois de juin 1883, les excursionnistes de la Société
française d'entomologie explorèrent les alentours du lac de
Grand-Lieu et le littoral de la baie de Bourgneuf. Le compte
rendu de cette excursion, où sont notées d'intéressantes
captures d'Hémiptères, a été publié, deux ans après, dans la
Revue d'entomologie, par M. Albert Fauvel, son éminent
directeur. Nous n'avons eu garde de négliger celle précieuse
source de renseignements.
Toutes nos espèces ont élé soumises à des maîtres de la
science hémiptérologique, tels que M. le IV Puton et
M. Lelhierry. Nous leur exprimons ici toute notre recon-
naissance pour la bienveillance dont ils ont bien voulu
89
nous honorer et pour l'intérêt qu'ils ont porté à nos re-
cherches.
Dans celte énumération, nous avons suivi l'ordre du dernier
Catalogue de M. le Dr Puton (1886), et nous avons marqué
d'un astérisque (*) les espèces réputées méridionales.
Hemiptera heteroptera Latr.
GEOCORISiE Latr.
Pentatomides.
Corimelœna scarabœoides L. — Clisson. PC
Odontoscelis fuliginosa L. — Dans le sable ou la terre,
sous les pierres. Pornic. R.
0. dorsalis Fabr. — Falaises sablonneuses. Pornic. RR.
Eurygasler maura L. — Nantes, Pornic, Saint-Père-en-
Retz. Surtout dans les champs cultivés.
E. hotlentota H. S. — Dunes du littoral. Nantes, en hiver,
sous la mousse.
E. hotlentota var. nigra Fabr. — Même habitat, avec
le type.
Graphosoma lineatum Lin. — Sur les ombellifères,
surtout sur Daucus Carota. Nantes, Clisson, Orvault ,
Pornic. AC.
Podops inuncta Fabr. — La Bernerie (DT Marmotlan).
Cydnus flavicornis Fabr. — Sables et lieux secs du
littoral. Pornic, Le Pouliguen. R.
C. flavicornis var. pusoipes. M. R. — La Bernerie (Dr
Marmotlan).
Brachîjpelta alerrima Fœrst. — Dunes et falaises du
littoral. Pornic, Mesquer, Le Pouliguen.
90
Sehirus affinis H. S. — Dunes du littoral. Le Pouliguen. R.
S. luctuosus Mis. R. — La Rcrnerie (Dr Marmottan).
S. dubius Scop. — Lieux secs ; souvent a la racine des
plantes. Nantes, Pornic. PC.
S. dubius var. melanopterus IL S. — Dunes du littoral. R.
S. biguttatus L. — Nantes. PC
Gnathoconus albomarginatus Goez. — Falaises mari-
times. Pornic. R.
*Ochetostclhus nanus H. S. — Pornic, Le Pouliguen,
Glisson. Dans cette dernière localité, nous avons trouvé sous
une pierre, au sommet d'un coteau dominant la Sèvre, une
nombreuse famille de ce Pentatomide réputé maritime. Les
individus immatures étaient d'un rouge vif passant au jaune
chez les sujets plus avancés en âge (Cydnus cinnamomeus
Garb.), puis au brun et enfin .au noir de poix, couleur
normale de l'insecte adulte. R.
*Menaccarus arenicola Scholtz. — La Bernerie (Dr
Marmottan).
*Sciocoris macrocepfiahis Fieb. — La Bernerie (Z)r
Marmottan).
*S. fissus Mis. R. — La Bernerie (Dr Marmottan).
S. terreus Sclirk. — Falaises du littoral ; souvent enterré
au pied des herbes. Pornic. R.
*Dijroderes marginatus Fab. — Sur les haies, les hautes
herbes. R. Nantes, Riaillé, Pornic, Glisson.
Œiia acuminata L. — Nantes, Glisson. AG.
Œ. rosira ta Bon. — Pornic. PC.
Neottiglossa inflexa Wolf. — La Bernerie (Dr Mar-
mottan).
*Eusarcoris inconspicuus H. S. — Pelouses ensoleillées.
Pornic, en août. R.
Carpocoris fuscispinus Bon. — Pornic, Mesquer. PC.
*C. lynx Fab. — Machecoul (Dr Marmottan).
91
C. baccaram L. — GC tout l'été.
Palomena viridissima Poda. — Pornic. Un seul exem-
plaire pris en septembre sur une haie.
P. prasina Fall. — GC partout toute l'année.
P. prasina var. subrubescens Gorski. — Gomme le type ;
hiverne avec lui.
Piezodorus incarnatus Germ. — C. sur les haies, au
printemps.
P. incarnatus var. alliaceus Germ. — Mêlée au type
presque partout, elle le remplace dans la région maritime.
Rhaphigaster grisea Fab. — CC. partout. Cet insecte
passe l'hiver. Il aime a se réchauffer au soleil, le long des
murs, dans les belles journées de cette saison.
Tropicoris rufipes L. — R. Nantes, Glisson. Août-sep-
tembre.
Eurydema omatum L. — GG. tout Tété sur les Cruci-
fères, dans les jardins.
E. omatum var. pectorale Fieb. — Vit mêlé avec le
type, mais moins commun.
*E. cognalum Fieb. — Sables maritimes, sur les Cruci-
fères. PC.
E. oleraceum L. — Moins commun que E. omatum.
Tout l'été.
Pkromerus bidens L. — Nantes, Pornic, Vertou, sur
les chênes, en été. AC.
Arma custos Fab. — Clisson, en batlant les chênes. H.
Podisus luridus Fab. — R. Orvault, Pornic. Juillet-sep-
tembre.
Coreides.
Phyllomorpha laciniata Vill. — Un seul exemplaire pris
en septembre dans les polders de Bourgneuf-en-Relz.
{d'Antessanty).
92
*Centrocoris variegatus Kol. — La Bernerie (Dr Mar-
moltan).
Spathocera Dalmanni Schill. — AG. région maritime. R.
à l'intérieur.
S. lobala H. S. — RR. Pornic, en été.
Enoplops scapha Fabr. — PC. Pornic, Gorges. Juillet-
septembre.
Syromastes marginatus L. — CC toute la belle saison,
sur les haies.
Verlusia rhombea L. — CG. prairies, lieux incultes.
Juin-octobre.
*V. sulcicornis Fab. - Habitat de V. rhombea, mais
plus rare. Nantes, Pornic.
Gonocerus venator Fab. — R. Saint-Sébastien-lez-Nantes,
Pornic. En été.
G. venator var. aculangulus Put. — Avec le type.
Pscudoplilœus Fallenii Schill. -■ RR. Pornic, dans les
lieux herbeux. Août-septembre.
*P. Walllii H. S. - RR. Même habitat.
Bathysolen nubilus Fall. — AG. sur le littoral. RR. à
l'intérieur. Nous l'avons pris en grand nombre à Pornic, au
mois d'août, sur les murs des maisons.
Ceralcplas lividus Stein. — RR. Pornic, Glisson. Lieux
ensoleillés.
*C. gracilicornis H. S. — R. Mêmes lieux.
*Botlirostethus annulipes Costa. — Un seul individu
pris à Pornic, en août.
Coreus denliculatus Scop. — CC tout l'été. Haies,
prairies.
*Strobilotoma typhœcornis Fabr. — RR. Littoral de la
baie de Bourgneuf.
*Miçrelytra fossularum Rossi. — Forme brachyplère :
AG. par localités. Pornic, Nantes, Glisson, Le Pouligucn,
93
Couëron. Forme macroptère : RR. Pornic, Nantes. Cet insecte
se prend, à la fin de l'été, dans les fossés herbeux, les
coteaux boisés, les falaises maritimes. Nous l'avons capturé
fréquemment sur les murailles, dans les rues de Nantes et
de Pornic.
*Camptopus lateralis Germ. — Un seul individu pris
à Nantes, le long d'un mur, en octobre.
Ah/dus calcaratus L. — C. dans les lieux secs. Nantes,
Pornic, Glisson, Orvault, Mesquer.
Stenocephalus agilis Scop. — AG. Pornic, Clisson, Le
Pouliguen, en été.
S. médius Mis. R. — RR. environs de Nantes. Juillet-
août.
S. neglectus H. S. — Sur les Euphorbes. — PC Nantes,
Pornic, en été.
Therapha Hijosciami L. — AG. toute la belle saison.
Nantes, Glisson.
Corizus crassicornis L. — G. dans les lieux secs.
C. crassicornis var. abutilon Rossi. — Le Pouliguen. R.
*C. hyalinus Fabr. — PC Saint-IIerblain, Pornic.
C. maculatus Fiel). — AG. Pornic, Glisson.
C. capitatus Fabr. — Environs de Pornic. PC
C. parumpunctatus Scliill. — G. Saint-Père-en-Relz,
Clisson, Pornic.
C. ru fus Scliill. — PC et seulement région maritime.
Mesquer, baie de Rourgneuf.
C. liyrinus Scliill. — La Bernerie (Dr Marmottan).
Chorosoma Schillingi Schml. — Dunes du littoral, sur
les graminées, de juillet à septembre. AG.
Berytides.
*Neïdes aduncus Fieb. — Environs de Nantes, eu
septembre. RR.
94
N. tipularius L. — PC Nantes, Pornic, à la fin de l'été.
*Berylus hirticornis Brul. — AG. par localités. Nantes,
Saint-Père-en-Retz, Pornic.
B. clavipes Fabr. — La Bernerie (Dr Marmottan) RR.
Macroptère.
B. minor H. S. — PC. La forme macroptère (B. cognatus
Fieb.) a été capturée par nous, en septembre, à Clisson.
B. montivagus Fieb. — Pornic, en août. RR.
B. geniculatus (Fieb.) Horv. — Un seul individu de
Clisson, pris en septembre.
B. Signoreti Fieb. — Littoral de la baie de Bourgneuf.
RR.
Metacanthus elegans Curt. — La Bernerie (Dr Mar-
mottan).
Lygœides.
Lygœus œquestris L. — AC. par localités. Le Croisic,
Nantes, Vertou. Affectionne les fleurs de Colchium autom-
nale. Septembre-octobre.
L. saxatilis Scop. — PC. Nantes.
*L. apuamts Rossi. — R. région maritime.
L. punctatoguttatus F. — AC Nantes, Pornic, Clisson,
Saint-Herblain.
*Lygœosoma reticidatum IL S. — C Tout l'été sur le
littoral de la baie de Bourgneuf. On le trouve surtout dans
la terre sablonneuse des falaises, sous les touffes de Spergula
marina Rotli., en compagnie d'un petit Roslrifère qui y
abonde : Sybinia arenariœ Steph.
Arocatas Rœselii Schum. — RR. Saint-Sébaslien-lcz-
Nantes, Pont-du-Cens {Piel de Chur cheville).
Nysim Thymi Wolf. — PC Nantes, Pornic, en été,
surtout sur les Thymus.
N. senecionis Scbill. — C région maritime. Abonde à
95
Pornic dans les lieux cultivés. AR. à l'intérieur. Varie a
antennes entièrement testacées, sur le littoral.
N. Ëricœ Schill. — R. Pornic, la Bérnerie (Dr Mar-
mottait).
Cymus melanocephalus Fieb. — AC région maritime,
des deux côtés de la Loire.
C. claviculus Fall. — CC région maritime. PC à
l'intérieur.
Ischnorhynchus Resedœ Pz. — PC. environs de Nantes.
J. geminatus Fieb. — La Bérnerie (Dr Marmotlan).
Heneslaris laticeps Gurt. — AC sur le littoral, dans les
endroits sablonneux et ensoleillés, juin-septembre.
H. geocoriceps d'Antess. — Confondue avec la précédente
jusqu'en 1885, où l'auteur de ces lignes, sur le conseil de
M. Lethierry, prit l'initiative de sa séparation. (Revue
d'Entomologie, IV, 1885, p. 112.) Mêmes mœurs et même
habitat que H. laticeps, mais beaucoup plus rare.
Geocoris erythrocephalus Lep. — La Bérnerie (Dr Mar-
mot tan).
G. siculus Fieb. — Pornic, La Bérnerie, plage de Port-
main (d'Antessanty). Cet insecte, dont les allures vives et
saccadées rappellent singulièrement celle des Notiophilus,
affectionne l'abri des plantes maritimes croissant sur les dunes
et les falaises.
*Helerogaster affinis H. S. — RR. Nantes, en août.
fl. urticœ Fabr. — CC. tout l'été, surtout sûr les Orties.
Platyplax Salviœ Schill. — La Bérnerie, en juin. RR.
*Microplax albofasciala Costa. — AC. par localités.
Nous l'avons prise en grand nombre, avec l'espèce suivante,
au mois de septembre, dans un champ de chaume, près de
Pornic.
*Metopoplax ditomoïdes Costa. — Se trouve en familles
nombreuses sous les plantes traînantes qui croissent sur les
■"
au
. région
Por
nie.
PC.
PC.
—
AC
Pornic,
9fi
vases desséchées de l'arrière-port, à Pornic, en compagnie
de Piesma quadrata. Dans les chaudes journées d'août, il
n'est pas rare de rencontrer cet insecte sur les murailles
extérieures des maisons de cette ville, à l'ombre. RR. à
l'intérieur. Un exemplaire de Nantes dans notre collection.
Plociomerus fracticollis Schill. — Bords du lac de
Grand-Lieu (Dr Marmottan).
Rhyparochromus prœlextatus H. S.
maritime. R. à l'intérieur. Saint-Herblain.
R. dilatatus H. S. — Région maritime.
R. chiragra F. — Pornic et le littoral.
R. chiragra var. sabulicola Thoms.
Riaillé, Clisson.
R. mixtus Horvath. — Sp. nova. — Dune de Portmain,
près Sainte-Marie de Pornic, en septembre. Une seule
femelle (d'Antessanty). — Revue d'Entomologie, VI,
1887, p. 254.
*Piezoscelis stapliylinns Ramb. — RR. dunes de Bourg-
neuf (d'A7ites.santy).
Tropistethus Iwlosericeus Schltz. — C. toute l'année,
dans la mousse humide. Nantes, Clisson, Pornic.
Pterotmetus staphylinoïdes Burm. — AR. dans la
mousse et les détritus végétaux. Saint-Herblain, Clisson,
Pornic.
Ischnocoris hemiplerus Schill. — R. Clisson, Pornic.
Mucrodema micropterum Curt. — La Bernerie (Dr Mar-
mottan).
Pionosomus varius Wolf. — RR. La Bernerie, sous les
plantes maritimes de la plage (d'Antessanty).
Plinthisus brevipennis Lalr. — CC. dans les mousses
humides. Clisson, Nantes, Pornic.
Lasiosomus enervis H. S. — La Bernerie (Dr Mar-
mottan).
97
s
Acompus rufipes Wolf. — Région maritime. AC. Nantes
(Piel de Chur cheville). — Antennes entièrement testacécs.
Stygnus rusticus Fall. — Forme brachypt. — Pornic,
falaises sablonneuses. R.
S. rusticus var. incanus Fieb. — Forme macropt. —
Pornic. RR.
S. pedestris Fall. - Terrains sablonneux. Nantes, Pornic.
PC.
5. arenarius Hall. — GG. région maritime. R. à l'inté-
rieur.
Peritrechus geniculatus Hah. — La Bernerië (Dr Mar-
moltan).
P. gracilicornis Put. — G. dans tout le département.
P. nubilus Fall. — Nantes, Pornic. AG.
P. luniger Scliill. — G. de Nantes à la mer.
Trapezonotus dispar Stal. — Nantes et l'intérieur du
département. PC.
T. Ullricliii Fieb. — Région maritime. PC.
Culyptonotus Rolandri Lin. — AC. Nantes et le littoral.
La tache jaune de la membrane disparaît habituellement par
la dessiccation.
Aphanus lynceiis F. — Région maritime PC.
A. quadratus F. — Le Pouligucn, Pornic. AG.
A. pedestris Pz. — La Bernerië (D* Marmottan).
A. vulgaris Schill. — Environs de Nantes. PC
A. Pini Lin. — R. Nantes. Nous en avons pris un
exemplaire franchement rouge, en mars, sous un fagot
d'ajoncs.
Beosus luscus Fab. — AG. à l'intérieur. G. sur le littoral.
B. luscus var. sphragmidium Fieb. — Pornic. R.
Embletliis Verbasci Stal. — G. surtout région maritime.
Dry mas sylvaticus F . — Samt-Pèrc-en-Relz, bords de la
Loire. AC.
98
Scolopestethus pictus Scliill. — Nantes, Pornic. AG.
S. decoratus Hab. — Nantes, bourg de Batz. PC.
S. affinis Scliill. — G. dans tout le département, brachypt.
R. macropl.
Notochilus contractus H. S. — PC. a l'intérieur. CG. sur
le littoral.
iV. (Tbaumastopus) Noviburgensis d'Antess. — Sp. nova.
— RR. Bourgneuf, en septembre (d'Antessanty).
Pi/rrocoris apterus L. — G. partout. Pullule à Nantes au
pied des arbres, sur les promenades. Ordinairement hra-
cnyptère.
Tingidides.
Piesma quadrata Fieb. — Pornic. AG. Vit en familles
nombreuses, dans les vases desséchées de l'arrière-port,
sous les Chenopodium et Atriplex rampants. Les individus
blanc-jaunâtre sont probablement immatures. Les adultes
offrent de nombreuses variétés de coloration. Le prothorax
reste ordinairement plus foncé que les hémélytres qui sont
blanches, testacées, rouge brique, tachées ou non de noirâtre.
P. capitata ' Wolf. — PC. Clisson , en septembre.
Macroplère.
P. macutata Lap. — R. Nantes, La Rernerie (Dr Mar-
mottait). Macroplère dans cette dernière localité (P. Laportei
Fieb.).
Serenthia lœla Fall. — La Beraerie (Dr Marmottan).
S. femoralis Thms. var. confusa Put. — Bords du lac
de Grand-Lieu {Dv Marmottan).
Orlhostira parvulaFdW. — Nantes, LaBernerie. Macrop-
lère (Dr Marmottan).
Dictyonota crassicomis Fall. — = erythrocephala
Garb. — La Berneric(Dr Marmottan).
Derephysia foliacca Fall. — Pris en nombre, a Pornic,
(Kl
le long d'un vieux mur de jardin tapissé de lierre. Aussi aux
environs de Nantes, mais isolément.
Galeatus maculatus H. S. — Bourgneuf, en septembre.
Un seul individu (d'Antessanty).
Tingis Pyri Fab. — AC Nantes, Glisson, Pornic,
Bourgneuf.
Monanthia Cardui L. — Nantes, Saint-Herblain, Pornic.
PC.
M. aurkulata Costa. — R. Saint-Père-en-Relz, Glisson.
M. costata Fab. — Un individu pris à Nantes, en avril,
sur une muraille, et un second pris, en août, à la Billar-
dière, en Vertou.
M. Eryngii Latr. — AC. Région maritime sur les
Eryngium. .
M. dumetorum H. S. — C sur l'aubépine. Nantes, bords
de la Sèvre.
M. Humuli F. — Bords du lac de Grand-Lieu (Dr Mar-
mottan). Environs de Nantes {Piel de Churcheville).
Aradides.
Aradus depressus F. — Un individu pris à Pornic, en
août, sous une planche posée à terre. Un autre à Nantes, en
juin.
Hébrides.
Hebrus pusillus Fall. — Lac de Grand-Lieu (Dr Mar-
mottan).
Hydromctrides.
Aëpophilus Bonnairei Sign. — Ce curieux hémiptère
marin a été trouvé pour la première fois, sur le continent,
par M. Prié, du Pouliguen, sur la côle voisine de ce port. Il
vit sous les pierres à demi enfoncées dans le sable vaseux et
dans les fissures des roches baignées par le flot. M. le Dr
100
Maisonneuve, professeur aux Facultés libres d'Angers, nous
l'a envoyé de Rellc-Ile-en-Mer où il Ta capturé. M. E. Hervé
Ta pris aux environs de Morlaix (Finistère). Signalons, parmi
les caractères principaux de ce singulier insecte, l'absence
d'ocelles et la forme fragiforme ou mulliglobuleuse de ses
yeux. Il paraît n'arriver a l'état parfait qu'à la fin de l'au-
tomne.
Hydrometra stagnorum L. — Mares et étangs. CC
*Ve\ia rivulorumF. — Un seul individu macroptère pris
à Pornic, en août, sous une pierre, dans un lieu sec et élevé.
V. currens F. — Etangs et surtout eaux courantes. Passe
l'été à l'état larvaire; devient insecte parfait avant l'hiver et
s'accouple au premier printemps. CC.
Gerris najas de G. — CC. Etangs, canaux, eaux tran-
quilles. Brachypière.
G. gibbifera Schml. — Mares salées à Pornic (Dr Pulon);
La Bernerie (Dr Marmottan); mares d'eau douce; Nantes,
Saint-Père-cn-Retz.
G. lacusiris L. — CC. Eaux dormantes. Ordinairement
macroptère.
G. argentala Schml. — Lac de Grand-Lieu, en juin
(Dr Puton)'-,'La Bernerie (Dr Marmottan).
Reduvides.
Ploiaria vagabunda Lin. — Nantes, Clisson, Pornic. AC.
P. vagabunda var. pilosa Fieb. — Avec le type. Rezé.
P. culiciformis de G. — La Bernerie (Dr Marmottan).
*Cerascopus domesticus Scop. — Un seul </ pris dans
l'escalier de ma maison à Nantes, en octobre.
Reduvius pcrsonalus L. — PC. Environs de Nantes (de
Wouitt).
* Pirates hybridus Scop. — AC. Région maritime. R. à
l'intérieur. Souvent caché sous les pierres.
101
*Coranus œgijptiusF. —Littoral de la baie de Bourgneuf,
Mesquer. PC.
C. subapterus de G. — La Bernerie (Dr Marmottan).
Prostemma gultula Fab. — PC et surtout région mari-
time. Pornic, Mesquer.
*P. sanguineum Rossi. — R. Bourgneuf (d'Antessanty).
— (Dr Marmottan).
Nabis brevipennis Hah. — GG. tout l'été, sur les buis-
sons, les chênes.
N. lativentris Boh. — CC. brachyptère. RR. macrop-
tère; Pornic, La Bernerie (Dr Marmottan).
N. major Costa. — x\C. et toujours macroptèrc Pornic,
Nantes, Clisson, La Bernerie (Dr Marmottan).
N. férus L. -— CC. tout l'été dans les lieux herbeux.
N. rugosus L. — CC partout. Prairies, lieux incultes.
N. ericetorum Schtz. — Environs de Vertou, en août. R.
2V. brevis Schtz. — Coteaux de la Sèvre, près Clisson. R.
Saldides.
Salda saltatoria L. — La Bernerie (Dr Marmottan).
Nantes (Piel de Chur cheville).
S. pallipes F. — RR. Le Croisic (de Wouill). Les Mou-
tiers (Dr Marmottan).
S. pallipes var. pilosella Thms. -- La Bernerie (Dr Mar-
mottan).
S. pallipes \ 'ar. arenicola Schltz. — La Bernerie (Dr Mar-
mottan).
S. Cocksii Curt. — Nantes. R.
S. Cocksii var. geminata Costa. — Environs de Clisson.
RR.
S. cincta H. S. - Le Pouliguen (de Wouill). Rezé, en août.
Leptopus boopis Fourer. — Un exemplaire pris à Pornic,
sous une planche posée à terre, au mois d'août.
102
Cimicides.
Gimex leclularias L. — Trop commun dans les babi ta-
lions des villes.
Lyctocoris campestris F. — GG. partout, surtout dans
les détritus végétaux. Il abonde sous les algues rejetées
par le flot, sur la plage de Porlmain, près Sainte-Marie de
Pornic.
Piezoslethus cursitans Fall. — Pornic, braenyptère.
Nantes, macroptère. RR.
Temnostethus pus il lu s IL S. — R. Saint-Père-en-Retz.
Anthocoris confusus Reut. — Un seul exemplaire de
Pornic.
A. nemoralis F. — AC. en été, sur les fleurs ; en hiver,
sous les écorces. Saint-IIerblain, Nantes, Pornic.
A. nemoralis var. auslriacus F. — PC. Nantes, Pornic.
A. gallarum-ulmi de G. — PC. Nantes. Varie à antennes
entièrement noires.
A. sylvestris Lin. — CC. partout. Mœurs et habitat lVA.
nemoralis.
A. limbalus Fieb. — Rives du lac de Grand-Lieu (Dr
Marmot la n).
Acompocoris pygmœus Reut. — Un individu, de grandeur
insolite, pris à Orvault.
Triphleps nigra Wolff. — AG. Nantes, Pornic.
T. nigra var. VUrichii Fieb. — Nantes, Gorges. VC.
T. majuscula Reut. — PC. Glisson, Nantes.
T. minuta Lin. — CC. partout. Mœurs d' Anthocoris
nemoralis.
T. lœvigala Fieb. — Nantes, Pornic. PC. — Nos exem-
plaires de la Loire-Inférieure, vus par M. Lethierry, sont
conformes à l'exemplaire de Ficher que ce savant possède en
sa collection. Reutern'a pas eu connaissance du T. lœvigata
103
Fieb. et, pour lui, cette espèce doit rentrer dans le T.
minuta Lin.
Brachy stèles parvicornis Costa. — Nantes, brachyptère.
PC
*Cardiasthetus fasciiventris Garh. — Nantes. 11.
Xylocoris ater Dut. — R. Nantes. Hiverne sous les
écorces.
Capsides.
Miris calcaratus Fall. — CC. sur les herbes, en été.
M. lœvigatus L. — Comme le précédent.
Megalocerœa erraticu L. — AC. lieux herbeux, tout
l'été.
M. longicornis Fall. — CC. région maritime. AC. à l'in-
térieur.
M. ruficomis Fourer. — Un exemplaire du Pouliguen
(de Wouilt).
Teralocoris antennatns Bon. — Les Moutiers (Dr Mar-
mottan).
Leptoterna dolabrata L. — PC. région maritime. R. à
l'intérieur.
Monalocoris Filicis Lin. — C sur Pteris aquilina.
Lopus gothicus L. — Environs de Nantes. PC
L. flavomarginatus Donov. — R. Sainl-Herblain (de
Wouilt).
L. sulcatus Fieb. — C. par localités au commencement
de l'été. Disparaît en juillet. Pornic, Le Pouliguen, environs
de Nantes.
Miridius quadrivirgmius Costa. — AR. prairies autour
de Nantes, Le Pouliguen, Pornic.
Phytocoris Populi Lin. —La Befnerie (DT Marmottan).
P. Tiliœ F. — AC. sur les peupliers.
P. Pini Krb. — La Berneric (Dr Marmottan).
104
P. Ulmi Lin. — G. dans toute la région.
P. varipes Bon. — PC. Clisson, Pornic.
*P. SalsolœVut. — Les Moutiers (Dr Marmottan).
Calocoris bipunctatus F. — CC. toute Tannée, surtout
les fleurs des Ombellifères.
*C. sexpunctatus Fabr. — Saint-Herblain, Nantes. RR.
*C. sexpunctatus var. nankineus Dut. — Un seul exem-
plaire de Saint- Joseph, près Nantes (Piel de Churchevilk).
C. Chenopodii Fall. — CC. surtout lieux incultes du
littoral.
C. roseomaculatus de G. — PC. Le Pouliguen.
C. marginellus Fab. — AC. Saint-Herblain, Pornic.
Megacœlum infusum H. S. — C. tout l'été, sur les
chênes. Clisson, Pornic.
*Brachycoleus bimaculatus Rarab. — La Bernerie (Dr
Marmottan).
Oncognaius binolalus F. — AU. Nantes (Piel de Chnr-
cheville). Saint-Herblain (^ Wouilt).
Plesiocoris ritgicollis Fall. — Bords du lac de Grand-
Lieu, en juin (DT Pulon).
Lygus pratensis Fab. — CC. partout sur les plantes basses.
L. campestris F. — CC et très variable.
L. lucorum Mey. — R. sur les saules, environs de Nantes.
L. pabulinus L. — R. Clisson, sur les saules; lieux
humides.
L. PastinacœY-AÏÏ. — PC Clisson, Nantes. En été sur les
fleurs d'Ombellifères ; en hiver, sous les écorces.
L. cervitius II. S. — Rezé, eu juillet et août. R.
L. Kalmii L. — CC partout.
L. Kalmii var. flavovarius F. — Rezé ; quelques indi-
vidus.
L. Kalmii var. pauperatus 11. S. — Rezé; quelques
individus.
105
L. viscicola Put. — Revue d'Entomol. 1888. Sur le gui des
peupliers. Basse-Goulaine (Piel de Chur cheville). Juin-juillet.
*Cyphodema instabilis Luc. — R. et seulement région
maritime. Aisé à confondre avec Liocoris tripustulatus
dont il diffère peu par sa livrée.
Pœciloscytus holosericeus Hall. — Environs de Nantes. R.
P. vulneratus Wolff. — La Berneric (DT Marmottan).
*P. eognatus Fieb. ~ La Bernerie (Dr Marmottan).
Camptobrochis lutescens Schill. — CC. sur les chênes.
Hiverne sous les écorces et dans la mousse. Très variable.
Liocoris tripustulatus Fab. — CC surtout sur les orties.
Capsus trifasciatus L. — La Berneric (Dr Marmottan).
G. scutellaris F. — La Bernerie (D1 Marmottan).
C. laniarius L. — CC. jardins, lisières des taillis. En été.
C. laniarius var. tricolor F. — Avec le type. C.
Pilophorus cinnamopterus Kb. — Sur les chênes, à la
tin de Tété. PC Pornic, Clisson, Nantes.
P. perplems Scott. — La Bernerie (Dr Marmottan).
*Mimocoris coarclatus Mis. R. — Environs de Nantes,
sur les haies ; Sainl-IIerblain, La Chapelle-Basse-Mer. Juil-
let-août. RR.
Eroticoris rufescens Burm. — La Bernerie (Dr Mar-
mottan).
Haïtiens luteicollis Pz. — Nantes, Saint-Père-en-Retz.
AC
Slrongylocoris luridus F ail. — Un individu pris en août,
à Pornic.
*S. obesus Perr. var. obscurus Ramlt. — La Bernerie
(Dr Marmottan).
Labops saltator tlah. — AC Pornic. RR. à l'intérieur-
L. mutabilis Fall. - La Bernerie (Dr Marmottan).
Dicyphus annulatus Wolff. — La Bernerie (Dr Mar-
in ot tan).
106
Campyloneura virgula H. S. —PC. Nantes, sur l'aulne,
le charme; Pornic. Juillet-août.
Cyllocoris hislrionicus Lin. — Saint-Herblain (de
Wouilt). RR.
Œtorhinus angulatus Fab. — C. tout l'été, à Nantes,
sur les aulnes. Pornic, Saint-Père-en-Rclz.
Globiceps flavomaculatus F.— Pornic, dans les prés secs. 11.
G. selectus Fieb. — La Berncrie (Dr Marmottari).
Orthotylus nassatus F. — C. sur les haies, les charmilles,
les chênes.
0. prasinus Fall. — CC a Nantes, sur les charmilles.
0. flavosparsus Sahlb. — R. Pornic, en été, sur les
Chenopodées.
0. chlor opter us Kl). — AG. littoral du sud, sur le genêt,
l'ajonc
0. concolor Kb. — AC; PC. à l'intérieur, sur le genêt,
l'ajonc.
0. rubidus Fieb. — La Bernerie (DT Marmottan).
0. rubidus var. Salsolœ Reut. — Les Moutiers (Dr Mar-
mottan).
0. ericetorum Fall. — Environs de Nantes. RR. sur les
bruyères.
Hypsitylus bicolor Dgl. — Rezé, sur les ajoncs. RR.
Loœops coccinea Mey '. — Un exemplaire de Saint-Herblain
(de Wouilt).
Heterotoma merioptera Scop. — G. sur les baies, les
buissons, surtout les orties.
*Heterocordylus parvulus Reut. — Pornic (Dr Puton).
Sur les genêts, ajoncs.
H. tibialis Hall. — Pornic, juillet-août. PC. sur les genêts,
ajoncs.
Malacocoris chlorizans Fall. - A.C. tout l'été, sur les
tilleuls.
107
M. chlorizans var. smaragdinus Fieb. — Mêlé au type.
Onychumenus decolor Fall. — Pornic, en août. RR.
Hoplomachus Thunbergi Fall. — Pornic, en juin (Dr
Puton).
Macrocoleus mollicuhis Fall. — Un exemplaire pris à
Pornic, en août.
Macrotylus PaykuiiiVdW. — AC. sur les Ononis, région
maritime. Mai-juillet.
Harpocera thoracica Fall.— La Bernerie(Dr Marmotlan).
Phylus Coryli Lin. — Riaillé, sur les noisetiers. R.
*Psallus ancorifer Fieb. — Environs de Nantes. R.
P. ambiguus Fall. — La Bernerie (Dr Marmotlan).
P. lepidus Fieb. — Bords du lac de Grand-Lieu (Dr Mar-
motlan).
P. sanguineus F. var. querceti Fall. — Un exemplaire
de Pornic.
Atractotomus Mali Mey. — Nantes, Pornic. Juillet-août. R.
Plagiognathus fulvipennis Kb. — Un individu pris, en
août, à Pornic.
P. arbuslorum F. var. brunnipennis Mey. — AC région
maritime. PC. à l'intérieur.
P. albipennisYzïï. — Un individu pris, en août, à Pornic.
Chlamydalus pullusReui. «-Pornic R.
G. evanescens Boh. — Sous les touffes de Sedum, où il
hiverne. Nantes, en mars, talus empierrés, près la gare de
l'Etat. — Rochers de la Sèvre, h Clisson.
Neocoris Bohemani Fall. — Un exemplaire de Saint-
Herblain.
Sthenaras dissimilis Reut.? — Environs de Nantes (de
Wouill). R.
S. Roseri II. S. — Environs de Nantes (de Wouilt).
*Tuponia Tamaricis Perris. — Sur les Tamarix, région
maritime. R.
108
HYDROCORISiE Latr.
Naucorides.
Naucoris cimicoïdes Lin. — CC rivière d'Erdre, mares,
étangs.
*N. maculatus Fab. — Nantes, rivière d'Erdre. R.
Nepides.
Nepa cinerea Lin. — Vase des marais. CC-
Ranatra lineàrishin. — PC. également dans la vase des
étangs, des mares. Pornic (DT Maisonneuve) ; Nantes
(Piel de Churcheville).
Notonectides.
Notonecla glauca Lin. — Eaux stagnantes. CC
N. glauca var. umbrina Germ. — R. Nantes.
N. glauca var. marmorea Fab. — C.
N. glauca var. furcala Fab. — CC
Plea minutissima Fab. — Mares, rivière d'Erdre, lac de
Grand-Lieu. AC.
Corixides.
Corixa Geoffroyi Leach. — AC. eaux stagnantes, rivière
d'Erdre.
C. atomaria IUig. — Pornic , La Bernerie (Dr Marmot-
tan), lac de Grand-Lieu {DT Puton).
C. lugubris Fieb. — Etiers des salines à Bourgneuf
(Dr Puton).
C. hieroglyphica DuC — Mare près Saint-Père-en-
Retz. RR.
C. Salilbergi Fieb. — Eaux tranquilles. CC
C Linnëi Fieb. — Eaux tranquilles. C
109
C. limitata Fiel». — Mare en Rezé. R.
C. semistriata Fieb. — Lac de Grand-Lieu (Dr Puton).
C. striata L. — PC rivière d'Erdre, lac de Grand-Lieu.
C. Fallenii Fieb. — AC. autour de Nantes.
C. distincta Fieb. — Mares en Rezé. R.
C. mœsta Fieb.' — Mares autour de Nantes [Piel de
Chur cheville).
C. fossarum Leach. — Etiers, vasières, eaux saumâtres.
R. Ratz, Le Pouliguen, Le Croisic
C. Vabricii Fieb. — R. mare près le Plessis-Tison,
Nantes.
C. coleoptrata Fab. — C rivière d'Erdre.
Sigara Scholtzii Fieb. — Dans les dunes de La Bernerie
(Dr Marmotlan).
Hemiptera homoptera Am. serv.
AUGHENORHYNCHA Duméril.
Fulgorides.
Cixhis pilosus 01. — G. tout l'été, sur les chênes, haies,
buissons.
*C. venustulus Germ. — Pornic, en juin, dans les
herbes. RR.
C. nervosys L. — R. sur le littoral ; G. a l'intérieur.
C. pallipes Fieb. — La Bernerie (Dr Marmottan).
C. simplex H. S. — Pornic, sur les haies. R.
Oliarus lepnrinus L. — La Rerncrie (Dr Marmotlan).
0. qninqnecoslatus Duf. — Pornic, sur les chênes. RR.
Issus coleoplratusFdibï. — GG. sur les chênes, les haies.
Asiraca clavicornis Fabr. — Pornic, hautes herbes des
falaises. Août-septembre. RR.
110
Arœopus pulchellus Gurt. — Pornic, Jardin-de-Retz, en
août. RR.
Kelisia gutlula Germ. — Nantes, Clisson, Pornic. Haies,
lieux herbeux en été. AC.
Conomelus limbatus Fabr. — AG. prés et fossés humides.
Delphax discolor Bon. — R. fossés humides à Nantes.
D. pellucida Fabr. — CC tout l'été, dans les prairies.
D. striatella Fall. — Environs de Nantes, en septembre. R.
D. eleyantula Bon. — Nantes, un seul <f pris en sep-
tembre.
D. collina Bon. — R. Nantes, fossés herbeux, en
septembre.
D. obscurella Bon. — AG. Nantes, Clisson, Pornic.
D. Rcyi Fieb. — La Bernerie (Dr Marmotlan).
*D. Mulsanli Fieb. — RR. Clisson, en septembre.
Macroptère.
D. forcipata Bon. — Un cf brachyptère pris dans un
pré, à Gorges, en septembre.
D. fuscifrons Fieb. — La Bernerie (Dr Marmotlan).
D. leplosoma Flor. — La Bernerie (Dr Marmotlan).
D. lepida Boh. — La Bernerie (Dr Marmotlan).
D. quadrimaculala Sign. — Un exemplaire brachyptère,
pris a Pornic, en juillet.
D. Aubei Perris. — Coteaux à Pornic, en juin. Bra-
chyptère. R.
D. paludosa Flor. — R. Nantes, prés humides, en juillet.
Brachyptère.
D. Fairmairei Perris. — R. Clisson, en septembre.
Macroptère et brachyptère.
Dicranotropis hamata Boh. — AC. tout l'été dans les
prairies, les fossés herbeux. Brachyptère.
Stiroma bicarinala H. S. — Un exemplaire macroptère,
pris en août à Pornic
ill
S. Pteridis Gêné. — R. coteaux herbeux, à Pornic, en
août. Brachyplère.
. Tetliyometra virescens r'Pz. — PC Pornic, Clisson.
T. impressopunctata Duf. — AG. tout l'été.
Cercopides.
Triecphora vulnerala Germ. — Marais à La Chapelle-
sur-Erdre. RR.
*T. sanguinolenta L. Pornic, au printemps, sur les
falaises herbeuses, PC.
Aphrophora Salicis de G. — PC. sur les saules, en été.
A. Alni Fall. — C. également sur les saules.
Plyelus campestris Fall. — Pornic, Clisson.
P. spumarius Lin. — CG. tout Tété.
P. spumarius var. lateralis Lin. — AC. avec le type.
P. spumarius var. apicalis Ger. — (Dr Marmoltan).
P. spumarius var. leucoccphalus L. — (Dr Marmoltan).
P. spumarius var. fasciatus F. — (Dr Marmoltan).
P. spumarius var. lineatus F. — Nantes, Pornic. PC.
P. spumarius vw.pallidus Schr. — Autour de Nantes. AR.
Membr acides.
Gargara Genislœ Fab. — G. landes et terres incultes.
Clisson, Pornic, Vertou.
Jassides.
Megophthalmus scanicus Fall. — AG. sur les herbes.
Nantes, Clisson, Pornic. Très variable de coloration.
Ledra aurila Lin. — Sur les chênes. Pornic, Nantes. AR.
Idiocerus notalus Fab. — RR. Pornic, en août, sur
Prunus spinosa.
I. varius F. —La Bernerie (Dr Marmoltan).
L lituralus Fall. — Pornichet (Dr Marmoltan).
112
I. elegans Flor. — La Bernerie (Dr Marmottan).
I. laminalus Flor. — La Bernerie (Dr Marmottan).
I. Populi Lin. — La Bernerie (Dr Marmottan).
I. fulgidus Fab. — PC. Nantes, Gorges, sur les saules.
Macropsis prasina Fab. — R. Vertou, en août, sur les
chênes.
M. lanio Lin. — PC. Pornic, Clisson, Vertou. Même
habitat. Août-septembre.
Bjjlhoscopus Alni Schk. PC sur les aulnes, les saules, le
long des eaux. Pornic. Variété très élégante, de Saint-Père-
en-Retz.
Pediopsis cerea Germ. — La Bernerie (Dr Marmottan).
P. (flandacea Fieb. — Un exemplaire pris, en août, à
Pornic.
P. virescens Fab. — AG. sur les saules.
P. impara Boh. — La Bernerie (Dr Marmottan).
P. nassata Ger. — Autour de Nantes, fin de Tété, sur
les saules. R.
P. scutellala Boh. — C surtout sur les saules.
*Agallia sinuata Mis. R. — La Bernerie (Z> Marmottan).
A. puncticeps Ger. — Cfi. prés, pelouses, tout l'été.
A. venosa Fall. — CC. mêmes lieux. Hiverne.
Tettigonia viridis Lin. — C lieux herbeux humides.
Euacanlhus interruptus Lin. — Même habitat, mais
moins commun. Riaillé, Nantes, Pornic, Saint-Pèrc-en-Retz.
Prntliimia alra Fab. — Environs de Nantes, RR.
*Chiasmus IranslucidusMh.R. — Brachyplère (Attrac-
totypus cinctus Perris). La Bernerie (/> Marmottan).
Eupelix ctispidata Fab. — La Bernerie (I)r Marmottan).
E. prodacta Ger. — U. Clisson, Pornic, en septembre.
Acocephalus slrialus Fab. — Fossés, prairies. CC. tout
Télé.
A. bifasciatus Lin. — La Bernerie (Dr Marmottan).
113
*A. assimilis Sigu. — Lieux herbeux. Pornic, Riaillé. H.
A. albifrons L. — PC. Nantes, Pornic, Riaillé, Saint-
Père-en-Retz.
A. Serralulœ F. — R. Pornic, Saint-Père-en-Retz.
A. hislrionicus Fab. — Environs de Verlou, en septem-
bre. RR.
Paramesus nervosus Fall. — Les Moutiers (Dr Mar-
mottan).
Gnalhodus punctalus Thunb. — AR. autour de Nantes,
sur les baies, les buissons, les herbes. Juillet-septembre.
Cicadula diminula Leth. — R. environs de Nantes, de
Vertou, à la fin de Télé. Lieux marécageux.
C. sexnolala Fall. — AC. mêmes lieux et même saison.
Très Variable de livrée.
Doralura stylata Bob. — La Rernerie (Dr Marmottan).
*Thamnoteltix Fieberi Ferr. — Sur les baies, à la fin
de Tété. Vertou, Rezé. RR.
*T. fuscovenosus Ferr. — Pornic, Vertou, Nantes.
Buissons, lieux berbeux, en septembre. R.
T. crocfus IL S. — G. tout l'été.
T. attenaatus Germ. — La Rernerie (Dr Marmottan).
T. quadrinotatus Fab. -- Prés humides, en Rezé. AR.
T. sulphurelius Zelt. — La Bernerie (Dr Marmottan).
*Atliysanus stactonala Am. — Sur les Tamarix, en Rezé,
de juillet à septembre. RR.
A. slriola Fall. — La Bernerie (Dr Marmottan).
A. obscurellus Kb. — R. De juin à septembre. Prés à
Pornic.
A. distinguendus Kb. — R. environs de Nantes.
A. subfusculus Fall. — Nantes, sur les chênes, en juillet
(Picl de Churckeville).
A. erylhrosllicias Leth. — Clisson, Riaillé, Pornic. Lieux
boisés, tout l'été. C.
s
114
A. plebejus Zell. — GC lieux herbeux* tout l'été.
A. variegatus Kb. — CC. lieux herbeux, tout l'été.
Goniagnathus brevis H. S. — Falaises de Pornic. RR.
Jassus alomarius Ger. — Pornic, sur les chênes. R.
/. mixlus Fab. — Un exemplaire pris à Clisson, sur un
chêne, en septembre.
/. modeslus Scott. — Pornic, sur des chênes, en
août. RR.
Deltoceplwlus multinolatus Rob. var. Mayri Fieb. —
Un exemplaire pris a Rezé, le long d'un fossé, en août.
D. argus Marsh. — RR. prés riverains de la Sèvre, à
Gorges, en septembre.
D. distinguendus Flor. — AG. allées herbeuses des bois,
pelouses, en été. Nantes, Clisson.
D. Fallenii Fieb. — R. Gorges, en septembre, prés
humides.
D. pulicaris Fall. — G. fossés, prairies, en été.
D. slriatus Lin. — G. pelouses sèches, lieux ensoleillés.
D. breviceps Kb. — RR. Pornic, en septembre.
D. langui dus Flor. — La Bernerie (DT Marmottan).
D. Minki Fieb. — PG. Nantes, Gorges, sur les herbes.
Alebra albostriella Fall. — G. sur les chênes, les haies,
à la fin de l'été.
A. albostriella var. fulveola IL S. — Avec le type. G.
A. albostriella var. Walil^ergi Bon. — Avec le type. G.
Dicraneura agnata Leth. — AG. autour de Nantes, sur
les herbes, le long des haies, a la fin de l'été.
D. citrinella Zett. — R. Glisson, en septembre, sur les haies.
Chlorita apicalis Flor. — R. Pornic, en septembre.
C. flavescens Fab. — GG. partout.
G. Solani Koll. — GG. partout.
Kybos smaragdulus Fall. — R. sur des saules, à Gorges,
en septembre.
115
Enpteryx vittata Lin. — H. prés marécageux, en Rezé.
Septembre.
E. Wallengreni Si al. — Prés secs aux environs de
Clisson, Vertou, Rezé. PC.
E. filieum Newm. — Sur Pteris aquilina, Clisson. RR.
E. concinna Ger. — AC. sur les chênes, en septembre.
E. pidcliella Fall. — Même habitat que E. concinna. G.
E. Curpini Fourcr. — PC. prairies à Gorges, garennes
de Clisson, en septembre.
E. aurata Lin. — C. tout l'été, sur diverses plantes.
E. Urticœ Fab. — PC. lieux herbeux, en septembre.
E. Cnrtisii Flor. —Environs de Vertou, de Rezé. PC.
E. Melissœ Curt. — AC sur les labiées aromatiques.
Typhlocyba nitidula Fab. — AC. sur les ormes. Nantes,
Clisson. A la fin de l'été.
T. nitidula var Norgueli Leth. — Charmilles du jardin
de la Philosophie, à Nantes, de juillet à l'automne. RR.
T. aurovittata Dgl. — RR. Nantes, Clisson. Fin de l'été.
T. Rosœ Lin. — Lieux cultivés. Nantes, Pornic. AC.
T. Lelliierryi Edw. — AC. sur les ormes, autour de
Nantes et de Clisson. Août-octobre.
T. gratiosa Boh. -- Un exemplaire pris en Rezé. Septembre.
T. Ulmi Lin. — CC. sur la mousse des troncs d'ormes,
dans laquelle il passe l'hiver. Varie sans points noirs au
vertex et au prothorax. Nantes.
T. Quercûs Fab. — Buissons, baies, taillis de chênes. R.
Vertou. A la fin de l'été.
T. tenerrima H. S. — RR. Vertou, sur les haies, en
septembre.
T. debilis Dgl. — Un exemplaire de Nantes, pris sur une
haie, en septembre.
Zygina alneti Dahlb. — Sur les noisetiers, autour de
Nantes. PC.
116
Z. nivea Mis. R. — Verlou, en septembre. RR.
Z. sculellaris H. S. — AG. a la fin de Télé. Nantes, Clisson.
Z. parvuta Bon. — AC. toute l'année, sur les haies, les
herbes. Nantes, Pornic.
Z. blandula Rossi. — R. Pornic, Verlou ; sur les haies.
Septembre.
Z. 77//œGcoff. — RR. prise h Nantes, en avril, dans un jardin.
Z. angusta Leth. — Vertou, en septembre. R.
*Z. bisigriata Mis. R. — RR. Nantes, sur les haies, en
novembre. Vertou, en septembre
STERNORHYNCHA Am. S.
Psyllides.
Livia juncorum Latz. — AC sur les joncs, au bord des
marcs, le long des fossés.
Psylla Cratœgi Schrk. var. triozoïdes Lalz. — Pornic,
sur l'aubépine. PC.
P. perrgrina Frst. — Sur l'aubépine; Nantes, Pornic, PC.
P. Fœrsteri Flor. — R. garennes de Clisson, sur les
aulnes, au bord de la Sèvre, en septembre.
P. Bnxi Lin. — AC sur le buis, autour de Nantes. Juin-
septembre.
P. melanoneura Frst. — Pornic, sur l'aubépine, de mai
à septembre. PC.
P. ambiyua Frst. — Un exemplaire, pris en août, sur le
saule, en Rezé.
Arytaina Genistœ Latr. — C surtout sur les genôts.
Pornic, Clisson.
*Homotoina Ficus Lin. — Un exemplaire pris en Rezé, à
la fin d'août.
LÀ CONTRÉE GUÉRÂNDÂISE
DEVANT L'HISTOIRE ANCIENNE
Par Mr E. ORIEUX.
I» PARTIE.
GRANNONE
Depuis une vingtaine d'années, diverses questions contro-
versées d'archéologie et d'histoire ancienne, concernant le
département de la Loire-Inférieure, ont été portées devant
les Sociétés savantes : la Société archéologique, l'Association
bretonne, le Congrès archéologique de France, ont entendu
tour à tour des dissertations sur les entreprises de César, sur
les incursions des Saxons, sur la situation ancienne de la
Grande-Brière et du Trait du Croisic, enfin sur les peuples
qui habitaient, vers le commencement de l'ère chrétienne,
la région de notre département Comprise entre la Brière et
le Croisic, entre Sainl-Nazaire et le bassin de Pompas.
D'après les nombreux ouvrages publiés dans ces derniers
temps, ce pays aurait été autrefois singulièrement privilégié :
entrepositaire de toutes les richesses de la Gaule et de. l'île
de Bretagne, il aurait abrité les villes les plus célèbres de
l'antiquité: la puissante Grannone qui maintenait les aventu-
118
reux Saxons; la Brivates aux 220 vaisseaux qui lutta, non
sans succès, contre le plus grand des capitaines; la riche
Corbilon qui fut la rivale de Marseille et de Narbonne; enfin
la mystérieuse Vénéda dont le pouvoir rayonnait sur toute la
côte vénétique.
Notre Société Académique était restée seule en dehors de
ce grand courant d'érudition. Mais voici qu'un de nos collè-
gues, qui connaît nos vieilles ruines et nos lieux antiques et
qui sait arracher au sol les secrets cachés par la poussière
des siècles, voici que M. Maître vient de saisir notre Société
des choses de l'antiquité qui divisent, qui attirent, qui
passionnent les savants du pays nantais.
Si les documents qui servent à écrire l'histoire avaient
toute la clarté nécessaire, et si les plus importants ne présen-
taient pas de regrettables lacunes, il est probable que les
questions historiques controversées seraient en bien petit
nombre. Mais les textes originaux manquent le plus souvent;
les copies ont des passages défectueux : ici, on a ajouté au
texte ; là, on a retranché du texte ; sur certains sujets, il
n'existe que des fragments insuffisants. Et puis nous avons
quelquefois une confiance naïve dans les auteurs qui ont
traité le sujet avant nous et dont le sentiment nous plaît, ou
de singulières audaces dans nos citations et nos conclusions.
11 s'ensuit que si nous n'avions pour nous guider, dans ces
sortes de questions, que le sentiment d'un écrivain ou d'une
école, nous risquerions fort d'être mal renseignés.
Le sentiment des hommes diffère, en effet, sur beaucoup
de choses: un objet apparaît à l'un comme ceci et à l'autre
comme cela. D'ailleurs, un objet ne peut être bien apprécié
que si l'on en peut embrasser toutes les faces: si tel observateur
n'en voit qu'une partie, et tel autre la partie opposée, on peut
affirmer, sans crainte de se tromper, que, malgré leur bonne
foi, ils seront en désaccord sur la valeur de l'objet. Cepen-
119
dant, en prenant a l'un et à l'autre les idées qui peuvent se
concilier, on doit arriver à entrevoir la vérité.
C'est dans celte pensée que j'ai cru pouvoir parler, après
notre savant collègue, des sujets controversés dont il a
entretenu la Société Académique. Je compte ne pas m'ar-
rêter aux choses qui me paraîtront étrangères au sujet que
j'ai l'intention de traiter. Mais je puis louer, si je ne dois pas
m'y arrêter, les recherches patientes de notre collègue, la
méthode bien ordonnée de ses fouilles et la persistance avec
laquelle il s'y est attaché.
CHAPITRE I.
De l'emplacement de Grannone.
D'après notre collègue, qui suit d'ailleurs la voie frayée
par un certain nombre d'écrivains, le premier nom de
Guérande est Grannom, et il en donne deux raisons prin-
cipales: la première tirée d'un chapitre de la Notice des
Dignités de l'Empire, et la seconde de la présence des
Saxons sur le littoral armoricain (i).
Dans la Notice, en effet, se trouvent les noms d'une
dizaine de villes situées entre la Loire et la Seine, et le
premier de ces noms est Grannone; croyant que l'énuméra-.
(') M. Maître a cru trouver d'autres raisons, notamment dans celte
observation, que lui fit un vieillard du pays, savoir : que les anciens don-
naient à la contrée le nom de Chdteau-Granon (page 275).
Si ce paysan avait connu ce nom de la tradition, transmise d'âge en âge
jusqu'à lui, pourquoi était-il seul â le savoir? Pourquoi n'étaient-ils que
deux? Pourquoi n'étaient-ils que trois? Mais par la tradition, le pays tout
entier l'eût connu.
Quant aux raisons tirées de l'abondance des ruines dans la contrée, elles
ne sauraient rien prouver en faveur de l'antique nom du lieu.
120
lion de ces villes suit un ordre régulier du midi vers le
nord, il en conclut que le premier nom ne peut convenir
qu'à Guérande.
Cependant il y a des doutes sur la valeur de certains
noms de la Notice : quelques auteurs ont traduit par Nantes
le nom de Mannatias ou Nannelalias, qui a le sixième rang;
Vannes est citée après Hennebont ou Auray, et Rouen avant
Avranches et un second Grannone que quelques antiquaires
croient devoir placer à Granville. On ne peut donc pas
affirmer, puisque cela n'est pas exact, que rénumération
des villes de la Notice suive un ordre régulier de la Loire à
la Seine; et, de l'ordre observé dans cet antique document,
on ne peut tirer aucune conséquence en faveur de Guérande.
Nous allons voir, d'ailleurs, que cette conséquence serait
encore sans valeur, môme si rénumération donnée par la
Notice suivait un ordre régulier de la Loire à la Seine.
Avant d'examiner celte Notice des Diynilés de l'Empire,
je crois utile de rappeler qu'en ce temps-là le nom de cité
était entendu dans le sens de territoire de nation ('); que
chaque cité avait une milice sédentaire préposée à sa garde;
que ces milices, commandées à l'origine par les autorités
locales, furent placées ensuite sous la surveillance de délé-
gués du pouvoir impérial, et que « dans les provinces fron-
» tières ou dans celles que le voisinage de la mer exposait à
» des excursions de pirates, elles pouvaient être appelées à
•> la défense du territoire {-). » Leurs chefs étaient, dans ce
cas, subordonnés aux officiers romains.
Les légions formaient le cadre permanent et le fond de
(<) « Nemausus forme une cite plus considérable que Naibonnc : clic a,
en effet, dans sa dépendance '.24 bourgs. •> (Strabon, liv. IV, ch. XII.)
(a) Manuel des Institutions romaines, par Bouché-Leclerq, p. 1%, 3*24 ,
325.
ni
l'armée romaine, et elles étaient composées de dix cohortes
(i). La cohorte de la légion élait commandée par un tribun
de cohorte, tandis qu'un préfet commandait la cohorte d'in-
fanterie auxiliaire. Le tribun, et c'est un fait sur lequel
j'appelle l'attention, le tribun était supérieur au préfet, qui
élait d'ordinaire un premier centurion, et la cohorte avait le
pas sur la milice.
Si nous ouvrons maintenant la Notice des Dignités de
l'Empire, nous y verrons que la garde du rivage nervien et
du rivage armoricain élait confiée a un officier général qui
avait sous ses ordres dix commandants, savoir: un tribun et
neuf préfets. Le tribun était à la tête de la cohorte de la
première Armorique nouvelle, elles neuf préfets comman-
daient les milices locales. Le tribun ayant le pas sur les
préfets, la cohorte sur la milice, il est tout naturel que
l'auteur de la Notice ait commencé son énumération par le
tribun, par la cohorte romaine. Mais le tribun était à Gran-
none: quelle que fût la situation de cette ville, elle devait
donc logiquement prendre le pas sur celles où comman-
daient les préfets.
Et c'est pour cela que l'auteur de la Notice a commencé
ainsi son énumération, sans souci de la situation de Grannone :
« Le tribun de la cohorte de la première Armorique
» nouvelle est à Grannone, sur le rivage où il y a des
» Saxons. »
Les neuf préfets viennent à la suite et dans un ordre qui
ne suit pas exactement la ligne régulière de la Loire à la
Seine; le préfet de Grannone est cité le dernier.
Je ne sache pas qu'on ait jamais relevé d'erreur dans le
(') Les légions qui gardaient la Gaule au temps de Ptolémée étaient
rchelonnées le long de la frontière du Rhin.
1*2
titre du paragraphe 25 de la Notice ; d'après ce titre, il y
avait dix commandants sous les ordres du général (duces)
auquel était confiée la garde du rivage armoricain et nervien.
Le rivage armoricain dépendait de la IIe et de la IIIe Lyon-
naise; le rivage nervien de la IIe Belgique. Or, tout le monde
me parait d'accord pour placer dans la IIe et la IIIe Lyonnaise
les neuf ou dix villes du paragraphe 25, a moins cependant
qu'on ne trouve quelque raison pour donner à la Belgique
une ou deux villes dont la situation est inconnue.
Le paragraphe 26 s'applique à la seconde Belgique qui a
un autre général pour chef; et c'est là qu'est le rivage
nervien où il y avait aussi des Saxons. 11 me semble donc
que le titre du paragraphe 25 comprend à tort le rivage
nervien.
Sous les ordres du duc du rivage armoricain, qui s'éten-
dait de la Loire à la Seine, il y avait donc dix commandants
qui étaient un tribun et neuf préfets : le tribun, je le répète,
était à la tête de la cohorte ou fraction de la légion; les
préfets, c'est-à-dire des officiers ou centurions romains,
étaient à la tête des milices locales qui devaient être formées
d'éléments appartenant à la cité, c'est-à-dire au corps de la
petite nation.
Cette situation nous permet de comprendre ce passage de
Zozime, qu'on applique au commencement du Ve siècle, de
l'an 407 à l'an 410 : « Les Armoricains et les peuples des
» Gaules... chassèrent les magistrats romains et établirent
» parmi eux nu nouveau gouvernement (*). »
Si les milices avaient été formées d'éléments romains, on
ne s'expliquerait guère que l'Armorique eût recouvré son
indépendance en chassant tout simplement les magistrats qui
représentaient l' Empire.
(') Hisioirr romaine, liv. VI.
123
L'énuméralion de ces milices peut donner lieu à quelques
observations. Les cinq milices de Blabia, Mannatias, Aleto,
Rothomago et Grannono portent des noms qui, sans paraître
étrangers à ces contrées, ne rappellent pas précisément les
noms des nations auxquelles elles appartiennent.
Pour les deux milices des Venètes et des Osismiens, le
nom de Maurorum, ajouté a Venetorum et à Osismiacorum,
semble indiquer que des Maures y occupaient une certaine
place.
Enfin, la milice de Constatia porte le nom de première
Flavie, et celle d'Abrincalis, le nom étranger de Dalma-
tarum.
On a remarqué que le nom de Grannone est écrit deux fois
dans cette première partie de la Notice, et on en a conclu
tout naturellement qu'il y avait deux villes de ce nom. Mais
les termes du document n'ont pas cette simplicité.
Chaque ville de la Notice a, selon l'usage, sa milice, qui
porte un nom correspondant généralement à celui de la cité;
la Grannone occupée par le tribun ne porte aucun nom de
cité et elle n'a point de milice. Pourquoi cette exception
dans l'énumération donnée par la Notice? Je n'en trouve
d'autre raison que celle-ci : la ville qui est dans la région des
Saxons est celle où le tribun a établi son quartier général
avec la cohorte de la première Armorique nouvelle, et il a
près de lui, dans la môme ville, la milice grannonensiurn
qui obéit à un préfet : la Grannone du tribun est la même
que celle du préfet.
J'aborde maintenant le second point, l'histoire des Saxons
dans nos contrées, laquelle pourrait bien n'être qu'une
légende encore assez jeune. J'ai déjà traité cette question
ailleurs : ici, je serai bref.
124
Si l'on a voulu tirer de la présence des Saxons sur la
Loire une conclusion en faveur de Grannone à Guérande, on
a commis, il me semble, un singulier anachronisme.
Vus de loin, les objets paraissent plus rapprochés; de plus
loin encore, ils se confondent. Et si nous ne cherchons pas
à régler, par des dates, la place des faits dans le temps, il
peut nous arriver, comme cela s'est vu quelquefois, de
confondre les générations et de prendre les petits enfants
pour les aïeux.
Les dates sont comme des fanaux qui éclairent les événe-
ments et permettent de les distinguer a de grandes distances.
Les Saxons ont fait une première apparition sur les côtes
de la Gaule et de l'île de Bretagne a la fin du IIIe siècle,
mais sans s'y arrêter. Ils ont reparu sur les côtes de la
Gaule dans la seconde moitié du IVe siècle, et c'est à cette
époque que nos historiens font remonter leur établissement
sur les contins de la Bretagne et de la Normandie. Ce sont
ces Saxons, alors colonisés, qui, en 451, répondirent à l'appel
fait par d'Aetius aux peuples de la Gaule pour marcher
contre Attila (').
C'est par Grégoire de Tours que nous savons le plus de
choses sur les Saxons de la Gaule. Les historiens sont
d'accord pour reconnaître que la Notice des Dignités a été
dressée au temps dTIonorius, entre la création de l'empire
d'Orient, qui eut lieu en 395, et le soulèvement des Amé-
riques, qui remonte de l'an 407 à 410 (-). Or, l'évoque
historien parle pour la première fois des Saxons, à propos
d'un événement qui eut lieu vers l'an 403. A cette époque,
(') Jornandès: Histoire des Uoihs, ch. XII. — t'.uizol : Grégoire de
Tours, liv. V, ch. XXII, en note. — Henri Martin: Histoire de France, I. I,
p. 260, 307, 370.
(J) De l'.aumonl. Cours d'antiquités, i. Il, p. 74.
dans le temps que Childéric, roi des Francs (i), portait la
guerre sous Orléans, Odoacrc s'avança jusqu'à Angers avec
ses Saxons, et, l'année suivante, il reçut des otages d'Angers
et d'autres villes.
Les écrivains modernes ont cru devoir ajouter à ce récit
que les envahisseurs avaient remonté la Loire en barques
pour aller a Angers. Eh bien, soit, quoiqu'on n'en sache
absolument rien. Mais cet événement arriva vers 463; la
Notice remonte à l'an 400 : dans le récit de Grégoire de
Tours, les Saxons d'Odoacre ne sont donc pas, ne peuvent
donc pas être les Saxons de la Notice, voilà qui est bien
certain : il ne faut donc pas les invoquer pour chercher à
fixer la situation de Grannone. Poursuivons.
Vers l'an 470, douze mille Bretons venus sur des vaisseaux
par l'Océan et conduits par Riothime, leur roi, remontèrent
la Loire pour aller au secours des Romains (2). Peu de temps
a[nès, Odoacre revint à Angers; mais Childéric, quoique
arrivé le jour suivant, le prévint et s'empara de la ville.
Ce fut alors que les Saxons en vinrent aux mains, on ne
sait en quel lieu, avec les Romains; qu'ils furent battus et
prirent la fuite, poursuivis par les vainqueurs; et qu'enfin
les Francs ravagèrent leurs îles, ou plutôt leur pays, et y
tuèrent beaucoup d'habitants (3).
Après cet événement, Childéric conclut un traité avec
Odoacre, et ils soumirent ensemble les Alamans qui avaient
envahi une partie de l'Italie.
Je ne sais, car c'est un fait contesté et fort contestable,
(') Sidoine Apollinaire en fait un maître de milice. (Lettre 33, |). 82, de
la collection Nisard.)
(s) Jornandès, eh. XV.
(3) Grégoire de Tours, liv. Il, cliap. XIX. Traduction Guizot. Des manus-
crits portent : insulœ eorum (leurs lies); d'autres, in solo eorum (leur pays).
126
si les Saxons d'Odoacre vinrent réellement sur la Basse-
Loire où les Francs auraient envahi et détruit leurs campe-
ments. Henri Martin, après avoir cru a ce fait, a fini par en
douter (')• Et on peut en douter, en effet, après avoir
remarqué la facilité avec laquelle les hommes du Nord,
Francs, Saxons et autres, franchissaient de grands espaces
pour piller la Gaule aux abois. Les Francs étaient venus
d'Orléans à d'Angers, dont la dislance, a vol d'oiseau, a
cinq lieues de moins que celle de Bayeux à Angers : on
peut logiquement admettre que les Saxons venus à Angers
n'étaient autres que les colons établis sur le littoral du
Calvados. On est certain que là il y avait des Saxons; on ne
peut pas affirmer avec certitude qu'il y en avait sur la
Loire.
Quoi qu'il en soit, si des Saxons vinrent, des bouches de
la Loire à Angers, vers 463, ce ne sont certainement pas
ceux-là que mentionne la Notice des Dignités, puisqu'elle
fut rédigée trois quarts de siècle avant cet événement.
On ne trouve pas de traces non plus de leur séjour dans
nos contrées. Riothime, allié des Romains, remonta la Loire
avec des centaines de barques entre les deux voyages que
les Saxons firent à Angers, et il ne semble pas qu'il les ait
rencontrés en un point quelconque du fleuve. Et puis, après
ce dernier voyage, Odoacre s'en alla avec ses troupes faire
la guerre chez les Alamans. Les Saxons ne restèrent donc
pas dans notre pays.
Du témoignage d'un contemporain de ce chef entreprenant,
(') S'agit-il de quelques îles de la Loire occupées par les Saxons ou bien
des fameuses lies saxonnes des bouches de l'Elbe (Histoire de France, 1. 1,
p. 399). Je répondrai volontiers: ni des unes ni des autres, mais du littoral
de Bayeux. On sait que, jusqu'à Chiidéric, les Fiancs n'occupaient que le
nord-est de la Gaule, et que Clo\is fut le premier de leurs rois qui envahit
l'Armorique, ce qu'il fit vers 491.
127
il résulte aussi que les Saxons ne séjournaient pas dans nos
contrées. Dans une lettre de l'an 470 adressée à Nammatius,
amiral d'Euric, roi des Goths, et chargé de poursuivre les
esquifs des pirates du Nord qui parcouraient le rivage sinueux
de TOcéan, Sidoine Apollinaire dit, en effet : « Avant de
» mellre à la voile pour quitter le continent, les Saxons
» étaient dans l'usage de mettre à mort le dixième de leurs
» prisonniers (i). »
Si un siècle plus tard, et même davantage, sous l'épisco-
pat de saint Félix, des Saxons furent rencontrés parmi les
bandes de fugilifs-qui infestaient notre région, aussi bien la
rive gauche que la rive droite de la Loire, il ne faut voir là
que des vagabonds sans patrie, de misérables débris d'armées
errant autour des villes, les enfants des Allains, des Goths
et des Saxons.
Un géographe estimé, auteur d'une Géographie de Grégoire
de Tours, qui a reçu l'approbation de M. Guizot, traducteur
du vieil historien, Alfred Jacobs déclare que nous ne connais-
sons les Saxons de la Loire que par quelques vers de Fortunat,
dont on a d'ailleurs beaucoup exagéré la portée (2). Après
nous avoir montré saint Félix occupé, pour modifier le lit
de la Loire ou de l'Erdre, à abaisser des montagnes et
combler des vallées, ce poète hyperbolique a écrit ces
quelques vers à la fin de son poème sur la Résurrection du
Sauveur:
« Félix attire a la foi des hommes égarés par les erreurs
» payennes... 11 adoucit les cœurs agrestes par de tendres
» paroles, et les épines, grâce à son zèle, se changent en
» moissons. Le Saxon, peuple farouche, et qui vit à la
(') Lettre 37e, p. 89 de la Collection des auteurs latins, publiée sous
la direction de M. Nisard (Sidoine Apollinaire). Nammatius avait sous sa
garde le rivage compris entre la Garonne et la Loire.
(a) Géographie de Grégoire de Tours, au mot Saxons.
12g
» manière des fauves, cède à voire charme, ô Félix, el le
» loup rend la brebis ('). »
On a cru devoir se servir de ce passage pour affirmer
qu'une colonie de Saxons habitait la Basse-Loire : ils occu-
paient la Brière ou le Croisic, disent les uns -, les îles situées
dans le voisinage de Nantes, disent les autres. C'est faire
trop de part à l'imagination, tout en reconnaissant qu'on n'est
sûr de rien.
Lorsqu'il écrivit la vie de saint Félix, Dom Lobineau n'a
vu que des restes d'armées disparues dans ces êtres qui
vivaient à peu près comme des animaux sauvages; et il
s'est bien gardé, comme on l'a fait plus tard, d'en faire une
colonie de Saxons et d'aller les placer au Croisic, à Montoir
ou dans les îles de la Loire (2).
L'événement que nous connaissons par Fortunat avait lieu
un siècle après le départ des Saxons d'Odoacre pour l'Alle-
magne, et près de deux siècles après la rédaction de la
Notice des Dignités. Ici encore, il ne peut pas être question
des Saxons de la Notice.
Le premier établissement Saxon dans la Gaule, dont
l'histoire fasse mention (3), remonte au IVe siècle et il eut
pour fondement le littoral du Calvados. Grégoire de Tours
constate que celte colonie de Saxons existait au Ve siècle
et au VIe, et qu'elle fournit plusieurs fois des milices aux
rois Francs, même aux comtes Bretons ('*) ; il n'a pas vu
de Saxons sur nos rive.-.
En résumé, les deux raisons qu'on nous a données, pour
(') Pièce 9<% liv. III, p. 93 de la Collection, comme ci-dessus (Fortunat).
Ou trouve dans Sidoine Apollinaire uue peinture pareille des conversions
faites par Paliens, évêque de Lyon. (Lettre 92, p. 145.)
(s) Dom Lobineau, Histoire des Saints de Bretagne, saint Félix, p. 123.
(3) Henri Martin, Histoire de France, t. I, p. 370.
(*) Histoire des Francs: liv. H, ch. XVIII et XIX; liv. V., CD. XXVII.
1-29
démontrer que Guérande occupe la place de Grannone, ne
sont confirmées ni par les écrits ni par les faits qu'on
invoque : par l'inscription de Grannone au premier rang de
ia Notice des Dignités de l'Empire, on ne peut pas conclure
que Grannone fut à Guérande ; et il est absolument impos-
sible de prouver qu'il y eut des Saxons sur le littoral de
Guérande au temps où fut dressée la Notice des Dignités de
l'Empire.
Je crois qu'Adrien de Valois est le premier qui ait songé
à placer Grannone à Guérande, et il a eu de nombreux
imitateurs. Il l'a fait, parce qu'il a mal lu la table de
Peulinger : il a vu le nom de Gravinum écrit sur cette
table auprès de celui de Veneli, et trouvant que Gravinum
approche de Grannone, il a conclu que Grannone était à
Guérande. Mais Gravinum est placé sur la rive droile de la
Seine, et le copiste de la table s'est trompé en écrivant le
mot Veneli à l'embouchure de ce fleuve. Le raisonnement
de de Valois manque de fondement.
J'ai cherché a démontrer ailleurs, dans une notice sur
Grannone, que l'emplacement de celte ville dut être dans
le Calvados, aux environs de Bayeux, dans ces lieux où
les Saxons furent rencontrés pendant trois siècles, du IV8
au VIe, sans aucune interruption (»). La ils avaient un terri-
toire assez étendu pour y former un corps de nation ; ils
devinrent assez puissants, soit pour guerroyer dans la Gaule
pour leur propre compte, soit pour joindre leurs milices,
tour à tour, aux forces des Romains, des Francs et des
Bretons. On ne rencontre rien de pareil, si on y rencontre
quelque chose, sur cette partie de notre littoral qui appar-
tient à la contrée guérandaise.
(') De la station Gallo-Romaine de Grannone. C'est l'opinion de Danville.
{Notice de l'ancienne Gaule, p. 358.)
180
CHAPITRE II.
Des mouvements du sol.
Avant de passer a l'examen de la seconde ville disparue,
il me parait nécessaire de dire quelques mots sur le retrait
ou l'envahissement de la mer, parce que ce sujet est encore
diversement compris , et que ces expressions , retrait ,
envahissement, donnent encore lieu à des interprétations
erronées.
Dans la recherche de la vérité il faut ne se servir que
d'expressions exactes : d'une expression inexacte doit découler
une conclusion fausse.
Ces expressions, la mer s'est retirée, la mer a avancé,
doivent être prises pour des images. C'est ainsi que nous
disons : le soleil se lève, le soleil se couche, pour exprimer
une apparence, tout en sachant que le soleil ne se lève pas,
qu'il ne se couche pas. Ces expressions ne sont vraies que
lorsqu'elles s'appliquent aux mouvements des marées.
La mer nous apporte des dépôts de sable ; elle forme des
alluvions d'argile ou de calcaire ; elle nourrit des coraux
qui se superposent pour former des îles ou agrandir des
continents ; mais elle ne se retire pas. Elle détruit et enlève
des rivages dont elle prend la place : mais elle ne s'élève
pas.
L'argile que les eaux de la Loire tiennent en suspension
forme ;ms>i des iles el des prairies : dirons-nous que la
Loire se relire ? Le courant du fleuve ébrèche ses rives :
dirons-nous que le fleuve s'élève?
Le niveau de la mer est une surface en équilibre. Si un
point quelconque de cette surface conserve une position
invariable, tous les autres points resteront invariables ; les
131
eaux ne peuvent s'élever ni s'abaisser d'une manière per-
manente, dans une partie quelconque de leur surface, sans
entraîner, dans les autres parties, des changements corres-
pondants.
Or, il est reconnu que, depuis les temps historiques, et
dans un grand nombre de lieux, les mers n'ont pas subi
la moindre variation : « Donc, conclut Beudan, leur surface
» générale n'est pas changée et la constance du niveau
» devient le fait le plus positif que nous puissions avoir,
» puisqu'il a subi l'épreuve de tous les âges ('). »
Les côtes du Chili, sur une étendue de plus de 200 lieues,
ont subi des transformations remarquables pendant les trem-
blements de terre de 182G2, 1835 et 1837. « Des rochers
» jadis cachés sous l'eau se sont élevés de 2 à 3 mètres
» au-dessus de son niveau avec les coquillages qui vivaient
» à leur surface ; des rivières qui débouchaient sur ces
» côtes, sont devenues guéables là où de petits bricks pou-
» vaient autrefois naviguer ; en mer, des mouillages bien
» connus ont diminué de profondeur dans la môme propor-
» lion, et divers points où l'on passait facilement opposent
» aujourd'hui des hauts-fonds aux bâtiments qui tirent
» beaucoup d'eau (^). » Et dans le même temps, les côtes
de la Californie, du Pérou, de la Patagonie ne subissaient
aucune variation. Si la mer s'était abaissée au Chili, com-
ment expliquer son immobilité sur les côtes voisines ? Ces
changements opérés de nos jours sont dus tout simplement
à un soulèvement du sol au Chili : car si la mer s'y était
abaissée, elle se serait aussi abaissée dans tous les lieux
qu'elle baigne.
La science a constaté un grand nombre d'affaissements
(4) Géologie, p. 24, § 22.
(5) Géologie de Beudan, p. 11, § 20.
13-2
et de soulèvements du sol dans les temps historiques et de
nos jours. La saine géologie se garde bien d'attribuer ces
mouvements au retrait ou à l'envahissement de la mer.
Il nous sera donc permis d'affirmer ceci : lorsqu'cw-
dessous du niveau de la mer, nous rencontrons un sol qui
porte la trace de l'habitation de l'homme ou des débris de
végétaux croissant sur la terre, ce sol a subi un affaissement ;
lorsqu' au-dessus de ce même niveau, nous trouvons un
sol qui porte l'empreinte de végétaux ou d'animaux marins,
ce sol a éprouvé un soulèvement.
IIe PARTIR.
LE PORT BRIVATES.
CHAPITRE III.
De l'emplacement de Portas Brivates.
Les Romains et les Venètes.
Nous avons parlé, en premier lieu, de la ville puissante
qui couronnait le plateau de Guérande. Voici tout près de
la, nous dit-on, au bas même du plateau, une ville considé-
rable, plus puissante encore, dont le port s'étendait de
Penbron à Beslon, sur une longueur de plus de deux lieues.
M. Maître lui donne le nom de Portus Brivates (').
Je ne connais, dans l'antiquité, qu'un seul géographe qui
ait parlé du Port Brivates : c'est Ptolémée ; il en fixe la
situation à un quart de degré au nord de l'embouchure de la
Loire, et exactement sous la même longitude. Mais on invoque
aussi le témoignage de Slrabon, par la raison que celui-ci
cite les bouches de la Loire comme étant un des quatre
points de la Gaule où l'on s'embarquait pour Pile de Bre-
tagne.
(') Voir dans les Annales de la Société Académique, annde 1889, la
carte hydrographique, planche 111, qui accompagne le texte de M. Maître.
134
Il a été dépensé beaucoup d'érudition en ce sujet, soit sur
la constitution géologique du Trait du Croisic, soit sur les
cataclysmes qui ont transformé notre littoral, soit sur les
nombreux établissements gallo-romains de la contrée, pour
chercher a prouver que le Trait n'a pas subi de changements
depuis dix-huit siècles, qu'un port y existait à celte époque
reculée, et que ce port était le Porlus Bricoles.
Sans m'attarder au milieu des nombreux détails dont les
récits sont semés ; sans m'arrêler à prouver, je le ferai plus
loin, que le moulin de Treveday, que les caves voûtées de
Kerbouchard, loin d'être de l'époque gallo-romaine, n'ont pas
quatre siècles d'existence ; sans me demander si les antiques
vestiges trouvés à peine au-dessus des hautes mers, quel-
ques-uns même au-dessous, ni si les couches de tourbe
rencontrées à des niveaux que les grandes marées recouvrent
de 2ra,00 dans l'anse de l'Enclis, de 3m,00 dans la
baie de La Turballe, de plus de 5m,00 au bas de la plage
Valentin ; sans me demander, dis-je, si toutes ces choses ne
sont pas des indices de l'affaissement du sol et la preuve
qu'un changement important s'est opéré dans la situation
hydrographique du Grand-Trait, tout cela important peu à
la cause, j'aborderai tout de suite le cœur du sujet.
Ptolémée, dit-on, n'indiquant qu'un seul port sur nos
côtes, entre la Loire et la Vilaine, il a naturellement signalé
le plus fréquenté, celui qui contenait 220 vaisseaux au temps
de César, celui qui, au dire de Strabon, était situé a l'em-
bouchure de la Loire et servait de port d'embarquement
pour la Grande Bretagne (') ; enfin celui aux abords duquel
il a été rencontré tant d'établissements industriels : c'est-à-
dire, le bassin du Croisic.
(') Annales de la Société Académique, ann<?e 18SD, pages 324, 325.
Porttis lfrivates, par M. Maître.
135
Pour répondre à cet exposé, où je vois qu'on admet comme
étant acquises aux débats, des choses qui ne sont pas encore
prouvées et ne peuvent pas l'être, je commencerai par
éliminer Strabon : « Il y a quatre points sur le continent,
» dit ce géographe, d'où s'effectue habituellement la traver-
» sée dans l'île de Bretagne, ce sont les bouches du Rhin,
» de la Seine, de la Loire et de la Garonne (i). »
On croit qu'il faut étendre au littoral le sens de ces mots,
les bouches du fleuve, jusqu'aux lieux où l'action des eaux
de la Loire se fait sentir. Je pense, en effet, que, dans le cas
présent, on peut donner une certaine extension à l'expression
de Strabon, mais dans le sens contraire, en ayant en vue,
non le littoral, mais l'amont du fleuve jusqu'aux lieux où
V action du flot se fait sentir.
Le Groisic est sur l'Océan, loin des bouches de la Loire ;
si l'on trouve quelque raison pour aller chercher jusque-là le
port d'embarquement pour l'île de Bretagne, on en trouverait
de bien meilleures encore pour le chercher vers les lieux de
l'amont où portent les marées du fleuve.
Si nous lisons attentivement les divers passages où Strabon
parle du commerce de la Gaule avec l'île de Bretagne, nous
pourrons remarquer que les marchandises expédiées du midi
de la Gaule descendaient généralement nos grands fleuves
de l'Océan et de la Manche : de Narbonne, elles se servaient
de la Garonne ; des bords du Rhône, elles empruntaient la
Loire ou la Seine. Dans le sens contraire, les anciens préfé-
raient la voie de terre. « On fait aussi passer, dit Diodore de
» Sicile (2), beaucoup d'élain de l'île de Bretagne dans la
(') Géographie de Strabon, liv. IV, ch. V, § 2.
_(-) Liv. V, § 28. M. Maître (p. 285) fuit dire à Diodore que le peuple
venètu expédiait les cargaisons de la Grande-Bretagne à Narbonne en 30
jours, et il renvoie pour cela au liv. IV, § 22, de l'historien où il n'est
question que des travaux d'Hercule.
136
o Gaule située en lace ; les marchands le chargent sur des
» chevaux et le transportent a travers la Celtique jusqu'à
» Marseille et a Narbonne. »
On se servait donc, dans une certaine mesure, de la voie
des fleuves pour transporter les produits destinés à l'île de
Bretagne. Mais comment prouver que les barques de la Haute-
Loire, qui n'étaient pas faites pour les tempêtes de l'Océan
et trouvaient des abris sans danger vers l'amont de l'embou-
chure, comment prouver que ces barques faites pour des
eaux tranquilles, allaient porter leurs marchandises jusqu'au
Croisic, afin qu'on pût les y embarquer pour l'île de Bre-
tagne? L'emporium de la Gironde n'était pas sur le littoral :
il était à Bordeaux ; avant Strabon, celui de la Loire était a
Gorbilon, dont on cherche en vain la trace, mais il était sur
la Loire : tout ne nous dit-il pas qu'au temps de Strabon,
il devait être encore sur le fleuve, dans un lieu que les
barques pouvaient atteindre sans danger, plutôt que sur
l'Océan, à six ou sept lieues du fleuve, et dans un lieu
inaccessible aux barques construites pour naviguer à l'abri
des rives ?
D'ailleurs, Strabon fixe lui-même le sens qu'il attache à ces
mots : les bouches d'un fleuve, quand il dit : « Bordeaux,
» ville située au fond d'un estuaire que forment les bouches
» de la Garonne ('). »
Le passage invoqué ne prouve donc rien en faveur du
Trait du Croisic ; il ne donne aucun appui au texte de
Ptolémée (2).
(') Liv. IV, cl). Il, § 1er.
(2) On trouve dans les copies de la Géographie de Strabon, comme dans
toutes les copies des anciens auteurs, des omissions ou des transpositions
t|ui dénaturent souvent le sens de la phrase. En voici un exemple :
« Le Liger, dit Strabon, est tributaire de l'Océan, et comme le trajet i|in
>i M*pare |a cote île Bretagne de l'embouchure des fleuves de la Gaule n'est
137
Mais dans cette question du Port Brivates, on a singulière-
ment agrandi le cadre du sujet : on nous a entretenu de la
flotte de Brutus, des ports du littoral compris entre le
Croisic et la baie de Quiberon, des limites des Venètes en
un point de leur frontière du midi, enfin des lieux où César
eut raison de ce peuple et de ses alliés. Je vais aborder ce
sujet qui, depuis plus de vingt ans, a fait naître tant de
dissertations de nos archéologues.
Les navires gaulois qui concouraient à la défense de ces
lieux et qui luttèrent au nombre d'environ 220 contre la
flotte de Brutus, provenaient en partie des ports divers de
la Vénétie ; l'autre partie appartenait aux alliés du littoral de
la Manche qui étaient entrés dans la conjuration. Voici ce
qu'en dit César : « Cette bataille mit fin à la guerre avec
» les Venètes et avec tous les peuples de la côte. En effet : . . .
» tous leurs «aisseaux avaient été réunis sur ce seul point :
» après les avoir perdus, les ennemis n'avaient plus ni
» retraites, ni moyens de défendre leurs villes (<). »
M. Maître pense que le Trait du Croisic, « ce Morbihan en
miniature, » était le seul port qui pût contenir les 220 navires
réunis par les Venètes et leurs alliés; il n'y avait pas de
» que de 320 stades, en parlant le soir avec le reflux, un peut aborder le
». lendemain dans cette île vers la 8e heure ('2 heures après midi). Liv. IV,
» ch. 111. »
Il est bien évident qu'il se s'agit pas ici des fleuves de la Gaule puisqu'ils
sont à des distances très différentes de l'île de Bretagne ; d'ailleurs les 320
stades qui représentent environ 50 kilomètres, ne sont applicables à aucun
d'eux. Cependant si nous nous reportons a quelques pages plus loin, nous
saurons ce que Strabon a voulu dire. En effet : « César, continiie-t-il,
» s'embarqua de nuit à Itium, et le lendemain, vers la 4e heure (10 heures
» du matin), il aborda dans l'île, ayant franchi la distance de 320 stades
» que mesure le détroit (liv. 111, ch. 1). »
(<) Commentaires : liv. III, ch. XVI.
138
refuge digne de ce nom, dit-il, sur la cote de Sainl-
Nazaire à Port-Navalo ; et, pour le prouver, il cite Mesquer
et Pcnerf, puis Port-Navalo, c'est-à-dire un point à l'entrée
du Morbihan, et Locmariaker, une anse dans la rivière
d'Auray (»)•
Mais, et je laisse de côté la Vilaine qui a toujours de
bons mouillages et qui, encore au siècle dernier, pouvait
abriter les grands vaisseaux de l'Etat, niais on oublie cette
mer intérieure cinq fois plus vaste que notre Grand-Trait,
c'est-à-dire le Morbihan qui avait, il y a deux siècles, treize
brasses d'eau à son entrée (plus de c2\ mètres), et jusqu'à
onze brasses dans son intérieur; on oublie, en citant Locma-
riaker, d'y ajouter la rivière d'Auray qui est fort large et
dont les profondeurs atteignent encore de dix à vingt-deux
mètres. Et si nous allons plus loin, pour entrer dans le
système des auteurs qui croient que la grande lutte des
Venètes eut lieu au nord de la presqu'île de Qtiiberon, nous
trouverons le vaste estuaire du Blavet où évoluent encore à
l'aise les flottes de l'Etat; plus loin encore, toujours en
restant chez les Venètes, il y a des abris qui n'ont rien à
envier au Trait du Croisic. Le Croisic n'a même rien de
comparable à ces abris. Il ne faut donc pas exagérer son
importance et ne rien voir qui vaille en dehors de lui.
Il est plusieurs fois question, dans les Commentaires, des
ports des Venètes. Il y est dit, au chapitre VIII : « Les Venètes
» sont maîtres du petit nombre de ports disséminés sur celle
» mer immense et orageuse. » Et plus loin, au chapitre IX:
« Les Venètes savaient que la navigation était difficile, à
•) cause de l'ignorance des parages et de la rareté des
» ports... Les Romains ne connaissaient ni les sondes, ni
» les ports, ni les iles de cette côte où ils allaient l'aire la
(') Annalet de la Société Académique, p. IJOG.
139
» guerre. » Enfin, plus loin encore, au chapitre XII: « Nos
a navires étaient retenus par des tempêtes, et il était très
» difficile de naviguer sur cette mer vaste et ouverte ayant
» de grandes marées et dont les ports étaient rares et
» presque nuls. »
Je vois, par les deux premiers passages, que les Romains
ne connaissaient pas les ports où ils allaient faire la guerre,
et que César croyait que ces ports étaient peu nombreux.
Mais je ne confonds pas précisément le passage du chapitre
XII avec les deux autres : et par celte côte dont les ports
sont rares et presque nuls, c'est-à-dire sans importance, je
comprends qu'il s'agit de la côte devant laquelle, doit passer
la flotte romaine pilotée par les Pictons, et qui trouve la
navigation fort difficile. S'il n'en était pas ainsi, comment,
après avoir déclaré que la marine des Venètes est très pais-
sante et qu'il ne connaît pas les ports de la Vénélie, comment
César viendrait-il dire que ces ports sont presque nuls?
Quelle autre explication que la mienne faut-il donner a ce
dernier passage des Commentaires?.
11 est bien certain qu'au temps de la conquête romaine, il
y avait, comme aujourd'hui, d'excellents ports sur le littoral
des Venètes; c'est sur la côte samnite qu'ils étaient, comme
aujourd'hui, de peu d'importance.
César était en Italie lorsqu'il apprit le soulèvement des
Venètes contre l'autorité romaine. Il ordonna qu'en l'atten-
dant on construisit des navires de guerre sur la Loire,
lesquels devaient se réunir aux vaisseaux des Pictons, des
Santons et des autres régions qui étaient en paix avec les
Romains.
A. ce sujet, je lis dans M. Maître: « Quand les trirèmes
» commandées chez les Andes et les Pictons, dit César,
» furent terminées, la flotte reçut l'ordre de se conceu-
140
» trer. » « Le point de rassemblement était, sans nul
» doute, à l'embouchure de la Loire, en face de Noirmou-
•> tiers ; un amiral de nos jours n'agirait pas autrement. »
Après ce bref exposé, les lignes suivantes viennent immé-
diatement, comme si rieu ne s'était passé dans l'intervalle :
« Dès que la jonction fui opérée, dit César, la flotle
» des Venètes sortit du port. » « Quel peut être ce port,
» si ce n'est celui du Trait du Croisic où les bateaux plats
» des Venètes pouvaient mouiller en grand nombre, en
» attendant la flotte romaine, et sortir rapidement par les
» deux embouchures du Pouliguen et de Penbron ('). »
Eh bien, en effet, malgré les hauts-fonds de granit qui, à
marée basse, empêchent de naviguer dans ces deux embou-
chures, malgré l'affaissement qu'a subi le Grand-Trait, et
dont plus loin nous comptons donner la preuve, si la flotte
des Venètes sortit du port, pour commencer l'attaque, dès
que la jonction des flottes ennemies fut opérée vers l'embou-
chure de la Loire, c'est que le port des Venètes n'était pas
loin de là. Et je comprends la conclusion qu'on en lire, à
savoir que ce port était vers le Croisic. Mais ce n'est pas
ainsi que les choses se sont passées.
Pour le prouver, je n'ai qu'à citer César. Je le copie donc,
en me croyant obligé d'allonger un peu mes citations pour
donner plus de sûreté à mes conclusions. D'ailleurs, en me
servant de passages incomplets ou en cousant ensemble des
phrases isolées, je pourrais ra'exposer à ne pas rendre conve-
nablement, ii ne pas rendre du tout la pensée de fauteur.
Avant de partir pour l'Italie, « César avait mis ses légions
» en quartier d'hiver chez les peuples de Chartres, de Tours
» el d'Angers (-). » A son retour en Gaule, c'est la qu'il les
(*) Annales de la Société Académique, p. 305, 306.
(,J) Commentaires, liv. II, ch. XXXV.
141
retrouva et il prit immédiatement ses dispositions pour com-
mencer la guerre : « César fait partir Crassus pour l'Aqui-
» laine , disent les Commentaires , avec douze cohortes
» légionnaires et une nombreuse cavalerie , afin que les
» Gaulois ne tirent pas de secours de ces contrées et que ces
» nations si puissantes ne se liguent point entre elles. Il
» détache le lieutenant Sabinus avec trois légions chez les
» Unelles, les Curiosolites et les Lexoviens, pour occuper
» leurs forces. 11 donne au jeune Brutus le commandement
» de la flotte et des vaisseaux gaulois , rassemblés chez les
» Pictons, les Santons et dans les autres contrées soumises,
» et lui ordonne de partir pour la Vénétie dès qu'il le
» pourrait. Il s'y rend lui-même avec ses troupes de terre
» (i). »
En dehors du corps d'armée qui se rend en Vénétie avec
César, trois lieutenants sont donc chargés d'une mission qui
les sépare du commandant en chef: Brutus aussi bien que
Crassus et Sabinus. La flotte de Brutus, composée d'éléments
fort divers, était loin des lieux où campaient les légions ;
César et Brutus durent donc se séparer dès le début de
l'entrée en campagne.
Cependant il faut qu'il y ait dans la manière de voir des
hommes des divergences bien extraordinaires. César dit a
Brutus : Je te donne le commandement de la flotte romaine
et des vaisseaux de l'Océan, nos alliés, et je t'ordonne dé-
partir pour la Vénétie aussitôt que lu le pourras ; moi je
m'y rends sans retard avec mon infanterie. Eh bien, les
auteurs du nouveau système croient devoir faire partir
ensemble la flotte et l'infanterie : d'après eux, l'infanterie et
la flotte descendent la Loire, l'une sur la rive, l'autre sur le
fleuve, de manière à pouvoir se secourir mutuellement; mais
(') Idem, liv. lll.ch.XI.
1 5të
ces auteurs ne sont point d'accord: les uns placent Tannée
de terre sur la rive droite; les autres sur la rive gauche ; et
ceux-ci se servent des vaisseaux de Brutus pour faire passer
César et sa fortune de Mindin à Saint-Nazaire. M. Maître,
qui voit les Nannèles entre les Angevins et Saint-Nazaire (*),
croit que César a dû venir d'Angers à Méan en suivant le
bord de la Loire, afin de protéger sa flotte et d'être ravitaillé
par elle (2).
Je ne sais si l'on a songé que les Nannètes, dont on fait
traverser tout le territoire par les légions, pouvaient bien
être les alliés des Venètes ; mais si une opération de cette
importance avait été accomplie, une phrase concise des
Commentaires, je n'en saurais douter, n'eût pas manqué de
nous l'apprendre.
Cependant César est arrivé en Vénélie. L'attaque est com-
mencée. L'habile capitaine trouve des obstacles inattendus.
Il est surpris par les moyens qu'emploie la défense.
« Ainsi le flux et le reflux, dit-il, nous empêchaient égale-
» ment d'assiéger les places des Venètes, et si quelquefois
» la mer, vaincue par d'immenses travaux, était repoussée
» par nos digues, quand nos terrasses atteignaient à peu
» près la hauteur des remparts, les ennemis, désespérant de
» leur salut, faisaient avancer un grand nombre de leurs
» vaisseaux, ce qui leur était extrêmement facile, y erobar-
» quaient toutes leurs richesses et se reliraient dans les
» places voisines, où ils recommençaient à se défendre avec
» les mêmes avantages de position. C'est ce qu'ils firent
» pendant une grande partie de l'été, d'autant plus aisé-
» ment que nos navires étaient retenus par des tempêtes et
» qu'il était très difficile de naviguer sur cette mer vaste et
(«) Annales de la Société Académique, p. 337, 338.
(a) — — note de la page 311.
143
» ouverte ayant de grandes marées et. dont les ports étaient
» rares et presque nuls (raris ac prope nullis porlubus)
» (i). ,,
« Plusieurs places avaient été enlevées, continue l'histo-
» rien, mais César, voyant que tant de travaux étaient
» inutiles et qu'en prenant des villes il ne pouvait ni empê-
» cher l'ennemi de fuir, ni lui faire du mal, résolut d'attendre
» la flotte. Dès qu'elle fut arrivée, après avoir été aperçue
» d'abord par les ennemis (<œ primum ab hostibus visa
» est), environ 220 vaisseaux parfaitement équipés sortirent
» du port et se rangèrent devant elle (-). »
De celte nouvelle citation, je reliens ceci : César avait
commencé l'attaque des VenÔtes en attendant sa flotte;
celle-ci fut retenue par des tempêtes; elle dut naviguer en
haule mer, sur une mer ouverte, devant une côte dont les
ports étaient rares, sans importance; César l'attendit une
partie de l'été en faisant d'immenses travaux qui n'ont rien
d'applicable au Trait du Croisic, en livrant des combats qui
n'étaient pas sans difficultés; enfin la flotte de Brutus fui
aperçue par les Venètes avant de l'être par les Romains.
Je tire ici tout naturellement une conclusion différente de
celle que je combats: le théâtre de la lutte avait une grande
étendue, les vaisseaux de Brutus en étaient fort éloignés et
le port d'où sortirent les vaisseaux venètes n'était point dans
le voisinage de l'embouchure de la Loire.
Admettons cependant un instant, pour voir où cela peut
nous conduire, admettons qu'il s'agisse du Trait du Croisic,
favorisé d'une double sortie du côté du Pouliguen et du côté
de Penbron : dans ce cas, la côte qui a des ports quoique
rares et presque nuls, mais enfin qui a des ports; celte côte
(') Commentaires, liv. 111. ch. XII.
(a) — liv. ill, ch. XIV.
144
devant laquelle navigue péniblement la flotte de Bi'utus, et
qu'elle met si longtemps à dépasser, c'est donc tout simple-
ment la belle falaise dénuée du moindre abri qui s'étend de
Saint-Nazaire à Chcmoulin? La mer ouverte et vaste où les
vaisseaux de Brulus maudissent les éléments pendant une
partie de l'été, c'est donc la baie où débouche la Loire et
qui se trouve comprise dans le quadrilatère ayant pour
sommets Saint-Nazaire, Mindin, La Plaine et Chemoulin?
Mais ce n'est pas là ce que dit César. Il donne une autre
idée, une idée autrement grande des fatigues de sa flotte,
des tempêtes qui la retinrent, du temps considérable qu'elle
perdit avant de pouvoir arriver jusqu'à lui. Il y avait quelques
ports de peu d'importance sur le littoral devant lequel elle
passait, tandis qu'il n'y en a point entre Saint-Nazaire et
Le Pouliguen ; le but qu'elle avait la mission d'atteindre
était loin d'elle et non pas à sa portée.
Eh bien, même avec tout cela, il y a dans ^ récit de
César une toute petite phrase d'une ligne qui suffirait, à elle
seule, pour faire crouler tout le système plein de hardiesses
et d'invraisemblances qui m'est opposé ; c'est celle-ci : « La
» flotte de Brulus fut aperçue d'abord par les Venètes. »
Depuis le moment où César partant directement pour la
Vénétie avec ses troupes de terre, donna l'ordre à Brulus
de le rejoindre à la lêle de la flotte, le plus tôt possible, le
capitaine et le lieutenant sont absolument séparés ; cela
résulte clairement de la lettre et de l'esprit des Commentaires.
Si nous admettons cependant cette situation invraisemblable
que César soit devant le Grand-Trait à la poursuite des
Venètes ; que ceux-ci, grâce à leurs nombreux vaisseaux,
se dérobent à chaque instant, abandonnant la ville où ils
sont menacés pour aller se réfugier dans la ville voisine où
ils trouvent le même moyen de se défendre, c'est-à-dire
fuyant le petit rocher de Saille pour la petite anse de Congors,
145
le petit hameau de Pradel pour son petit voisin l'Enclis, et
cela, pendant toute la belle saison, à portée du trait des
légions qui couvrent la plaine ; si nous admettons cet infime
théâtre, un pays plat sans étendue, sans moyens de défense,
pour une lutte si grande, si compliquée, si difficile, il faudra
bien admettre aussi que le conquérant est le maître du
plateau qui s'étend jusqu'à Saint-Nazaire ; il avait, dans ce
cas supposé, un trop grand intérêt à se maintenir en rapport
•avec ses vaisseaux, qui sont près de lui, pour négliger de le
faire.
La plupart des partisans de ce système, croyant, sans sujet,
que la Vénélie s'étendait jusqu'à la Loire, font d'ailleurs
accompagner César par Brulus jusqu'au bas du fleuve. Quant
à M. .Maître, il reconnaît que les Samnites s'étendaient de la
Loire jusqu'à Saille (i), pourquoi Saille; et il pense que
Brulus n'a dû se séparer de son chef qu'à Méan.
Dans ces cas divers, César arrive donc par Saint-Nazaire
devant les marais salants. Entre l'embouchure de la Loire
et ces marais, le conquérant est donc sur le territoire des
Samnites qui ne sont pas ses ennemis et ne peuvent être que
ses alliés ; il est donc en communication avec sa flotte, non
pas d'après les Commentaires, mais ainsi que cela résulte des
récits que je combats.
C'est donc sous les yeux de César que la flotte romaine se
réunit aux flottes alliées des Piclons, des Santons et autres
peuples amis des Romains ; c'est encore sous ses yeux que
les flottes réunies luttent, luttent longtemps, contre les
tempêtes dans l'estuaire de l'embouchure de la Loire.
De la pointe de l'Eve, du tumulus de Saint-Marc, des hauteurs
de Chemoulin, César est témoin de la situation malheureuse de
Brulus qui, pendant une grande partie de la belle saison, ne
(') Annales de la Société Académique, p. 338.
10
146
trouve pas un seul jour pour se rendre de Saint-Nazaire au
Pouliguen. Eh bien, le jour fortuné où Brutus, toujours sous
le regard de César, est enfin favorisé de la brise pour faire
voile ou force de rames vers le Grand-Trait, est-ce que
Tannée romaine a fermé les yeux tout exprès pour laisser le
soin aux Venètes d'apercevoir, les premiers, les flottes de
leurs adversaires ?
Est-ce qu'il y a une ombre de vraisemblance dans celte
proximité de la flotte de Brutus et de l'infanterie de César, t
si les Venètes sont les premiers à signaler l'apparition de,
leurs ennemis?
Non. Il faut donc admettre encore que les Venètes étaient
bien loin de la, bien au delà de la côte du Croisic et de
Piriac.
Dans ce sujet, je n'ai point de système préconçu ; j'inter-
roge surtout les anciens ; j'étudie, je compare et je conclus.
Le système qui m'est opposé n'est point né de la lecture de
nos vieux historiens ; il a pris son essor de nos jours.
Le premier en date, de ces historiens, Alain Bouchart (t)
écrivit ses Grandes Chroniques de Bretagne, au temps où
la duchesse Anne était reine de France ; il avait puisé dans
les anciennes histoires, dans les vieilles chroniques, dans les
vieux livres et les vieux registres ; il avait peu de critique,
mais au contraire une certaine confiance dans la légende :
il était de son temps. Les Commentaires de César lui ont
servi de guide pour la guerre des Venètes. Je vais le copier
en rajeunissant son vieux style.
Après avoir parlé, comme dans le livre latin, des précau-
tions que prend César lorsqu'il envoie trois de ses lieutenants
(') Pierre Le Baud, son contemporain, ne fut imprimé que longtemps
après Bouchart.
147
pour surveiller les Gaulois dont il pouvait craindre un retour
offensif, Alain Bouchart continue ainsi :
« De tous les navires que César avait fait faire en Provence
» et en Loire, il fit Decius Brutus, conducteur, et le chargea
» que, sitôt qu'il pourrait, il menât les navires à Vernies. »
On voit que Bouchart n'oublie pas le mot de César, sitôt
» qu'il pourrait. César conserva, pour sa part, tous ses
» gens a pied. Quand César fut venu au pays de Vennes, il
« fit faire tout de suite les engins pour prendre les châteaux,
s II est bien vrai que César prenait des châteaux, mais il ne
» pouvait retenir les habitants qui s'enfuyaient tous par
» navires.
» Quand il vit qu'il se travaillait en vain, parce qu'il ne
» pouvait prendre ni retenir ses ennemis qui tous fuyaient
» par eau, de forteresse en forteresse, il ordonna qu'ils
» fussent en souffrance par trêve, en attendant que Decius
» Brutus vînt avec toutes ses nefs, lesquelles il amenait par
» grande difficulté, pour ce qu'ils trouvaient petit de port et
» d'eau pour nager ; car ses nefs étaient faites de telle sorte
» qu'en nageant on les conduisait.
» Decius Brutus vint avec tous ses navires droit à
» Vennes (i). » Ainsi parle Alain Bouchart, qui connaissait
bien Le Croisic et qui s'est bien gardé d'y placer les forces
des Venètes.
Dom Lobineau est plus réservé ; il renvoie à César, et se
borne à écrire ces trois lignes : « Les Armoricains soulevés
» par ceux de Vannes, se révoltèrent aussi-tost, et César
» punit leur rébellion avec le bonheur qui lui estoit
» ordinaire (2). »
Dom Morice se borne à traduire tout simplement les
(4) Les Grandes Chroniques de Bretaigne, liv. 1, feuillet 12.
(a) Histoire de Bretagne, p. 1.
148
Commentaires ; mais son sentiment n'est pas douteux :
« Enfui, dit-il, César donna le commandement de son armée
» navale à Brulus. Ayant ainsi pourvu à tout, il prit la
» roule de Vannes avec les troupes de terre. On conçoit
» parfaitement que les Venètes étant maîtres du Morbihan,
» pouvaient passer sans aucun risque d'une place à l'autre
» et se secourir mutuellement ('). »
Le nouveau système n'est point d'accord avec nos vieux
historiens bretons (-). Est-ce donc sans motif que ces vieux
historiens ont tous placé le lieu du combat au nord de la
Vilaine ? Non. Ils connaissaient les raisons que nous avons
données, et au-dessus de ces raisons, il y a celle-ci qu'ils
connaissaient bien aussi : les Venètes n'eussent pas été chez
eux au Groisic, ni à Guérande, ni sur toute cette partie du
littoral qui s'étend de la Loire à la Vilaine. Et cela suffirait
seul pour permettre de conclure que la lutte eut lieu au
nord de la Vilaine, chez les Venètes, où César porta la
guerre, et non pas chez les Samnites ou Namnèles leurs
voisins.
Je vais aborder cette seconde partie.
La Vilaine est la limite méridionale de la Vénétie.
L'Empire romain avait établi en Gaule, dès l'origine, de
grandes divisions, sous le nom de provinces, en les compo-
sant d'un certain nombre de peuples conquis par la Répu-
blique. Chaque province avait une charte fixant la condition
(') Histoire de Bretagne, p. 3.
(5) J'ai là ilcux contemporains sous les yeux. Daru et Richer. Daru cite,
sans se prononcer, l'opinion de ceux qui placent le lieu du combat cuire les
presqu'îles de Riez, et de Quiberon. Richer fait relâcher a Belle-Ile les vais-
seaux de Brutus; il s'ensuit que, pour lui, ils allaient plus loin encore.
149
des peuples ou des villes qui en dépendaient, ainsi que la
limite de leurs territoires respectifs (>).
Ces grandes divisions furent d'ailleurs remaniées et augmen-
tées plusieurs fois, sans qu'il fut touché aux limites des peuples
dont elles étaient formées; c'est ainsi que sous Auguste, la rive
droite de la Basse-Loire fut classée dans la Gaule lyonnaise;
que, sous Diocléticn, la Lyonnaise fut divisée en deux parties
et que cette même rive fut rattachée a la seconde ; et qu'enfin,
d'après la Notice des Provinces et des Cités de la Gaule,
dressée vraisemblablement sous Honorius, qui régna de 395
a 425, la partie de notre département située sur la rive
droite du fleuve était dans la IIIe Lyonnaise, avec Tours
pour métropole, et celle de la rive gauche dans la seconde
A'qui laine.
C'est à cette dernière époque que les villes prirent le nom
des peuples dont elles étaient la capitale ou le centre impor-
tant, et que le nom de Civitas Namnetum apparaît pour la
première fois dans la Notice des Provinces (2). Cependant,
on ne peut pas conclure grand'chose de cette apparition ;
car la Notice peut fort bien appliquer le mot Civitas au terri-
toire des Namnètes, non à la ville, et elle n'indique pas
autrement la situation des peuples qu'en les plaçant dans la
IIIe Lyonnaise.
Les évechés de Nantes et de Hennés ayant été institués du
temps de la domination romaine, et les églises anciennes
ayant adopté pour la démarcation de leur territoire, les divi-
sions du Gouvernement civil p), on doit retrouver, dans les
premières limites de ces antiques diocèses, les limites des
(4) Manuel des Institutions romaines, par Bouché-Leclerq, par 196.
(a) Le nom de Portu-Namnetu (.Portus Namnetum) apparaît également
dans la carte dite de Peutinger ou Table théodosienne. J'en parlerai plus
loin.
(3) Daru. Histoire de Bretagne, t. 1, p. 12H.
450
peuples telles qu'elles existaient au moment de la conquête
romaine. Je vais essayer, eu procédant par ordre, de déter-
miner ces limites pour l'ancien diocèse de Nantes, parce
qu'elles doivent correspondre à celles qui séparaient les
Venèles des Samniles ou Namnètes.
César est le premier écrivain qui parle des Nannètes, et
voici a quelle occasion : « Les Venètes font entrer dans leur
» alliance les Osismiens, les Lexoviens, les Nannètes, les
» Ambiliates, les Morins, les Diablintes, les Menapiens ; ils
» mandent des secours de la Bretagne qui est située vis-à-
» vis ces contrées ('). »
Je ne voudrais pas abuser, comme on Ta fait souvent, de
Tordre suivi dans les énuméralions des peuples, pour en tirer
des conséquences en faveur de mon sujet. Je ne puis cepen-
dant m'empêcher de faire remarquer que les Osismiens,
voisins immédiats des Venètes, au nord et à Test, sont placés
par César au premier rang ; qu'eu faisant abstraction des
Nannèles et des Diablintes, les autres peuples sont placés à
la suite, dans un ordre absolument régulier, conforme à leur
situation, en allant vers le Rhin, et qu'ils sont tous siluo
vis-à-vis de l'île de Bretagne, ainsi que Ta dit César ; qu'enfin,
lis Nannèles viennent après les Lexoviens qui étaient sur le
littoral du Calvados.
11 n'y a là que des peuples qui bordent la Manche, selon
les Commentaires. On peut cependant produire une objection
de la présence des Nannètes parmi les conjurés ; mais nous
allons voir que Pline n'est pas opposé à celle situation et que
Ptolémée en est très rapproché.
Après César, voici Pline, qui dit tout simplement ceci :
« Les Nannètes sont en dehors de ki péninsule qui s'avance
» dans l'Océan jusqu'aux limites Osismiennes. » Il évalue le
(') Commentaire», liv. ill, chap. IX.
loi
circuit de la péninsule a Gîo mille pas ou 9-21 kilomètres (•),
et sa largeur à 135 mille pas ou 185 kilomètres : ce qui
est à peu de chose près la mesure de la péninsale armori-
caine formant le triangle qui a pour sommet le cap Saint-
Mathieu, la Basse-Loire et le fond de la baie Saint-Michel.
De celte vague indication de Pline, ou ne peut tirer d'autre
conclusion que celle-ci : les Nannèles étaient à Test d'une
ligne tirée de la Basse-Loire a Avranches. 11 s'ensuit que le
champ des recherches est très vaste.
Voici enfin Ptolémée qui place les Namnètes, avec leur
capitale Gondevincum, précisément à Test de cette ligne,
entre les Génomans et les Abrincates (entre Le Mans et
Avranches). Ici, l'indication est très précise, si elle n'est pas
très exacte, et ces Namnètes y sont loin, fort loin de la
Basse-Loire.
De ces trois citations, nous ne pouvons tirer aucun secours.
Et même elles ne sont pas sans jeter quelque obscurité sur
celte partie de la géographie ancienne de nos contrées.
Les Nannèles, quaucun vieil auteur ne place précisément
près de la Loire, font partie de la ligue formée contre César,
et celui-ci les range parmi les peuples qui bordent la Manche.
S'ils avaient été entre les Arides et les Venètes, c'est-à-dire
entre ses légions et les ennemis qu'il allait combattre, c'est
chez eux que César eût commencé la guerre. Il n'en fait
rien. On a vu quelles précautions il a prises pour contenir
les peuples dont- il pouvait craindre un retour offensif:
les Nannèles avaient été sur son chemin, il aurait commencé
par les réduire à l'impuissance; s'ils avaient été sur l'une
de ses ailes, il les aurait fait maintenir par un lieutenant.
César n'en dit rien. Il se rend chez les Venètes avec son
(') Le pas romain était de im,'*8 d'après Noél, dans son dictionnaire.
152
infanterie pour y commencer Ja guerre, tandis qu'avec les
vaisseaux, sans doute en petit nombre, qui viennent d'être
construits sur la Loire, Brutus descend le fleuve pour aller
à la rencontre de ses alliés.
Je suis naturellement amené à penser que les Nannètes
étaient alors loin de la Loire, comme le témoignent César et
Ptolémée, et comme cela peut ressortir de Pline, et qu'ils
auraient bien pu prendre possession du Vicus portus des
Samniles, à une époque de bouleversement, ainsi que l'a
pensé Dom Lobineau ('). Sinon, c'est une faute des Com-
mentaires, peut-être une interpolation, de nommer les
Nannètes en les plaçant parmi les eonjurés de la Maucbe.
Quoi qu'il en soit, le secours que nous chiTchons va nous
venir des vieux auteurs qui ont parlé des Samniles.
Strabon est le premier en date : il en parle d'après Polybe,
qui naquit deux siècles avant l'ère chrétienne, et d'après
Posidonius, qui vécut entre Polybe et César.
Selon Polybe, la Loire se déchargeait dans l'Océan, entre
les Pictons et les Namniles; et Strabon nous apprend qu'il y
avait sur le littoral, les -Santons, riverains de la Garonne, et
les Pictons, riverains de la Loire (-). Les Namnites étaient
donc à l'embouchure du fleuve, sur la rive droite.
Selon Posidonius, il existait une petite île dans l'Océan,
vers le haut de l'embouchure de la Loire, et elle était habitée
par les femmes des Samniles (*). Les maris étaient évidem-
ment à portée de l'île où se réunissaient leurs femmes : les
Samniles bordaient donc l'Océan.
Dans la première citation, le texte grec de Strabon, livre IV,
chapitre II, dit Namniton; dans la seconde citation, même
(') Histoire de liretagnej \). '1.
(s) Strabon, Géographie, liv. IV, ch. Il, § 1 <'l 2.
(») — — liv. IV, ch. IV, § 6.
153
livre, chapitre IV, il y a Samniton ; mais il s'agit bien du
même peuple, comme nous allons le voir tout à l'heure. Les
auteurs, qui traduisent ces deux noms par Nannèles, ne
donnent pas le texte que nous possédons de Strabon, mais
bien un texte modifié.
Ptolémée va agrandir notre cadre et en déterminer les
limites. 11 dit en effet :
« § 6. — La côte occidentale, sous les Osismiens, est
» occupée par les Venèles, dont la ville est Dariorigum,
» située par 17°,<20' de longitude et de 49°,15' de latitude,
a Et au-dessous sont les Samnites qui s'étendent jusqu'au
» fleuve de Loire.
» §7. —Dans l'intérieur des terres, à l'orient desVenètes,
» sont les Diablintes. . . »
» § 8. — ... Puis à l'orient des Samnites sont les
» Andes ('). »
Entin Marcien d'Heraclée va continuer l'existence des
Samnites, en ces mêmes lieux, au IVe siècle. Il décrit le
littoral de l'Atlantique, du Midi au Septentrion; arrivé près
de nous, il dit : « Du promontoire des Pictons au port Sicor,
» il y a G290 à 300 stades; du port Sicor à l'embouchure de
» la Loire, 155 à 185 stades. Le fleuve avoisine la nation
» des Samnites. »
Nous voilà en grande partie tîxés. 11 n'y a pas une seule
contradiction dans ce que disent Polybe et Posidonius,
Strabon et Marcien ; Ptolémée les complète : les Samnites
étaient entre les Venèles et la Loire ; ils. s'étendaient de
l'Océan aux Andes; ils étaient assis sur le littoral.
Ptolémée, qui fut un grand mathématicien, était aussi un
(') l'tolémée, Géographie, liv. 11, cha[>. VU, §6,7 cl 8.
154
écrivain fort méthodique,; il place les peuples les uns à la
suite des autres, exactement selon leurs situations respectives
et telles qu'il les connaissait. Il vient de décrire les peuples
voisins de la Manche; il arrive a l'Océan. Ici, il commence
par le littoral, qui n'a que deux peuples, et il dit, dans son
paragraphe G : La côte occidentale, après les Osismiens,
est occupée par les Venèles, et au-dessous des Venètes par
les Samnites, qui s'étendent jusqu'à la Loire. Puis vient
le paragraphe 7, qui commence par ces mots : Dans l'inté-
rieur des terres, à l'orient des Venèles, sont les Aulerques;
puis le paragraphe 8, qui se termine par ceux-ci : Et à
l'orient des Samnites sont les Andes. Le géographe a
donc bien soin de distinguer les peuples du littoral et ceux
de l'intérieur.
Ici il n'y a pas le moindre doute : les Samnites occupaient
la côte océane, à la suite et au midi des Venètes. Mais quelle
était l'étendue de cette côte? On ne donne pas précisément
des raisons pour placer à Saille la limite de ces deux peuples;
peut-être allons-nous en trouver pour la placer à la Vilaine,
seule limite naturelle qui convienne à celte situation, et que
d'excellents auteurs ont admise.
L'histoire de notre Armoriquc esl brève et eonl'use au
Ve siècle et dans la première moitié du VIe. Dans la seconde
moitié, saint Félix était évoque de Nantes, et son diocèse
dépendait des Francs, ainsi que celui de Rennes, depuis
la conquête de l'Armorique par Clovis; Waroch ou Gue-
rech , placé à l'avant -garde de l'invasion de l'Armorique
par les Bretons , invasion qui suivait sa voie, du nord
au sud, Waroch était toujours prêt a marcher, à piller, a
batailler; il eut plusieurs engagements avec les Francs au
bord de la Vilaine, et ses sujets firent de nombreuses entre-
prises sur li's pays de Kermès et de Nantes. Dans une de
155
ces entreprises, l'évêque Félix fit réprimander les Bretons
par ses envoyés (').
Quelques années après la mort de saint Félix, en 590,
l'armée de Gontran, roi franc d'Orléans, venait enfin
d'obliger le remuant comte Breton à accepter la paix:
« Comme l'armée sortait de Bretagne, dit Grégoire de Tours,
» les plus forts traversaient le fleuve, les faibles et les pauvres
» qui les suivaient ne purent passer en même temps. Tandis
» qu'ils étaient encore sur le bord de la Vilaine, Waroch...
» envoya son fils Ganao avec une armée... plusieurs furent
» emportés à la mer par l'impétuosité du courant (2). »
Il résulte évidemment de ces quelques lignes, que la
Vilaine, appelée alors Vicinonia, était, en ce temps-la, à la
limite de la nouvelle Bretagne, d'une Bretagne indépendante,
et que, sur la rive gauche si souvent envahie par Waroch,
le Comte breton n'était pas chez lui. En rapprochant ce récit
des réprimandes adressées par Félix aux Bretons envahisseurs
de cette rive gauche, on est tout porté à conclure que le
pouvoir de cet évêque s'étendait jusqu'au fleuve, ainsi que
cela existait trois siècles plus tard, sous ses successeurs. Rien
ne donne à penser que, dans cet intervalle, son diocèse ait été
agrandi aux dépens de la Vénétie. Nous ne devons pas oublier
que les évêchés, à leur fondation, respectèrent les limites des
peuples ; sans des motifs bien graves, on ne louchait pas à
celles des évêchés, et la rive gauche de la Vilaine ne porte
pas l'empreinte de sa dépendance de celui de Vannes.
Est-ce donc une grande hardiesse que de conclure que le
diocèse de Félix était alors limité par la Vilaine jusqu'à la
mer, de la même manière que nous le voyons au IXe siècle,
(') Grégoire de Tours, Histoire des Francs, traduction Guizot, liv. V,
en. XVI.
(5) Ibid., liv. X, cli. IX.
156
au temps où le diocèse nantais eut passagèrement deux
évêques, Actard a Nantes, Gislard à Guérande ?
Est-il donc téméraire de penser qu'il en était ainsi de
l'ancienne nation des Samnites ou Namnètes, dont les limites
respectées des Romains servirent à séparer les diocèses
religieux (i) ?
Des savants bretons sont aussi de cet avis, que les limites
des anciens évêchés correspondaient à celles des peuples
gaulois, et que les Venètes étaient bornés au midi par la
Vilaine. C'est aussi le sentiment de M. Bizeul, qui a écrit
d'excellentes études sur notre pays (''-). C'est également celui
de l'abbé Grégoire qui a publié un important ouvrage sur le
diocèse de Nantes : « Il est bon, dit celui-ci, de faire remar-
» quer que le clergé, dans son organisation, suivit les
« divisions géographiques de l'Administration romaine,
» même après l'invasion des barbares (•*). »
Le savant M. de la Borderie, dans une courte étude sur la
collégiale de Guérande et l'intrus Gislard, nous apprend
aussi que le diocèse de Nantes comprenait avant le IXe siècle
les pays de Guérande et de La Boche-Bernard, et s'étendait
jusqu'à la Vilaine (4).
C'est encore l'opinion du plus consciencieux de nos histo-
riens bretons, dom Lobineau. 11 exprime d'abord l'avis, sur
un point très obscure de notre histoire, que l'intercession dé
l'évoque de Nantes Félix, dans les affaires du comte de
Vannes, Canao, au sujet de Macliau, peut servir à confirmer
que, dès ce temps-la, les Comtes bretons étaient possesseurs
de la partie où l'on parlait breton entre la Vilaine et la
(') Etude sur la géographie ancienne dans les contrées de la liasse-Loire,
par l'auteur, p. 30 et 31.
(2) Revue des Provinces de l'Ouest, t. III, p. 737.
(3) Annules de la Société Académique, p. 305, 306.
{') Revue de Bretagne, de Vendée et d'Anjou, juillet 1889, p. 54.
157
Loire, sur le littoral ; puis il ajoute que c'est en qualité
d'évêque diocésain que saint Félix intercédait auprès du
Comte de Vannes (>).
En présence de ces autorités, de ces antiques documents
qui concordent entre eux, est-il donc possible d'affirmer que
le territoire des Venèles s'étendait jusqu'à la Loire, même
jusqu'au Trait du Croisic ? Une pareille affirmation n'est-
elle pas absolument contraire aux indications des vieux
géographes, aux anciennes limites des peuples respectées
par les Romains et conservées lors de la création des dio-
cèses? Et trouve-t-on dans les vieux textes l'indication d'une
autre limite que celle de la Vilaine ?
Oui, on en trouve une qui n'est pas précisément du temps
des vieux géographes, mais qui pourrait bien être voisine du
Xe siècle
Saint Aubin, qui naquit dans le diocèse de Vannes vers
470 et fut évêque d'Angers de 529 à 550, est le patron de
Guérande et sa vie fut écrite au VIe siècle par le poète
Fortunat. Or, dans les actes du Saint transcrits au XVIIe
siècle par un Bollandiste, d'après le récit d'un moine du IXe
ou du Xe siècle, il est dit : que sur le littoral de l'Océan,
en territoire vènètique, il y a un bourg qui, dans la langue
bretonne, est appelé Gucnran. 11 s'agit de Guérande.
M. Maître cile cet exemple (-) pour en conclure que le
pays de Guérande dépendait de la Vénélie.
Mais au IXe siècle, et depuis longtemps déjà, il n'y avait
(') Les Vies des Saints de Bretagne. Saint Félix, p. 121.
Le vieux chroniqueur Alain Bouchart, en plusieurs endroits de son
histoire, exprime absolument cette opinion qu'au IX» siècle l'évêché nantais
s'étendait du côté de Guérande, jusqu'à la Vilaine ; qu'il y eut une interrup-
tion de courte durée après la mort de l'évoque Gislard. Liv. Il, feuillet 70,
verso, 2« col.; liv. III, ch. 1er, feuillet 74, recto.
(a) Annales de la Société Académique, p. 308 et note.
158
plus de Vénétie : elle avait disparu peu à peu sous l'invasion
bretonne. Grégoire de Tours, qui écrivait au VIe siècle, appelle
bien la ville de Vannes Venetis, mais il ne parle point des
Venètes : dans toutes les occasions, il se sert du mot Bri-
tannia pour désigner la petite Bretagne, et des mots Bri-
tanni, Brilones pour en désigner les habitants (<).
Bien avant le IXe siècle, il n'y avait plus de Venètes,
plus de Samnites, plus d'Osismiens, en Àrmorique ; il n'y
avait qu'un peuple qui obéissait à des souverains bretons,
comtes ou rois, lorsque les Francs ne se mêlaient pas de
ses affaires.
.Notre province commença a porter le nom de Bretagne
dans la seconde moitié du Ve siècle ; entre l'époque où
s'éteignit le nom de Vénétie et cette partie du Ve siècle, elle
fut appelée Armorique ('2).
Le Bollandisle du XVIIe siècle, ou le moine du Xe siècle,
n'a pu se servir du mot Vénétie que pour dire Bretagne.
Dom Lobineau, qui a écrit la Vie de saint Aubin d'après
Forlunat, presque un contemporain du Saint, n'a point vu les
Venètes sur la rive gauche de la Vilaine ; il a seulement vu
des gens de la rive droite s'installer sur la rive gauche, à
l'époque de l'invasion bretonne, ce qui peut expliquer l'ex-
pression du moine du Xe siècle.
Je me résume : pour prouver que le port Brivates était
dans le Grand-Trait, il faut renoncer à invoquer les trois
lignes de Slrabon, dont le sens élastique laisse un champ
trop vaste à l'imagination ; il faut renoncer a rien demander
à César qui combattait sur le littoral vénétique, au nord de
(') Histoire ecclésiastique des Francs.
(°) Ce nom d'Armorique qui, sous les Romains, s'étendait à trois pro-
vinces, la Belgique, la Lyonnaise et l'Aquitaine, finit par s'appliquer seule-
ment a notre pays.
159
la Vilaine, bien au delà de cette plaine affaissée, sans abri,
inconnue de l'impitoyable vainqueur ; il faut se résoudre à
s'en tenir aux seules indications de Ptolémée.
Ce géographe a composé ses fameuses tables d'après des
documents de diverses provenances. Longtemps avant lui,
on déterminait la situation d'un lieu, soit en observant les
belles constellations du nord, au moment de leur passage
sur l'horizon ; soit en mesurant la hauteur angulaire du
soleil, à midi, au moyen du gnomon, à l'époque des équi-
noxes -, soit en tenant compte de la longueur du jour au
solstice d'été. Pour le plus grand nombre de lieux, la situation
élait déterminée au moyen d'itinéraires et de lignes de navi-
gation (i).
Du temps de Ptolémée, on déterminait aussi la latitude
d'un lieu, sans choix du jour ni de l'heure, en mesurant
l'arc cejesle compris entre le pôle et le zénith du lieu ; on
déterminait la longitude en mesurant, d'après les espaces
célestes, l'arc compris entre deux méridiens et le comparant
à un arc semblable du méridien (-).
Les itinéraires et les lignes de navigation ne donnaient
que des situations approximatives; mais par l'observation des
astres, la mesure de la hauteur du pôle et l'emploi du gnomon,
on pouvait obtenir des résultats d'une grande exactitude.
C'est ainsi que, pour nos contrées, l'arc de méridien de
S°,4~>' indiqué par Ptolémée entre les embouchures de l'Adour
et de la Loire, est exactement conforme aux données de nos
géographes. Même il indique exactement la latitude de la
mystérieuse Thulé, que des auteurs ont voulu voir a Belle-
Ile, et qui, en réalité, n'est autre que la froide Islande.
Pour en revenir à Brivates, on lit donc dans Ptolémée que
(<) Strabon, Géographie, liv. 11, ch. V, §§ 34 et 35.
(') Ptolémée, Géographie, liv. 1er, ch. III.
1 60
ce porl est à un quart de degré au nord de l'embouchure
de la Loire et sous le même méridien. Ce qui correspond
exactement à La Roche-Bernard, sur la Vilaine, si cette
embouchure est prise à Saint- Nazaire.
Cependant, nous l'avons vu, on ne peut pas toujours
compter sur l'exactitude absolue des données du géographe.
D'ailleurs le problème renferme des inconnues qu'on ne
saurait négliger ; je veux parler des lieux que cite Ptolémée
au nord et à la suite de Drivâtes, et dont voici l'indication
pour la partie du littoral comprise entre la Loire et la Manche :
Embouchure de la Loire latitude 48°,30'
Port Brivates — 48°,45'
Embouchure du fleuve Erius — 49°, lo'
Port Vidana — 49°,40'
Promontoire Gobeum — 49°, 45'
Les savants sont divisés sur l'emplacement de tous ces
lieux. Hélas ! ils manquent d'accord sur bien d'autres points
encore ! Les uns, partisans de la ressemblance des noms,
croient que l'Erius et la Vilaine c'est la même chose, par la
raison que la ville de Rieux est placée sur le cours de celle-
ci ; les autres affirment , non sans raison , que l'Erius est
la rivière d'Auray ; d'autres enfin pensent que le Blavet, où
se trouve Lorient, répond mieux, par sa situation, aux
données de Ptolémée. On le voit, l'accord n'existe pas entre
les chercheurs.
Quant à M. Maître, il n'admet pas les deux dernières inter-
prétations, et il avance, mais sans pouvoir le justifier, que le
port Brivates a été placé par Ptolémée entre la Loire et la
Vilaine (i).
Si le fleuve Erius, nommé par Ptolémée immédiatement
après Brivates, représentait la Vilaine, il est évident que
(') Annales de la Société Académique, p. 324, 325.
KM
Brivates devrait être cherché entre la Vilaine et la Loire, du
côté du littoral du Croisic. Mais la Vilaine était connue sous
le nom de Vicinonia au temps de Grégoire de Tours, c'est-
à-dire au VIe siècle, et on ne sait si, avant cela, elle avait
quelque raison de s'appeler Erius. Puis Ptolémée place le
fleuve Erius trois fois plus loin de la Loire que n'est la
Vilaine, exactement sous la môme latitude que la capitale des
Venètes et a un tiers de degré au couchant, c'est-à-dire un peu
à l'ouest d'Auray : comment donc identifier l'Erius avec la
Vicinonia ? De sorte que si, pour faire ce rapprochement, on
n'a d'autres raisons que le nom de Rieux, parce que ce lieu
antique est situé sur la Vilaine, la raison est insuffisante et
ne peut être admise pour une preuve.
Si, ce qui est plus conforme à la vraisemblance, l'Erius
répond à la rivière d'Auray, ou même à celle de Lorient,
Brivates doit être cherché sur la Vilaine, car les Gaulois
aimaient à placer leurs ports aux bords des fleuves plutôt
que sur des côtes sans abris, sans ruisseaux. Si l'on doit avoir
égard au récit de César, on ne saurait admettre que le port
Brivates ait été au Croisic, car Brivates avait une certaine
importance, une très grande importance, dit M. Maître : Or,
à l'exception de la Vilaine, qui était écartée de la route suivie
par la flotte de Brutus, les ports devant lesquels navigue
celte flotte sont presque nuls.
Et maintenant où sont les restes de ce vaste emporium
appelé Portus Brivates ? Où sont ces ruines qui, dit-on,
couvrent une partie de la plaine des marais salants ? Quand
on y trouve leur place et qu'on les compare à l'étendue de la
contrée où elles sont égarées, elles ne sont plus que des
points épars dans la vaste plaine.
Les traces d'une ville antique peuvent disparaître sous les
constructions successives qui prennent lentement sa place ;
mais sous les rues, sous les carrefours des villes nouvelles,
on trouve toujours quelques vestiges de la ville antique ; et
n
162 .
dans les champs, on en reconnaît jusqu'à la poussière que
les siècles ont détachée de ses ruines.
Nous avons près de Nantes, à Rezé, les restes d'un vaste
établissement contemporain du port Brivates et qualifié de
ville par Ptolémée ; le géographe l'appelle Raliate. Eh bien,
j'ai pu, il y a trente ans, en suivre constamment les traces
dans une étendue. de deux kilomètres, depuis le grand clos
de Saint-Lucien jusqu'au Bois-Chabot ; dans les champs, à
l'est et à l'ouest du bourg de Rezé, c'était une suite non
interrompue de débris ; dans le bourg, sous les rues, dans
les carrefours, autour de l'église, sous les fondations des
maisons, partout on rencontrait les débris des constructions
eallo-romames.
Voilà les restes d'une ville antique. Il n'y a rien de sem-
blable dans la plaine des marais salants.
Dans celte plaine toute nue, on rencontre à de longs inter-
valles les débris d'une habitation gallo-romaine : d'abord aux
Maisons brûlées, c'est-à-dire au bas du plateau où sont les
ruines importantes de Clis ; puis à 1,200 mètres vers l'est, à
Keiignon ; puis à deux kilomètres au delà de Kerignon,
dans le champ de la Pierre, voisin de Congors ; enfin, à deux
kilomètres encore au delà dû champ de la Pierre, à Kerbré-
nézé, près de Saille. On parcourt ainsi, entre deux petits
emplacements gallo-romains, mille pas, deux mille pas, trois
mille lias, sur un terrain vierge de pierres, vierge du moindre
débris antique. On ne connaît rien au Groisic, rien à Batz,
rien à Saille.
Cependant, si ce sol renfermait des vestiges de construc-
tions, ils seraient faciles à découvrir, soit dans les talus des
douves sans fin dont ce curieux pays est sillonné, soit dans
les champs nus et plats qui sont entre les marais et le pla-
teau de Guérande.
Mais non. On se trouve ici en présence de villas isolées ;
on a sous les yeux des éléments qui ont pu appartenir à de
163
modestes industries pour la fabrication de poteries gros-
sières ; mais il n'y a pas là les restes d'une ville.
C'est sur le plateau de Guérande, c'est sur les pentes de
Clis, qu'on rencontre le plus de débris antiques, ainsi que
nous le dit M. Maître dans son chapitre sur Grannone ; c'est
là qu'on a découvert les ruines les plus remarquables de la
contrée, lesquelles auraient appartenu à des palais où de
riches gallo-romains et après eux des Comtes bretons allaient
faire leur résidence.
Mais, si je ne me trompe, il importe peu, au point de vue
de Brivates , qu'on rencontre un nombre plus ou moins
grand de vieilles ruines, en dehors de la plaine des marais
salants, dans la contrée guérandaise.
*
Des auteurs de notre temps placent le port Brivates à Pont-
Château, d'autres à Saint-Nazaire ou à Méan, d'autres au
Croisic, môme à Mesquer, d'autres encore à Rieux ou à La
Roche-Bernard, sur la Vilaine ; il en est môme qui vont
jusqu'à Brest, à cause de la ressemblance des noms (>). On
le voit, le champ est vaste. Ces auteurs donnent tous des
raisons, d'excellentes raisons — non pas des preuves — en
faveur de leur système. Mais dans l'état actuel de nos con-
naissances en géographie ancienne, il me paraît difficile
d'affirmer que ce port fût là ou qu'il fût ici.
S'il était possible d'accorder créance aux indications de
Ptolémée, le seul géographe ancien qui en ait parlé, et si l'on
devait tenir compte des descriptions de César, il faudrait
aller chercher le port Brivates sur la Vilaine. Il faut des
preuves nouvelles, des arguments nouveaux, pour décider
que ce port disparu était dans le Trait du Croisic.
(«) Saint-Nazaire, M. Kèrviler ; — Le Croisic, M. Caillo ; - Mesquer,
Spriiner, cité par M. Lejean ; — Rieux ou La Roche-Bernard, l'abbé Gallet $
— Brest, Danville.
IIIe PARTIE.
VÉNÉDA .
CHAPITRE IV.
De Vénéda.
Vénéda, dont nous connaissons le nom par le témoignage
d'un poète du temps de Louis le Débonnaire, Ernold le Noir,
est la troisième ville de la contrée guérandaise, si riche en
vieux souvenirs.
D'après Ernold, Vénéda était située sur le bord de la mer,
aux lieux mêmes où la Loire dirige ses eaux vers la côte
armoricaine; de son temps, au IXe siècle, c'était déjà une
ville ancienne : le sel faisait sa richesse, le poisson y abon-
dait et les Bretons envahisseurs allèrent plus d'une fois
s'enrichir de butin chez ses habitants ('j.
M. de Courson a pensé que le poète s'est mépris en pla-
çant celte ville si près de la Loire; car, selon lui, Vénéda
répond à Vannes. Le nom, oui: mais non pas la description;
et le pillage de Vénéda par les Bretons envahisseurs suffirait
seul à prouver qu'il ne saurait être question de Vannes, non
plus que de Saille.
(') Annales de la Société Académique, 1889, p. 326.
165
Il est certain que la description du poète s'applique bien
aux environs de Gùérande. Guérande y répond en tous points
par sa proximité de la Loire, par sa belle situation près du
rivage armoricain, par son riche commerce de sel, par
l'abondance du poisson qui peuple ses eaux et je crois aussi
par les misères qu'elle dut souffrir de l'invasion bretonne.
Et si déjà on n'avait disposé de celte ville en faveur de
Grannone, je crois que c'est là qu'on serait allé chercher
Vénéda.
Pour moi qui n'ai point vu Grannone sur notre littoral et
qui ne saurais l'y voir, j'identifie Vénéda avec Guérande. De
hardis étymologistes nous prouveraient môme que ces deux
noms sont très près voisins, et ils feraient dériver l'un de
l'autre aussi facilement que Vénéda de Vénétis (<).
M. Maître place Véuéda à Saille, sur le bord même du
port Biïvates qui l'enserre de trois côtés, à l'ouest, au sud et
à l'est. Voyons les raisons qui lui ont fait adopter celte
situation.
Selon lui, des commerçants du Midi seraient venus s'as-
seoir en ces lieux, au premier ou au second siècle de l'ère
chrétienne, « pour charger des cargaisons sur mer, créer
» des ateliers et ouvrir des comptoirs, » et ils auraient
baptisé leur établissement du nom latin Saliacum (^).
Ensuite, d'après le poète Ernold, Saliacum se serait appelé
Vénéda, nom qu'elle portait au IX9 siècle depuis longtemps
déjà; enfin, après le nom de Vénéda, mais à une époque tou-
jours ancienne, elle aurait repris son premier nom de Saille.
(') Guérande fut appelée Guen-ran, par conséquent Guen-rande. Mais
dans ce temps-là on écrivait également Wen ou Ven pour Guen. En suppri-
mant la syllabe du milieu ran, selon un ancien usage dont je parlerai plus
loin, en la remplaçant par un e, pour la sonorité du mot, et en latinisant le
nom, on trouve exactement Vénéda.
(2) Annales de la Société Académique, p. 335, 336.
166
Pour produire de pareilles affirmations, ne faudrait-il pas
donner des preuves ou citer des autorités? On ne donne
rien, on ne cite rien, mais on fait remarquer que « les deux
» noms de Vénéda et de Saliacum ne s'excluent pas parce
» qu'ils sont dissemblables; l'un est particulier, l'autre est
» régional. Le second (Saliacum) a pu supplanter le premier
» quand la fabrication du sel s'est propagée (<). » Mais je
ne vois pas, en tout cela, comment et à quelle occasion le
premier nom est venu ensuite remplacer le second.
Tout le monde connaît Saille: un petit îlot rocheux soulevé
au sein des marais salants. Pour justifier l'importance que
le poète donne à Vénéda, on étend son territoire sur les
terrains bas et marécageux qui environnent Saille, depuis le
hameau de Gongors, au couchant, jusqu'au rocher de Carheil,
au levant (-).
Tout cela est facile à dire, mais il n'y a point de preuve.
De Congors à Carheil il y a tout près de quatre kilomètres ;
Saille est à 1,500 mètres au midi de la ligne qui réunit ces
deux villages. Cela ferait en effet une ville considérable.
Mais cette zone de 1 ,500 mètres de largeur située au midi
de la ligne qui joint les deux villages, est presque toute
formée de marais salants ; et si nous jetons les yeux sur la
troisième des cartes dont M. Maître fait suivre son ouvrage,
nous y verrons Saillé-Vénéda baignée, entourée par les eaux
du port Brivates, de la même manière que l'île Feydeau par
les eaux du port de Nantes. Vénéda aurait été en plein port
Hrivates.
Nous avons vu tout à l'heure les commerçants du Midi
s'établir en ces lieux pour y fonder des comptoirs. M. Maître
ctoit pouvoir placer les Samnites de l'embouchure de la
(') Annales de la Société académique, \>. 332.
(>) — — p. 340.
167
Loire au rang de ces étrangers « venus du Midi avec le
» secret du sel; » et il pense « qu'après la défaite des
» Venètes, César a bien pu dépouiller la nation révoltée de
» la contrée de Guérande, la refouler en partie dans le
» Morbihan et installer à sa place un nouveau peuple (•). »
Mais nous avons déjà dit que Posidonius, qui naquit 85 ans
avant César, avait déjà vu les Samnites au bord de l'Oc6an,
sur la rive droite de la Loire, et que les combats livrés par
César chez les Venètes n'ont pu avoir lieu qu'au nord de la
Vilaine. César n'eut donc pas l'occasion de mettre les Sam-
nites à la place des Venètes dans la contrée guérandaise. Us
étaient là avant qu'il fut question du grand capitaine; ils
étaient encore là lorsque César se rendit chez les Venètes
dans le dessein de détruire leur puissante marine; ils étaient
encore là après lui.
L'étude de la numismatique vient donner un appui au dire
de Posidonius. Parmi les monnaies gauloises recueillies dans
nos contrées, quelques-unes portent au revers le sigma des
Grecs et sont attribuées aux Samnites; d'autres portent un
génie dans une barque et sont attribuées aux Namnètes.
31. l'arenteau, qui fut, à Nantes, un maître en numismatique,
n'a aucun doute sur l'attribution aux Samnites des slalères
marqués du sigma ; la même certitude ne me parait pas
exister pour attribuer aux Namnètes la barque montée par
un génie: ce sialère pourrait aussi bien s'appliquer aux
Venètes navigateurs, et mieux encore, que le statère aux
cavaliers (2).
La présence dans nos contrées de monnaies samnites, à
l'époque gauloise, vient donc confirmer l'indication de
(') Annales de la Société Académique, p. 336.
(-) Paienteau: Essai sur les monnaies des Nannètes et Inventaire
archéologique, planches 40 et 41.
168
Posidonius, à savoir : que les Samniles étaient en possession
du pays avant la conquête romaine.
Mais, nous dit-on, « il y avait des Samnites et des Nan-
» nètes dans notre pays au 11e siècle, puisque Plolémée
» nomme ces deux peuples distinctement l'un après l'autre,
» dans des régions différentes... Enuméranf les nations de
» l'intérieur, les Andegaves, les Cenomans, il ajoute les
» Nannètes dont la ville est Condivicnum (i). »
J'interromps un instant la citation.
Des écrivains ayant affirmé, il y a vingt ans environ, un
peu plus pour les uns, un peu moins pour les autres, que
Plolémée place les Nannètes sur la rive droite de la Loire
et leur capitale Condevincum aux lieux où se trouve Nantes,
j'ai répondu que cela n'est pas exact et qu'il est absolument
certain que le vieux géographe place les Nannètes au nord-
est du Mans. L'un de ces écrivains, un homme de mérite fort
instruit, reconnut son erreur en déclarant qu'il ne savait
comment il avait pu la commettre.
Gomment il l'a commise, je m'en doute bien. 11 n'avait pas
eu le temps de recourir à Plolémée; il tenait l'erreur d'un
contemporain qui la tenait d'un devancier, et ainsi de suite
en remontant jusqu'au premier, qui ne saurait être bien
éloigné de nous.
M. Maître a donc vu la situation que Plolémée assigne aux
Nannètes au delà des Cenomans et des Andegaves, au delà
du Mans et d'Angers. Aus>i je ne puis m'expliqucr sou
sentiment: que les Samnites et les Namnèles étaient
distincts l'un de l'autre dans des régions différentes, et
qu'ils étaient dans notre puys.
Il va là un problème qui n'est point encore résolu et qui
n'a mémo pas été abordé de front par les savants.
(_■) Annales de la Société Académique, p. 337 : Vénéda, par M. Maître.
169
« Peu importe, continue l'auteur de Vénéda, que quelques
» traducteurs aient lu dans cette dernière phrase Samnites
» au lieu de Namnites, leur erreur est grossière et ne
» peut tenir debout devant le témoignage des autres géo-
» graphes qui ont reconnu Condivicnum comme la capitale
» àesNarinèleS; devant la masse imposante des vestiges
» gallo-romains qui sont sortis du sol de Nantes, comme
» pour attester son importance au temps de Ptolémée ;
» devant le nom de Nantes qui dérive visiblement de
» Nannetœ, et devant une tradition respectable de dix-huit
» siècles (i). »
Je ne vois pas bien, peut-être à cause de notre éloigne-
ment de Vénéda, le rapport que ces choses diverses peuvent
auiir entre elles. Je ne sais pas si quelque géographe
moderne a pris pour des Samnites les Namnètes que Ptolémée
a placés au nord-est du Mans; à ce sujet, il ne peut y avoir
d'erreur ; mais un seul des anciens géographes, un seul,
Ptolémée, a parlé de Condevincum, dont il indique la situa-
tion à quatre-vingts lieues de nous ; mais les vestiges gallo-
romains ne donnent pas toujours le nom d'un lieu et ne
précisent pas toujours une époque. Cependant il se trouve
une heureuse exception en faveur de Nantes : les vestiges
de notre vieille ville nous apprennent, en effet, qu'au temps
de Ptolémée, lorsque Condevincum était une capitale, placée
loin de nos contrées (-), l'embrion de Nantes n'était encore
qu'un viens, un village : on l'appelait le bourg du port.
Si ses ruines prouvent une agglomération importante au
IVe siècle, il faut reconnaître qu'elles représentent des
(') Annales de la Société Académique, p. 337.
(2) Pour désigner Condevincum, Ptolémée se sert du mot grec polis que
les auteurs latins ont traduit par Oppidum, et que nous traduisons par
Ville.
170
agrandissements successifs, œuvre de plusieurs siècles après
Plolémée, et qu'elles ne prouvent rien contre l'existence d'un
simple bourg au second siècle. Il ne faut pas deux cents ans
pour qu'un port heureusement placé devienne prospère.
Dans la recherche du nom antique de notre ville de Nantes,
la table de Peutinger, c'est-à-dire le tableau des villes et
des grandes voies de l'Empire ('), pourrait bien nous venir
en aide ; nous allons y avoir recours.
Des auteurs ont avancé, les uns, que l'œuvre originale
de ce précieux document fut entreprise sous Auguste ; les
autres, que c'est une œuvre d'Antonin ; d'autres encore,
qu'elle est de la fin du IVe siècle ou du commencement du
Ve. Elle doit avoir participé à tous ces temps-là, c'est-à-dire,
avoir été conçue sous Auguste, continuée sous Antonin et
avoir reçu ses derniers tracés sous Théodose, même sous
Honorius. Car une œuvre de cette nature et de cette impor-
tance ne peut rester inachevée : elle doit être complétée à
mesure que s'établissent les voies de communication. El eu
effet, sous Auguste, on ne construisit qu'une petite partie
des grandes voies dessinées sur la carte, et le nom de
Bononia (Boulogne), qui a vu le jour au IIIe siècle (-), y
est écrit à côté de l'ancien nom de la ville Gauloise.
La carte de Peutinger concorde, pour un grand nombre
de lieux, avec celle de Plolémée, notamment, en ce qui
concerne notre région, dans le nom des villes de Vorgium
aux Osismiens, de Gondale aux Hedones, de Limonum aux
Pictones, de Julioinagus aux Andecaves, de Dariorigum aux
Venètes.
Elle ne paraît pas avoir été faite pour recevoir les noms
(') Cotte carte comprend également les pays alors connus des Romains
en dehors de l'Empire.
(2) Dosjardins, Introduction à la table de Peutinger, p. 63.
171
des peuples Gaulois ; ceux qu'on y trouve ont l'air d'y être
tracés par hasard. Entre la Loire et la Seine, il n'y en a
aucun ; il y en a deux entre la Loire et la Garonne ; les
noms des Venètes et des Osismiens y sont sur la rive droite
de la Seine, comme s'ils avaient été placés là par un copiste
ignorant.
Enfin, plusieurs villes de la table de Ptolémée ne figurent
pas sur celle de Peutinger : je n'y vois pas Raliale des
Pictones, Gondevincum des Namnètes, Noviomagus des
Bituriges, Vagoritum des Arvernes, par la raison évidente
que ces villes n'étaient pas placées sur le parcours des voies
qui y sont dessinées.
En ce qui concerne notre ville de Nantes, on peut y
remarquer cette opposition : les places de commerce de la
Seine et de la Garonne n'ont pas pris le nom de leur peuple :
Rotoinagus, ville des Véliocasses, a modifié son nom et est
devenue Rouen ; Burdigala, ville des Bituriges, a fait peu
d'efforts pour devenir Bordeaux ; quant au village du Port,
il est devenu le port des Namnètes, puis Nantes.
La carte originale des grandes voies de l'Empire a été
perdue. Une copie manuscrite en a été faite au XIII* siècle
par un moine de Golmar et en caractères gothiques qui
rappellent ce temps-là ; découverte à Spire vers 1500, elle
fut léguée au savant Peutinger qui mourut avant d'avoir
pu la publier. Cette publication eut lieu en 1598. M. Des-
jardins, à qui j'emprunte ces renseignements, en a donné
une excellente reproduction en 1868.
La table de Peutinger n'est pas d'une exactitude irrépro-
chable : des noms y sont altérés ; celui de la Loire est écrit
Riyer, et le fleuve débouche dans l'Océan entre Vannes et
Hennebont. Les savants sont néanmoins d'accord pour
reconnaître à la copie le caractère de fidélité.
Nantes est là sous le nom de Portu Namnetu. C'est la
17u2
seule ville qui y soit désignée sous la qualification latine de
Purtus (i), et c'est peut être la seule qui ait déjà reçu le
nom de son peuple.
De ce que le nom de Namnetum figure sur le précieux
document, il serait téméraire de conclure qu'il y fut inscrit
dès l'origine. Je le répète, la carte n'a pas été faite tout
d'une pièce, et ses villes n'ont pas encore pris le nom des
peuples auxquelles elles appartenaient : ftamnetum y est
une exception peut-être unique ; les noms y sont presque
tous Gaulois ; Nantes y est entourée de noms Gaulois (2) ;
et le nom de Viens portas inscrit sur les pierres recueillies
dans les ruines antiques de notre ville, est un nom latin.
Tout nous porte à croire que Namnetum y a été introduit
tardivement, soit au changement de nom des villes au IVe
siècle, soit par quelque copiste du Moyen-Age.
La manière dont notre ville est indiquée sur la Table
Théodosienne indique qu'elle était encore de peu d'impor-
tance lorsqu'on y fit passer la voie romaine. En effet, la
plupart des noms des chefs-lieux de cités y sont accompagnés
de vignettes représentant des maisons, dont les moindres
sont à deux pignons ; certains pignons n'ont qu'une fenêtre,
d'autres en ont deux, et quelquefois il y a une porte à la
jonction des deux pignons ; certains dessins figurent de
grands monuments. Or, Nantes n'est là que comme un
simple vicuSj sans la moindre vignette ; en quoi il diffère
des villes voisines Rennes, Vannes, Angers, Poitiers, et
aussi des villes de Rouen et de Bordeaux qui ont toutes une
maison à deux pignons.
Dans le voisinage de Nantes, il y a deux autres bourgades
(') besjanlins, Introduction à la Table de Peiilinger, p. 80.
(') M. Desjardins pense que les syllabes Geso qui commencent le nom
gaulois de quelques villes, répond au nom de port en celtique. {Table de
Peutinger, p. 83.)
178
également sans maisons, ce sonl : Segora et Duretie qui
n'étaient aussi que de simples vicus et non des chefs-lieux
de cités gauloises.
L'accord existe donc, sauf sur le nom de Namnetum, entre
les indications de la carte de Peutinger et les inscriptions
trouvées dans le vieux Nantes : ces inscriptions nous appren-
nent que ce lieu s'appelait, le Viens portus, et la table des
voies de l'Empire ne nous présente pas autre chose qu'un vicus.
Le vicus pouvait être la depuis des siècles, la situation
suffirait à l'expliquer, mais il a pris son développement
pendant l'occupation romaine : un jour venu, vers le second
siècle, son importance grandissant, il a été doté d'un
Tribunal de commerce, ainsi que nous l'apprend l'une des
inscriptions de l'Hôtel-de-Ville ; mais la veille encore ce
n'était qu'un simple vicus qui attirait les gens d'affaires par
sa belle situation au confluent de deux rivières, et peut-être
aussi par suite de l'ensablement du port de Raliate connu
de Ptolémée (<).
Un auteur qui a fait une étude savante, approfondie, de
la Table de Peutinger, mais dont je ne partage pas toujours
le sentiment en ce qui concerne notre pays, M. Desjardins,
pense que : « si le chef-lieu de la civitas des Namnètes
» prit de bonne heure le nom de ce peuple, c'est une raison
» de plus pour faire remonter aux premiers temps de l'occu-
» pation romaine l'existence du Porlus Namnetum, qui
» n'a point de vignette, quoique la place n'ait pas manqué
» pour la dessiner, mais qui n'était d'abord qu'un vicus,
» comme nous l'apprennent des inscriptions fort anciennes,
(*) Les inscriptions incrustées dans le mur de l'Hôtel-de-Ville disent :
Vicpor, vicanor portens, vicanus portensib, c'est-à-dire, les habitants du
village du port (vicanus, habitants du village ou du bourg).
(Voir les mots vicus, oppidu, dans la Géographie de Grégoire de Tours,
par Alfred Jacobs.
\ 71
» landis que le chef-liëu de la cité des Namnèles paraît
» avoir été le Condevincum de Ptolémée, aujourd'hui proba-
» blemenl Blain, où ue passe aucune des routes de la
» Table, et qui, pour cette cause, ne s'y trouve pas men-
» tionnée (i). »
Ici, je suis d'accord avec M. Desjardins sur la qualification
de notre meus. Je laisserai de côté l'application qu'il semble
faire du chef-lieu des Nauinètes à deux lieux très distincts.
Je ne m'inquiéterai pas de chercher si la voie de Nantes à
Vannes passait par Blain ou Pontchàteau, je me bornerai à
rappeler ce que j'ai déjà dit en citant l'exemple de Bononîa,
c'est qu'il n'est pas démontré que le chef-lieu actuel du
territoire des Namnètes prit de bonheur le nom de ce peuple,
et qu'il n'y a pas de raison, par conséquent, pour faire
remonter le nom du Porlus Namnetum (je ne dis pas du
Vicus porlus) aux premiers temps de l'occupation romaine
Admettre cela, ce serait consacrer une exception unique dans
une règle générale, et ce serait aussi affirmer, sans en rien
savoir, que la voie romaine de Nantes à Vannes remonte au
temps d'Auguste.
Supposons un instant que Nantes ne soit pas la seule ville
inscrite sur la Table sous le nom de son peuple ; que Vannes,
Hennés, Poitiers, par exemple, au lieu d'y porter les noms
gaulois de Dariorigunr, Condate, Limonum, y soient déjà
inscrites sous les noms de leurs peuples, Venelis, Redonum,
Pictavi ; admettons enfin que les voies romaines qui les
desservent soient des premiers temps de l'occupation. Quelle
conclusion devrons-nous tirer de cette situation? Celle-ci:
les villes gauloises n'ont pas attendu le IVe siècle pour
prendre le nom de leurs cités.
Mais cette conclusion serait contraire à la vérité historique;
(») Desjardins, Introduction à la Table de Peutinger, p. 80.
47?;
car c'est bien au IVe siècle qu'elles ont pris ces noms nou-
veaux d'où sont dérivés les noms qu'elles portent de nos
jours. Eh bien, on trouve sur la carte une ville, une seule, du
nom de son peuple; celte ville, c'est Nantes : partirons-nous
de la pour affirmer qu'elle avait pris ce nom au commence-
ment de l'occupation? Non. La conclusion qui se présente
naturellement est celle-ci : noire ville a reçu le nom de la
"cité gauloise en même temps que toutes les autres, et
puisqu'elle porte ce nom sur la carte, et qu'elle est la seule
dans cette condition, c'est que le nom de Namnetum y a
été inscrit dans les derniers temps de l'occupation.
Faisons encore une concession. Quoi qu'il soit absolument
certain que Ptolémée indique la situation des Samnites entre
les Angevins et l'Océan, sans y laisser d'intervalle pour y
intercaler un peuple quelconque , admettons un instant que
les anciens géographes se soient trompés et que les Namnètes
nient occupé nos contrées au temps de Ptolémée : dans ce
cas, leur capitale Condevincum est une ville dont nous ne
connaissons pas l'emplacement, dont rien n'indique l'empla-
cement, tandis que la place du vieux Nantes, entre les marais
de l'Erdre et les sables de la Loire, est occupée, dans le
même temps, par un village de marins appelé le bourg du
port, le bourg du port des Namnètes, si on y lient. Conde-
vincum et le bourg du port sont deux lieux distincts; on
connaît la place de l'un, celle du vicus ; on ne sait rien de
celle de l'autre, la capitale; et il est absolument impossible
de prouver que le chef-lieu, Condevincum, est la môme
chose que le bourg du Port. C'est du Vicus portus que le
Portus Namnetum a pris la place, et non de la ville de
Condevincum (»).
(*) Le rideau du théâtre de la Renaissance, à Nantes, porte l'inscription
Condeviaium Namnetum .
170
En ce qui concerne la tradition, dix-huit siècles, c'est
beaucoup dire; cette tradition peut bien avoir sommeillé
pendant plus des trois-quarls de ces dix-huit siècles; et il
me semble que, pour l'école nouvelle, qui place les Venètes
au bord de la Loire et veut absolument que leur grande
lutte ait eu pour témoin, je ne dis pas les marais de la
Grande-Brière, mais le petit Trait du Croisic, il n'y a pas
lieu d'invoquer la tradition. Dans tous les cas, la tradition
doit céder a l'évidence.
La tradition aussi nous disait que le premier roi de
France s'appelait Pharamond et qu'il régnait dès l'an 420;
les historiens se transmettaient d'âge en âge les faits et
gestes de ce guerrier franc ; nous apprenions cela dans notre
enfance. Mais une saine critique née de nos jours, promenant
la loupe sur les manuscrits de nos vieux chroniqueurs, n'eut
pas de peine a renverser les fondements de la vieille tradi-
tion.
Au sujet des Samnites et de Gondevincum, il me paraît
curieux d'ouvrir Dom Lobineau. Il commence par cette
affirmation :
« Les Samnites ont occupé le mesme pais que lesNantois,
entre ceux de Vannes et la Loire. »
Voila qui est fort clair.
11 continue ensuite avec l'expression d'un doute :
« 11 est a croire que les Nantois, que d'anciens géographes
» placent un peu plus loin, entre l'Orient et le Septentrion,
» s'établirent depuis à Condivic et aux environs et chassèrent
» les Samnites dans la Saintonge ('). »
Gela est moins clair; et il me semble môme qu'une contra-
diction est échappée ici a la sagacité du savant bénédictin.
Ce passage prouve tout au moins l'embarras de l'écrivain.
(') Histoire de Bretagne, p. 1.
177
Condivic appartenait aux Nantais, comme les appelle Dom
Lobineau, et non pas aux Samnites; cela ne souffre pas de
difficultés. Les Nantais étaient à l'Orient et au Septentrion
des Samnites, un peu plus loin que ceux-ci, pense Dom
Lobineau, à quatre-vingts lieues environ, dit Plolémée.
Depuis Posidonius, qui florissait cent ans avant l'ère chré-
tienne, jusqu'à Marcien d'Héraclée, qui vivait au IVe siècle,
nous voyons, d'après les anciens géographes, que les Samnites
furent en possession de nos contrées d'une manière continue;
c'est au second siècle que Ptolémée fixe loin de nous la
situation des Namnètes et leur donne Condevincum pour
capitale : lorsque les Nantois, comme il est à croire,
vinrent remplacer les Samnites, ils durent donc laisser leur
capitale derrière eux ; on ne peut donc pas dire qu'ils la
rencontrèrent dans leur nouvel établissement sur les rives
de la Loire.
Dom Morice, qui a beaucoup pris à Dom Lobineau, semble
avoir vu la contradiction de son devancier; aussi l'a-t-il
évitée, mais en exprimant une affirmation au lieu d'un doute :
« Les Nantais, dit-il, occupaient le territoire qu'ils occupent
» encore aujourd'hui, et avaient pour ville capitale Condi-
» vigne (1). »
La vérité est que les Namnètes avaient pour capitale
Condivic, Condivigne ou Condevincum, et non pas le bourg
du Port. Le nom du Vicus portus, qui nous a été révélé
par les inscriptions exhumées du vieux Nantes, n'était point
connu de ces deux historiens ; et le second ne parait pas
avoir étudié ici les vieux géographes.
Je me permets de faire ici une courte digression ; elle
louche d'ailleurs au sujet par un de ses côtés.
(') Histoire de Bretagne, [>.'!.
\1
178
Lorsque j'eus l'honneur d'être admis à faire partie de la
Société Académique, dès le commencement, je rencontrai
souvent au salon de lecture un de nos anciens, qui causait
volontiers, mais sans s'imposer, et qui interrogeait aussi.
11 avait fait une longue élude de la langue latine et de la
langue française. Je l'ai entendu faire cette remarque : que
beaucoup de mots latins sont devenus français par la simple
suppression d'une syllabe de la langue première, soit au
commencement du mot, soit à la fin, soit surtout au milieu.
Il faut aussi quelquefois doubler une consonne devant un e
muet.
Si cette observation avait été généralement connue, que
de flots d'encre elle eût épargnés dans la recherche de
l'étymologie des noms! Et, sans aller bien loin, en ce qui
concerne le nom de notre ville.
Ainsi, supprimons la syllabe du milieu, ne, dans Nannètes,
et nous avons Nantes; supprimons do, dans Redones, et
nous avons Hennés; te, dans Venèles, et nous avons Vennes,
qu'on écrivait encore ainsi au XVIe siècle. On obtient Paris,
en supprimant la fin du mot latin, et Le Mans, en en suppri-
mant le commencement.
C'est ainsi que Condevincutn, abandonné par les Nannètes,
a pu devenir Condé ou Gandé; et je ne serais pas étonné que
le Corbilon délaissé par le commerce fût devenu Corbon.
Tous les exemples ne sont pas malheureusement aussi
faciles que ceux que je viens de citer.
Pour en revenir à Yénéda, on ne trouve donc aucune
raison pour placer cette ville a Saille; tandis que la stanec
du poète Ernold le Noir nous la montre, il me semble, tout
simplement, sans effort, sur le plateau de Guérande.
179
De quelques points controversés.
Avant de quitter le Trait du Croisic, pour passer à l'Empo-
rium de la Loire, peut-être me sera-t-il permis de revenir
sur des choses que notre collègue a traitées dans son second
chapitre, que j'ai nommées à peine et qui peuvent trouver
leur place aussi bien dans un chapitre que dans un autre.
Il y a surtout les caves de Kerbouchart, le moulin de
ïreveday et le trait-d'union du Croisic et de Batz, qui me sem-
blent mériter une mention spéciale. 11 y a aussi la recherche
de Y Aida cariuca, résidence de Félix, évêque de Nantes, au
sujet de laquelle je désire tout d'abord appeler l'attention.
Je me suis quelquefois permis de faire de longues citations,
pour chercher à justifier mon sentiment. Une phrase entière
dit généralement ce que l'auteur a voulu dire ; mais quelques
lignes prises isolément dans une phrase, peuvent donner
toute autre chose que la pensée de l'auteur. En voici un
exemple bien frappant. Je lis dans M. Maître :.
« Je cherche YAula quiriaca, d'autant plus volontiers
» du côté de Piriac, que cette paroisse, non moins ancienne
» que Guérande, est riche en fondations pieuses. Dès le
» VIe siècle au moins, sinon plus tôt, le promontoire qui
» regarde l'île du Met, élait le siège d'une opulente rési-
» dence dont Fortunat fait mention dans le récit d'un voyage
» sur mer, pendant lequel une tempête faillit l'engloutir.
» C'est en se rendant au monastère de Tehillac, sur la
» Vilaine, qu'il dit s'être arrêté dans un lieu nommé
» Cariaca Aula. Or, Piriac est précisément le port de
» relâche des bateaux qui vont de la Loire à la Vilaine (•). »
A la suite de cette citation et pour en justifier les termes,
il y a en note neuf vers de Fortunat.
(4) Annales de la Société Académique, [>. 280.
180
Nous allons pouvoir nous assurer, on les complétant, que
ces vers s'appliquent à des lieux qui n'ont de rapport ni avec
l'Océan, ni avec Piriac, ni avec la Vilaine, ni même avec la
contrée guérandaisc (•).
1° Au livre V, pièce 7e de ses poésies, Fortunat nous
apprend que, sur l'invitation de Félix, il alla le voir « à sa
» campagne que la Loire baigne de ses eaux limpides.
» Le riant domaine de Cariacutn (Cariaci ager) descend
» par une pente douce vers la rivière ; d'un côté le fleuve
» réjouit le regard, de l'autre la vigne étale ses pampres,
» et les pins dressent leurs cimes chevelues que fouette le
» vent du nord ('2). »
Voilà donc Cariacum sur le bord de la Loire aux eaux
limpides, c'est-à-dire loin de l'Océan, loin de l'embouchure
du fleuve où les eaux sont chargées d'argile.
2° Au livre XI, pièce 25, Fortunat s'adresse à la reine
Radegonde, qui habitait Poitiers, et lui dit :
« Quand j'eus pris congé de vous, l'ami Eomundus me
» recul avec sa bonté habituelle. Je le quittai pour me rendre
» en toute hâte au palais de Cariaca (Cariacae aulae), d'où
» je partis pour aller à Tincillac. Ue là, l'évêque Domitien
•> m'entraîna aux fêtes célébrées en l'honneur de saint Albin.
(') Je n'ignore pas que la Chronique de Nantes dit que « l'évêque usur-
» pâleur Gislard s'était retiré a Aula Quiriaca, « maintenant appelé
» Guérande ; » je ne m 'inquiète pas de chercher si Y Aula Qniriaca, du
moine du IXe siècle fut distinct de Y Aula Cariaca du poète Fortunat. Je ne
m'occupe que du texte de Fortunat qui avait été l'hote de l'évêque Félix, a
Cariaca, qui connaissait par conséquent celte résidence, pour l'avoir habitée,
et qui la place sur les bords de la Loire aux eaux limpides. Le domaine de
l'évêque Sidoine Apollinaire était appelé Cuticiaca ; il élait contigu au
faubourg de Clermont. (Lettre 81.)
(2) Poésies de Fortunat, p. 141, (Collection des auteurs latins publiée
sous la direction de M. JNisard.)
181
» Cola fait, je montai sur un petit bateau qui, emporté, par
» le courant et pendant qu'il pleuvait, me poussa déjà
» fatigué et non sans de nombreux périls, vers un point où
» un fort vent du nord bouleversait le fleuve ('). »
3° Enfin, dans la vie de saint Aubin, évêque d'Angers,
Forlunat nous fait connaître que Tincillac, dont le saint était
abbé, se trouvait placé « entre Voiliers et Angers, plus
» près cependant de cette dernière ville que de l'autre (2). »
Ajoutons à ces citations que Domitien occupait alors a
Angers le siège qu'avait occupé saint Aubin; que Dom
Lobineau croit pouvoir placer Tincillac à Tilliers, dans le
diocèse d'Angers, à quelques lieues de Clisson, et que
Fortunat, en relations d'amitié avec beaucoup d'évêques,
avait un goût très prononcé pour les voyages, même pour
les petits bateaux. Nous pouvons maintenant nous rendre
compte de l'itinéraire suivi par le poète.
11 quitte Poitiers pour aller saluer l'ami Eomundus, dont
je ne sais rien de plus que le nom ; il se rend ensuite à
Gariacum, domaine de l'évêque de Nantes, sur la rive droite
de la Loire, aujourd'hui, sans aucun doute, Chassais, dans
la commune de Sainte-Luce (3) ; puis il va recevoir l'hospi-
talité de l'évêque d'Angers, en ce moment dans son abbaye
(<) Poésies de Fortunat, p. 263. M. Charles Nisard, traducteur des
poésies de Fortunat, nous dit que ce second voyage avait été entrepris pour
remplir une commission dont Fortunat avait été chargé par Radegonde.
(Note de la pièce 8 du liv. VI.)
(2) Dom Lobineau. Vie de saint Aubin, p. 54.
(3) Fortunat, poète de la décadence, parle deux fois de Cariacum ou de
Cariaca, qu'il écrit au génitif Cariaci et Cariacae. Mais nous savons qu'un
grand nombre de mots latins commençant par ca, commencent en français
par cha: Catalaunum, Chàlons \ Calena, chaîne; Cariacae a donc du devenir
Chariacae ; or, en supprimant la syllabe du milieu n'a, selon ce que nous
avons déjà vu et francisant le nom, on obtient Chassé ou Chassais. Cette
élymologic, que je n'ai vue nulle part, vaut bien celle de Chefseil.
182
de Tincillac, de l'autre côté du fleuve, entre Angers et
Poitiers ; enfin Domilien l'entraîne de son abbaye dans sa
ville épiscopale, c'est-à-dire a Angers, pour le faire assister
aux fêtes de saint Aubin. Ces allées et venues ont eu lieu
par la voie de terre. Les fêtés finies, Fortunat monte en
bateau sur la Maine et il est emporté par le courant vers la
Loire, dont les flots étaient alors fort agités. Voilà ce que dit
le poète.
Il y a loin de là à ce voyage imaginaire en barque, sur
cette partie de la mer Océane, si péniblement affrontée par
la flotte de Brutus ; il n'y a point là de raison pour faire de
Piriac un port de relâche, ni une opulente résidence, ni
YAula Cariaca des bords de la Loire ; il n'y en a point
non plus pour placer le Tincillac du diocèse d'Angers, sur
un point quelconque de la Vilaine.
Nous allons maintenant nous transporter à l'ile de Bal/..
On s'est souvent demandé si Batz et Le Croisic ont formé
deux îles distinctes ou s'ils ont toujours fait partie de la
même île, comme aujourd'hui.
D'aussi loin que l'histoire rappelle ces lieux, ils semblent
avoir été classés dans une même île, nommée île de Batz.
Un procès-verbal d'enquête de 1561, reproduit par M. Caillo
dans son histoire du Croisic, ajoute souvent au nom de ville
du Croisic la qualification de « isle et paroisse de Batz (') ; »
et Alain Bouchart parlant, vers 1500, des Normands qui
abordèrent nos rivages au IXe siècle, dit : « Le Croisic qui
» est située à l'un des bouts de l'ile de Bal/ ('2). »
.Mais les choses étaient-elles ainsi, aux siècles antérieurs, à
(') Page '259.
(*) Les Grandes Chroniques de Bretagne, liv. III, ehap. III, feuillet 7'*,
verso. (Edition des Bibliophiles bretons.)
183
la limite de ces deux communes ? C'est ce qu'il s'agit de
chercher.
M. Maître voit la preuve que Batz et Le Croisic formaient
une seule île, dans ce fait qu'une couche de tourbe existe, à
cette limite, au niveau des plus basses mers, au bas de la
plage Valentin. J'admets volontiers cette interprétation ;
combien cependant elle aurait eu plus de force si, du fait
cité, on avait commencé par tirer cette conclusion toute
naturelle : si les plantes terrestres sont nées, ont vécu et
laissé leurs traces sur un sol recouvert aujourd'hui par la
mer, c'est que ce sol a été autrefois plus élevé qu'il a e"té
au-dessus du niveau de la mer et qu'il a subi un affaissement
a la suite duquel les plantes ont été submergées'.
Quoi qu'il en soit, je vais chercher à donner la preuve
directe, recueillie sur les lieux, que, depuis les temps les
plus reculés, les territoires de Batz et du Croisic n'ont formé
qu'une île unique.
L'isthme assez étroit qui sépare Batz du Croisic, est
entièrement couvert par des masses imposantes de sable que
le flot a d'abord déposées sur le rivage, et que les vents ont
ensuite transportées grain à grain, couche par couche, sur
des terrains plus élevés que l'Océan. Ce phénomène tout
naturel s'est produit, se produit encore sur notre littoral,
partout où la côte est basse et peu inclinée ; aux Moutiers, à
la Plaine, à Saint-Michel, à Saint-Brevin, à Pornichet, au
Pouliguen, à Batz, au Croisic et a La Turballe.
S'il était possible de faire, entre Batz e't Le Croisic, une
coupe géologique à travers ces sables jusqu'au niveau de la
mer, nous pourrions être fixés avec certitude sur la situation,
la nature et le relief du sol que recouvre la couche sablon-
neuse. Mais cette coupe qu'on ne saurait faire, à cause du
travail considérable qu'elle exigerait, nous pouvons là rem-
placer, dans une certaine mesure, par une étude des terrains
184
à la limite formée par la base méridionale des dunes et la
terre argileuse des marais salants.
Cette élude, je l'ai Faite au mois de mai 1887, et voici ce
que j'ai reconnu en me dirigeant du Croisic vers Batz.
En suivant la route départementale jusqu'au coude très
prononcé qu'elle fait au droit de la plage Valentin, on reste
constamment sur les vieilles terres que la mer et les sables
ont respectées. C'est à ce coude que le doute peut commencer,
mais il ne saurait persister devant l'examen du sol ; ici la
route atteint l'extrémité de la pointe que font les marais
salants du côté sud ; elle les longe sur une quarantaine de
mètres, et dans cet intervalle elle repose sur la terre» argi-
leuse, ayant à gauche les marais salants et à droite les
vieilles terres que le sable a déjà envahies ; au delà, elle
entre dans les terres labourables dont elle laisse une partie à
gauche, du côté du marais. Si la mer avait été autrefois
maîtresse de ce passage bas et étroit, elle en aurait déchiré
les bords et l'aurait considérablement élargi ; mais la présence
des vieilles terres prouve qu'elle ne l'a point franchi.
Passé le grand coude, on abandonne la route 'pour prendre
à gauche le bord des marais salants. On trouve d'abord le
vieux sol entre les marais et les sables cl on le suit sur une
centaine de mètres ; ensuite, une levée en terre qui sert de
limite aux marais et que borde à droite une petite rigole
creusée dans l'argile. Cette rigole est à la base des sables
•'I semble s'opposer à leur marche. Le moindre cours d'eau
en effet suffît souvent pour les arrêter en les charriant.
Jusqu'ici les sables reposent manifestement sur la terre
argileuse donl le niveau est plus élevé que celui des hautes
marées.
On arrive au chemin de 1er et on le franchit. La levée en
terre continue au delii et elle prend parfois les proportions
d'un chemin charretier ; elle est toujours séparée des sables
185
par la douve creusée dans l'argile, et les sables reposent
toujours sur la terre argileuse qui se montre de temps en
temps a leur base.
Après un long parcours, il arrive que la petite douve
cesse d'exister et que le sable commence à envahir la levée ;
celle-ci perd sa forme régulière sur une centaine de mètres,
et dans cet intervalle le sable se mélange à la vieille terre.
La levée reparaît de nouveau très tortueuse, avec sa douve
d'écoulement toujours creusée dans l'ancien sol, mais gagnée
ici et là par les sables. On arrive ainsi au petit mamelon
rocheux de Tibon, très curieux, placé a trois mètres environ
au-dessus des marais, entre les dunes qui sont à sa droite
et les marais salants à sa gauche.
Le mamelon est relié par des dunes à la butte du bourg
de Batz ; mais au delà du mamelon, les sables se rapprochent
encore des marais sans parvenir à cacher le sol argileux, et
les dunes finissent par disparaître dans le voisinage de la
gare, au droit de l'assiette du bourg.
Entre Le Croisic et le bourg de Batz, on rencontre donc
une couche continue de vieille terre, de terre argileuse, que
la haute mer ne peut recouvrir et que les sables n'ont pas
encore envahie. Depuis la dernière commotion géologique,
la mer n'a donc point passé là ; elle n'a point séparé les
rochers de Batz de ceux du Croisic
Le bruit qui se fit, il y a plus de vingt ans, autour du
moulin ou de la tour de ïreveday, m'engagea à l'aller voir.
Au début de mes études archéologiques ma crédulité fut
plus d'une fois trompée : j'en étais devenu défiant.
Il y a un village du nom de Treveday à la limite de
Guérande et d'Escoublac, sur le territoire de la première
commune et au nord de la route départementale (•) ; le
(') Aujourd'hui chemin vicinal de grande communication.
186
moulin du même nom est au sud et à moins de 100 mètres
de la route, sur la pente du plateau qui domine le fond des
marais salants et d'où la vue s'étend au loin sur la mer. Le
sommet du plateau est à l'altitude de 50 mètres.
La maçonnerie du moulin est toute simple et elle est loin
d'avoir l'aspect de celle des beaux moulins du Groisic et de
Guérande ; mais ce qu'il y a de singulier, c'est la projection
verticale en forme de bouteille de l'intérieur de la construction.
La beauté de la situation, l'énigme que renferme cette ou-
verture intérieure inusitée, un peu de cette imagination dont
l'archéologue ne saurait se défendre, ont contribué à faire
de ce modeste bâtiment un antique monument que le temps
a bien voulu respecter ; ce fut, clit-on, une tour destinée à
transmettre les signaux de la télégraphie gallo-romaine.
Or, cette tour étant appelée masse,, M. Maître voit des
tours télégraphiques romaines presque partout où il rencontre
ce nom (*), quoique l'auteur qu'il invoque et qui ne connais-
sait que deux constructions de ce genre dans notre départe-
ment, ait eu le soin de prévenir que « toutes les vieilles
» souches des moulins détruits portent dans la localité le
» même nom de masses (2). »
On appelle masse, en effet, le tertre sur lequel s'élève un
moulin à vent. Il est donc tout naturel de rencontrer si
souvent ce nom appliqué aux restes ou à l'emplacement d'un
moulin disparu. D'un autre côté, les moulins sont générale-
ment construits sur des hauteurs, bien au vent, bien en vue.
De la présence des masses sur des mamelons, sur des plateaux,
il ne faut donc pas conclure à l'emplacement de construc-
tions antiques (3).
(') Annales de la Société Académique, 1889, p. 321.
(2) Bulletin de la Société archéologique, 1869, p. 149.
(3) On appelle également masse, le sabot en fer de l'arbre vertical dos
moulins a Pilon, dans le département du Nord.
187
J'ai vu deux fois le moulin de Treveday. Sa maçonnerie
est en moellons bruts garnis de mortier de chaux et de sable
et aucun caractère ne la distingue des maçonneries ordi-
naires du pays ; il a trois portes : une porte principale à
l'est et deux portes secondaires au nord et au sud ; la
partie supérieure est démolie.
Les pierres qui formaient le bandeau de la grande porte
ont été enlevées ; mais la partie conservée derrière le bandeau
a la forme d'un cintre en anse de panier dont la flèche est
égale au tiers de la corde. Cette forme, en usage depuis le
XVIe siècle jusqu'à nos jours, est venue après l'ogive ; la
maçonnerie du cintre est faite en petits moellons courts,
irréguliers, qui ne sont pas toujours posés suivant la normale
de la courbe (i). C'est un signe de décadence.
Les jambages de la porte sont formés alternativement d'une
grosse pierre et d'une petite posées sur bout ; il y a encore
là un signe de décadence. Cette manière de placer les pierres
.des jambages, pour économiser la pierre de taille, est assez
commune dans les portes du XVIe siècle (-).
Le linteau des deux portes de côté est formé de pierres
courtes placées en encorbellement les unes au-dessus des
autres ; c'est là une mauvaise imitation des linteaux de portes
du XVe siècle formés d'une seule pierre appuyée sur deux
corbelets.
Il y a, au centre de la salle, une grande pierre de granit
rectangulaire entaillée de quelques centimètres en son milieu ;
elle est dégrossie sur toutes ses faces, et sa cavité semble
avoir été destinée à recevoir un arbre vertical.
(<) La ongueur de ces moellons varie de 0m,10 à 0"',25 dans le sens du
bandeau ; ils sont minces.
(2) Les grosses pierres ont de 0^,00 à 0m,70 de hauteur et de 0m,22 à
0m,H0 de largeur ; les petites de 0«n,16 à 0m,32 et de 0^,16 à l)m,18.
188
Une seconde construction de ce genre appelée la masse de
Guy existe dans les dunes, à 5 ou G00 mètres au nord de la
gare de Pornichet ; elle est à 20 mètres d'altitude (•)•
Ainsi que celle de Treveday, elle est' décapitée et elle a
trois portes : la grande porte est à l'est, en équerre sur les
deux autres. Le plan de la salle intérieure est bizarre : au
lieu de former un cercle, la salle va en s'élargissant depuis
l'entrée ou elle a 0m,52 de largeur, jusqu'au fond où elle a
lm,15 ; ce fond est à peine arrondi.
La maçonnerie de la construction est moins soignée que
celle de Treveday. Le cintre de la grande porte est fait de
pierres brutes et forme une ogive sans caractère qui n'est
point antérieure au XVIe siècle. Les portes latérales sont
couronnées par des linteaux en granit, et les dunes qui ont
marché jusque-là, atteignent presque leur sommet.
La vigne située au nord-est de cette seconde ruine con-
tient un grand nombre de morceaux de briques dont on peut
suivre les traces jusqu'au village de Guy, dans une étendue
d'environ trois cents mètres. J'ai examiné un certain nombre
de ces débris et n'ai pas trouvé de briques à rebords. On les
rencontre à la surface des sables, là où ceux-ci ont été
nivelés : c'est une preuve qu'ils y ont été. apportés depuis
l'envahissement des terres par les dunes, c'est-à-dire à une
époque encore peu éloignée de nous, et vraisemblablement
au moment du nivellement du sol et de la plantation de la
vigne. Je crois qu'ils proviennent de la démolition de maisons
ruinées par la marche des sables (-).
(*) Elle est à 3 ou 400 mètres au sud-ouest de Guy.
(2) Pendant que j'examinais un de ces morceaux du briques, dans le
chemin voisin, une femme du village me dit que cela provenait de maisons
démolies.
Je ne veux pas affirmer que là il n'y a pas de briques à rebords, puisque
mon examen n'a pas pu tout embrasser; mais la présence en ces lieux de
189
Ainsi, les masses de Treveday et de Guy ne présentent
pas de traces d'antiquité et on peut faire remonter leur
construction tout au plus au XVIe siècle. Il n'y a donc pas
lieu de les invoquer en faveur d'une occupation gallo-
romaine quelconque sur ce point du pays guérandais.
Les caves de Kerbouchart n'appartiennent pas davantage
à l'antiquité. Elles sont situées à 600 mètres à l'est du bourg
de Batz et à une centaine de mètres au nord de la route
départementale, dans une enceinte murée qui dépendait
d'une habitation disparue et dont il reste encore le colom-
bier. Elles sont groupées au nombre de trois; a l'intérieur,
elles ont la forme circulaire et elles sont voûtées en forme
de coupole ; le diamètre de chaque salle est de 2m,45 et la
hauteur de la demi-sphère est de 2 mètres. Les centres des
trois caves représentent les sommets d'un triangle isocèle à
large base ; la cave du milieu est tangente, aux deux autres
et placée en arrière; les caves des côtés sont séparées par
un espace d'un mètre environ qui laisse à découvert la face
de la troisième.
Au sommet de chaque coupole il y a une ouverture circu-
laire de 0ra,76 de diamètre, dont le pourtour est en maçon-
nerie de briques plates de petites dimensions et très cuites.
Les salles sont dallées de belles pierres de taille fort bien
conservées. Toute la maçonnerie est d'une bonne exécution.
Dans chaque cave, au niveau du dallage, un petit dalot
creusé dans la pierre est établi sous le mur de face, soit
pour puiser, soit pour écouler les eaux.
A ma première visite, au mois d'août 1864, les trois
briques gallo-romaines ne prouverait absolument rien en faveur de l'anti-
quité de la tour de Cuy, qui n'en est pas moins une construction posté-
rieure au XVe siècle.
190
caves étaient en bon état et avaient toute l'apparence d'une
construction moderne; trois petits tertres coniques recou-
vraient les ouvertures du sommet de la voûte. A ma seconde
visite, le 24 septembre 1887, c'est-à-dire 23 ans plus tard,
elles étaient déjà fort endommagées et le dallage disparaissait
complètement sous les débris.
Ces caves singulières ont donné lieu à des interprétations
assez fantaisistes. Au temps de saint Félix, elles auraient
servi à recevoir la vendange que les Bretons envahisseurs,
campés au nord de la Vilaine, allaient piller sur le territoire
des Nannètes. M. Maître va encore au delà ; il attribue leur
construction à l'époque romaine : alors elles auraient servi
de silos à nos vainqueurs.
C'est aller bien loin. Les voûtes en forme de demi-sphère
ne sont pas chez nous un signe de si haute antiquité.
Elles furent inaugurées à Constantinople, au VIe siècle,
lors de la reconstruction de l'église de Sainte-Sophie. Les
architectes de cette basilique , abandonnant les plafonds
dont on s'était toujours servi, créèrent alors la coupole
byzantine au moyen de briques légères habilement agen-
cées (i). Mais cette voûte de forme hémisphérique semble
n'avoir été introduite dans nos églises d'Occident , à la
suite des voûtes ■ d'arêtes , que vers le XIe ou le XIIe
siècle (2), en même temps à peu près que les voûtes du rez-
de-chaussée de nos constructions civiles destinées à supporter
le premier étage (;5).
Les chrétiens des premiers temps abritèrent leurs céré-
monies au sein des catacombes; chassés des catacombes,
ils se creusèrent des abris dans le roc et dans l'argile. Mais
les premières cryptes voûtées sont de la fin de l'ère romane.
(*) De Caumont : Abécédaire d'archéologie, p. 11 et 12.
(») - - p. 123.
(3) L'abbé Corblet : Manuel d'archéologie, p. 299.
191
La forme hémisphérique de notre sujet nous rapproche
donc des temps modernes.
Cependant, pour prouver la haute antiquité des caves de
Kerbouchart, on invoque l'emploi de la brique autour des
ouvertures circulaires du plafond. Mais celle-ci n'a pas le
caractère de la brique romaine, et l'usage de la brique s'est
perpétué jusqu'à nos jours sans solution de continuité. J'ai
entendu contester cet usage, je dois donc chercher à justifier
mon opinion.
Au sujet des monuments religieux, M. de Caumont nous
apprend que les carreaux en terre cuite émaillée ont été
employés au pavage de nos églises du XIe au XVe siècle;
au XIVe et au XVe siècle, ils formaient une des principales
décorations des églises. Le célèbre antiquaire en donne de
nombreux dessins ('). Je puis citer, pour les avoir vues et
mesurées, les arcades surhaussées de la vieille église de
Saint-Philbert-de-Grand-Lieu, voisines du XIe siècle, et dont
les cintres sont en briques.
Je passe aux monuments civils. Vitruve, architecte romain
du Ier siècle, consacre, dans son traité d'architecture, tout
un chapitre à la fabrication de la brique, et il nous apprend
qu'à « Utique, le magistrat ne permettait point qu'on
» employât de la brique qu'il ne l'eût visitée et qu'il n'eût
» reconnu qu'elle avait cinq ans de moulage (2). » On en
faisait à Marseille dès ce temps-là; mais elle ne parait avoir
été introduite dans la Gaule que vers le second siècle.
» Quelques savants, dit M. de Caumont, ont avancé que
» les chaînes de briques des constructions' de petit appareil
» n'ont commencé à être usitées qu'au IIIe siècle; mais ce
(*) Abécédaire archéologique, p. 175, 309, 390, 431.
(J) Vitruve , De l'Architecture, liv. II, ch. 111. Les éditions de Vitruve
furent très nombreuses à partir de la tin du XV<> siècle.
» mode se rencontre dans des édifices beaucoup plus
» anciens... On peut admettre qu'on en faisait grand usage
» au IIIe et au IVe siècle. Je pourrais citer bon nombre de
» constructions présumées du IIe siècle, en petit appareil,
» et dans lesquelles on ne voit pas de briques... Je prou-
»> verai que, dans les VIIe, VIIIe et IXe siècles, on a quel-
» qucfois employé dans les murailles des briques semblables
» à celles que nous voyons dans les constructions romaines
» (t). » C'est ainsi que s'exprime notre maître en archéologie,
dont personne ne met en doute la science et la véracité.
L'art du constructeur, de l'architecte, ne s'est pas perdu,
et ceux qui ont écrit en cette matière se sont transmis ce
qu'ils savaient. Je trouve dans Belidor tout un chapitre « où
» l'on considère les qualités de la brique et la manière de la
» fabriquer. » J'y vois qu'on en faisait une grande consom-
mation au commencement du XVIIIe siècle. Après avoir cité
le passage de Vitruve que je viens de rappeler, Belidor
ajoute : « On s'aperçoit bien que cette sage police n'est plus
» d'usage parmi nous, puisqu'il la confusion de la plupart
» des entrepreneurs l'on voit tous les jours des bâtiments
» menacer ruine, avant, pour ainsi dire, d'être achevés
. (2). ,
Les constructeurs ne faisaient donc plus guère, pour nos
habitations, de celle excellente brique romaine qui est
venue jusqu'à nous à travers les âges; mais celle qu'on
employait au pavage des églises atteignait la perfection ; et
nous savons par l'ingénieur Belidor que les briques comman-
dées pour les besoins de l'Etat étaient faites avec beaucoup
de soin. Cependant il en était employé aussi de bonne qualité
dans les constructions civiles.
(') De Caumont: Traité d'Archéologie, p. 162, 163.
(2) La Science des Ingénieurs, liv. 111, eh. 11, p. 5 à 6.
193
Pour en donner de nombreux exemples, je n'aurais qu'il
faire une excursion dans le département: j'y aurais vite
recueilli les noms de maisons, de manoirs, de châteaux, où
l'emploi de la brique fut constant depuis le XVe siècle jusqu'à
nos jours. Mais celle énuméralion n'est pas nécessaire,
puisqu'il suffît de regarder autour de nous.
Dans nos vieilles maisons en bois du XVI" et du XVIIe
siècle, les intervalles de la charpente sont remplis, le plus
souvent, en pisé ou en torchis; mais on y trouve aussi
fréquemment des remplissages en briques ; il y a même, en
ce genre, de curieuses maçonneries dans les parements d'une
maison de la rue de l' Arche-Sèche, n° SI, et d'une autre de
la rue de Barbin, n° 1 1 : entre les pièces de charpente, les
briques sont posées obliquement en forme d'arêtes de poisson,
de manière à imiter l'appareil en épi des Romains.
La vieille partie de la maison de l'Eveché, qui est du
commencement du XVIe siècle, a conservé de ce temps-la
trois ou quatre tôles de cheminées en briques d'une belle
exécution.
Une visite au château de Nantes nous mettrait en présence,
je n'en saurais douter, de briques de la fin du XVe siècle ou
du commencement du XVIe siècle.
Ainsi nous rencontrons un usage constant de la brique
dans nos habitations et nos monuments. Il faut donc se défier
di ces amas de briques qu'on foule aux pieds dans les
champs, dans les chemins, dans les carrefours; il ne faut
donc affirme]- qu'on est en présence de la brique romaine
que si le caractère romain est nettement accusé ; et encore ce
caractère s'esl-il perpétué jusqu'au IXe siècle.
Ce n'est pas le cas de la brique de Kcrbouchart, qui ne
présente rien d'antique , qui a le caractère de la brique
moderne.
On paraît croire aussi que l'emploi de la brique pilée, dans
13
194
la confection du mortier, est un usage des Romains qui n1a pas
persisté chez nous après leur départ. C'est une erreur du mOme
genre, je pense, que, celle qu'on a commise pour la brique.
Belidor, après avoir comparé la tuile en poudre à la pouzzo-
lane ('), transcrit un modèle de devis qu'on peut appliquer
aux caves de Kerboucharl; en voici le litre : « Devis de ce
» qui est à faire et à observer pour la construction d'une
» citerne destinée à recevoir les eaux de pluie qui tombent
» sur l'église paroissiale de Calais. »
Il s'agit d'une citerne voûtée.
Au chapitre de la qualité du mortier, il est dit : « Celui
» qui sera employé aux renduits et citemaux, tant du dedans
» que du dessus, sera fait avec tuilaux de vieilles tuiles
» bien cuites...; il sera bien battu, pulvérisé et passé au
» lamis du boulanger, et le mortier sera fait avec deux
» cinquièmes de chaux vive de Boulogne et trois cinquièmes
» du dit ciment (2), »
Autour de nous, nous trouvons un vieil emploi de la
brique pilée dans le mortier; je puis citer :
Les trois arches du pont de Pirmil démolies vers 1860;
Le pont de la Bourse démoli en 18G9 (3);
Les ruines des vieux moulins de Barbin démolies en
1888 (3a);
[*) « Comme la tuile, qui est une composition de terre, dit Belidor, n'a
» point de vertu avant la cuisson, pour agir avec la ebaux, et qu'après être
» cuite et réduite en poudre, elle fait un mortier excellent, de môme la terre
» bitumeuse, qui se trouve au royaume de Naples, étant brûlée par les feux
» souterrains, les petites parties qui en résultent, et qu'on peut regarder
» comme une poudre, composent la poudre de pouzzolane, qui doit, par
» conséquent, participer des propriétés du ciment. (Liv. III, cli. IX, p. 11.) »
(2) Belidor, liv. VI, p. 76. — Sidoine Apollinaire parle de l'emploi de la
pouzzolane dans les constructions au bord de la mer. (Poésie 22, p. 25'/,
collection Nisard.)
(3 et sa) Renseignements donnés par M. A. Perdriel, entrepreneur.
195
Une citerne actuellement transformée en cave, rue du Port-
Maillard, n° 9, dans une maison du XVIe siècle démolie en
1883 (')•
Après quelques recherches, nous arriverions à citer un
certain nombre d'autres exemples de l'emploi de la brique
pilée dans les vieilles constructions.
Lorsque nous rencontrons, dans une construction d'une
date incertaine, du mortier fait avec de la chaux et de la
brique pilée, nous ne devons donc pas, par cela seul, et
comme tout à l'heure pour la brique, nous hâter d'affirmer
que la construction remonte au temps des Romains.
Ma seconde visite des caves de Kerbouchart fut *faite en
1887, en compagnie des hommes éminenls qui sont à la
tète de l'Association bretonne, — Association réunie alors
en Congrès au Croisic ; — il y avait la un disciple de de
Caumont, savant dans l'art de déterminer l'âge de nos
monuments; il y avait aussi deux membres de l'Institut,
très connaisseurs en archéologie. Or, ces savants, sans se
prononcer, n'ont point reconnu de caractère d'antiquité aux
caves de Kerbouchart : si bien que le procès-verbal de
l'excursion du 24 septembre 1887 énumère tout ce que les
membres du Congrès ont vu de remarquable dans la journée,
et qu'il ne mentionne même pas le nom de ces silos ou de
ces caves dont s'est emparée la controverse.
Peut-être que le vieux chroniqueur Alain Bouchart savait
quelque chose de ces constructions. Il avait possédé à Batz
le manoir de Kerbouchart qu'il paraît avoir habité en 1513 (2);
et il aurait bien pu projeter, édifier ces trois caves, j'allais
dire ces trois citernes, qui semblent des restes du manoir et
qui ont vu le jour a une époque peu éloignée de la sienne.
(4) Renseignement ilonné par M. Furret, archilecte.
{"*) Introduction aux Grandes Chroniques, p. 5.
196
Au sujet de ce qu'on appelait des débris d'antiquités, j'ai
été mal renseigné plus d'une fois ; plus d'une fois, sur des
indications qui m'étaient données, j'ai reconnu des débris
de tuiles ou de briques qui n'avaient rien de romain et
provenaient de maisons ruinées relativement modernes. La
dernière fois, voici à quelle occasion.
Au mois de septembre 1881, je reçus de Guérande une
lettre m'annonçanl qu'on avait rencontré des dallages romains
dans trois vasières, dont la situation était clairement indi-
quée. En recevant celle lettre, je ne songe qu'à une chose, à
mon problème de l'affaissement du sol, et voilà mon imagi-
nation en marche! De beaux dallages bien conservés,
au-dessous du niveau des mers, quelle preuve plus manifeste
de l'affaissement des marais salants I et en présence d'un
témoin: le travail du gallo-romain! Mais mon rêve devait
finir comme celui de Perrclle.
J'arrive sur les lieux avec des hommes, des pelles, des
pioches, des jalons. Voilà bien la saline Douceille! Je fais
sonder dans un endroit : rien; puis dans un autre: rien
encore. Me serais-je trompé ? Non ; il ne peut y avoir de
doute : c'est bien la saline indiquée. Je persiste : un jalon
enfin rencontre des pierres; je fais piocher sur ce point,
puis sur d'autres points encore. Le dallage consistait en
pierres cassées, en graviers mêlés de mortier friable, sans
cohésion. Une brique y fut rencontrée, qui devait provenir
des ruines gallo-romaines situées au bord de la vasière.
Et voilà ce qu'on avait pris pour du dallage, pour le
dallage d'une saline romaine; et on en concluait que les
salines romaines étaient dallées. M. Maître a fait justement
remarquer que de pareilles salines seraient bien mauvaises
pour révaporalion des eaux.
Eu matière de découvertes archéologiques, je n'ai cessé
197
de penser qu'il ne faut passe hâter de conclure. Il est plus
facile à un auteur de revenir sur un doute que sur une
affirmation.
Des savants croient cependant que le progrès ne marche
qu'appuyé sur des affirmations. Fort bien, si elles ont une
base solide. Mais si elles ne sont pas fondées! Si des erreurs
ont été semées cl ont pris racine dans les masses! que de
temps il faudra dépenser, que d'arguments il faudra produire
pour revenir souvent au point de départ.
Il me reste maintenant a prouver l'affaissement des plaines
de la Grande-Brière, et à vous entretenir de Yemporium de
Corbilon.
IV» PAHTIK.
CORBILON . LA GRANDE - BRIÈRE
CHAPITRE V.
De l'affaissement du sol de la Grande-Brière.
J'ai traité, il y a sept ou huit ans, le sujet de l'affaisse-
ment du sut de la Grande-Brière. J'ai répondu à ceux qui
voulaient en faire une nier intérieure baignant des archipels
et des promontoires où combattaient César et les Venètes.
Les preuves que j'ai produites sont encore intactes. Je me
propose de répondre à de nouveaux arguments et de produire
des preuves nouvelles.
Les descriptions de la Grande-Brière et des marais de
Montoir sont nombreuses et bien connues, ,1e me bornerai à
rappeler qu'au sein de celte plaine basse et marécageuse, il
existe un certain nombre d'îlots dont les flancs ont des
rampes fort douces ri dont le plateau domine le marais de G
;i !) mètres généralement, ri par exception de 13 mètres.
Les rives sinueuses qui forment le périmètre de la [daine,
s'élèvent également en pente douce et atteignent jusqu'à 16
mètres d'altitude, sauf en deux points, à Sainte-Reine et à
Besné, où cette hauteur est dépassée (f).
(') Les tourbières onl une surface d'environ 8,001) hectares, et les pr<?s-
marais de 6,000.
P. H)
La grande tourbière est située dans la partie du couchant,
entre Saint-Joachim et Saint-Lyphard ; l'épaisseur de la
couche de tourbe y atteint jusqu'il deux mètres. Les prés-
înarais sont disséminés à l'est et au sud, entourant les îlots
qui émergent de la plaine, et serpentant entre les terres
labourables, pareils à des détroits, des anses, des baies ou
des lacs.
Des nivellements ont été faits avec soin sur les bords des
canaux qui desservent les marais ; ils ont pour points de
repères des bornes en granit placées sur le bourrelet en terre
qui sépare le canal du marais et dont le nombre est d'envi-
ron cent-vingt.
La cote de nivellement qui correspond à chaque borne
représente la hauteur de sa face supérieure au-dessus du
zéro de l'échelle de Saint-Nazaire. Si nous retranchons de
cette cote la hauteur de la borne au-dessus du bourrelet et
celle du bourrelet au-dessus du marais, soit environ 0m,60
pour les deux, nous aurons la hauteur des marais au-dessus
du zéro de l'échelle de Saint-Nazaire.
D'après ces données, les marais seraient de 3m,80 à 4m,30
au-dessus de ce zéro ; le radier du pont de l'île Oliveau est
à la cote de 2™, 15, et celui de l'écluse de Rozé à 2m,19.
Toutes les tourbières, tous les marais, sont en communi-
cation avec la Loire, par le Brivet qui débouche à Méan, ou
au moyen de canaux fermés par des écluses entre Donges
et Lavau.
Le zéro de l'échelle de Saint-Nazaire représente le niveau
des plus basses mers observées ; les plus hautes mers s'élè-
vent à G mètres, et même à Gm,G0 lorsqu'un vent violent
souffle du large ; le niveau moyen est représenté par la cote
de 3 mètres.
Le niveau moyen est à peu près le même dans les
différents ports de mer ; mais le zéro dépend de Tarn-
aoo
plilude dos marées qui esl fort différente selon la situation
des lieux.
La moyenne des basses mers est d'environ lm,20 à Saint-
Nazaire ; celle des pleines mers est de 4m,95. Les plus faibles
basses mers descendent rarement au-dessous de 0m,40 et les
plus faibles pleines mers au-dessous de 4™, 00.
Les plus basses eaux d'un fleuve étant à son embouchure,
il s'ensuit que les eaux de la Loire et celles des ruisseaux et
rivières qu'elle reçoit, ont un niveau [dus élevé qu'à Saint-
Nazaire. Les marées modifient cette situation : entre Nantes
et Saint-Nazaire la pleine mer a lieu à des heures différentes
et elle ne s'établit pas suivant une ligne de niveau, mais bien
suivant une courbe convexe dont l'extrémité, à Nantes, esl
plus basse d'environ 0ny20 qu'à Saint-Nazaire, et dont le
sommet, vers la Martinière, est plus élevé de 0ra,30 environ.
Lorsque la mer est pleine à Nantes, elle est en baisse
depuis deux heures à l'embouchure ; la face des eaux du
fleuve forme à ce moment un plan incliné qui, au temps des
grandes marées, suit cette progression en partant de Saint-
Nazaire : le niveau esl plus élevé de 0m,25 a Paimbœuf, de
0m,7o au Migron , de 1nv25 au Pellerin el de lm,50 à
Nantes (<).
H résulte de ces faits que, sans le système des écluses
établies sur le Brivel et sur les canaux, les eaux seraient
toujours plus hantes dans les marais de Donges et de la
Brière qu'à Saint-Nazaire, et que les marées recouvriraient
tous les jours la plaine de Vouloir.
Un assez grand nombre d'objets, île débris antiques, ont
été rencontrés dans cette plaine, sur les îlots et sur les rives.
Si les objets rencontrés dans la [daine même ont été recueillis
.le tiens ces renseiguements du service dos ponts et chaussées.
-201
sous une couche plus ou moins profonde d'alhivions, c'est la
preuve indéniable que les alluvions se sont formées depuis la
perte des objets. C'est précisément ce qui a eu lieu. Je me
bornerai à faire, dans cet ordre d'idées, quelques citations
empruntées à M. Bizeul.
Il a été recueilli :
Dans l'été de 1785, une épée en bronze par six pieds de
profondeur, dans les marais de Crossac ;
En 1823, une épée également en bronze sous dix pieds de
tourbe, dans un canal de dessèchement des marais de Donges;
En 1842, l\ la Guesne, dans une vase mélangée de tourbe
et a lm,60 au-dessous du lit du ruisseau, deux épées en
bronze, deux épées en fer, deux fers de javelots, 1 hachette
en bronze, un pot en cuivre et des objets en fer, tels que
coutelas, cognées, étriers, fers de chevaux, etc. (i) ;
De 1835 a 1855, dans la tourbe d'un coin de la Grande-
Brière, quatre monnaies gauloises en or, dont l'une à 8 ou
10 pieds de profondeur à La Chapelle-des-Marais ('-);
En fondant le pont du Gué-d'Assac, dans la commune de
Donges, au mois d'août 1882, le Service vicinal a traversé,
sous 2n,,50 d'alhivions, une couche de tourbe de lm,50
d'épaisseur, dont la base correspondait à la cote de lm,50 de
l'échelle de Saint-Nazaire ; une corne de cerf y a été
recueillie à la cote de lm,60 (3) ;
Et sous la tourbe et sous les marais, on rencontre des
arbres en grande quantité ; beaucoup d'arbres ont encore
leurs souches, et leurs racines sont décomposées.. Il y a des
débris de chênes, d'ormeaux, de châtaigniers, et surtout de
sapins ; ils sont couchés là depuis des siècles et leur tête est
(') Revue des l'ruvinces de l'Ouest, t. il, p. 822 à 830.
(2) Revue des Provinces de l'Ouest, t. III, p. 731 à 733.
(3) César chez les Venètes, 2e étude, p. 12.
'20-2
généralement tournée du côté de Donges ; quelques-uns. ont
été trouvés debout, brisés à un mètre environ de hauteur.
Dans une étendue de moins de cent mètres, entre Monloir et
le pont de Nyon, en creusant un canal en 1881, il a été
rencontré quatre-vingts arbres environ, couchés, la plupart,
la tête vers le midi ; ils étaient dans la partie inférieure de la
couche tourbeuse, à lm,50 environ au-dessous du sol du
marais. Quelques chênes atteignaient jusqu'à trois mètres de
circonférence (i).
11 faudrait cependant à ce sujet nous garder de cette exagé-
ration à laquelle souvent nous sommes trop enclins. 11 y
avait là des arbres, beaucoup d'arbres et de toutes les gros-
seurs. Gela représentait -il une forêt? Je ne sais; mais la
plaine n'en était pas toute couverte. On rencontre dans la
Brière des mamelons sablonneux fort pauvres en végétation,
et toutes les fouilles de la plaine n'ont pas donné des arbres.
La plaine des marais et de la Brière représente, avec ses
détours et ses enfoncements, environ quatorze mille hectares ;
à dix arbres seulement par hectare, ce qui est. fort peu de
chose : une goutte d'eau dans un verre, il y aurait eu cent
quarante mille arbres, c'est-à-dire de quoi faire une forêt de
cent hectares. Les arbres formaient peut-êlre ça et là iW>
groupes plus ou moins nombreux, plus ou moins importants,
sans pour cela constituer une forêt.
Des auteurs prétendent que les arbres enfouis en ces
lieux, y ont été charriés par les eaux de la Loire ; d'autres
qu'ils ont grandi sur les ilôts et. sur les rives, et qu'ils ont
été entraînés au bas (\c< pentes par des pluies torrentielles.
Je lis en effet : « 11 suffit de regarder les nombreuses lies
(') César chez les Venèles, 2« étude, p. 9.
Cette tourbe est remplie de pieds d'arbres si gros et si nombreux, dit
M. Maître (p. 90), qu'ils t'ont penser à une forêt renversée.
203
» qui accidentent le bassin ; on voit qu'elles pouvaient être
» boisées comme la terre ferme, il y a dix-huit siècles, puis-
» qu'aujourd'hui encore les arbres de toute espèce, les
» chênes notamment, y poussent avec vigueur. Une tempête
» violente s'est déchaînée, une grande inondation s'est
» produite en même temps, et tous les arbres ont été
» déracinés et précipités dans les parties basses... Le
» VI* siècle a été troublé par des inondations, des tremble-
»> meuts de terre et des prodiges nombreux. C'est l'historien
» Aimoin qui nous le dit dans ses Annales, et il ajoute :
» Les inondations de la Loire ont été, en 580,, snpé-
» rieures aux précédentes, et le vent souffla avec tant
» de violence qu'il renversa des forêts (*). »
Je ferai remarquer à ce sujet, d'abord, que les inondations
de la Loire, quelle que soit leur importance, font a peine
sentir leur influence au bas du fleuve ; et ensuite, que si
des pluies tombent en abondance sur un petit ilôt, sur un
plateau de peu d'étendue, elles n'ont pas le temps de s'y
accumuler ; elles peuvent y former de larges mares, mais
elles ont bientôt rencontré la crête d'où elles débordent sur
les pentes, pour s'étendre dans la plaine, sans avoir assez
de puissance pour entraîner les arbres dans leur mouve-
ment.
Du récit du vieil historien, on ne peut retenir que le l'ait
de ces tempêtes qui déracinent les forêts.
Quant aux arbres renversés , on reconnaît qu'ils sont
généralement couchés dans une même direction ('•*). Si
celle situation était due aux eaux de la Loire, il faudrait
(') De ï emplacement du port de Corbilon, par M. Maître, p. 91.
(2) M. Maître le reconnaît aussi: « Tous nos marais, dit-il , sont remplis
d'arbres couchés dans la même direction et brisés. » De l'emplacement du
port de Corbillon, p. 03.
204
avouer que ces eaux auraient été douées d'une certaine dosç
d'intelligence [tour avoir amené les arbres en ces lieux
pendant et après la formation d'un barrage opposé à leur
passage (') ; pour les avoir déposés ensuite un à un, côte
à côte, la tête tournée du même côté ; elles auraient encore
fait plus : elles auraient planté un certain nombre de ces
arbres avec leurs racines, après avoir pris le soin de les
briser à un mètre ou environ du collet. Si la situation était
due à des pluies torrentielles tombées sur les îlots, ces pluies
auraient montré une puissance dont personne ne pourrait
justifier les effets : elles auraient soulevé des milliers d'arbres
brisés par la tempête ; elles les auraient fait flotter sur des
plateaux où elles avaient à peine le temps de s'accumuler ;
elles les auraient fait glisser sur les pentes douces des îlots
et des rives ; enfin elles les auraient promenés sur les marais
et, a l'exemple des eaux de la Loire, elles auraient déposé
ces arbres un à un, côte à côte, la tête tournée du même
côté ; et encore elles en auraient planté quelques-uns avec
leurs racines, après avoir eu soin de les briser à hauteur
d'homme.
Ces systèmes sont sans doute ingénieux, mais ils ne sont
pas conformes aux actes de la nature. Les arbres ne sont
pas descendus des mamelons dans la plaine, les eaux île la
Loire ne les ont pas rangés symétriquement au fond de
l'estuaire; ils sont tombés là où ils étaient plantés, à la place
où nous les rencontrons aujourd'hui ; ils ont été renversés
en ces lieux mêmes, soit pendant un cataclysme qui eut
pour effet l'affaissement du sol ; soit, après le cataclysme,
(') Lus arbres n'auraient pas eu le temps de passer pendant la formation
du barrage, laquelle dut être d'une courle durée ; si la durée fut longue,
(■'est que l'affaissement fui lent : dans ce cas, le barrage se formait à mesure
que l'affaissement s'opérait, sans avoir jamais au-dessus de lui une grande
hauteur d'eau.
-205
par une tempête, lorsque la vie commençai! à abandonner
leurs racines fatiguées par un trop long séjour dans l'eau ;
soit encore après la mort des racines.
Nous sommes ici, non pas sur des terrains élevés qui ont
été inondés par des eaux douces après la suppression des
drains d'écoulement, mais bien sur des terrains plus bas
que le niveau de la mer, lesquels n'ont été soumis à l'action
des eaux douces que grâce aux alluvions qui les ont
soustraits à celle des eaux salées.
Parmi les auteurs qui ne croient pas à l'affaissement du
sol de cette contrée, l'opinion que voici a été exprimée au
sujet du Trait du Groisic et de la plaine de Rrière.
« La mer les a remplis tous deux à l'origine du Globe
» et elle a laissé la trace de son passage dans la Brièrc
» en déposant un sable blanc très fin et une argile blanche
» compacte qui composent entièrement le sous-sol, puis
» elle s'est retirée , laissant à découvert une immense
» dépression de terrains légèrement vallonnée, qui devint
» bientôt l'égout naturel de tous les coteaux environnants
o sur une étendue de quatre lieues carrées. Son estuaire
» placé au sud, d'abord ouvert de Saint-Nazaire à Montoir,
» fut fermé peu à peu par cette large barrière d'alluvions
» qui forme le sous-sol des prairies de Méan et de Trignac,
» et quand parut la période quaternaire, il ne lui restait
o que la brèche ouverte par l'étier de Méan (•). »
11 est inutile de faire remarquer qu'entre l'origine du
Globe, séparée de nous par un nombre inappréciable d'an-
nées, et l'époque quaternaire, déjà dotée d'une fort belle
antiquité à l'apparition de l'homme, il s'est produit des
révolutions qui ont bien des fois bouleversé la terre; et,
pour ne parler que de l'époque tertiaire, on sait que notre
(') De l'emplacement dit port de Corbilon, par M. Maître, p. 88.
206
pays, incomplètement émergé, reçut alors des dépôts marins
qui forment les calcaires grossiers des plaines de Machecoul
et d'Àrthon, de la Brière et de Gampbon, de Saint-Gildas et
de Satire, et qu'ensuite il subit à plusieurs reprises des sou-
lèvements et des affaissements qui ont modifié sa surface. 11
faut laisser de côté celte terre que l'homme n'a point connue
et revenir au temps où ses mains travaillaient habilement
toutes espèces de métaux (i).
Je reprends la citation : après que la mer se fût retirée,
après que l'estuaire de la Brière eût été fermé du côté de la
Loire par un barrage d'alluvions, il se forma : « entre les îles
» d'Aisne, de Trignac, de Crossac, de la Chapelle- des-Marais
» et de Saint-Lypharrî, un immense réservoir d'eau douce
» stagnante , de peu de profondeur , dans laquelle la
» piaule aquatique qu'on nomme la sphaigne, prit naissance,
» se développa, mourut et reparut tour à tour pendant des
» centaines d'années, pour se transformer en combustible
» ligneux, compact et riche en calorique (-). »
Oui, le barrage doit son existence à des alluvions ; il a
(4) « Il a bien fallu que le fond du lac ou de l'estuaire s'affais>àt
» lentement d'abord, après la formation du calcaire grossier, pour permettre
» le dépôt, en couches assez épaisses, des marnes qui continuent la série ;
» et puisque des végétaux terrestres ont ensuite pu prendre racine dans
» des vases émergées ou prés de l'être, il faut bien admettre un exhausse -
» ment du fond, exhaussement que Faction geysérienne manifestée par la
» couche à silex ne permet pas d'attribuer simplement au comblement par
» voie de sédimentation. Quant au soulèvement défini! il' qui y donné à la
i> butte Pancaud (à Cambon) son relief actuel, il a dû être assez brusque
» et s'être effectué alors que les dépôts précédents étaient déjà consolidés. «
(Des terrains tertiaires de Campbon, par M. Dufour, p. 10 et 11.)
C2) De l'emplacement du port île Corbilon, par M. Maître, p. 89. Les
prairies de Montoire... sont composées de sables mêlés de vases charriées
par la Loire ; ce sont des dépôts d'alluvions. (Des Gaulois Venètes de la
Grande-Brièrc, par Pitre de Lisle du Dréneuc, p. S.)
207
empêché, dans une certaine mesure, les eaux des marées
d'entrer dans le bassin intérieur ; les eaux douces de l'amont,
s'y sont accumulées et la tourbe s'y est formée. Cependant,
quoiqu'on affirme que ce barrage soit antérieur à l'époque
quaternaire, ce qui nous reporterait bien loin, bien loin de
l'homme, on admet qu'il a eu son commencement, qu'il
a été formé successivement par des alluvions venues de la
Loire et déposées, par conséquent, sur un sol plus bas
que le niveau des marées du fleuve. C'est la tout ce que
je veux retenir, en ce moment, de ces deux citations.
Pour nous rendre compte de la formation du barrage,
laissons là l'époque tertiaire et ses nombreuses révolutions
qui n'ont rien à voir ici ; transportons-nous par la pensée à
l'époque inconnue où il fut formé, mais n'oublions pas,
sachant la nature des arbres qui sont enfouis là, qu'il s'agit
de notre époque végétale et, nous rappelant les œuvres de
l'homme enfouies sous la tourbe, qu'il s'agit d'une époque
relativement civilisée.
Nous voici au moment où le barrage n'existe pas encore ;
les eaux de la Loire communiquent sans obstacle avec le
bassin de la Brière ; la tourbe n'y a pas fait son apparition,
de sorte que le sol du bassin, celui que recouvrent les allu-
vions, est à deux mètres environ plus bas que le sol actuel,
c'est-à-dire qu'il correspond à peu près à la cote de lm,80
de l'échelle de Saint-Nazaire; les marées y entrent libre-
ment, et voici comment elles doivent s'y comporter (i):
Six jours par mois, le sol reste entièrement recouvert par
les eaux, depuis une couche mince jusqu'à près de 5 mètres
de hauteur ;
Huit jours par mois, les plus basses eaux effleurent le sol
(') Je prends des moyennes en me servant des observations sur les
hauteurs des marées faites par le service des ponts et chaussées.
208
et se tiennent quelquefois pendant une heure ou deux a
0m,20 au-dessous; mais, pendant vingt-deux heures au
moins, elles le recouvrent chaque jour;
Huit jours par mois encore, elles se tiennent pendant trois
ou quatre heures par jour de 0m,40 à 0m,70 au-dessous, et,
pendant plus de vingt heures, elles sont au-dessus;
Enfui, pendant huit autres jours, elles sont plus basses de
lm,00 à lm,30 que le sol, à raison de cinq à six heures par
jour, et elles le recouvrent pendant dix-huit heures.
Pour un mois entier, le sol est donc recouvert pendant
vingt-sept jours et, si rien n'y retenait les eaux, il émerge-
rait pendant trois jours seulement; mais l'écoulement complet
des eaux ne pouvant s'opérer en quelques heures d'un vaste-
terrain plat et spongieux, on peut affirmer avec assurance
que le sol serait toujours inondé.
Telle aurait été la situation de la plaine avant la formation
du barrage.
Eh bien, comment ces chênes, ces châtaigniers, ces
ormeaux, ces sapins, ont-ils pu naître ? Comment ont-ils pu
grandir, se développer, sur un sol que l'eau n'abandonne
pas pendant vingt-sept jours de chaque mois, qu'elle n'aban-
donne môme jamais et qu'elle recouvre souvent de quatre
mètres de hauteur? Gomment ont-ils vécu ayant leurs racines
constamment au-dessous du niveau de l'eau? Quelle Corel peut
se former et prospérer dans ces conditions (')?
Mais, dans ces conditions, les arbres n'auraient pas pu
naître. Seraient-ils nés après la formation du barrage? Non,
car ils auraient poussé ou dans un lac, ou dans la tourbe,
(') « Ces amas d'arbres, dit Demlan, aujourd'hui cachas au fond des
» tourbières et donnant l'idée d'anciennes forêts renversées sur place,
» entraînent nécessairement l'existence d'un terrain primitivement à sec
» qui, plus tard, a du s'enfoncer pour recevoir et conserver les eaux. >i
{Géologie, p. 93.)
209
ou dans le marécage. D'ailleurs ils sont sous les alluvions
(i); ils existaient donc avant les alluvions.
Quant à la tourbe, à qui des eaux calmes et peu profondes
sont nécessaires, l'agitation des flots, la hauteur des marées
et la nature de l'eau ne pouvant lui convenir, elle n'a pu
naître sur le sol affaissé qu'après la formation du barrage
qui est venu lui servir d'abri.
Dans l'impossibilité où étaient les arbres de naître, de
vivre sous l'eau, ils ont donc poussé sur un sol plus élevé
que le niveau de la mer ; mais nous les rencontrons aujour-
d'hui sur un sol plus bas que ce niveau: il s'est donc opéré
un changement dans la nature des choses.
Pour nous rendre compte de ce changement, revenons au
moment où le barrage n'est pas encore commencé, où les
eaux de la Loire communiquent sans obstacle avec le bassin
de la Brière. Les marées vont-elles attendre un an, vont-
elles attendre un mois, un jour, pour commencer à déposer
leur limon sur le sol qu'elles envahissent? Non. Peut-on
concevoir qu'elles aient recouvert pendant des siècles, pen-
dant des années, même pendant des mois, cet immense
estuaire sans y déposer d'argile? Non: elles ont déposé
l'argile à leur premier passage. Et la veille de cette première
marée que faisaient-elles? Elles n'arrivaient pas à la hauteur
de la plaine. Un jour donc les marées n'atteignaient pas la
plaine, et le lendemain elles la recouvraient en entier. Dira-
t-on que c'est la mer qui a gagné la plaine? Mais nous
savons ce qu'il faut entendre de ces sortes d'images. L'affais-
sement du terrain peut seul rendre compte de ce change-
ment. Il s'est donc produit en ce moment un de ces mouve-
(') D'après M. Kerviler, les arbres auraient pousse après la tourbe :
« .... La grande forêt, dit-il, qui avait réussi à croître sur la tourbe de
» la Grande-Brière. » {Notice sur le port de Saint-Nazaire, p. 6.)
14
210
mcnts du sol qui sont une exception de nos jours, mais qui
n'ont rien encore d'extraordinaire : la plaine a subi un tasse-
ment géologique et les arbres qui, la veille, étaient au-dessus
des eaux, ont été envahis par les eaux.
Après cet affaissement, qui fut le dernier, les marées sont
venues chaque jour, deux fois par un peu plus de vingt-
quatre heures (<), recouvrir les terrains de la Brière. Les
eaux des marées étaient, comme aujourd'hui, avec autant
d'abondance qu'aujourd'hui, chargées d'argile, de sable, de
débris végétaux; et dans le ralentissement de leur vitesse,
surtout dans le moment de repos qui précède et suit la pleine
mer, elles laissaient tomber une partie de leurs matières
solides sur le sol submergé : le sable, plus lourd, se déposait
le premier, l'argile ensuite et, en dernier lieu, se déposaient
les débris plus légers.
Pour apprécier ces dépôts, je ne me servirai pas du chro-
nomètre préhistorique qui me parait avoir de grands défauts,
car son auteur admet que les marées déposent peu ou point
de sable du printemps à l'automne, peu ou point d'argile de
l'automne au printemps et qu'il leur faut une année entière
pour former un dépôt de trois a quatre millimètres (-). Je
m'en rapporterai tout simplement aux causes actuelles, à ce
qui se passe tous les jours sous nos yeux.
Or, certaines iles de la Basse-Loire ont été formées avec
une rapidité surprenante: au sein des roseaux qu'on plante
(') 24 h. 48 m. en moyenne par deux marées.
(2) D'après M. Kerviler (L'Age de Bronze, p. 30), le sable se serait
déposé pendant l'hiver, l'argile pendant l'été j les débris végétaux seraient
tombés à l'automne ; de sorte que les marées n'auraient point déposé de
sable pendant G à 8 mois de l'année, point d'argile également pendant G à
8 mois, point de débris végétaux pendant plus de 8 mois. En réalité, les
marées déposent du sable et de l'argile tous les jours et pendant les 12 mois
de l'année. Le dépôt d'une marée a été pris pour celui d'une année.
211
à l'aval de ces îles ou sur leurs flancs, on peut remarquer la
formation de dépôts de trois centimètres dans une marée.
Entre le Pellerin et Couëron, depuis la construction, en
1861, de la digue du nord, barrage artificiel longeant le
fleuve, des alluvions se sont élevées à l'abri de la digue de
manière a rendre sensible à la vue, après quelques marées,
la surélévation du colmatage. Là où la sonc\e trouvait, la
veille de l'endiguement, des hauteurs d'eau de lm,50 à 5m,00
au moment des marées moyennes, le lit du fleuve a fait place
à un terrain fertile : entre le Paradis et l'île Thérèse, la
partie endiguée en 1861 était déjà livrée comme prairie vers
1865.
Si nous visitons le littoral, nous ne serons pas moins
étonnés de rencontrer ces immenses alluvions qui se sont
formées de nos jours au fond de la baie de Bourgneuf et
qui, en peu de temps, ont agrandi et transformé cette
contrée.
Quant à la plaine de la Brière, elle n'était pas dans une
situation moins favorable pour recevoir les alluvions de la
Loire. Comment donc justifier l'application du chronomètre
préhistorique d'après lequel la surélévation causée par les
alluvions n'atteindrait que trois ou quatre millimètres par an?
Nous voilà donc en présence de la plaine affaissée de
Montoir et placée à trois ou quatre mètres en contrebas du
niveau des marées: celles-ci peuvent s'y répandre sans
obstacle; les matières qu'elles tiennent en suspension com-
mencent à se déposer sur le sol affaissé de la même manière
que sur nos îles en formation et avec non moins de rapidité.
Pour un même lieu, le volume d'argile contenue dans
l'eau est en raison de la hauteur de l'eau : une marée qui
s'élève de deux mètres sur un terrain, y dépose presque
deux fois plus d'argile que lorsqu'elle le recouvre d'un mètre
212
seulement, de sorte que l'épaisseur de chaque dépôt allait en
diminuant à mesure que le barrage s'élevait, jusqu'à se
réduire a fort peu de chose dans les derniers moments.
D'un autre côté, le fleuve bordant l'estuaire dans une
étendue de trois kilomètres, et l'estuaire n'ayant qu'une
faible ouverture à la Guesne pour le passage du flot vers
l'amont, le flot ne pouvait être animé sur le sol affaissé de
la même vitesse qu'au sein du fleuve: les eaux devaient donc
laisser tomber rapidement les matières qu'elles tenaient en
suspension. Au bout de peu de jours, surtout pendant
l'hiver, à mesure qu'elles avançaient, elles se heurtaient aux
eaux du Brivet qui s'accumulaient dans leur lit, et lorsqu'elles
arrivaient au fond de l'estuaire, elles contenaient beaucoup
moins de matière, de sorte que le côté vers la Loire s'éle-
vait plus rapidement que le fond delà Brière. Peut-être aussi
que la vallée du Brivet était, avant l'affaissement, plus élevée
du côté de la Loire qu'entre Crossac, Saint-Joachim et
Saint-Lyphard.
Enfui au bout de peu de temps — temps dont la durée
dépendit d'ailleurs de la vitesse, de la durée de l'affaissement
— les alluvions avaient atteint une certaine hauteur du côté
du fleuve, dans une large zone; les eaux des marées qui
dépassaient cette zone ou ce barrage, restaient en partie au
delà; elles s'y mêlaient aux eaux du Brivet qui sont très
abondantes dans la saison des pluies, et celles-ci, étant
arrêtées dans leur écoulement, s'élevaient de plus en plus. La
proportion des eaux douces allait donc en augmentant au
fond de l'estuaire.
On peut juger, par des faits nombreux, de la rapidité avec
laquelle elles s'y sont accumulées, .le citerai celui-ci.
La levée de la Divate protège des inondations de la Loire
une vallée de 18 kilomètres de longueur, entre Bassc-Goulaine
et la Boire d'Anjou. Les eaux du bassin de Goulaine s'écou-
$18
lent dans la Loire par l'écluse de la Rivière établie à travers
la levée. Mais l'écluse étant fermée lorsqu'il y a des crues en
Loire, les eaux des ruisseaux se réunissent et s'élèvent dans
le bassin intérieur, derrière la levée; et si l'inondation se
prolonge, sans laisser la possibilité d'ouvrir l'écluse, elles s'y
accumulent et elles y ont bientôt atteint un mètre de hauteur
auprès de Basse-Goulaine.
Les eaux du Brivet n'auraient pas une action moins
prompte. Si je considère ce ruisseau par la plus longue de
ses branches, il a sa source à Bouvron (<), et il reçoit les
cours d'eau de Grâce, de Campbon, de Saint-Gildas, de
Missillac et de la Chapclle-des-Marais; son bassin s'étend
près de Savenay, de Guenrouet et de La Roche-Bernard. Il
eût suffi de moins d'un hiver, après la demi-formation du
barrage du côté de la Loire, pour permettre aux eaux du
Brivet de remplir toute la plaine de la Brière et des marais.
Il vint cependant un moment où les petites marées ne
passèrent plus sur le dépôt; où celui-ci ne put s'élever,
d'une façon peu sensible, qu'aux époques' des marées
moyennes et des grandes marées; puis il arriva que les
marées moyennes mêmes ne purent l'atteindre. Mais déjà
les eaux douces accumulées dans la vallée laissaient leur
trop plein déborder par dessus le barrage. Ce fut évidem-
ment dans ce temps-là que fut comblé l'ancien lit du Brivet
vers son embouchure à Saint-Nazaire, et que les eaux se
frayèrent un nouveau canal vers la Loire, par Méan ('2). Ce
canal fut lui-même souvent obstrué par les alluvions, pendant
les siècles qui suivirent, jusqu'à l'établissement des écluses,
(') M. Maître le fait naître ;t Drcfféac,
(2) M. Kerviler a réellement découvert l'ancienne embouchure du Brivet.
Avant l'affaissement du sol, l'écoulement des eaux était impossible par Méan
« où le Brivet actuel coule sur un lit rocheux dont le niveau est à peu près
■' celui des basses-mers. » (L'âge du Bronze, par M. Kerviler, p. 0.)
214
jusqu'à l'entretien méthodique de son plafond et de ses
berges.
J'estime que la chute des arbres s'est produite pendant le
cataclysme qui a entraîné l'effondrement du sol. Si elle a eu
lieu après, voici l'explication que je crois pouvoir en donner :
les arbres envahis par l'inondation, ayant leurs racines
noyées, sans vie, sous les eaux accumulées, finirent par se
briser en grand nombre sous l'action d'une tempête, et se
couchèrent clans la direction du vent, qui devait alors
souffler du nord-ouest.
Si ce n'est pas le cataclysme qui est la cause de leur chute,
la première tempête ne les a pas brisés tous à la fois; elle
a brisé ceux qui, par leurs branches, et peut-être aussi par
leur feuillage desséché, présentaient le plus de prise au vent.
Lorsque le bois est exposé tour à tour à l'action de l'air et a
celle de l'eau, la partie qui est tour a tour émergée et sub-
mergée se décompose très vite; un arbre mort placé dans
ces conditions peut être renversé sans trop d'efforts.
Pour cette raison, ceux qui avaient résisté à la tempête
ont été entraînés à leur tour par une tempête nouvelle, et ils
ont pu se coucher dans une autre direction (').
Si l'affaissement ne s'était pas produit, c'est-a-dire si le
niveau de la plaine avait été ce qu'il est aujourd'hui sous la
tourbe, sous les alluvions, la plaine de Montoir aurait toujours
été inondée : avant la formation du barrage, inondée par les
eaux de la Loire; [tendant la formation, inondée par les eaux
du fleuve mêlées à celles du BriVet ; enfin, après la formation,
inondée par les eaux pluviales du bassin tout entier. A aucun
(') Au moment de la chute des arbres causée par une tempête, les marées
de la Loire avaient eu le temps de déposer une couche d'allusion à leurs
pieds; de sorte qu'entre l'humus produit par les feuilles et le dessous de la
tourbe, il pourrait bien exister une couche d'argile.
215
moment, les arbres n'auraient pu y naître. L'affaissement du
terrain donne seule l'explication de leur existence.
Je crois que l'affaissement s'est effectué lentement : la
dépression de l'estuaire est très grande dans la Brière, sous
les alluvions ou sous la tourbe : si l'affaissement avait été
subit, les eaux de la Loire y auraient porté plus tôt leur
limon et avec plus d'abondance.
Ainsi, la formation de la tourbe résulte d'actes successifs
de la nature. Si le barrage d'argile avait été formé avant
l'apparition de l'homme, on ne trouverait pas sous la tourbe
les œuvres de ses mains; on ne trouverait pas en pleine
Brière ce témoin irrécusable de l'affaissement, le menhir de
Bréca, que les eaux du bassin recouvrent tout entier, ni
des monuments celtiques importants baignés par les eaux
d'hiver (i) : les arbres, les monnaies, les ustensiles de ménage
étaient là sur le sol avant la formation de la tourbe, avant
la formation du barrage; ils ont été témoins de l'affaissement
du sol; ils ont vu les alluvions les entourer; ils ont vu la
tourbe se refermer sur eux.
De sorte que si nous connaissions l'époque à laquelle on
se servait de ces objets, nous saurions qu'en ce temps-là
l'affaissement n'avait pas encore eu lieu. Si l'on était en
présence d'objets romains, on ne pourrait pas dire que les
alluvions ont été formées avant la conquête romaine. Pour
arriver à connaître la date approximative de cet événement,
il faudrait donc pouvoir déterminer l'âge des objets enfouis
sous la tourbe ou sous les alluvions.
Je vais chercher parmi le peu que je sais ; mais c'est le
(,') Ce menhir a 3 mètres de hauteur au-dessus du sol argileux de la
Brière, et les hautes marées pourraient encore le recouvrir de plus d'un
mètre. M. Maitre prétend que sa présence, que sa situation en ces lieux, ne
prouvent rien en faveur de l'affaissement du sol ; c'est comme si l'on déclarait
que nos ancêtres plaçaient leurs menhirs au sein des eaux.
C21G
cas de regretter ces richesses perdues, dispersées par l'igno-
rance, depuis des siècles qu'on extrait de la tourbe dans
celte contrée, depuis qu'on y creuse des fossés et des canaux :
car ce n'est guère que de nos jours qu'on s'occupe de
recueillir les objets amassés par les travailleurs.
On invoque quelquefois Polybe pour affirmer que les
Gaulois de son temps se servaient d'épées en fer, et pour
conclure que l'usage des épées en bronze était antérieur.
Polybe raconte, en effet, que dans la bataille qui se livra en
Italie entre les Romains et les Gaulois, l'an 532 de Rome
(2'21 av. J.-C), ces derniers furent vaincus surtout à cause
de l'infériorité de leurs épées : celles-ci n'avaient pas de
pointe, elles frappaient de taille et pliaient, à chaque coup;
de sorte que, si le soldat n'avait pus le temps de redresser
son épée après le premier coup, le second n'était plus d'aucun
effet (i).
Mais il s'agit ici des Gaulois de la Haute-Italie, dont les
intérêts n'avaient rien de commun avec ceux de la Gaule,
et surtout avec les Celles du nord-ouest ; quant à leur espère
de sabres longs, sans pointe, ils furent remplacés par dis
épées eu bronze et en fer. On ne garde .pas une arme qu'on
sait inférieure à celle de l'ennemi, lorsqu'on peut s'en pro-
curer une meilleure.
Au temps de la conquête, les Gaulois se servaient d'armes
en fer aussi bien (pie d'armes en bronze; et, selon Diodore
de Sicile, ils travaillaient habilement l'or, le fer, le cuivre et
l'étain; sur leurs boucliers, ils faisaient graver eu bosse des
figures île bronze travaillées avec beaucoup d'art; leurs
casques étaient d'airain (2).
(') Polybe, liv. Il, th. VI, |>. tiu.
(a) Diodore de Sicile, liv. Y, ch. XXX.
217
Nous sommes revenus de celte qualification absolue : l'âge
du fer succédant à l'âge du bronze ('). Aucun de nous
n'ignore que le fer, le cuivre et rétain sont des corps simples
qui sont facilement attaqués par l'oxygène ; que le bronze,
appelé airain parles anciens, est un alliage composé de cuivre
et d'étain qui peut passer sans se corrompre à travers les
âges : de sorte que le bronze peut survivre là où le fer est
rongé par le temps.
L'Orient, d'où nous viennent toutes nos connaissances sur
le travail et l'emploi des métaux, a connu le fer et le bronze
dès la plus haute antiquité : « Tubalcaïn, dit la Genèse, fut
» habile en toutes sortes d'ouvrages d'airain et de fer (-) -, »
et nous n'avons pas oublié que ce Tubalcaïn vivait environ
3000 ans avant Jésus-Christ, dans le temps où la Chine
fabriquait des poteries admirables à pâte dure et lustrée que
le fer ne pouvait rayer (3).
L'usage du bronze en Gaule est bien loin d'avoir une telle
antiquité ; il a bien pu nous être transmis de l'Asie avant
celui du fer ; mais cet usage n'a point cessé : les deux
métaux ont été employés simultanément, côte a côte, jusqu'à
nos jours ; et on les trouve fort bien mariés dans les armes
dont se servaient les Gaulois au commencement de l'ère
chrétienne. En fouillant des'sépultures gauloises et romaines,
(') « M. Bertrand affirme qu'il n'y a pas eu en Gaule d'âge du bronze,
" et il adjure les savants d'abandonner définitivement cette malheureuse
» expression d'âge, qui dépasse presque toujours, par les idées accessoires
» qu'elle entraîne avec elle, la portée des laits. •> (Les Splendeurs de la Foi,
par l'abbé Moigno — Appendice H, p. 84, tome II.)
('-) Genèse, ch. IV, v. 22. == « Thobcl trouva l'art de forger, » dit l'his-
torien Josephe, liv. 1er, cb. 11. = Je pense volontiers, comme l'auteur du
/' réliminaire apologétique, que « la l'orge a précédé toutes les sciences pour
» les créer. » (L'Exposition de Paris, p. 262.)
(3) L'Exposition dt Paris, p. 282.
-218
l'abbé Cochet a rencontré des épées en fer avec des garni-
tures en bronze ; et pendant qu'il découvrait en Normandie
des pointes de lances en fer, il signalait des découvertes de
lances en bronze, d'un modèle semblable, dans l'Allier, a
Vire, à Compiègue. En parlant d'une des épées qu'il venait
de recueillir, il dit : « Elle tranchait des deux cotés comme
» les épées franques, comme les épées romaines, comme les
» épées gauloises en bronze, ou au moins qu'on appelle de
» ce nom (i). » Le savant abbé, enfin, a trouvé l'emploi du
bronze jusque dans les épées à deux tranchants de l'époque
mérovingienne (2).
En ce qui concerne notre Armorique, les découvertes
d'épées en fer sont très rares. J'ai signalé plus haut les deux
épées de ce genre qui ont été recueillies à la Guesne.
Les monnaies d'or, les objets en fer, en cuivre, en bronze,
rencontrés sous les alluvions, peuvent donc avoir été en
usage au temps de la conquête, et dans ce cas-là, l'affaisse-
ment ne l'aurait pas précédée. Mais la preuve en est difficile
à faire, puisqu'on employait ces métaux avant et après César.
Nous n'avons la que des présomptions et non des preuves. Il
faut donc chercher d'un autre côté.
M. Maître signale la présence, en ce pays, d'un assez grand
nombre de ruines gallo-romaines ; malheureusement les
indications ne sont pas toujours assez précises pour servir
en notre sujet (3).
On voit bien que les habitants de l'île des Eaux, en creu-
sant des fusses pour enclore leurs prés, ont découvert des
débris de murs en briques ; que l'enclos du prieuré d'Er a
fourni tant de monnaies romaines, qu'il pourrait bien passer
(') Des sépultures, p. 17.
(a) Des sépultures, p. 171.
(3) De remplacement du port de Corbilon, p. 101 à 104.
219
pour le siège d'une riche villa ; qu'un propriétaire transfor-
mant en prairie un petit marécage, découvrit un atelier de
fondeur ; et que tous les dépôts signalés sont voisins d'amas
de tuiles à rebords. Mais on ne voit pas avec assez de pré-
cision la situation de ces monnaies, de ces murs en briques,
de ces amas de tuiles à rebords, par rapport a la hauteur
des marées du fleuve. Il est évident que s'ils sont dans la
zone des alluvions, plus bas que la face du colmatage, c'est
que les apports d'argile se sont fermés sur eux et que l'affais-
sement leur est postérieur. Il s'agit de savoir s'ils sont plus
bas que le plan supérieur du colmatage.
Je ne connais guère en ce moment que deux ou trois faits
qui permettent de tirer une conclusion dans le sens de la
date de l'affaissement ; savoir :
De M. Maître qui signale : au Rio-dcs-Mortiers, en Saint-
Gildas, les fondations d'un four trouvées sous une couche
d'alluvions de 0"\30 d'épaisseur et entourées d'une immense
quantité de briques à rebords (*) ; en Crossac, les fondations
d'un four de l'époque gauloise, rétabli par les Romains et
autour desquelles les alluvions avaient monté de deux pieds ;
un chêne avait poussé au-dessus (2).
De M. Kerviler qui a découvert dans les terrains de Pen-
houét, ii lm,50 au-dessous des basses mers, un certain
nombre de débris gallo-romains : de la poterie rouge, de la
poterie brune et des anses d'amphore, puis parmi ces débris,
un bronze de l'empereur Tetricus (3).
La régularité des couches d'alluvions observées par
M. Kerviler nous prouve que, pendant leur formation, il n'y
(*) De L'emplacement du port de Corbilon, p. 95.
(a) De iemplucemcul du port de Corbilon, p. 89, 90 et 103 et note de la
page 90.
(3) L'Age du Bronze, et les Gallo-Romains, p. '21.
a point eu de ces bouleversements qui font quelquefois tics-
cendre dans la partie inférieure des dépôts appartenant à la
couche supérieure -, là, il n'y a rien qui indique des déplace-
ments,, des entraînements, des retours d'alluvions.
D'après la planche V qui accompagne Y Age de Bronze,
de M. Kerviler, nous voyons que ces objets ont été recueillis,
les uns, au bas du dolmen de Saint-Nazaire, sur la rive
droite du vieux Brivet, les autres, dans une anse en forme
de cirque, au fond de la baie de Pcnhouët, sur la rive gauche
et hors du cours de ce ruisseau. Ils étaient dans une couche
sableuse recouverte d'une couche de vase de 6 mètres
d'épaisseur (i).
La couche de sable dut être apportée la par le vent, lors-
que le sol était hors des eaux, et elle devait représenter la
surface du terrain au IIIe siècle, puisque l'usurpateur Tetricus
a régné de 268 à 274. Les alluvions, suite de l'affaissement
du sol, se sont évidemment formées en ces lieux après la
perte des poteries antiques et du bronze romain : l'affaisse-
ment est donc postérieur à l'an 267.
On invoque cependant la voie dite romaine conduisant de
la Mossardière a Méan, pour affirmer que le terrain n'a pas
changé depuis dix-huit siècles, et que la barre des alluvions
qui ferme, au sud, le golfe de la Grandc-Brière, est anté-
rieure a l'ère chrétienne (-).
Je crois qu'on a plus d'une fois abusé des voies romaines,
comme on l'a fait de la brique romaine : on en trouve de
tous les côtés et on leur donne toujours dix-huit siècles d'exis-
tence. Cependant, de même que les routes françaises, les
(') M. Kerviler croit que cette couche de 6 mètres a mis IliOO ans ii se
former ; je pense qu'elle a mis moins de '6 ans, sauf la face supérieure qu
s'est colmatée lentement.
(2) !><■ l'emplacement <lu port de Corbilon,, p. lis.
221
voies romaines iront pas été établies en un jour : on ne
construisit, en France, que des routes de premier ordre au
XVII" et au XVIIIe siècle ; en 1811, on commença la cons-
truction d'un réseau moins important, qui fut celui des
routes départementales; et de nos jours, en 183H, furent
créées les voies vicinales qui, depuis vingt ans surtout, ont
pris un si grand développement dans la France entière (<)•
C'est ainsi que furent établies les voies romaines : il n'a
pas été employé moins de quatre siècles et demi pour les
exécuter dans la Gaule ; et une petite partie seulement remonte
au temps d'Auguste (2).
On commença évidemment par les plus importantes ; on
établit ensuite des voies secondaires, puis on finit par les
voies que l'appellerai vicinales.
Or, la voie de la Mossardière, qu'on invoque en ce sujet,
n'a même pas l'importance d'une voie vicinale : elle a son
origine au pied du village de ce nom, au bord même des
marais ; elle se dirige vers le levant, sur l'îlot le plus voisin,
la Ravine, pour suivre ensuite un petit plateau jusqu'à Méan,
où elle dut s'embrancher dans une voie plus grande condui-
sant de Sainl-Nazairc à Montoir. Elle est sans prolongement
vers le couchant sur les terres labourables de Saint-Nazaire ;
(') Les voies romaines ont dû s'arrêter aux temps mérovingiens, a qui
elles ont suffi. Charlemagne a fait exécuter des voies militaires ; Philippe-
Auguste a fait faire des routes nouvelles ; et sous la Féodalité, au Moyen-Age,
les seigneurs que cela intéressait, se sont servi de la Corvée dans l'intérêt
de la viabilité de leurs chemins. C'est sous Henri IV que l'Etat s'occupa
sérieusement de l'entretien des voies de communication; et on peut dire que
nos grandes routes, les routes royales, ne furent exécutées d'une façon
régulière qu'à partir de la création du corps des ponts et chaussées, en
1720.
(2) Géographie de la Gaule, par Desjardins : Introduction à la Table de
Peutinger, p. lxxxix.
2&2
et il me parait évident que l'auteur de la voie n'a pas eu la
pensée de la prolonger en ligne droite, dans cette direction,
en dehors des marais : car son origine , à la Mossardière ,
est au bas d'une butte qu'il eût fallu déblayer pour aller au
delà ; un ingénieur qui aurait eu en vue ce prolongement ,
aurait choisi un autre point de départ.
La voie a 11 mètres de largeur dont 5 à 7 mètres pour la
chaussée ; elle est établie en relief au-dessus des marais ;
son empierrement a une faible épaisseur, 0m,10 environ, et
il est formé de pierres cassées plus grosses que celles de nos
chemins vicinaux ; ces pierres sont couchées immédiatement
sur le sol, sans fondations de grosses pierres, comme cela a
lieu dans les voies romaines de quelque importance (•).
Je n'ai pas remarqué de traces de roulage sur l'empierre-
ment de celte voie.
Si les Romains l'ont construite, s'ils ont eu l'intention
d'en faire une voie très secondaire, je suppose qu'ils ont
été interrompus dans leur œuvre par le soulèvement des
peuples de l'Armorique. Ce serait, dans ce cas, un travail
du IVe ou du Ve siècle. Elle a été établie après l'affaissement
des marais, après le colmatage qui en fut la suite, après le
comblement du vieux Brivet; et son niveau est encore
au-dessous des hautes marées.
Je ne crois guère à l'antiquité de ce chemin, et ne serais
pas étonné qu'un puissant propriétaire des environs ne l'eût
fait exécuter dans son intérêt, à une époque encore peu
éloignée de nous, soit pour raccourcir son parcours en
évitant la pointe de Saint-Nazaire, soit pour arriver direetc-
(<) Je (lois les dimensions de la voie à l'obligeance de mon ancien collabo-
rateur, M. Ollive, agent-voyer d'arrondissement : il estime que la chaussée
est recouverte d'une couche de terre d'environ 0^,25 ; qu'elle est à 0^,30
au moins au-dessus des prés voisins ; et que les grandes marées peuvent
recouvrir ceux-ci de 0m,80 à lm,20.
223
ment au petit port de Méan qui, après 1690, remplaça celui
de Montoir (').
Extension de V affaissement.
L'affaissement de la Brière ne fut pas un fait isolé ni local.
Dans le même temps et de la même manière devait s'opérer
l'affaissement du Trait du Groisic. Le mouvement du sol
devait s'étendre, d'un côté, au litloral armoricain, et affecter
la mer intérieure du Morbihan ; d'un autre côté, au littoral
vendéen, et entraîner Noirmoutier : ici, le dolmen ruiné, de
la pointe de l'Herbaudière, que les vagues viennent souvent
recouvrir, et celui de la Table, reconnu par M. Charier-
Fillon au-dessous du niveau de la mer, sont des témoins
dont l'autorité ne saurait être mise en doute (2).
Gomme preuve de l'affaissement du Grand-Trait, nous
(') D'après Ogée, le port du Brivet était à Montoir avant le XVUIe siècle,
et il fut obstrué par un ouragan en 1690.
(J) « Charier-Filton, dans trois remarquables mémoires, a démontré que
» Noirmoutier subit un affaissement lent. Des dolmens ont été reconnus par
» lui sous les flots. 11 ne peut y avoir d'erreur pour celui de la Table,
» puisqu'il diffère des roebés calcaires sur lesquelles il repose (grès du bois
» de la Chaise), et que près de lui gisent ses supports. » {Noirmoutier,
par le Dr Viaud-Grand-Marais, p. 3.)
« Sur les Chevaux, faisant autrefois partie du Pilier, le même auteur a
» découvert dans une dépression chargée de varech, des débris considérables
» de terre cuite, de carrelage et de vases vernissés. A ces preuves de sub-
» sidence, on pourrait ajouter les restes de construction qui se voient
» sur l'Hommée, dans l'anse de Luzéronde, aux marées d'équinoxe. » {ld.,
p. 3.)
Des restes de construction en place peuvent être invoqués comme preuve
de l'affaissement du sol; mais il n'en est pas ainsi des débris de construc-
tion que les flots ont pu entraîner après avoir affouillé et bouleversé le
sol qui les portait.
avons les couches de tourbe rencontrées dans l'anse de
l'Enclis, à 2 mètres en contre-bas des grandes marées;
dans la baie de La ïurballe, a 3 mètres ; au bas de la plage
Valentin, à 5 ou 6 mètres. Ici, des causes semblables a celles
dont j'ai parlé au sujet de la Brière, ont produit des effets
semblables (').
Il serait fort intéressant pour la science de constater avec
soin, par des fouilles bien, conduites, la situation et le niveau
de la forêt enfouie dans les sables de Penbron, entre la baie
du Croisic et les terres de l'Enclis. Celte opération nous
donnerait, je n'en doute pas, des renseignements précieux.
Gomme marque de l'affaissement, je citerai également
l'atelier du potier rencontré à 1 mètre en contre-bas d'une
chaussée établie au niveau des hautes mers (2).
(') « On observe, dit encore Beudan, sur plusieurs points des cotes de
» France et d'Angleterre, à marée basse, des dépôts très étendus de végétaux
» semblables à ceux qui vivent dans nos climats, et que tout annonce être
» encore à la place où ils ont vécu; d'autant plus qu'on y voit des artfres
» debout et des racines fixées au sol. Ces dépôts imposent sur des matières
» terreuses jonebées de feuilles entassées les unes sur les autres, et sont
>» recouverts par des argiles l'emplies de coquilles d'eau douce; ils renferment
» des bouleaux, des noisetiers, des chênes, des sapins, des débris de diverses
» espèces de cerfs, comme les tourbières. Or, ces forêts sous-marines,
» ainsi qu'on les a nommées, n'ont pu végéter que sur un sol découvert,
» plus ou moins élevé au-dessus des mers; et comme elles se trouvent
» aujourd'hui placées au-dessous, et ne sont découvertes que dans les grandes
» marées, il faut bien que le terrain se soit affaissé depuis l'époque de la
» végétation actuelle. » (Géologie, p. 124-125.)
(') Annales de la Société Académique, 1889, p. 304.
Les ruines gallo-romaines du Diaulet, à Kerbrenezé, ont dû avoir été
témoins de l'affaissement du sol, et le puits qu'on y a rencontré pourrait
bien être une preuve de cet affaissement. Ces ruines sont placées à 2 mètres
au-dessus des hautes marées; le puits a été fouillé jusqu'à 3 mètres de
profondeur : les eaux d'infiltration n'ont pas permis de descendre davantage.
[ld., p. 345.)
22S
Je crois pouvoir citer aussi une pierre debout, dont j'ai
constaté la présence dans les marais salants, il y a c25 ans,
et que je n'ai plus retrouvée dans ces dernières années. Elle
était dans une vasière bordant le chemin vicinal qui dessert
le côté nord des marais.
Je n'ai pu en approcher, mais j'ai estimé qu'elle avait
1 mètre de hauteur au-dessus de la vasière; je l'ai prise
pour un menhir de modestes dimensions. Elle était un peu
moins épaisse et un peu moins haute que le menhir du
champ de la Pierre, situé au couchant de la route de Saille
à Guérande, et dont la base est à moins de 2 mètres au-
dessus du niveau des grandes marées («).
Voici une autre marque qui s'applique au versant nord
du plateau de Guérande : « Quand on parcourt le palus de
» Pont-d'Armes, dit M. Maître, on constate l'existence d'une
» voie romaine absolument certaine au-dessous du niveau
» des marées. J'en ai vu de mes yeux l'empierrement plein
o de tuiles à rebords dans les marais et dans les flancs
» d'une vasière (2). »
Du moment où la voie est au-dessous du niveau des marées
et qu'elle n'a pu être construite dans ces conditions, c'est
qu'elle est placée sur mi sol qui s'est affaissé depuis son
établissement.
Cette voie, qui devait conduire de Guérande à La Roche-
Bernard, n'était évidemment qu'une voie secondaire et n'a
pu être construite que dans la dernière période de l'occupa-
tion, soit vers le IIIe ou le IVe siècle. Mais nous avons déjà
vu, par le bronze de Tetricus, que l'affaissement du sol n'a
(*) Le propriétaire de la vasière déclarait, d'après son grand-père, que
ses ancêtres avaient toujours connu cette pierre. Le menhir du champ de la
Pierre a 1 m , 5 0 de hauteur au-dessus du champ.
(2) Annales de la Société Académique, p. 311.
15
2Û2G
pu avoir lieu avant l'an 268. La voie affaissée de Pont-
ci' Armes viendrait confirmer la conclusion tirée de la présence
de la monnaie romaine sous les alluvions de Pcnhouèt.
Nous pouvons tirer plusieurs conséquences de cet événe-
ment extraordinaire.
Avant le IIIe siècle de l'ère chrétienne, la plaine de Montoir
était une vallée fertile parsemée d'arbres, ondulée au levant,
plate au couchant; le Biïvet recevait la plupart de ses petits
ruisseaux, notamment celui de la Brière, et se jetait dans la
Loire près de Saint-Nazaire, entre les mamelons de la
Dermurie et de Penhouët.
Le niveau de la plaine dépassait alors de plus de 7 mètres
celui des basses mers (»); le niveau des marais salants du
Croisic et de Mesquer était encore plus élevé : de sorte que
tout ce qui forme le sol actuel des marais salants était
beaucoup au-dessus des eaux. m
L'entrée actuelle du port du Croisic présente un fond de
rocher qui découvre dans les plus basses mers : la passe de
la Mézec ou des Rouzins est à moins d'un mètre au-dessous
du zéro de Saint-Nazaire; on peut en conclure qu'avant
l'affaissement, celte passe, comprise entre la naissance de
la jetée et les sables de Penbron, était complètement
(1) Je me base sur ce fait que le bronze de Tetricus, recueilli à 1m, 50
au-dessous du zéro de Saint-Nazaire et tombé sur le sol sablonneux et non
encore affaissé du rivage, était au-dessus des plus hautes mers de ce temps-là :
G mètres pour les hautes mers, plus lm,50 au-dessous, cela fait 700,50.
Je suppose le cas le plus naturel, c'est-à-dire que le tetricus est tombé sur
le sable au-dessus des eaux: s'il était tombé dans l'eau, il aurait été enfoui
dans l'argile.
Sur la plage située à l'aval du môle do Saint-Nazaire, où s'agitent les
vagues chargées de vase et de sable, l'argile entraînée par leur mouvement
ne se forme en dépôt qu'au bas de la pente; quant au sable, il s'use dans
ce mouvement de va-et-vient, et lorsqu'il a atteint assez de finesse, il est
soulevé par le vent et entraîné au sommet de la plage à l'abri des eaux.
227
au-dessus des eaux. Au sein du Grand-Trait, on rencontre
dos rochers qui correspondent à la cote de 3ra,40 de Saint-
Nazaire; la grève est à la cote de 3 mètres : de sorte qu'une
partie, sinon le tout de cette petite mer intérieure, était
également au-dessus des eaux.
L'affaissement n'ayant eu lieu qu'après l'an 268, les
éléments d'un grand port dans le Trait du Groisic n'existaient
donc pas au commencement de l'ère chrétienne; alors il n'y
avait pas de place pour abriter les deux cent vingt vaisseaux
qui, prétend-on, attendaient la flotte de Brutus (<).
En ce temps-là, le territoire du Croisic pouvait s'étendre
de deux kilomètres au couchant dans la direction du Four,
car la sonde rencontre des roches peu profondes dans cet
intervalle ; entre celte ligne de deux kilomètres et le plateau
du Four, il y a des fonds d'argile sous 13 à 16 mètres d'eau,
à la basse mer.
Entre le plateau de Piriac et l'île du Met, l'argile se
présente sous 13 mèlres d'eau (?).
Avant l'affaissement, les rochers des Evens, de Bagucnaud,
de Pierre-Percée devaient faire partie du rivage de Pouliguen,
de Pornichet et de Ghemoulin, du moins au moment des
eaux moyennes.
En ce qui concerne l'île des femmes Samnites, le texte
de Strabon ne me paraît pas applicable à l'île du Met, trop
éloignée de la Loire. L'île mystérieuse devait être dans les
{tarages de la poinle de Chemoulin, vers le Grand-Charpentier,
alors au-dessus des hautes mers, et même en communication
(') Si l'on faisait une fouille dans la grève du Grand-Trait, qui a?sèche à
toutes les marées, je pense qu'on trouverait à moins de 1 mètres, sous la
couche de sable, peut-être à moins d'un mètre, une couche d'argile repré-
sentant le sol qui était aii-dcssus des eaux, il y a quinze ou seize siècles.
(,2) Le plateau de Piriac est un fond de rocher qui s'étend à 3 kilomètres
en mer dans la direction de l'Ile du Met.
228
avec le rivage au moment des liasses eaux; si elle n'était pas
là, elle pouvait être à la Banche, peut-être au Four. Sinon, il
faut renoncer à la chercher : la puissance des vagues en a
l'ait disparaître les traces (•).
De l'emporium de Corbilon.
J'arrive enfin a Corbilon par cpii je termine mon étude.
11 a été fait d'habiles exposés de la situation de Sainl-
Nazaire et des lieux environnants, pour chercher à prouver,
d'un côté, que l'anse de Saint-Nazaire abritait le port
Brivales; d'un autre côté, qu'elle abritait Corbilon. J'ai
répondu, il y 9 une huitaine d'années, au premier point; je
nié propose d'examiner maintenant les trois raisons impor-
tantes qui ont déterminé le choix de Corbilon, et que voici:
1° « Strabon nous dit que, pour passer du continent dans
» la Bretagne, les voyageurs avaient l'habitude de s'embar-
» quer à l'embouchure des quatre grands fleuves qu'on
» nomme le Rhin, la Seine, la Loire et la Garonne ('-). »
2° « Une agglomération industrielle ne va jamais sans un
» port; » tout le bassin de la Brière annonce une richesse
antique considérable; « la rivière du Brivet... était le seul
» débouché, la seule voie par laquelle l'industrie put com-
» muniquer avec la Loire et l'Océan. » Un port notable
doit se trouver à son embouchure.
3° « La Loire y amène tous les chalands de l'intérieur de
» la Gaule, tous les bateaux de l'Allier, de l'Indre et du
» Cher, et la mer y donne accès aux Phéniciens et à tous
u les négociants de la Méditerranée (3). *>
(•) Dans ces appréciations, je nie suis servi des cartes marines.
(3) De l'emplacement du port de Corbilon. par M. Maître, p. 112.
(3) ld. Id. Id. p. 108.
229
« Un port comme Gorbilon... devait être près de la
» route parcourue par les Phéniciens. . . et non pas dans
» l'intérieur des terres (•). »
Pour une contrée aussi riche, il faut un marché important.
« Quel sera ce port de commerce, si ce n'est l'emporium de
» Corbilon, et où le placerons-nous, si ce n'est à Saint-
» Nazaire (*)? »
Je vais passer en revue ces diverses raisons dont je n'ai
pas cherché à affaiblir la valeur.
En parlant du port Brivates dans un chapitre précédent,
j'ai fait remarquer qu'on s'est servi de quatre lignes de
Slrabon pour affirmer que le port d'embarquement des
bouches de la Loire était dans le port du Croisic. Ici on
invoque ce même passage du géographe pour déclarer
« que la navigation maritime du Ier siècle avait tous
» ses points d'attache a l'embouchure de nos plus grands
» fleuves (3). »
J'ai combattu cette opinion au chapitre du port Brivates.
Ici je me bornerai à constater que Yemporium de la
Garonne était à Bordeaux (*); que nous cherchons celui de
la Loire et que nous pourrions bien trouver des raisons
pour le placer dans les environs de Nantes; que les Tables
de Ptolémée et de Peutinger nous montrent, sur la Basse-
Seine, deux villes : Rouen loin de la mer et Lillebonne a 8
ou 10 lieues de la Manche. Je n'ai pas étudié le Rhin, mais
cela nous suffit bien pour nous permettre d'affirmer que le
passage de Slrabon ne peut pas, ne doit pas être invoqué
(') De l'emplacement du port de Corbilon, par M. Maître, p. 111.
(2) Id. kl. ld. p. 118.
(3) ld. kl. Id. p. 112.
(;) Géographie de Strabon, liv. IV, ch. II. Arles, située à dix lieues des
Bouches-du-Rliûnc, est également citée par Strabon comme le marche
important du fleuve, liv. IV, ch. l°r( § 0.
250
en faveur de l'existence, à l'embouchure même de la Loire,
d'un port d'embarquement pour l'île de Bretagne.
Voici maintenant la seconde raison.
Une agglomération industrielle, dit-on, ne va pas sans un
port, sans un port notable. 11 s'agit de s'entendre, car c'est
une affaire de mesure. On a fait un grand tableau de la
richesse industrielle de cette contrée, comme on l'a fait
aussi pour les environs de Guérande. Mais ce tableau embrasse
des siècles, il ne faut pas l'oublier, et l'industrie annuelle
pouvait bien n'être que fort peu de chose. Tout bien consi-
déré, je ne vois là qu'une industrie locale dont l'importance
n'est pas démontrée; et ce n'est pas pour une industrie
locale qu'on crée de grands ports. Ici, Corbilon ayant été
le marché de la Loire, il n'y aurait pas eu de proportion
entre la cause et l'effet.
Nous avons dans notre déparlement un grand nombre
d'industries aussi intéressantes, je pense, que pouvait l'être
l'industrie antique des bords de la Brière; elles se conten-
tent toutes de petits ports et n'ont pour centre que de
petits villages. Je pourrais en citer vingt; je me bornerai à
nommer le port de Messan où s'embarquent les bois abon-
dants de la forêt de Prince, el les briques 1res répandues de
Vue et de la Feuillardais.
11 faut autre chose pour le commerce général. H sullisail
d'un faible espace vers l'embouchure du Brivet pour le
commerce de la contrée. Aussi est-ce à Monloir, non pas à
Saint-Nazaire, qu'on trouve encore au XVIIe siècle le port
de la Brière, [tort transféré à Méan après l'ouragan de 1690
qui rendit fort difficile la navigation du Bas-Brivet (*).
La troisième raison a-t-elle plus de valeur? Est-il donc vrai
que les chalands, les bateaux de la Haute-Loire, de l'Allier,
(') Dictionnaire dO^ée, urliclc Monloir.
231
de l'Indre et du Cher allaient jusqu'à Saint-Nazaire porter
leurs marchandises ?
En réalité, au siècle dernier comme à la fin de la Restau-
ration, Saint-Nazaire était une station dangereuse pour les
bateaux-pilotes de l'entrée de la Loire ; il n'y avait pas d'abri
pour les bâtiments de commerce mouillés en rade au moment
de la débâcle des glaces du fleuve ; tout au plus y voyait-on
des barges attendant les voyageurs du Croisic et de Guérande
pour les transporter à Nantes («). Quant à la navigation
fluviale, elle n'a commencé à se servir de Saint-Nazaire
qu'en 1860, deux ans après l'ouverture du bassin.
. Ce sont des gabares du port de Nantes, -appelées allèges,
qui faisaient le transport des marchandises entre Nantes et
la Basse-Loire: elles étaient construites assez solidement
pour affronter les vagues de l'embouchure du fleuve; mais
elles n'allaient pas jusqu'à Saint-Nazaire: elles s'arrêtaient
en rade de Paimbœuf où elles allégeaient le grand navire,
de manière à lui permettre la montée de la Loire avec une
partie de son chargement C2).
Quant aux rares bateaux des Phéniciens, ils avaient autre
chose en vue que le commerce avec l'embouchure de la
Loire; ils allaient surtout chercher l'étain des îles Cassité-
rides , et je ne crois pas qu'il fût bien nécessaire qu'un
emporium de l'importance de Corbilon fût placé exprès à
leur portée à l'embouchure de notre grand fleuve.
Avec ces deux lignes de Strabon, tant de fois reproduites,
qu'il y avait avant lui, sur la Loire, un emporium du nom
(') Dictionnaire d'Ogée, article Saint-Nazaire.
(5) « Il ne tut jamais question pendant toute cette période , dit
» M. Kerviler, d'un établissement maritime à Saint-Nazaire; et Paimbœuf. . .
» garda jusqu'au XIXe siècle sa situation d'avant-port de Nantes. » (Notice
sur le port de Saint-Nazaire, p. (î.)
232
de Corbiloo ('), j'ai toujours pensé, et je pense encore, qu'il
est bien difficile de reconnaître la situation de cette ville
gauloise disparue. Cependant plus le problème présentait de
difficultés, plus les chercheurs se montraient, nombreux pour
essayer de déterminer cette situation, c'est comme pour la
quadrature du cercle; et depuis Blois — sur le haut du
fleuve — jusqu'à Blain — dans les terres — jusqu'auprès
de Guérande — sur la mer — bien des lieux se sont pré-
sentés aux regards des savants comme des emplacements de
l'antique Corbilon.
Malgré certains rapports de noms, malgré la grosse somme
de science dépensée dans ces dissertations, je n'étais point
satisfait: c'étaient des assauts de savoir et non de logique.
Les preuves manquaient absolument; elles manquent encore
et je crains bien qu'elles ne manquent toujours-
J'avais mis timidement en avant, sans chercher a en tirer
le moindre profit, un lieu auquel personne n'a jamais songé^
on .l'a regardé d'autant plus haut que l'indication était
modeste. Je demande à la Société Académique la permission
de revenir sur ce lieu-là, en la [niant de bien se rappeler
que je ne donne pas mes raisons pour des preuves.
Lorsque le commerce a établi un centre d'affaires, il ne
s'en éloigne pas sms*de 1res graves motifs, et pour le
remplacer il \\r va pas chercher le bout du inonde. Si vous
brûlez une ville, elle renaît de ses cendres. 11 n'a pas fallu
moins (pie l'application de la vapeur pour obliger Nantes à
partager ses grandes opérations avec Saint-Nazaire.
Il y a bien des siècles, 1600 ans peut-être, que Nantes
i'st Vemporium de la Loire ; l'emporium qu'il a remplacé
ne pouvait être loin de là.
(') M. Kervilcr traduit: « à l'embouchure de la Loire {Notice sur le port
» de Saint-Nazaire, p. \). >> Malheureusement Strabon n'a pas cette
précision.
Si les habitants de Blois ou du pays de Guérande avaient
été, ainsi qu'un l'a dit, en possession du commerce de la
Loire, au temps de Scipion, est-ce qu'après la ruine de leur
place, ils seraient allés à Nantes rétablir leurs maisons et
continuer leur commerce? Non. Corbilon ruiné, ses habitants
ont cherché un abri dans son voisinage.
Il lui. un temps, quelques centaines d'années avant l'épis-
copat de saint Félix, où Nantes n'était qu'un vicus, un port
naissant, et dans ce même temps, il y avait tout près de la,
un lieu commerçant, Ratiale, que Ptolémée qualifie de ville
et qui fut un port de la Loire, d'après un écrivain du
IXe siècle, l'abbé Hermantaire.
Si l'on en juge d'après l'importance, au second siècle, de
Nantes, un village, et de Rezé, une ville, le port de la Loire
devait être alors et antérieurement à Rezé. Ptolémée ne
donne pas le nom de port aux villes qui, de son temps,
étaient eu possession du commerce, comme Vannes, Rouen,
Bordeaux, Marseille, et comme devait l'être Ratiate, et nous
savons qu'il ne parle pas plus de Nantes que si notre ville
n'eût pas alors existé.
Nous pouvons donc, sans trop de hardiesse, conjecturer
que Rezé était, avant Nantes, en possession du commerce
de la Loire.
Mais avant Rezé, il y avait l'emporium de Corbilon qui fut
ruiné, on ne sait comment, avant l'ère chrétienne. J'estime,
toujours par cette raison que si le commerce est obligé, pour
de graves motifs, de quitter son centre d'affaires, il va le
moins loin possible chercher une place nouvelle ; j'estime
que ce Corbilon ne pouvait être éloigné de Ratiale et que ses
habitants, entravés dans leur commerce par une cause peut-
être toute naturelle, l'ensablement du port, cherchèrent
autour d'eux une situation a leur convenance.
Me voilà conduit à chercher Corbilon, non pas à Blois ou
234
à Poniieliel, mais dans le voisinage de llezé et à portée des
marées dn fleuve. Dans ce voisinage, un nom attire mon
attention, celui de Corbon, qui est tout fait pour dériver de
Gorbilon, comme Nantes des Nannètes et Rennes des Rcdones.
La contraction des noms est exactement la même. Qu'est-ce
que Corbon ?
Sur la rive gauche de la Loire , au nord et à Test
du bourg de Basse-Goulaine , il y a des prairies que
recouvraient toutes les crues de printemps , avant l'exé-
cution de la levéede la Divate , et que recouvrent encore
les eaux pluviales accumulées dans le bassin , lorsque
les inondations du fleuve ont quelque durée. Ces prairies
ont toutes été formées par des alluvions de la Loire, et
elles faisaient sûrement partie de son lit à une époque que
je ne saurais déterminer, mais qui n'est pas aussi vieille,
que notre ère.
Au fond de l'estuaire dont ces prairies dépendent, on
rencontre un abri remarquable bordé de trois côtés par des
terrains élevés : au couchant, le plateau de Basse-Goulaine
qui s'élève a 35 mètres d'altitude ; au midi, celui du Carlron
qui atteint 23 mètres, et au levant, l'île Chaland qui atteint
19 mètres. Cet abri a encore des parties marécageuses, et
il a son ouverture du côté nord, sur le fleuve. C'est sur la
pente du plateau du couchant, presqu'au bas, que se trouve
le hameau de Corbon, à un kilomètre au sud-est du bourg
de Basse-Goulaine.
Je ne connais pas de ruines gallo-romaines à Corbon ; il
ne pourrait y en avoir que si Corbilon avait continué à être
un centre important, pendant les siècles qui ont suivi la
conquête ; mais celte place n'existait plus au temps de Slrabon,
et on sait que les ruines gauloises ont à peine laissé des
traces parmi nous ; les ruines des maisons en pisé cl en
chaume se confondent bientôt avec le sol sur lequel elles
•255
sont tombées. L'absence de ruines antiques à Corbon n'a
donc point d'importance dans mon sujet.
Si je pars maintenant de l'inconnue considérée comme
résolue, c'est-à-dire si je pars du vieil emporium pour
remonter à l'emporium de nos jours, je retrouverai Nantes
sans effort par un raisonnement de la plus grande simplicité.
Au fond de son estuaire, Gorbilon est envahi par les sables
du fleuve , comme on a la certitude que l'a été Corbon ; les
moyens d'entretien sont insuffisants ; un jour arrive où l'accès
du port, de difficile qu'il était, devient impossible pour les
barques de la Loire. 11 faut [«rendre un parti radical, — le
mot n'était pas encore inventé, — il faut remplacer le port
ensablé par un port d'un accès facile et qui ne soit pas
éloigné. Du côté de l'aval, — car les peuples descendent les
fleuves plutôt qu'ils ne les remontent, — on cherche un lieu
qui puisse remplacer Corbilon ; on trouve un peu plus bas,
sur la même rive, un bel emplacement au confluent de la
Loire et de la Sèvre. Les commerçants de Gorbilon ne
pouvaient rencontrer sur la rive des Piétons un lieu qui fût
plus à leur portée et à leur convenance. Ptolémée appelle ce
lieu-la Ratiale.
Au second siècle de l'ère chrétienne, Ratiate était une
ville assez importante pour attirer l'attention du géographe
d'Alexandrie. 11 parle bien du port Sicor, situé à Pornic ou
dans le voisinage ; il parle aussi du port Brivates abrité
peut-être dans l'estuaire de Penestin ; mais il ne dit rien du
viens portas qui devait devenir Nantes : ce village, au nom
latin, n'était pas encore éloigné de sa naissance ; il était en
voie de progrès et devait bientôt remplacer Ratiate, comme
Ratiate avait remplacé Corbilon ; mais ce n'était pas encore
une ville.
Devant Rezé-Ratiale, il existe une ile de trois kilomètres
de long, qui est formée depuis bien des siècles ; sa formation
236
a favorisé le dépôt des alluvions dans le port môme de
Ratiale et a nui certainement au développement de ce port.
Pendant quatre ou cinq siècles, le port de Ratiale a pu
remplacer celui de Corbilon ; mais gêné dans son développe-
ment par les alluvions du fleuve plus abondantes, je crois,
qu'aujourd'hui, il a vu sa prospérité décroître et le commerce
l'abandonner. C'est dans ce temps-là que Nantes, sa voisine,
grandissait, qu'elle édifiait son Tribunal de Commerce, et
qu'elle commença à devenir Yemponum de la Loire.
Le nouvel emporium fut menacé, lui aussi, par les allu-
vions, et si un génie prévoyant n'était venu de bonne heure
à son secours, c'est peut-être encore plus bas, vers les îles
d'Indre, que' serait descendu le centre commercial de la
Loire ; au point de vue du commerce maritime, il se borna
ii descendre du Port-Maillard à la Fosse. Peut-être doit-on
la conjuration du péril à saint Félix, par des travaux destinés
à ramener les eaux courantes devant la petite ville qui n'occu-
pait alors, le long du fleuve, que la rive comprise entre le
château et le Bouffa y.
En résumé, en trois époques successives, nous rencontrons
trois ports distincts, un pour chaque époque, dans la même
région du fleuve. Au temps de Posidonius et de Scipiou,
l'emporium de la Loire s'appelle Corbilon ; Corbilon dispa-
rait, et au temps de Ptolétnée, il y a dans la même région,
un port auquel le géographe donne le nom de Ratiale; enfin,
pendant que Ratiale est encore une ville, vïs-;:-vi> d'elle, sur
l'autre rive, un village naît, grandit, remplace le port des
Piclons et devient à son tour Yemporium de la Loire. Grâce
à des travaux entrepris avec intelligence et continués avec
ténacité, Nantes passe avec ce titre à travers les siècles et il
le conserve jusqu'à nous.
.le ne veux pas pousser la témérité jusqu'à affirmer que
les choses se sont passées de cette manière -, et je pense.
237
comme Dom Lobineau, qu'il « n'est pas donné à huit le
» monde... de prendre pour des découvertes solides de
» simples rapports de noms et d'élimologies ('). » Cepen-
dant ce système a pour lui la vraisemblance, la nature
des choses, l'enchaînement des faits et la proximité des
situations.
Mais l'archéologie ne doit pas vivre d'hypothèses ; elle
ne doit pas s'inspirer de renseignements qui n'ont pas reçu
la sanction des faits ou de la science ; et quand elle va
puiser a une source, elle doit s'assurer de la pureté des
eaux.
Malheureusement nous nous laissons volontiers tenter par
l'inconnu ; volontiers nous faisons un pas vers lui, sans
nous assurer de la solidité du terrain sur lequel nous
mettons les pieds ; et puis la nécessité nous oblige à revenir
sur nos pas, car au delà c'est l'abîme.
Je n'ai eu d'autre dessein, en entreprenant cette étude
concernant la géographie et l'histoire anciennes de notre
département, que de chercher à attirer l'attention sur un
certain nombre de points controversés relatifs soit à des
appréciations sur l'âge de constructions anciennes, soit à
des indications d'emplacements de lieux antiques disparus,
soit a des événements remarquables tirés des vieux historiens,
soit à des faits extraordinaires dont la cause semble nous
échapper. Je l'ai fait sans parti pris, dans le seul intérêt de
ce que je crois la vérité, n'épargnant pas les citations, et
les reproduisant fidèlement.
Je vais, pour terminer, résumer mon travail en quelques
lignes.
Je crois qu'il faut renoncer a placer sur le plateau et
(') Histoire de Bretagne, p. 7.
238
au pied du plateau de Guérande, les trois villes antiques
coexistantes : Grannone, Brivates et Vénéda.
Je trouve que Vénéda convient a Guérande et ne convient
pas à Saille.
Grannone était entourée de Saxons l'an 400, les Saxons
d'Odoacre n'ont pu venir sur la Loire — s'ils y vinrent —
qu'environ 70 ans plus tard : ou ne peut donc pas les
invoquer en faveur de Guérande ; Baveux répond à la
première indication, ce qui est absolument nécessaire, et
Guérande n'y répond pas.
11 faut de nouvelles recherches pour trouver la situation
du port Brivates : celui-ci me parait devoir être cherché
sur la Vilaine.
Je crois qu'on étudiera longtemps encore l'emplacement
de Corbilon ; je n'ai pas donné mes arguments pour des
preuves ; mais la logique des faits nous dit que cette place
de commerce devait être dans le voisinage de Nantes.
La capitale des Namnètes, Condevincum, ne doit pas
être confondue avec le village du port qui devint Nantes
en passant par le Portus JSamnetum.
Le domaine de Cariaca, résidence de l'évêque Félix, était
près de Nantes, à Chassais sans aucun doute, et non à
Piriac.
L'abbaye de Tincillac était dans le diocèse d'Angers, sur
la rive gauche de la Loire, et non sur la Vilaine.
Les tours de. Cuy et de Treveday sont des constructions
postérieures au XVe siècle, et ne peuvent pas être assimilées
a des monuments gallo-romains.
11 en est ainsi des citernes de Kerboucharl.
La brique n'a pas cessé d'être en usage dans notre pays
depuis l'époque gallo-romaine, et il n'a pu en être autrement
de la brique pilée employée dans la confection du mortier
destiné aux travaux de quelque importance.
239
La plaine de Montoir et les marais salants de Guérande
ont subi un affaissement qui a dû se produire au IIIe ou au
IVe siècle de notre ère : avant ce cataclysme, ces lieux
devaient être élevés de plus de 7 mètres au-dessus du
niveau actuel, et le Trait du Croisic ne devait pas être
encore une petite mer intérieure.
Les Samnites, puis les Namnètes, s'étendaient de la Loire
à la Vilaine, de l'Anjou à l'Océan ; et c'est au nord de la
Vilaine qu'eut lieu la grande lutte de César et des Venètes,
laquelle se termina par la destruction de la flotte des
Venètes et de leurs alliés de la Manche.
•
DU RÈGLEMENT
SOCIETE ACADEMIQUE.
La Société public un journal de ses travaux , sous le titre
d'Annales de la Société Académique de Nantes et du département de
la Loire -Inférieure. Ces Annales se composent des divers écrits lus à
la Société ou à l'une des Sections. — La Société a le droit, après qu'une
des Sections a publié un travail, de se l'approprier, avec le consente-
ment de l'auteur. — Les Annales paraissent tous les six mois, de manière
à former, a la fin de l'année , un volume de 500 pages in-8°.
Les Annales de la Société sont publiées par séries de dix années. —
Le Règlement de la Société est imprimé à la tète du volume de ebaque
série , ainsi que la liste des membres résidants , classés par ordre de
réception.
Le choix des matières et la rédaction sont exclusivement l'ouvrage de
la Société Académique.
Le prix de la souscription annuelle est de -.
5 francs pour Nantes 5
7 francs hors Nantes , par la poste.
Les demandes de souscriptions peuvent être adressées franco à M"" V
Melliuet, éditeur cl 'imprimeur des Annales, place du Pilori, 5.
ANNALES
DE LA
SOCIETE ACADEMIQUE
DE NANTES
ET DU DÉPARTEMENT DE LA LOIRE-INFÉRIEURE
DÉCLARÉE
ÉTABLISSEMENT D'UTILITÉ PUBLIQUE
Par Décret du 27 décembre 1877.
Volume 1er de la 7e Série.
1890
DEUXIEME SEMESTKE.
NANTES,
Mme \ve CAMILLE MELLINET, IMPRIMEUR DE LA SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE,
Place du Pilori, 5.
L. MELLINET et O, sucrs.
— WK
$ÊM/
V
LA DOULEUR v
p1
SA NATURE CHEZ L'INDIVIDU ET DANS LA SOCIÉTÉ
SON INFLUENCE SUR LES IDÉES SOCIALISTES
ET SUR LES DIVERS GOUVERNEMENTS.
Vivre, c'est se mouvoir. — L'inertie de la non existence,
que ce mouvement doit vaincre, dans un effort continu et
incessant, est l'obstacle contre lequel l'action de vivre vient
continuellement se buter.
Cet effort de la puissance vitale , dont l'essence nous
échappe, mais dont nous connaissons les diverses et multi-
ples manifestations, cet effort, dis-je, dans sa généralité et
dans ses innombrables variétés, constitue la nature même de
la douleur, qui devient ainsi la corrélation forcée de la vie
elle-même.
Quelques philosophes ont prétendu que les plantes souf-
fraient parce qu'elles possèdent une sorte de vie végétale,
une sorte de mouvement qui les fait croître et vieillir ; tant
la plus imparfaite existence leur semblait avoir pour corol-
laire obligé, la douleur, suivant le vieux principe philosophique
qui dit que : tout être possédant une vie, si imparfaite qu'elle
soit, tend à la conserver et est affecté de la voir diminuer.
Admettons que la chose soit discutable; au surplus, ce sont
des questions qui admettent toutes les solutions, même les
16
-242
plus absurdes, car, dès qu'il s'agit de l'essence des choses el
des êtres, les plus hautes intellignces humaines ne voient
devant leurs regards que chaos et néant.
A partir d'un certain degré de l'échelle animale, les êtres
sont organisés pour manifester à nos sens les souffrances
qu'ils endurent. Rien ne peut prouver cependant que ceux
moins doués par la nature pour frapper notre oreille de leurs
cris, n'aient pas une sensibilité égale ou supérieure à celle
des privilégiés dotés de poumons el de cordes vocales. Qui
sait si, entre la sensation d'un mollusque qu'on détruit et
celle d'un vertébré qu'on tue, il n'y a pas, pour toute diffé-
rence, que la façon d'exprimer cette sensation ; incomprise
chez le premier, elle serait comprise chez le second, la
souffrance ressentie étant la même. On a soutenu beaucoup
d'opinions plus irrationnelles que celle-là.
Chez les animaux d'ordre supérieur, la douleur a déjà une
gamme du moins au plus très facile à constater pour nous.
Cette gamme se continue chez l'homme ; elle monte et
grandit toujours au fur à mesure qu'elle s'applique à des
parties plus parfaites, plus spirituelles de nous-mêmes ; enfin
elle atteint presque l'infini dans notre être moral pur ; c'est
par l'être moral, en effet, par la raison que nous touchons
l'Infini idéal, le Tout parfait, Dieu.
El ainsi nous voyons celte corrélation absolue s'établir
entre la douleur el la vie de telle sorte que, plus la vie est
parfaite, plus la douleur est affinée, grandie, multipliée. Si
bien que nous voyons sur les mêmes sommets les grandes
souffrances frapper les grandes intelligences et, de ce choc,
jaillir les hauts faits des héros ou les chefs-d'œuvre sublimes
de la littérature et de l'art.
Si l'on examine les œuvres qui nous restent des siècles
passés, œuvres qui sont comme la synthèse de millions
d'intelligences et qui n'apparaissent que de loin en loin,
243
comme si l'effort de leur production stérilisait pour long-
temps l'intelligence humaine, on voit toujours la douleur
être l'occasion de leur création ou le sujet dont elles nous
parlent.
Je n'ai pas besoin de rappeler que les deux chefs-d'œuvre
poétiques de l'antiquité nous racontent les malheurs des
Grecs et ceux d'Ulysse et que ces épopées ont été faites par
un aveugle. Il allait chanter de porte en porte pour un mor-
ceau de pain ces vers qui devaient faire les délices des plus
fins lettrés de vingt et quelques siècles.
Virgile nous chante les malheurs d'Enée ou de Didon.
Shakespeare n'a-t-il pas écrit des chefs-d'œuvre d'une poi-
gnante douleur et ne s'écriait-il pas : « 0 homme ! ton nom
est douleur ! » Cette exclamation, c'est son œuvre entière
synthétisée en quelques mots. Le Dante a cherché dans la des-
cription du purgatoire et de l'enfer un chef-d'œuvre qu'il a
trouvé sans peine. Milton, cet auire aveugle, nous a parlé
lui aussi, dans son Paradis perdu, de la douleur. Gœthe,
Schiller, Lamartine, Chateaubriand, ont eu des chants
superbes et toujours leurs plus beaux cris ont été ceux arra-
chés par la souffrance vue en eux-mêmes ou vue chez ceux
qu'ils aimaient. Chez nous, Racine et Corneille, nos deux
grands poètes n'ont besoin dans leur Cid- ou leur Alhalie,
leur Phèdre ou leur Horace, ni de moyens factices, ni de
style naturaliste, pour intéresser et captiver leurs auditeurs.
Ils laissent parler à la douleur sa grande parole, si claire,
si précise, si profonde, que nous nous regardons nous-mêmes
jusqu'au fond de notre être et que nous sommes tout surpris
et tout heureux, au contact lumineux de ces chefs-d'œuvre,
de voir, de retrouver dans toute leur netteté, les beaux
sentiments que, l'instant d'avant, nous sentions confus,
indécis et sans forme.
Victor Hugo, pour parler d'un grand poète plus rapproché
244
de nous, a, lui aussi, parlé de la douleur quand la douleur
ne l'a pas fait parler. Sa préoccupation constante du misé-
rable, du gueux à qui il fait crier si éloqueminent sa souf-
france, ne lui aura pas fait seulement trouver des vers
admirables. Elle sera aussi comme le cachet de son œuvre
et contribuera à le faire placer au premier rang des génies
de son siècle.
Si nous examinons la nature de la douleur dans l'individu,
nous trouvons qu'elle est physique ou morale.
Physique , elle a pour application la partie animale de
notre être, s'arrête a une limite au delà de laquelle la sensa-
tion disparaît, et atteint tous les êtres humains dans des
proportions diverses. La médecine a la mission de combattre
cette douleur physique, elle le fait avec succès quand la vie
du patient n'exige pas que ses douleurs lui soient laissées. Je
ne parle pas des morphinomanes qui suppriment un instant
la souffrance physique pour en arriver à la souffrance morale
bien plus terrible, sans préjudice de la fin prompte et épou-
vantable qu'ils se donnent et qu'ils savent les attendre.
L'aneslhésic a supprimé bien des douleurs, et ce, d'une
façon absolue ; mais elle est réellement trop dans l'exception
pour entrer en ligne de compte.
On peut donc conclure que la souffrance que nous éprou-
vons dans notre être physique est le corollaire de notre vie
matérielle tout de second ordre qu'elle soit ; qu'elle est
inévitable et que si nos frères médecins nous l'atténuent
quelquefois, ils nous en laissent cependant suffisamment
pour nous rappeler souvent a nous-mêmes que nous existons.
Je souffre, donc je suis, c'est un axiome qui console un peu
de souffrir.
Mais esl-il besoin de s'en consoler ? Non, certes, puisqu'il
est prouvé que si l'homme pouvait ne pas souffrir, il lui
serait funeste de le faire. Cette loi de douleur nous a si bien
$45
été incorporée dès le premier instant de noire existence,
elle est si bien une loi naturelle, que vivre sans souffrir ne
serait pas vivre, l'absence de souffrance amollissant le
caractère et l'intelligence et anéantissant par suite notre
action d'exister, de vivre. Gomme l'Anthée de la fable au
contact de la terre, nos facultés, sous le fouet de la douleur,
se décuplent, se revivifient ; ne cherchez pas le génie dans
l'opulence inactive — je dis inaclive - vous ne l'y trouverez
jamais. S'il eut eu celle recherche à faire, Diogène n'eut
même pas allumé sa lanterne et n'eut pas quitté son fameux
tonneau. C'est la dure nécessité le plus souvent qui enfante
les hommes supérieurs, comme c'est la vie rude et pénible
qui fait les grands peuples et les grandes époques. La
décadence arrive, au contraire, avec la vie douce, facile ;
on ne veut plus mourir aux Thcrmopiles ; on ne désire que
deux choses : manger et voir les jeux du cirque. Quand un
peuple méconnaît la grande loi : souffrir pour vivre, c'est
l'anéantissement qui arrive l'en punir.
La douleur morale, elle, est un sentiment — et non plus
une sensation — par lequel l'âme comparant son état présent
avec son état passé ou avec son état désiré, le trouve inférieur
et a la notion pénible d'une diminution dans sa vie et dans
ses facultés.
Elle varie à l'infini dans son objet et sa cause,- suivant les
caractères, suivant les milieux sociaux, suivant les besoins
spéciaux et raffinés que se créent certaines natures d'élite
devenues plus délicates et plus sensibles. Sa forme la plus
générale est celle de la souffrance, que nous éprouvons par
la disparition de tous ceux qui nous sont chers, autant parce
que la privation de leur présence — pour toujours — nous
affecte, diminue notre être aimant, que parce que celle
disparition nous rappelle à nous-mêmes celle qui nous attend.
Dans cette forme, la douleur atteint tous les êtres humains
24G
raisonnables et devient une loi aussi générale que la mort
qui la cause. Moins répandues sont ses formes plus factices
résultant de raffinement des intelligences et du développe-
ment des relations sociales dans ce qu'elles ont de plus élevé
comme sentiments et comme intellect. Telle esl, par exemple,
la douleur du poète, de l'écrivain ou de l'artiste qui sait,
qui sent son œuvre bonne, belle, grande, et qui la voit
incomprise ou bafouée. Pour être créées par des besoins de
convention, de civilisation, d'affinement intellectuel, ces
souffrances n'en sont pas moins vives ; elles touchent à l'âme,
à l'être moral et sont au sommet de l'échelle.
C'est la religion qui s'est donné pour mission la guérison
de la douleur morale. Guérison est un terme impropre, c'est
plutôt l'art d'endurer patiemment la douleur que je devrais
dire. La religion, en effet, résout le problème en le tournant,
c'est-à-dire en faisant intervenir comme palliatif de la douleur,
un fadeur nouveau, le mérite de souffrir, aboutissant à une
vie future sans souffrance. Elle ne l'a pas trop mal résolu,
puisque, depuis nos sublimes martyrs chrétiens jusqu'aux
fidèles croyants de Boudha, elle a donné à tous le courage
de souffrir avec joie et de choisir même la souffrance au
lieu du plaisir.
La religion chrétienne, particulièrement, enseigne à ses
fidèles que. la douleur leur est donnée par Dieu, comme
moyen de régénérer leur nature déchue et d'acquérir des
droits à celte vie future et éternellement heureuse ; si bien
que de cette même douleur qui est en soi une diminution
d'existence, un mal, par conséquent, elle fait ainsi un bien
désirable par le résultat qu'elle lui donne comme objectif.
Elle a ainsi créé une vertu admirable : la résignation,
inconnue dans le paganisme et dans les autres religions. Le
fatalisme, le stoïcisme, la morale épicurienne sont des
systèmes philosophiques incomplets, mauvais ; le peu de bon
247
épars dans leurs maximes, est devenu avec cette idée de
régénération qui en fait toute la valeur morale, notre rési-
gnation chrétienne.
Telle est la douleur dans sa double nature chez l'individu.
Dans la société, dans la collectivité des individus, bien
qu'elle les atteigne Ions, elle s'appesantit parculièrement sur
ceux que le manque de fortune oblige à une lutte journa-
lière et constante pour s'assurer l'existence. Celte lutte
terrible, jamais finie, avec ses victoires inquiètes pour le
lendemain et ses ' défaites sans pain pour le vaincu et pour
ceux que celui-ci s'est donne mission et charge de nourrir,
cette lutte pour la vie, fait oublier les autres douleurs dans la
collectivité ; de sorte que les « malheureux » sont formés
de tous ces lutteurs au jour le jour et les « heureux » de
tous ceux qui ont vaincu pour longtemps le besoin, ayant
acquis par eux-mêmes ou ayant reçu de leurs ancêtres la
fortune. Qu'elle provienne d'une possession territoriale datant
d'une époque indéterminée ; qu'elle ait été la récompense
d'œuvres géniales ou de hauts faits ou qu'elle ait pris
naissance dans l'industrie, le négoce ou le jeu naturel du
rapport et de l'accroissement de l'argent, ce que la fortune
représente essentiellement, c'est une réserve de vie, une
provision de satisfactions." Les classes malheureuses, labo-
rieuses, ouvrières, n'ont pas cette réserve ; chaque jour
amène sa faim à assouvir et son pain à créer. Aussi
envient-elles ces heureux, ces classes dirigeantes qui sont
délivrées du souci quotidien qui possèdent la fortune.
Cette envie devient trop souvent de la haine quand la lutte
est trop pénible ou quand ceux qui possèdent se désin-
téressent trop de ceux qui souffrent. Comment arriver à ce
que les malheureux n'envient ni ne haïssent les heureux, et
à ce que ceux-ci secourent ceux-là en temps propice, de
façon suffisante, tout en restant riches, tout en gardant leur
ï248
réserve, leurs privilèges qu'ils jugent bien acquis et possédés
selon l'équité ? Telle est la fameuse question sociale dont on
parle tant en cette fin de siècle, qui dure depuis que les
hommes existent et sont plus ou moins misérables et qui
existera tant qu'il restera ici-bas deux êtres humains dont l'un
sera plus heureux que l'autre.
Il semble donc que la question soit insoluble. Biais, si la
solution parfaite est reconnue impossible, les solutions impar-
faites ou partielles ont été proposées ou essayées par tous les
gouvernements dont c'est, du reste, la raison d'être, et par
tous les partis qui ont essayé de devenir gouvernements, en
raison de la solution toujours et chaque fois la meilleure
qu'ils offrent ou ont offerte tour à tour.
En commençant par les expériences en cours nous
trouvons : 1° le pouvoir personnel absolu ; 2° le pouvoir
personnel avec un Parlement ; 3° le pouvoir électif avec
Parlement ou Conseil similaire, cela va sans dire.
Le pouvoir personnel absolu, selon l'homme qui l'incarne,
peut faire peu ou beaucoup pour les déshérités ; l'obstacle
pour lui réside dans son unité, dans sa personnalité : s'il
fait beaucoup pour les déshérités, c'est un peu au léger, très
léger détriment des heureux qui lui font de l'opposition et le
suppriment s'ils le peuvent ; s'il fait peu, il s'aliène ces
mêmes malheureux et ravive les haines de sectes contre les
hautes classes; entre ces deux partis la situation est difficile
et il ne peut marcher qu'à tout petits pas. La Russie peut
nous donner le type de ce gouvernement : la question
sociale y est aussi vive, aussi aigre que dans notre France
révolutionnaire ; les idées subversives de destruction, de
nihilisme, de socialisme, dans la mauvaise acception du
mot, y sont aussi répandues, sinon [dus, que chez nous.
Ces difficultés , le pouvoir personnel avec Parlement
comme le pouvoir électif, les rencontrent eux aussi ; ils
249
ont en pins rimpédimentum d'une assemblée délibérante
derrière l'anonymat de laquelle ils disparaissent le plus
souvent dans les questions embarrassantes, et devant la
lenteur et la très sage minutie de laquelle disparaît éga-
lement leur bon vouloir socialiste quand il y en a. L'Alle-
magne, l'Angleterre, la France, les Etats-Unis, la Suisse,
ces puissances ont-elles même apaisé les revendications
utopistes des classes malheureuses ? Non, puisque la question
sociale est plus que jamais à l'ordre du jour et plus que
jamais irritante.
Les systèmes non expérimentés jusqu'ici et dont ceux qui
aspirent à en faire l'expérience nous promettent une perfec-
tion qui n'aurait rien d'humain, ces systèmes sont-ils réelle-
ment la solution attendue? Evidemment non, précisément, en
raison de la perfection impossible qu'ils se proposent d'at-
teindre. Du socialisme coopératif chrétien avec jurandes et
maîtrises, jusqu'au socialisme a dynamite générale, en
passant par le socialisme communiste, tous sont trop parfaits
— dans leurs genres relatifs — j'entends : tous sont des
utopies dangereuses qui bouleverseraient toute notre société
de fond en comble si elles étaient essayées.
Or, ces utopies promettent toutes un bonheur, une absence
de douleurs et de souffrances contraires au possible et con-
traires à la loi naturelle qui fait de la douleur un corollaire
obligé de la vie. Et c'est surtout en allant contre celte loi
et en la niant qu'elles sont pernicieuses. Les conditions de
l'existence sociale et politique sont changées dans le plus
grand nombre des grands Etats civilisés. Le bulletin de vote
a donné le pouvoir au nombre et le nombre, hélas ! ce sont
les malheureux. Devant ces appâts de bonheur chimérique,
ne tenteront-ils pas de mettre à exécution ces utopies
insensées et de le faire sur une vaste échelle, dans cinq,
dans dix nations à la fois. La Révolution d'Angleterre, la
250
grande Révolution française, étaient des mouvements locali-
sés. On se demande ce que serait un mouvement révolution-
naire plus général, déjà maintes fois annoncé, du reste. 11 y
a cent ans il fallait, pour traverser la France, le temps qu'il
nous faut aujourd'hui pour traverser l'Europe ! A ces moyens
de transport des êtres, dix fois plus rapides, ajoutez le
transport instantané de la pensée, sur tous les points de notre
globe devenu bien petit sous la main d'un simple télégra-
phiste, et, dans quelques années, le transport instantané de
la parole dans la plupart des nations civilisées; vous aurez
la conscience qu'une force colossale, répandue sur toute la
terre, éparpillée entre des millions de malheureux, peut être
coordonnée, organisée, gouvernée et dirigée. Toutes ces
forces peuvent être reliées à un centre, en recevoir univer-
sellement et instantanément le môme mot d'ordre et agir
avec ensemble sur tous les points du globe à la fois — tel
le corps humain, dans toutes ses parties, est en communica-
tion avec le cerveau, lui transmet ses sensations, en reçoit
les volontés et les exécute avec ensemble et coordination.
Le cerveau qui commanderait ainsi à cette somme de tous
les malheureux existant dans le monde civilisé ne serait-il
pas la plus formidable puissance humaine qui ait existé ? Si
elle existe demain cette puissance, quelles utopies n'essaicra-
t-elle pas, ayant pareilles forces a son service. Quel idéal
proposera-t-elle à ses membres? Scra-t-elle sans idées de
destruction et de haine, cette résultante de toutes les priva-
tions et de toutes les souffrances du genre humain entier ?
Lui direz-vous alors, moralistes sociaux, que la douleur
est évilable? Lui montrerez-vous le bien-être matériel général
comme une chose possible, facile, raisonnable, due, nécessaire?
Et où le prendrez-vous ce bien-être que des millions voudront,
consommer et que pas un seul ne voudra produire ? Ce sera
donc la destruction totale, le retour à l'état sauvage qu'au
251
vont provoqués vos utopies et votre négation de la loi
naturelle de la douleur.
En me basant sur l'existence réelle de cette grande loi, je
conclus en souhaitant un socialisme qui la reconnût comme
un principe, s'interdit, par conséquent, des utopies d'état
idéal, parfait, sans misères journalières, sans souffrances,
sans luttes, sans travail pénible et enfin moralisât les masses ;
d'abord par l'enseignement d'une existence future, sanction
de notre vie actuelle, ensuite par sa propagande en faveur
des goûts simples, des mœurs familiales. Ses adeptes trou-
veraient dans l'application de ces principes le courage de
lutter vaillamment, la résignation dans l'adversité et atten-
draient plus patiemment l'évolution naturelle et sagement
progressive que notre société fait et continuera forcément de
faire vers un état de plus en plus parfait, de plus en plus
équitable.
V. LOISEAU.
LE PARTHÉNON
Par M. Alcide LEROUX.
A M. Olivier de GÛURCUFF.
Quand un fils de la Gaule ou de la Germanie,
Avide de soleil, d'azur et d'harmonie,
Pénètre tout ému dans les antiques mers
Dont tant de lieux sacrés bordent les flots amers ;
Quand il entre ébloui dans le golfe d'Athènes
Et qu'il voit poindre enfin les falaises lointaines
De ce sol parsemé de sommets radieux,
Blocs immenses de nacre émergeant vers les cieux ;
Parmi ces caps riants dont l'éclat l'environne,
S'il distingue d'en bas les hauteurs de Colonne
Et demande le nom du temple, éblouissant
Qui se dresse là haut et sourit au passant :
« Là ! ce sont les débris d'un temple de Minerve, »
Lui dit-on ; et tandis qu'il vogue et qu'il observe,
Qu'il admire éperdu cet accord merveilleux,
Des teintes de la mer et des horizons bleus,
Soudain, entre le ciel, l'Hymette et Salaminc,
Debout sur un sommet qu'un mont plus grand domine,
Il voit comme, un rempart rayonnant de blancheur,
Projeter son éclat, sa forme et sa hauteur
Sur le Phalère, puis sur la voûte azurée.
Et tous, et les marins à la face cuivrée
258
Et l'homme au front pâli disent : « Le Parthénon ! »
Et le recueillement se répand à ce nom ;
Sur le pont, sur les eaux, c'est presque le silence
Pendant que le vaisseau s'engage au fond de l'anse.
Et lorsque le vaisseau, joyeux arrive au port,
Qu'il s'arrête au Pirée et que l'enfant du Nord,
Rejetant le manteau qui couvre son épaule,
Le cœur tout palpitant s'élance à l'Acropole,
S'il demande à quels dieux tous ces temples, hélas !
Brisés, appartenaient, on lui dit : À Pal'as !
A Pallas TEreclhée ! à Pallas, le Pandrose !
Le temple où la Victoire, oisive, se repose !
Enfin le Parthénon, source de la beauté
Où depuis deux mille ans puise l'humanité !
A Pallas Athênê, ce travail du génie
Où perce en longs reflets la sagesse infinie !
A la vierge Pallas, ce divin monument,
Qui de l'idéal môme est un rayonnement !
Et l'étranger ne sait s'il prie ou s'il admire ;
De la mer bleuissante où l'Hymette se mire,
Il porte ses regards aux champs de Marathon,
Puis aux rochers fameux où discourut Platon,
Où Démosthène tint les foules enchaînées,
Où la Grèce accourait voir les Panathénées.
A gauche il aperçoit, en deçà du Parnès,
Le lieu qui retentit des sanglots de Gérés,
Réclamant aux échos la triste Proserpine ;
Où Minerve elle-même , avec sa main divine,
L'emportant sur Neptune, a planté l'olivier,
Gage plus précieux que le plus fier coursier.
En bas, presque ses pieds, il aperçoit le temple
254
De Jupiter ; son œil un instant le contemple,
Mais, invinciblement, il reporte ses yeux
Vers celui de Minerve, à qui les autres dieux
Semblent former cortège et rendre un long hommage.
Il frémit comme s'il eût entrevu l'image
De la vierge Pallas, le casque sur le front,
Et brandissant sa lance au sein du ciel profond.
Approche, enfant du Nord, altéré de lumière ;
Approche avec respect ; louche du doigt la pierre
Où s'est réalisé le Beau, splendeur du Vrai,
Fixé par Ictinus dans un sublime essai.
Observe de plus près les merveilleuses lignes ;
Touche du doigt : les fils des barbares sont dignes
De toucher de leurs mains l'auguste Parthénon,
Depuis qu'ils ont sauvé ses restes et son nom.
Mais gémis en voyant la frise ravagée,
Par le brutal Elgin la déesse outragée.
Te voici sur le seuil : entre dans la Cclla,
C'est la qu'à Phidias le Beau se révéla.
Viens, regarde en pleurant cette immense blessure
Par le temps et les Turcs agrandie à mesure.
C'est bien là , n'est-ce pas ? c'est bien là le tombeau
Que dut rêver un peuple enflammé pour le Beau.
Oui, ne dirait-on pas qu'Athènes tout entière
Dort là, dans son sourire et sa grâce si iière.
Voici le piédestal qui longtemps a porté
Celle œuvre où s'incarnait la force, la beauté
Unie à la sagesse, illuminant l'ivoire
Et l'or tout palpitants et de vie et de gloire.
C'est là que rayonnait dans la sérénité
Minerve étince.lante en sa virginité.
255
Qui donc es-tu, Pallas ? N'es-tu qu'une déesse
A peine supérieure à l'humaine faiblesse ?
Qu'une divinité soumise aux passions
Gomme les dieux communs aux vieilles nations ?
Non, lu n'es pas cela : mystérieux emblème,
Image sans défaut de la splendeur suprême,
Tu résumes en toi les attributs divins
Qu'Athène entrevoyait par ses grands écrivains ;
Tu résumes en toi l'éternelle sagesse,
L'éternelle clarté dont le regard s'abaisse
Jusqu'à l'homme et l'éclairé en son épaisse nuit.
Au milieu des éclats du plaisir qui s'enfuit,
Tu règnes triomphante, impassible, immortelle ;
Même après deux mille ans, tu nous apparais telle
Que t'honoraient les Grecs inclinant leurs cimiers,
Au milieu de leurs dieux tous rangés à tes pieds.
Aussi nous, nous à qui s'est enfin révélée
La divine pensée à nos yeux dévoilée ,
Nous t'aimons, ô Pallas, comme un premier rayon
Annonçant le soleil caché sous l'horizon.
Septembre 1890.
UN AN AUX ILES DU SALUT
Par M. DELTEIL.
MŒURS DE LÀ TRANSPORTATION DANS UNE DE NOS COLONIES
PÉNITENTIAIRES
ANNÉE 1863-64
Pendant mon séjour à Gayenne, en 1863, j'eus l'occasion
d'aller aux Iles du Salut, où se trouvait alors le dépôt de la
transportation. Je vécus, pendant un an, au milieu des
forçats ; j'ai recueilli, sur les mœurs et l'existence de ces
êtres dégradés, quelques notes qui me paraissent avoir un
certain intérêt, bien qu'elles datent de près de trente ans.
La traversée de Caycnne aux lies du Salut ne dure que
quelques heures, car ces îles sont distantes de douze lieues
environ de cette dernière ville ; mais elle est presque toujours
des plus pénibles tant la mer de ces parages est dure et
agitée. J'avais pris passage avec plusieurs autres compagnons
d'infortune sur l'aviso de l'Etat le Casablanca. A peine
avions-nous quitté la rade de Çayenne que nous fûmes
assaillis par un raz de marée, dont les lames en volute
balayaient le pont du navire de bout en bout. Les estomacs
les plus solides ne résistèrent point à un aussi effroyable
tangage, et il est peu de passagers qui ne payèrent leur
tribut au terrible mal de mer. Ce n'est qu'après avoir
257
dépassé Y Enfant perdu, petit rocher isolé au milieu des
flots et surmonté d'un phare, que nous eûmes un peu de
calme. Bientôt la vue des trois îlots verdoyants qui portent
les noms (Vile Royale, Ile Saint-Joseph et Ile du Diable,
formant le petit archipel des Iles du Salut, nous inspira des
idées plus gaies et rasséréna les visages. Il me parut que
la prison que j'allais habiter ne serait pas trop triste au
moins comme aspect. En effet, bien que les deux premiers
îlots ne soient que deux rochers élevés au-dessus des flots,
la végétation ne laisse pas que d'y être luxuriante comme
sur les terres basses et hautes du continent. Il a fallu,
quand on s'est décidé à y faire un premier établissement,
y porter la hache et la torche pour se frayer un passage
au milieu d'une inextricable foret qui descendait jusqu'au
littoral. Tout en conservant les arbres nécessaires pour
constituer de pittoresques abris et de ravissantes prome-
nades, on a su disposer avec goût les différents bâtiments
nécessaires au logement de la transportation et des fonc-
tionnaires chargés de leur surveillance.
- Nous jetons l'ancre dans une belle et profonde rade bien
protégée des vents et de la mer du large où peuvent
mouiller les navires de guerre du plus fort tonnage. Une
baleinière montée par des forçats vient nous chercher et
nous descendre a terre. Nous jetons en passant un coup
d'œil sur la maison du commandant et du commissaire située
tout près du débarcadère, puis nous prenons une très belle
route de ceinture ombragée par de grands arbres qui nous
conduit par une pente douce sur un vaste plateau élevé de
60 mètres au-dessus du niveau de la mer. On y jouit d'une
vue superbe ; on aperçoit les côtes de Kourou bordées de
palétuviers et, par des temps clairs, la ville de Gaycnne.
L'île du Diable, vue de ce promontoire, ressemble à une
carte de géographie toute en relief. Elle apparaît triste et
17
258
désolée , sans aucun arbre. Les malheureux condamnés
politiques qu'on y a internés à plusieurs reprises, sous le
second empire, ne devaient point y mener une existence
agréable. L'ile Saint-Joseph, au contraire, où Ton gardait
les condamnés ayant fini leur temps, mais astreints au
séjour forcé à la Guyane, semblaient être dans un véritable
Eden, tant cet îlot offrait à l'œil de charmantes pers-
pectives.
C'est sur le plateau où nous étions arrivés que se trouvent
les cases en bois de la transporlation, l'hôpital, la maison
des sœurs et des pères jésuites, puis un peu plus loin, la
citadelle entourée d'un mur d'enceinte et renfermant le
logement des officiers et un poste de soldats d'infanterie
de marine. A la partie Est, nous apercevions une jolie
caserne et un très beau jardin disposé en amphithéâtre servant
au personnel libre.
Le logement dans lequel on me conduisit et que je devais
occuper pendant un an, se composait de trois petites pièces
ornées d'un mobilier des plus sommaires dû à la libéralité
du Gouvernement. 11 faisait partie d'une grande longèrc en
bois montée sur patin, dans les divers compartiments de
laquelle on empilait le plus possible d'officiers. Les plus
hauts gradés jouissaient d'un nombre de compartiments en
rapport avec leurs galons. Ces cases démontables avaient
été envoyées aux Iles du Salut, dès le début de la transpor-
tait, pour ne servir que provisoirement. 11 y avait déjà
10 ans que ce provisoire durait et je ne serais pas étonné
qu'au bout de 30 ans, il durât encore. Le plus grand incon-
vénient qu'offraient ces vieilles cases, à l'époque où je passai
aux lies du Salut, c'était de receler dans leurs planches
pourries des légions de cancrelas, mille-pattes et fourmis qui
venaient vous visiter pendant la nuit et troublaient souvent
votre sommeil par de dégoûtantes promiscuités.
259
Noire vie sur cet îlot de quelques centaines de mètres de
tour, rappelait un peu l'existence à bord d'un navire. Nous
prenions nos repas en commun, installés ce qu'on appelle
en gamelle, c'est-à-dire qu'un de nous était chargé chaque
mois à tour de rôle de faire vivre ses camarades au moyen
de leurs versements mensuels individuels. Notre cuisinier,
nos domestiques appartenaient tous à la transporta lion et
nous n'en étions pas moins bien servis pour cela. Bien au
contraire ! car ces gens-là, qui ne sont pas bêtes, jouissant
d'un bien-être relatif et d'une certaine liberté à noire service,
faisaient tout leur possible pour nous plaire afin de conserver
des fondions aussi avantageuses sous tous les rapports.
Ils savaient, du reste, que la moindre peccadille étail punie
par le renvoi immédiat et la prison, lorsque le commandant
des pénitenciers n'y ajoutait pas des coups de corde sur les
reins, ou le peloton de correction.
Nous avions une basse-cour bien garnie, du bon vin
dans nos caves, d'excellents poissons de mer, des légumes
variés provenant de notre jardin. Rien ne nous manquait
donc sous le rapport du confortable. Aussi ne négligions-
nous aucune occasion de recevoir et de donner des dîners !
C'est surtout quand arrivaient sur rade des navires de guerre
que nous invitions en masse les états-majors qui ne deman-
daient pas mieux que de se décarêmer un peu de la vie
de bord. Enseignes, midships, médecins de marine deve-
naient nos hôles pendant huit jours, étaient accueillis comme
des frères et trouvaient au milieu de nous, je ne dirai pas
les joies de la famille, mais l'expansion affectueuse et
bruyante, la cordialité sincère de bons camarades heureux
de se retrouver avec ceux qui leur apportaient comme une
émanation de la patrie absente.
Nous profilions de la présence de ces hôtes de passage
pour les faire jouir des distractions que l'esprit inventif de
260
quelques-uns de nous avait su organiser. Nous trouvions, à
cet effet, des éléments précieux dans le personnel de la
transportait, qui nous offrait des sujets remarquables à
plus d'un titre. C'est ainsi que nous avions trouvé le moyen,
en nous cotisant, de constituer une excellente musique com-
posée de 40 ou 50 exécutants bien dressés et ayant toutes
les allures d'une musique militaire. Elle jouait non seulement
le jeudi et le dimanche, dans l'après-midi, sur le plateau de
la citadelle, mais encore le soir à l'heure de notre diner,
toutes les fois que nous avions un banquet important. Notre
chef de musique sortait de la garde impériale ; dans un
moment de colère et de jalousie, il avait assassiné un de ses
rivaux qui lui avait été préféré dans un Concours. Gredinerie
à part, c'était un musicien de grande valeur et un piston de
première force. Il y avait aussi, comme soliste, un trombone
qui était d'une force étonnante sur cet ingrat instrument. 11
exécutait les variations de Guillaume Tell avec une perfec-
tion difficile à dépasser.
Mais ce n'était pas tout : nous avions formé une troupe
d'acteurs de talents très variés, qui nous jouaient des vau-
devilles désopilants. Un spécialiste avait monté un Guignol
très réussi, et un autre chantait des tyroliennes avec un coup
de gosier dont j'ai rarement vu l'équivalent. Enfin, pour
compléter la troupe de nos artistes, un vieux forçat,- con-
damné pour de nombreuses piperies au jeu, ancien grec
émérile, nous faisait des tours de carte à faire pâlir la répu-
tation de Bosco. Comme il n'avait plus de ménagements à
garder, il poussait la complaisance au point de nous initier
aux filouteries employées par les gens de sa profession.
Heureusement que ses leçons tombaient sur une terre ingrate !
Si l'on joint à tous ces plaisirs, les promenades en mer à
l'ile Saint-Joseph, à l'île du Diable et à Ronron, et les
grandes pèches au filet dans le canal compris entre l'île
Royale et Saint- Joseph et où l'on prenait souvent d'énormes
requins et de gigantesques espadons, on voit que nos hôtes
n'étaient pas trop à plaindre pendant leur relâche aux lies du
Salut, et que nous-mêmes possédions des agréments qui
nous permettaient de ne pas trop nous ennuyer.
Mais il est temps de parler de la transportation et de
donner un aperçu de la- façon dont les forçais étaient traités
aux lies du Salut, des travaux et du régime auxquels ils
étaient soumis et des résultais moraux que le système appli-
qué à ces rebuts de la civilisation avait produits après quel-
ques années.
Les forçais, à leur départ de France, étaient débarrassés
de leur chaîne, au moment de leur embarquement sur les
deux grands transports, la Cérès et Y Amazone, qui les
amenaient plusieurs fois par an à la Guyane. On ne leur
laissait que l'anneau de fer rivé à leur cheville, portant le
nom de manille. Ce n'est qu'à leur arrivée aux Iles du
Salut qu'on les débarrassait complètement de cette marque
infamante. On leur donnait aussi un costume différent de
celui en usage dans les bagnes de France. Us recevaient,
en effet, un pantalon de toile grise, une vareuse de laine
grossière et un chapeau de paille. Les forçats quittaient donc
leur ignoble livrée et devenaient des transportés. S'ils avaient
eu le droit de laisser pousser leurs barbes et leurs cheveux,
on les aurait pris plutôt pour des paysans que pour des
condamnés. Malheureusement pour eux, leur face glabre et
vicieuse sur laquelle on lisait le crime écrit en caractères
ineffaçables .ne permettait pas de les confondre avec des
honnêtes gens.
La traversée de France aux lies du Salut durait 30 à 40
jours. Les transports étaient armés et aménagés de façon à
éviter toute révolte et à la comprimer sûrement et impitoya-
blement si elle avait éclaté, malgré les précautions prises.
262
Les forçats étaient parqués dans l'entrepont fermé de bout
en bout par des grilles en fer. A chaque extrémité se trou-
vait un détachement bien armé et une pièce de canon
chargée à mitraille. Les hublots étaient aussi garnis de
barreaux en fer. Chaque jour on faisait monter sur le pont,
a tour de rôle, une douzaine de condamnés pour leur faire
prendre l'air. Le voyage se passait habituellement sans
incidents, et les nombreux passagers civils et militaires qui
se trouvaient à bord n'étaient nullement incommodés du
voisinage des forçats, tant est sévère et rigoureuse sur un
navire de guerre la consigne limitant a chacun l'espace qu'il
doit occuper ou sur lequel il a' droit de circuler.
Aussitôt débarqués à l'île Royale les transportés étaient
conduits a la forge et débarrassés de leur manille. On les
répartissait ensuite dans les différents services ou ateliers de
la transportation, en ayant égard aux aptitudes de chacun
d'eux. C'est ainsi que les plus intelligents et les plus lettrés
étaient placés dans les bureaux comme écrivains ; d'autres
étaient employés en qualité de domestiques, cuisiniers, infir-
miers, jardiniers ; d'autres enfin comme menuisiers, maçons,
tailleurs, cordonniers, terrassiers, etc., car tous les corps
de métiers étaient représentés aux Iles du Salut et la trans-
portation se suffisait à elle-même. Cela n'était pas toujours
économique, par exemple ; mais il fallait bien trouver des
occupations a tous ces hommes que l'oisiveté et la paresse
auraient complètement abrutis.
Les heures de travail étaient établies de façon a éviter la
trop grande ardeur du soleil, de 6 heures à 10 heures du
matin et de 2 heures a 5 heures du soir. Le reste du temps
jusqu'au coucher, qui avait lieu à 8 heures, appartenait au
transporté, lequel en disposait comme bon lui semblait, soit à
se reposer, soit à pêcher, soit à toutes sortes de petites
industries qui augmentaient un peu sou maigre pécule. Lors-
203
qu'on avait un travail un peu dur I» leur faire faire ou une
corvée un peu rude a exiger d'eux, on les faisait accompagner
par la musique qui leur jouait des airs gais et sautillants
dans le but de leur donner plus de courage. C'était une
attention délicate duc à un ancien Gouverneur de la
Guyane, M. Sarda-Garriga, fortement imbu des idées Saint-
Simoniennes.
C'est pendant leurs heures de repos et principalement le
dimanche qu'on pouvait observer le transporté sur le vif et se
livrer sur lui a d'intéressantes éludes de mœurs. Les uns
armés de filets ou de lignes de pèche s'éparpillaient sur les
rochers le long de la côte et cherchaient à attraper du poisson
pour le vendre au personnel libre. Des groupes isolés, munis
de guitares construites par des luthiers d'occasion, chantaient
des chœurs ou des romances sentimentales. D'autres se
faisaient restaurateurs en plein vent ; ils cuisinaient des mets
inénarrables, des arlequins composés de tous les déchets et
rogatons de nos cuisines, et des fritures qui avaient souvent
pour élément la chair de requin coupée en tranches minces.
Des cafetiers établis sous des tentes garnies de bancs et de
tables débitaient, sous le nom de café, un liquide pâle et
jaunâtre fabriqué avec le mnre de café des états-majors
soigneusement recueilli et vendu à ces industriels. La foule
de consommateurs s'y portait toujours en grand nombre.
La tasse de café toute sucrée s'y vendait un sou. Les gour-
mets y ajoutaient un petit verre de tafia.
Le soir, entre 5 et 6 heures, presque tous les petits
métiers si répandus dans les grandes villes étaient représentés
dans les rues fréquentées par les transportés ; on y voyait
des marchands de cigarettes, d'objets de curiosité, tels que :
boîtes, noix de coco sculptées, des décrotteurs. Car là,
comme ailleurs, il existait des pauvres et des riches ; ces
derniers appartenaient principalement à la catégorie des
264
employés de bureau, lesquels recevant une petite solde et
fort souvent de l'argent de leurs familles, employaient leurs
ressources à se donner le plus de bien-être possible et à se
faire servir au besoin par leurs camarades moins fortunés.
Aussi cherchaient-ils à se distinguer de la plèbe par un
costume plus recherché et un air plus propre et plus coquet.
C'était la fine fleur des pois, l'aristocratie du bagne.
Le dimanche, il y avait aussi des jeux de loto très courus
par de nombreux amateurs. C'était, du reste, le seul jeu de
hasard qui fût permis sur le camp. Un croupier recevait les
enjeux et se réservait une petite commission sur le gain
total ; c'était lui qui fournissait les cartons et les numéros.
Un loustic, connaissant à fond les qualificatifs désopilants
dont on affuble chaque numéro sortant, était chargé de faire
le tirage et d'amuser la société. C'était toujours le même
qui occupait ces importantes fonctions ducs à une verve et
à un esprit inventif difficiles à égaler. Les assistants passaient
des après-midi tout entières accroupis sur le gazon, passionnés
pour ce jeu où les plus heureux ne pouvaient gagner que
quelques sous.
Malgré la grande liberté dont jouissaient les transportés,
la discipline à laquelle ils étaient soumis était néanmoins des
plus dures et des plus draconiennes. La moindre faute
était punie de la prison avec fers aux pieds, du fouet et,
pour les récidivistes, du peloton de correction où l'on était
astreint aux plus rudes corvées, la chaîne aux pieds et le
bonnet du bagne sur la léle. Une menace ou un refus de
travail faite a un surveillant pouvait être suivie de mort ; en
pareil cas, leurs gardiens avaient le dr.oit de faire usage de
leur revolver et de leur brûler la cervelle. El le fait sVst
passé plus d'une fois pendant mon court séjour aux Iles du
Salut.
Ceux qui les traitaient le mieux et qui en avaient le plus
205
pitié, c'étaient les officiers de santé, les pères jésuites et les
sœurs de charité. Ils ne voyaient en eux que de pauvres
êtres déclassés dont les maladies morales et physiques leur
inspiraient une immense commisération. Avec de la douceur
et de bons traitements, nous en obtenions tout ce que nous
voulions, môme de rattachement et de la reconnaissance.
Je me rappelle un infirmier major de .la pharmacie, nommé
Malinge, qui faisait son service avec tant de zèle, de ponc-
tualité et d'intelligence que, pendant plus de dix ans, sa
conduite ne donna lieu a aucune observation. Et cependant
le dossier antérieur de ce gaillard-là était loin d'être d'une
blancheur immaculée. Il avait été condamné au bagne pour
avoir assommé des marchands de bœufs revenant sur le
tard, dans les environs de Paris.
J'ai même été témoin d'actes de dévouement qui prouvent
que tout sentiment humain n'est pas éteint dans ces cœurs
de sauvages. Un de mes amis, médecin de la marine, jeune
père de famille, eut la douleur de perdre son premier né,
pendant qu'il était aux Iles du Salut. Ses domestiques et ses
infirmiers, tous forçats, réclamèrent l'honneur de porter eux-
mêmes sur leurs épaules le petit cercueil de l'enfant au
cimetière. Ils semblaient ainsi vouloir donner à celui qui les
soignait à l'hôpital et qui les traitait chez lui avec humanité,
une marque ostensible de leur reconnaissance. L'un d'eux,
artiste un peu primitif, sculpta dans la pierre un enfant
couché, tenant un rameau brisé dans sa main, pour le
tombeau du pauvre petit mort.
Les pères jésuites se donnaient beaucoup de peine pour
les améliorer, mais ils n'obtenaient en général que de
médiocres résultats. Ils exigeaient d'eux des pratiques reli-
gieuses très suivies, qui n'en faisaient que de purs hypocrites.
Gomme ils étaient^ à celte époque, les grands dispensateurs
des grâces, les transportés, gens doués de peu de préjugés,
266
prenaient avec eux des airs de petits saints qui en imposaient
aux bons religieux. Et c'était presque toujours les plus tristes
chenapans, mais les plus habiles comédiens sur lesquels
pleuvaient les faveurs et les avantages. Je fus témoin d'un
fait assez scandaleux qui en dit long sur les sentiments
religieux dont les transportés pratiquants étaient imprégnés.
C'était pendant la célébration de la fêle de Pâques. Le vicaire
apostolique de Cayenne, personnage fort important et qui
avait, sinon le titre, du moins les attributions d'un évéque,
était venu, aux Iles du Salut, présider la cérémonie et donner,
de sa propre main, la communion a tous les gibiers de
potence que les pères jésuites avaient signalés d'une façon
particulière au prélat, comme dignes d'entrer tout droit en
paradis. On avait, pour la circonstance, orné l'église le plus
pompeusement qu'on avait pu. La sainte table était garnie
de glands d'or. Après la cérémonie, on s'aperçut qu'ils
avaient tous disparu ; les néophytes les avaient coupés
pendant qu'ils recevaient la sainte hostie.
Les transportés semblaient en général et d'une façon
superficielle assez satisfaits de leur sort et résignés à la vie
qu'ils menaient, si différente de celle du bagne. Mais, au
fond du cœur, tous nourrissaient une idée fixe, compagne
fidèle de leurs jours et de leurs nuits, espérance plus forte
que toutes les barrières qui se dressaient devant eux. Celle
pensée qu'ils dissimulaient avec un art profond, que leur
visage ou leurs paroles savaient si bien cacher, que seuls
connaissaient deux ou trois fidèles initiés, c'était l'évasion !
Sortir de l'île, gagner la cote, puis la colonie voisine de
Démérary ou de Surinam était pour eux le salut, la liberté
possibles. Aussi, leur pensée était-elle constamment tendue
vers les moyens si limités cependant qu'ils pouvaient
employer pour arriver au but tant désiré. El Dieu sait cepen-
dant si la chose était facile dans cette ile éloignée du
continent, entourée d'une mer remplie de voraces requins et
avec une surveillance aussi vigilante que celle qu'on exerçait
sur tous les points et sur les embarcations !
Malgré tout, il ne se passait pas d'année sans qu'il y eût
quelques tentatives d'évasion, dont quelques-unes réussis-
saient. Il en est une surtout qui est restée légendaire. Un
pauvre diable d'infirmier n'avait rien trouvé de mieux que
de s'introduire dans la grande bière en bois qui servait a
transporter les cadavres des transportés h la mer. Il avait
mis quelques provisions dans sa boîte, percé des trous
au-dessus du couvercle pour avoir un peu d'air et s'était
lancé, la nuit dans les flots à la grâce de Dieu. On le
recueillit le lendemain près des côtes, à moitié asphyxié et
heureux d'être repêché après les terribles sensations qu'il
avait dû éprouver. Car il a raconté, après son sauvetage,
qu'il était suivi par des bandes de requin qui, de leurs
robustes mâchoires, cherchaient a démolir sa prison flottante.
D'autres partirent sur un radeau fait avec des troncs de
bananiers liés ensemble: ils purent gagner les rives de
Kourou ; mais, perdus au milieu des forets de palétuviers,
sans vivres, sans boussole, ils succombèrent après avoir
souffert les tourments de la soif, de la faim et devinrent la
proie des nombreux crabes qui hantent ces régions vaseuses.
Une fois, en plein midi, au moment où chacun allait faire
sa sieste et s'enfermer chez soi, trois transportés profitèrent
du relâchement de surveillance causé par l'extrême chaleur,
décrochèrent une baleinière sur le port et la mirent à l'eau.
Avant qu'on ne se fût aperçu de cette fugue, accomplie avec
un sang-froid superbe, ils avaient déjà gagné du large et
pris une certaine avance. Mais l'alarme fut donnée, les soldais
arrivant en toute hâte s'échelonnèrent le long de la cote et
fusillèrent les fugitifs qui faisaient force de rames et essayaient
de se mettre à l'abri des projectiles qui tombaient autour
268
d'eux. Ils allaient y parvenir, quand ils furent atteints de
plusieurs halles. On les ramena quelque temps après, cou-
verts de blessures, la tète basse, sachant le triste sort qui
les attendait.
Une évasion moins dramatique, et qui se termina d'une
façon presque burlesque, fut celle qui eut lieu à Cayenne.
Deux transportés s'échappèrent une nuit d'un des pénitenciers
flottants ancrés sur la rade et se dirigèrent vers les grands
bois qui entourent la ville. Ignorant absolument que la ville
de Cayenne était située dans une île entourée d'eau de tous
côtés, ils s'imaginèrent qu'en allant droit devant eux, ils
traverseraient toute la Guyane et arriveraient au Brésil.
Dénués de boussole et de guide, ils errèrent pendant
20 jours, croyant aller toujours en ligne droite, tandis qu'ils
piétinaient pour ainsi dire sur place sans s'en rendre compte,
ainsi que cela arrive à tous ceux qui s'égarent dans la
solitude des grands bois. Enfin, un jour, lassés, fourbus et
mourant de faim, ils aperçoivent une lumière; ils se croient
sauvés, ils se dirigent vers une maisonnette, frappent à la
porte et tombent au milieu d'un poste de gendarmerie fran-
çaise, situé à une lieue et demie de Cayenne tout au plus, à
l'extrémité du Tour-dc-l'Ilc. Ils ne pouvaient en croire leurs
yeux et se figuraient être le jouet d'une mystification. 11 fallut
bien se rendre à l'évidence quand on les ramena le lendemain
à leur pénitencier..
J'eus l'occasion, pendant mon séjour aux lies du Salut,
de faire connaissance avec des forçats d'une certaine noto-
riété. Je vis arriver le fameux Gâte-Bourse, nom prédestiné,
qui s'était fait condamner pour fabrication de faux billets de
banque; un hercule de foire, nommé Audouit, qui s'était
rendu célèbre par plusieurs assassinats. Parmi les condamnés
politiques, je me rappelle surtout un capitaine piémontais du
nom de Tibaldi, accusé d'avoir trempé dans le complot
269
d'Orsini. C'était un homme instruit, à physionomie distinguée,
où dominaient la douceur et la tristesse. On le tenait enfermé
dans une sorte de hasse-fosse située sous la case de la
caserne. Nous le visitions bien souvent et nous lui portions
du vin et du tabac ; nous le trouvions le plus souvent lisant
les vers du Tasse, et un chat familier auprès de lui, son
fidèle compagnon de captivité. Il a été gracié depuis, mais
après avoir subi une longue détention, cent fois plus pénible
que celle du bagne.
Quant au menu fretin de la transportalion, il se composait
principalement de voleurs, de faux-monnayeurs, d'incen-
diaires, de notaires, de prêtres. Il s'y trouvait môme un
ex-capitaine de gendarmerie et un vrai marquis, le Mis de
Ségueville, qui me servait de secrétaire à l'hôpital. Le plus
intelligent de tous ces escarpes était un ancien notaire,
Gévaudan, employé dans les bureaux du commandant des
lies du Salut. C'était un homme d'une capacité hors ligne et
qui occupait une situation prépondérante parmi ses collègues
de la transportation. Il fut gracié peu de temps après mon
départ et passa en Amérique où il fit rapidement fortune.
Les crimes, tant entre transportés que commis sur le
personnel libre, étaient très rares. Le mobile le plus fréquent
des meurtres qui se perpétraient de temps en temps était dû
à la jalousie. Les mœurs intimes de ce rebut de la popula-
tion, absolument privé de femmes, étaient forcément peu
édifiantes.
La transportation à la Guyane n'a produit que de médiocres
effets à tous les points de vue. Elle a occasionné à l'Etat
des dépenses considérables et donné à la Guyane un sinistre
renom. Les transportés n'ont produit aucun de ces grands
travaux qui transforment un pays, tels que routes, canaux,
défrichements, etc. Les essais de rénovation par le travail
et de fondation de centres de population par l'élément de la
270
transporlation ont presque entièrement échoué. De plus, le
climat était tellement défavorable au travail européen, même
réduit à quelques heures par jour, qu'on a dû renoncer,
pendant plusieurs années, à envoyer à la Guyane des forçais
venus des baffnes de France. On s'en tenait sagement aux
condamnés d'Algérie et des colonies françaises.
Depuis deux ans, on reprend à nouveaux frais l'envoi de
relégués européens à la Guyane. C'est recommencer les
fautes et les errements du passé, sans aucune chance de
réussite. On a déjà dépensé des millions de francs et des
milliers de vie en pure perle, à la Guyane ! Ce ne sont pas
les tristes témoins des essais homicides et infructueux qui
ont eu lieu autrefois qui auraient donné le conseil de les
renouveler.
ROUTE DÉSERTE
CONFESSION.
A M. Julien Merland.
Je n'ai pas vingt-cinq ans. Bien loin d'être un dévot,
J'ai des baptisés presque oublié la promesse ;
De mon Pater, hélas ! je ne sais plus un mot,
Et je reste debout, bras croisés, a la messe.
Oh ! certes, ce n'est pas pour faire l'esprit fort.
Au temple, plus qu'ailleurs, je hais la crûnerie,
D'autant que les plus droits devant la galerie
Seront les plus courbés demain devant la mort !
Moi donc, qui désapprends de plus en plus de croire,
Lorsque je suis las d'âme et que la rue est noire,
J'entre en une chapelle où, seul, le feu veilleur
Vit sous la nef obscure, où, derrière les grilles
Du cloître, monte à Dieu le chant des saintes filles :
— Je me sens, en sortant, et moins triste et meilleur.
ROUTE DÉSERTE.
A M. Joseph Rousse.
Amis, le siècle porte une plaie élargie
D'heure en heure, mortelle. Irons-nous sur ses pas
Nous traîner des tripots sans nom aux lieux d'orgie !
Et l'on m'a dit, railleur : — Pourquoi n'irions-nous pas
Mais le feu sacré brûle en nous des mêmes flammes !
La main qui tient l'épée attend sans un frisson,
Et la lyre toujours sait vibrer en nos âmes !
Et l'on m'a dit, railleur: — Chanson, vieille chanson!
Et qui remplacera l'espoir brisé des mères,
Vos songes d'idéal où la beauté luit
Si vous dites le bien et le vrai des chimères ?
Et l'on m'a dit, railleur : — Les amours de minuit.
Où vos regards vont-ils s'ils ont quitté les astres ?
Avouez-le, viveurs sans foi, railleurs blasés
Oui prétendez progrès ce que je sais désastres !
Et l'on m'a dit, railleur : — A l'absinthe ! aux baisers !
N'aimerez-vous jamais la chaste tiancée
Au front pur comme un lys, aux yeux profonds et doux,
Oubliant dans vos mains sa blanche main pressée?
Et l'on m'a dit, railleur: — Serions-nous assez fous !
-273
Grands hommes de vingt ans, dédaigneux de la vie,
Déjà vieillards aux sens usés par le plaisir,
N'est-il plus rien de bon que votre esprit envie?
Et l'on m'a dit, railleur : — L'argent qui fait jouir !
Ainsi, l'on va sa route, et la route déserte
N'a plus le moindre chant, la moindre branche verte !
Foi sainte, où sont les fils ? Idéal, tes amis ?
Toi qui croyais en nous, qu'espères-tu poète?
Comme elle doit pleurer ta belle âme inquiète,
Ces fils de Roméo pour toujours endormis !
18
PAUVRETTE.
A M. Dupré de la Roussière.
I.
Quatre heures ont sonné. Certes, il était temps
Que la classe finit, que Ton quittât les bancs.
Les fillettes, dehors, se sont vite groupées :
Les livres sous le bras et bien enveloppées,
— En décembre, les vents sont terriblement froids, —
Elles jasaient, jasaient et toutes a la fois.
On causait de sabots mis dans la cheminée,
Des bonbons recueillis à la dernière année,
Et de ceux espérés pour le cher lendemain.
Le lendemain, c'était Noël, grand jour! — Soudain,
La neige vint, épaisse, aveuglante, maussade
Dans ces groupes rieurs mettre la débandade.
Une seule resta. Demeurée a l'écart,
Songeuse, elle a suivi les autres du regard :
Les autres, voyez-vous, c'étaient des demoiselles !
Tandis qu'elle Pauvrette ! Elle fera comme elles,
Quand même, placera ses sabots au foyer:
Car pourquoi son Jésus voudrait-il l'oublier ?
II.
La fillette, en rentrant, vit sa mère couchée.
— « Maman, es-tu malade? Et tu t'en es cachée?
» El tu m'en as rien dit, ce matin : Pourquoi ? »
c275
La mère, que gênait l'enfant :
« Embrasse-moi
» Mignonne, reprit-elle, essayant un sourire.
» Pour me mettre sur pieds, une nuit va suffire :
» Rien de grave Veux-tu me faire grand plaisir ? »
— « Maman ! »
— « Ecoule : Ici, tu ne saurais dormir.
» Tu ne peux m'être utile en rien. Madame Andrée
« T'attend. Tu vas passer chez elle la soirée :
» Elle te gardera, celte nuit, à coucher.
» Ton père ira demain, au matin, te chercher.
» A Ion retour, bien sûr, tu me verras guérie.
» Sois gentille surtout. Va, bonsoir, ma chérie. »
— « Bonsoir, petite mère. A demain ! »
III.
Le cœur gros,
La pauvre enfant partit dévorant ses sanglots.
Aussi, pourquoi l'avoir de sa mère éloignée?
Car, enfin, de son mieux elle l'aurait soignée :
Pendant toute la nuit, vaillante jusqu'au bout,
Elle aurait su Tester à son chevet, debout.
Madame Andrée eut beau se montrer douce et bonne,
L'embrasser sur le front, l'appeler sa mignonne,
L'enfant demeura, triste, assise dans un coin,
Les yeux toujours fixés, comme voyant au loin.
11 fallut se coucher. Elle fit sa prière,
Priant Jésus pour tous, avant tous pour sa mère,
Et sans pleurer jamais, — son cœur était vaillant.
L'espérance revint. En se déshabillant,
27C
Un peu plus confiante, un peu moins chagrinée,
Elle mit ses sabots devant la cheminée.
Puis les doigts du sommeil, si doux aux malheureux,
Dans l'ombre tendrement vinrent clore ses yeux.
IV.
Quand la nuit recula devant la grise aurore,
L'aurore de l'hiver, l'enfant dormait encore.
Sur ses genoux berceurs, dans un linge très blanc,
Près d'un grand feu, mettant son cœur et son talent,
Tendre comme une mère et douce comme un prêtre,
La dame enveloppait un mignon petit être. —
Souffrit-il? Eut-il soif? Le nouveau-né pleura.
La fillette aussitôt s'agite sous son drap,
Et lentement regarde, anxieuse, étonnée :
— Oh! ce bébé qui pleure? et, dans la cheminée
Ce feu clair allumé bien avant le réveil ?
Qu'est-il donc arrivé pendant son court sommeil ?
Elle veut demander
Un homme ouvre la porte,
Tout en larmes, très pâle, à peine s'il se porte,
Va droit au lit, le corps brisé par les sanglots :
— « Hier, -ma pauvre enfant, tu mis la tes sabots,
» Tiens ! vois! Mais ton Jésus qui donne un petit frère
» Est reparti, bien loin, là-haut, avec ta mère
» Tu sais, fillette, où vont les anges dans le ciel ! »
Et les clochers vibrants chantaient : Noël ! Noël !
COIN D'HOPITAL
A M. Olivier de Gourcuff.
La veille, du côté de Wœrlh, de Frœschwiller,
Par-delà les grands bois, rouge, s'embrasait l'air.
L'écho lent répétait le bruit de la mitraille.
Nos cuirassiers géants chargeaient dans la bataille.
Le lendemain, les bruits s'étaient tus. Hagueneau
Recueillait les martyrs, — obscur et bon hameau.
Les voilà ! Malgré tant de sublime vaillance,
Tant d'héroïsme, ils sont vaincus les fils de France !
Les boulets ont tracé de meurtriers sillons :
Tombés, les colonels ! Tombés, les escadrons !
Et, pour ce qui survit c'est l'affreuse déroute :
Et les blessés fuyant se traînent sur la route,
Maudissant, affolés, leur ennemi fatal ! . . .
Pour eux, dans Hagueneau, s'ouvrait un hôpital.
Bientôt, on amputa dans les étroites salles ;
Le temps manquait, hélas ! pour extraire les balles.
Ce n'est plus partout que mutilés affreux,
Aux râles de mourants, aux appels douloureux ! . . .
Et là, cependant, passe et repasse une femme,
Jeune et belle héroïne à tous donnant son âme.
278
La large coiffe est blanche et blanc son large col :
Elle porte l'habit de Saint- Vincent-de-Paul.
Comme noire, la nuit ombrait les murs des salles,
Et rendait moins distincts les membres sur les dalles,
La sœur fit lentement sa ronde de blessés.
. . .Elle s'est arrêtée ! . . . Un lit, rideaux baissés,
Disparaît dans ce coin, plus obscur. Familière,
Elle écarte les plis. Est-ce plainte ou prière,
Que c'es mots soupires, gémis : « Mon Dieu ! mon Dieu ! »
Elle veut voir de près. . . elle pâlit un peu. . .
Sur un front de vingt-ans, le sang trace des rides :
L'homme a les yeux bandés, les orbites sont vides !
Au cœur la prend alors une immense pitié.
Elle s'appuie au lit et, penchée à moitié,
Entrelient le soldat de son Dieu, de la France,
De l'honneur saintement conquis, de l'espérance,
De son retour prochain au maternel foyer. . .
Elle était là, toujours, quand lui, sur l'oreiller,
Levant avec effort une tête sanglante,
A qui le consolait lendit sa main tremblante :
— « Madame, écoutez-moi, dit-il. Je vais mourir.
» Vous pourrez leur porter, plus tard, mon souvenir.
» A toutes deux, là-bas ! . . . Pauvre sœur ! . . . Pauvre mère ! . . . »
Mais, elle, s'efforçant à paraître sévère,
L'interrompit :
« Monsieur ne vous fatiguez pas.
» Si vous voulez parler, parlez du moins tout bas. »
L'homme continua d'une voix altérée :
« Qui n'a connu ce cri : La guerre est déclarée ?
$79
» Un matin, il vibra devant le vieux château :
» Mon père, un colonel qui, sous notre drapeau,
» Avait vu, tant de fois, la Patrie et la Gloire
» S'embrasser, affirmait sans crainte la victoire.
» Dans la même journée, il manda ses trois fils :
— » Enfants, la France attend : Le devoir est compris ?
» Au régiment, demain, n'est-ce pas? » — « Oui, mon père. »
— « Seulement, vous saurez tout cacher, je l'espère,
» Et devant votre mère et devant votre sœur. »
— « Jeanne ! . . . lui dérober ce secret de mon cœur,
» Quand elle m'avait fait la sainte confidence
» Que ça l'ennuyait trop les visites, la danse,
» Tous nos plaisirs, qu'enfin elle avait souhaité
» De revêtir l'habit brun de la charité ?
» Non ! . . . J'ai dit mon secret : j'en avais dit tant d'autres !
» Jeanne m'a répondu : — « C'est bien : Je suis des vôtres. »
La religieuse eut un tremblement nerveux
Et passa le revers de sa main sur ses yeux.
Et notre mère allait et venait, inquiète :
Sur le château planait une douleur secrète. ..
Vint l'heure des adieux. Nous nous tenons tous prêts ;
Seule, ma sœur, se fait attendre comme exprès ;
Elle avait obtenu promettant d'être forte,
Jusqu'au départ du train de nous servir d'escorte.
... La porte du salon, soudain, s'ouvre avec bruit,
Madame ! . . . Je restai muet, pâle, interdit ;
Ma mère allait au bras d'une religieuse
De Saint-Vincent-de-Paul : C'était ma sœur ! . . . Pieuse,
Tu l'as toujours été, brave, tu le seras,
Digne enfant d'officier, digne sœur de soldats ! . . .
Et ma mère très calme, une sublime femme,
280
» Refoulant son chagrin au fond de sa grande âme,
» Murmura comme un prêtre aux autels du saint lieu :
— « Je vous bénis. Allez : pour la France et pour Dieu ! »
La religieuse est à genoux, elle pleure.
Le mutilé reprit :
« Je ne connais pas l'heure.
» Je vous retiens longtemps ; peut-être qu'il est nuit ?
» Toutefois, écoutez. Je finis mon récit.
» A Frœchwillcr, la même où l'on a dû combattre
» Sans l'espoir du succès, nous étions tous les quatre.
» Mon père regarda ses escadrons, puis nous :
» Et,j, fièrement, il fit sonner le garde à vans.
»
» Sabrant les Prussiens, dans l'épaisse fumée
» Emportés, nous chargeons, phalange décimée
» Qui mourait, elle aussi, mais ne se rendait pas !
» Et nous courions toujours, sans rien voir, dans l'amas
» De canons, de fusils, de maisons embrasées,
» De nos amis râlant, de cuirasses brisées. . .
» » ... Les balles, les boulets couchent des rangs entiers :
» Il le faut ! Nous devons tomber jusqu'aux derniers !. . .
» Une forte hauteur venait d'être occupée.
» Notre père, en avant, tenant très haut Pépée,
» A ses cavaliers crie : — « Amis, délogeons-les ! »
» Ce fut tout. Un obus éclata tout auprès,
» Le tua. Nous, ses lils, et nous, ses capitaines,
» Nous répétons : « Vengeance ! » — Alors, ivres de haines,
» Nous chargeons de nouveau, plus forts, plus furieux ;
» Mes frères, sur le sol, ont roulé tous les deux,
o Frappés à mort ! Moi seul
281
Or, la religieuse,
Depuis longtemps, les yeux hagards, silencieuse,
Serrait son crucifix entre ses doigts crispés :
De son cœur des sanglots montaient, entrecoupés.
Quand l'homme eut ajouté : « Moi seul î . . . » l'âme tordue
D'une douleur sans nom, épuisée, éperdue,
Elle se redressa, toute, au chevet du lit,
Battit l'air de ses bras, au milieu de la nuit,
Jetant un cri poignant et terrible : « Mon frère ! »
Puis, retomba — Son front, d'une pâleur sévère,
Près du front du soldat glissa sur l'oreiller.
Etonné, pris de crainte, accourut l'infirmier.
Le bandeau du blessé s'est défait. Tout est rouge.
Le sang court. Ni la sœur, ni le frère ne bouge :
Ils sont morts !. . . N'est-ce pas que ces martyrs sont beaux?
Hagucneau depuis lors éleva deux tombeaux :
L'enfant d'Alsace y vient apprendre l'espérance ;
Il lit sur l'un : « Pour Dieu ! »• sur l'autre : « Pour la France ! »
Emile OGER.
CES, A*TS,\\
ÏÏSJ
L'EAU DE LA
FILTRÉE D'APRÈS LE SYSTÈME DE M. LEFORT
Par A. ANDOUARD,
Directeur de la Station agronomique de la Loire-Inférieure.
Depuis quelques années, les progrès de l'hygiène ont donné
à la question de l'eau potable une importance pleinement
justifiée. Les avantages que retirent les populations de l'usage
d'une eau salubre, les dangers qui résultent de la consom-
mation d'une eau impure sont aujourd'hui des vérités banales,
et il n'est personne qui se désintéresse de la solution du
problème soulevé par l'alimentation des grandes villes en eau
de bonne qualité.
Sans vouloir formuler de critique malveillante, il est
impossible de ne pas dire que la ville de Nantes est mal
partagée, sous le rapport de l'eau alimentaire. La plupart .dé
ses puits sont fortement souillés par les liquides putrescibles
dont son sol est imprégné. La Compagnie industrielle qui a,
depuis longtemps, assumé la responsabilité de son approvi-
sionnement, a toujours sa prise d'eau dans la ville, au
voisinage des égouts, et n'a pas encore découvert le moyen
de filtrer l'eau qu'elle lance dans sa canalisation. Elle dispense
l'eau du fleuve à peine dépouillée de ses impuretés les plus
grossières, c'est-à-dire un breuvage trop souvent limoneux
283
et, il faut bien l'avouer, absolument insalubre pour tous
ceux qui n'ont pas la précaution de le filtrer chez eux
avec soin.
Aussi l'opinion* publique a-t-elle applaudi aux expériences
que se proposait de faire M. l'ingénieur en chef Leforl, sur la
demande officielle de la municipalité, dans l'espoir de doter la
ville d'une distribution d'eau véritablement potable. Les essais
étaient à peine commencés que le Conseil municipal et le
Conseil d'hygiène de Nantes, accompagnés de l'élite de nos
concitoyens, se pressaient au puits de l'île Beaulieu et cons-
tataient son excellent fonctionnement. Le succès de l'entre-
prise fut promptement connu au dehors. La presse de Paris
tout entière l'a célébré a plusieurs fois et n'a pas ménagé les
encouragements a son promoteur. Le Sénat, les Sociétés de
médecine pratique, de médecine publique et d'hygiène pro-
fessionnelle de Paris ont confié à leurs membres les plus
compétents le soin de visiter les travaux de M. Lefort et de
leur en rendre compte. En un mot, la tentative de réminent
Ingénieur a excité un intérêt général bien en harmonie avec
l'importance du but qu'il poursuivait, Actuellement, la période
des expériences est close. J'ai pensé qu'il était d'autant plus
utile d'en dire les résultats, qu'au milieu du concert d'éloges
que je viens de signaler une note discordante a résonné,
complaisamment colportée ensuite par des personnes qui
n'ont pas visité l'appareil de filtration et dont, par consé-
quent, le jugement est aussi peu explicable que l'hostilité.
Avant de pénétrer dans le détail des faits, il est néces-
saire de remarquer, tout d'abord, que la seule eau dont la
ville de Nantes puisse disposer, en faveur de ses habitants,
est l'eau de la Loire ; en second lieu, que, pour les grandes
masses d'eau, il n'existe pas d'autres agents de filtration que
la terre et le sable. De ces deux agents, la terre est certai-
nement le plus parfait. Mais son emploi a des exigences
284
toutes spéciales, et c'est le sable qui est le purificateur vrai-
ment pratique dans l'espèce.
Partant de ces données, M. Lefort a cherché a clarifier
l'eau de la Loire au moyen du sable qu'elle charrie en si
grande abondance. 11 a, sans hésiter, écarté pour cette opéra-
tion le système des galeries filtrantes, creusées dans les
berges des rivières ou dans leur voisinage, système appliqué
depuis longtemps à Toulouse, à Nîmes, à Lyon, en Angle-
terre, en Ecosse, etc. Les filtres de cette nature ont trois
inconvénients: 1° leur plan inférieur, étant seul perméable,
est bientôt le siège de fissures plus ou moins étendues qui
livrent directement passage à l'eau du fleuve, sans l'épurer ;
2° ils s'encrassent assez promplement, et comme on ne peut
les nettoyer sans nuire a leur solidité, on est conduit à les
abandonner et à les remplacer par des galeries nouvelles ;
3° le plus souvent, Belgrand l'a démontré, ils ne donnent
pas l'eau du fleuve, mais celle d'une nappe souterraine, dont
le niveau est différent et dont la richesse en sels minéraux
et en matières organiques est plus élevée que celle des eaux
courantes.
Le régime des filtres à sable horizontaux, sous voûte ou à
ciel ouvert, utilisés à Londres, à Nancy, à Berlin, a Francfort,
etc., est un peu moins défectueux, en ce sens qu'on peut
facilement y vérifier la surface filtrante et la réparer au
besoin. Toutefois, ces filtres ne fonctionnent convenablement
que si on règle leur débit à °2 mètres cubes au maximum par
mètre carré et par 24 heures. Dès qu'on veut accélérer le
passage de l'eau, le sable se crevasse et ne retient plus les
impuretés ; on retombe dans' les défauts des galeries
filtrantes. M. Lefort a cherché à faire mieux et il y a r'ussi;
voici l'économie de son système.
La première question à résoudre était celle de l'emplace-
ment à choisir pour les expériences'. Il fallait, autant que
285
possible, établir la prise d'eau en un point tel que le courant
ne pût y porter le flot impur sortant des égouts de la ville.
Or, lorsque la Loire est à l'étiage et la mer en vives eaux,
le relèvement de son plan est sensible à 15 kilomètres en
amont de Nantes, en face de Mauves. La limite de ce relè-
vement descend ensuite progressivement vers L'aval, à mesure
que se gonfle le fleuve. Mais il ne faut pas confondre ces
mouvements de niveau avec le renversement du courant, qui
seul est à redouter. Le renversement suit la même loi que
le soulèvement du plan d'eau, sans atteindre le môme point
extrême ; faible en temps de crue, il peut aller jusqu'à 9
kilomètres en amont de la prise d'eau de Nantes au moment
de l'étiage.
C'est donc en ce dernier point qu'il semblait désirable
d'opérer la captation de l'eau à filtrer. Malheureusement, bien
avant ce terme, on tombe au milieu des rouloirs organisés
chaque année par les riverains ; autre inconvénient, aussi
grave peut-être que le premier, quoiqu'il soit temporaire.
Pour ces motifs, M. Leforl s'est arrêté à la grève de l'île
Beaulieu, située à 2,640 mètres en amont de la prise d'eau
actuelle de la ville, sur le bord du bras navigable de la
Loire, où passe, même en temps d'étiage, un courant très
rapide. Il a trouvé là, sur une hauteur de 1 mètre environ,
du sable jaune très pur et d'un grain convenable à l'opération
projetée, reposant sur une couche de sable vert de moins
d'un mètre, superposée elle-même à une épaisse couche de
jalle (vase compacte).
Son appareil filtrant est composé d'un puits cylindrique
en maçonnerie, de 2 mètres de diamètre intérieur, parfai-
tement étanche de toutes parts et dont les parois latérales
sont percées de huit rangs de six barbacanes chacun, espacés
de 50 centimètres entre eux. 11 a été enfoncé à 2™, 47 en
contre-bas de l'étiage. Sa profondeur est de 7m,44.
-286
Chaque, barbacane est un cube creux, en ciment, dont la
cavité, en forme de tronc de pyramide rectangulaire, est
remplie de menus fragments de granité, maintenus par deux
toiles de laiton encastrées dans la barbacane, Un tube
cylindrique, de 10 centimètres de diamètre, fait suite au tronc
de pyramide et sert d'orifice d'écoulement dans le puits ;
il est fermé par un bouchon métallique à vis. Les barbacanes
sont logées dans l'épaisseur de la maçonnerie ; elles peuvent
en être facilement retirées, lorsqu'il est nécessaire soit de
les nettoyer, soit de les remplacer. Elles ont été disposées,
pour le plus grand nombre, du côté du chenal ; sur la paroi
opposée il n'y a qu'une ouverture à chaque rang.
Autour du puits a été amoncelée une couche tronconique de
sable, dont la plateforme supérieure a 10 mètres de rayon,
la base, 15 mètres, puits non compris. Cette masse de
sable est protégée contre l'action du courant par un
perré de pierres sèches recouvert par des enrochements.
Enfin, un escalier intérieur permet de descendre au fond
du puits.
Voilà l'instrument, simple et ingénieux, qui sert à M. Lcfort
à épurer l'eau de la Loire. Voyons maintenant ce que vaut
l'eau qu'il fournit.
Au sortir des barbacanes, elle est d'une limpidité parfaite,
quelle que soit la# hauteur où on la puise. Celle qui vient
du sable jaune reste telle indéfiniment; j'en ai conservé
pendant plusieurs semaines, sans qu'elle ail éprouvé la
moindre altération. M. Lefort a même prolongé l'expérience
pendant plusieurs mois : l'eau n'a manifesté ni trouble, ni
odeur. Il n'eu est pas de même de celle qui a traversé les
sables verts ; elle devient opalescente, eu quelques heures,
puis elle dépose un faible sédiment ferrugineux, que
M. Gautrelet, chimiste à Paris, suppose être un mélange de
crénate et d'apocrénale de 1er. Les analyses auxquelles je
287
me suis livré ne m'ont pas donné la confirmation de cette
hypothèse, assez délicate à contrôler, du reste ; les voici,
pour les eaux sortant des deux espèces de sable :
Eau puisée le 20 mai 1890.
Composition chimique rapportée à 1
Sable jaune.
Gr.
Matières organiques 0,00400
Ammoniaque 0,00011
Soude 0,03300
Chaux 0,02020
Magnésie 0,00556
Alumine 0,00395
Oxyde' de fer 0,00280
Chlore 0,01093
Acide azotique 0,00384
— sulfurique... 0,00590
— carbonique 0,03940
— silicique 0,02502
Non dosé 0,00919
Total 0,10390
litre.
Sable vert.
Gr.
0,00410
0,00012
0,03414
0,02067
0,00570
0,00420
0,00290
0,01120
0,00392
0,00640
0,03860
0,02510
0,01095
0,16800
11 est probable qu'en prolongeant le lavage des sables
verts, on finirait par leur soustraire intégralement l'élément
ferrugineux si préjudiciable à l'aspect de l'eau. Mais, en
l'absence d'expériences précises, il est impossible de prévoir
quelle serait la durée de ce lavage. Mieux vaut, par consé-
quent, se tenir au filtrage par le sable jaune, qui n'offre
pas le même inconvénient. C'est l'eau provenant de cet
étage qui a été presque exclusivement recueillie pendant les
expériences de M. Lcforl. Elle a été trouvée irréprochable,
288
sous le rapport des propriétés organoleptiques, par tous ceux
qui l'ont examinée. Sa composition a été déterminée simulta-
menl à FEcolc des ponts et chaussées et" à la Station
agronomique de la Loire-Inférieure ; les résultats témoignent
de son excellente qualité :
Ponts et
Dates. chaussées. Station.
1889 6 décembre. Titre hydrotimélrique total.. 11° —
1890 8 janvier... — — 10°, 5 —
20 mai — — — 11»,7
29 — — - — 8M
— persistant. — 7°, 3
Eau puisée dans le deuxième rang de bar-
bacanes, les 6, 7 et 8 janvier 1890.
Composition cliimiqtie rapportée à 1 litre.
Gr. Gr.
Matières organiques ■ - 0,00390
— volatiles ou combustibles. 0,005 —
Ammoniaque — 0,00014
Soude 0,012 0,02830
Chaux 0,048 0,01960
Magnésie 0,005 0,00540
Alumine j i 0,00370
Peroxyde de fer ) 1 races* 0,00250
Chlore 0,010 0,01180
Acide azotique 0,001 0,00405
— sulfuriquc 0,006 0,00500
— carbonique 0,040 0,04215
silicique 0,016 0,02240
Non dosé 0,002 0,00820
Totaux 0,140 0,15780
289
♦ Azote combiné, dans 1 litre.
Gr.
Azote albuminoïdc — 0,00008
— ammoniacal — 0,00011
— nitrique ' — 0,00009
Azote total — 0,00028
Air dissous, dans 1 litre.
Oxygène — 6CC,8
Acide carbonique — 4,5
Azote — 17 ,2
Total — 28cc,5
C'est bien l'eau de la Loire qui pénètre dans le puits et
non pas celle d'une nappe souterraine, ainsi qu'il arrive
dans certaines galeries filtrantes. Sous le rapport des éléments
minéraux et des substances organiques dissous, elle est
irréprochable : légère, aérée, agréable au goût, elle a tous
les caractères des eaux potables du meilleur aloi.
Mais l'analyse chimique ne suffit pas pour accorder à
l'eau destinée à la consommation des lettres de crédit.
L'examen bactériologique est indispensable, pour qu'elle
soit admise au titre d'eau réellement potable. M. Lcfort
n'avait garde de négliger celte épreuve. Il l'a confiée aux
savants les plus autorisés et les appréciations ont présenté
toute la concordance désirable en pareille matière :
Echantillons prélevés le 1er mars 1890.
LABORATOIKE DU Dr CHANTEMESSE.
Très peu de germes aérobies.
50 mucédinécs par centimètre cube.
19
290
LABORATOIRE DU Dr MIQUEL. *
Eau de la Loire non filtrée.
lre analyse 9.000 bactéries par cent. cube.
2me — 9.120 — —
3rae — 10.300 —
4me — 10.800
Moyenne 9.530 bactéries par cent. cube.
Eau du puits de M. Le fort.
lre analyse 60 bactéries par cent. cube.
2me -- 50 — —
3me — 95 — —
4me — 70 — —
Moyenne 73 bactéries par cent. cube.
LABORATOIRE DU Dr VAILLARD.
Eau de la Loire non filtrée.
Pas d'analyse, les tubes ont été brisés en route.
Eau du puits de M. Lefort.
lre analyse. 300 niicrogermes aérobies par cent. cube.
150 moisissures.
2me analyse. 50 microbes aérobies.
Espèces banales, peu variées.
Échantillons prélevés le 13 septembre 1890.
LABORATOIRE DU Dr MIQUEL.
Eau de la Loire, non filtrée.
lrc analyse 25,250 bactéries par cent. cube.
2"1C — 22,750 — —
Moyenne 24,000 bactéries par cent. cube.
291
Eau du puits de M. Le for t.
lre analyse 124 bactéries par cent. cube.
2me — 140 — —
Moyenne 132 bactéries par cent. cube.
LABORATOIRE DU Dr VA1LLARD.
Eau de la Loire, non filtrée.
« La liquéfaction de la gélatine, par les organismes de
l'eau n'a pas permis la numération des colonies au delà du
4me jour. Il y en avait alors 950. Il y a lieu d'affirmer que ce
chiffre n'exprime qu'une part très minime de la vérité. »
Eau du puits de M. Le fort.
Moyenne des résultats : 150 bactéries par cent. cube.
Espèces toutes banales.
Tous les relevés qui précèdent sont un éloquent plaidoyer
en faveur de l'eau filtrée du puits de Beaulieu. Au point de
vue chimique, elle est excellente ; elle offre de plus l'avantage
d'une épuration parfaite. Elle n'est pas moins bonne sous le
rapport bactériologique. x\u mois de mars, d'après ce qui
précède, elle renfermait 130 fois moins de microbes que
l'eau du fleuve ; en septembre, elle en contenait 182 fois
moins. Il me semble qu'il y a là de quoi satisfaire les plus
exigeants. D'autant mieux que l'appareil filtrant est demeuré
jusqu'ici dans les plus mauvaises conditions à l'égard de
l'infection bactérienne. Les sables dont il est constitué
n'ont subi aucune purification avant leur mise en place.
D'autre part, le puits est resté ouvert depuis sa construction.
L'escalier central qu'on y a installé est en bois et il a été
constamment parcouru par des hommes dont les pieds et les
mains ont certainement contribué à le souiller. Lorsque le
292
puils sera fermé, lorsque les poussières atmosphériques et
les détritus humains n'y pourront plus entrer, il est vraisem-
blable que l'eau recèlera encore moins de micro-organismes
qu'aujourd'hui.
Telle qu'elle est actuellement, celte eau soutient facilement
la comparaison avec celles qui alimentent Paris ; elle est
plus légère et moins chargée de bactéries que la plupart
d'entre elles, et je ne parle que des meilleures :
Moyennes saisonnières , en 188S.
Saison. Vanne (réservoir). Dhuis (réservoir).
Hiver 1,256 bactéries. 2,486 bactéries par cent. cube.
Printemps. 938 — 4,101 — —
Eté 368 — 530 — -
Automne . 393 — 513 — —
Moyenne. 739 bactéries. 1,907 bactéries par cent. cube.
Moyennes annuelles, de 1887 à 1890 (Dr Miquel).
Vanne réservoir 705 bactéries par cent. cube.
— canalisation 2,305 — —
Dhuis réservoir 1,890 — —
— canalisation 1,610 — —
Si Ton veut que la comparaison soit plus frappante encore,
il n'y a qu'à rapprocher les recherches bactériologiques
exécutées celte année, aux mêmes époques, sur l'eau de la
Vanne et sur celle du puits de Beaulieu.
Dotes. Vanne. Puils Lefort.
1er mars 1890 275bactéries. 73 bactéries par cent. cube.
13 septembre 1890. 550 — 132 —
Et si, au lieu de prendre les moyennes, je citais les
maxima atteints par les sources précitées, je montrerais
Température
Température
de la Loire.
du puits.
+ 0°,3
+ 8°
+ 3°,0
+ 70
+ 21°,0
4- 17°
+ 20°,0
-f 17°
293
qu'à certains moments, elles renferment 10,000 et môme
20,000 bactéries par centimètre cube.
Les chiffres ci-dessus n'ont pas besoin de commentaire.
Aux avantages précédemment énumérés, l'eau du puits de
Reaulieu joint celui d'avoir une température plus favorable
que celle du fleuve; les observations de M. Lefort ne laissent
aucun doute à cet égard :
Température
Dates. de l'ait.
1889 9 décembre ... + 1°
lt - ... + 5°
1890 12 septembre. .. +24°
13 — ... + 24°
En moyenne, c'est une différence de 4° en plus, pendant
l'hiver, et de 4° en moins dans la saison chaude. Notons que
cette différence deviendra plus sensible encore dans le puits
définitif et fermé.
Mais si la supériorité de l'eau en question n'est pas niable,
elle ne la met pas cependant à l'abri de critiques dont il est
nécessaire d'examiner le bien fondé.
L'une des plus importantes est relative aux microbes que
l'eau tient en suspension. Si réduit que soit leur nombre,
il n'est pas négligeable. En outre, du moment où le filtre de
M. Lefort en laisse passer, comme il ne peut exercer d'action
sélective, ceux que l'on redoute avec raison le traverseront
aussi bien que les plus inoffensifs.
Rien n'est plus vrai ; mais quelle est donc la source à
l'abri de ce reproche ? Assurément, ce n'est ni la Dhuis, ni
la Vanne. Ce ne sera pas davantage l'Avre ou la Vigne, que
la capitale va prochainement dériver à son profit. L'eau de
la source la plus pure sera toujours plus ou moins conta-
minée, quand elle aura circulé dans une canalisation
quelconque ou séjourné dans un réservoir. Et n'est-ce donc
294
rien que l'atténuation qui, dans l'espèce, abaisse le nombre
des bactéries de 130 et même de 182 à l'unité? Celui qui,
docile aux enseignements de l'hygiène, veut boire de l'eau
absolument exempte de microbes doit nécessairement, d'où
qu'elle vienne, la filtrer à travers un des appareils perfec-
tionnés que l'art moderne a inventés dans ce but. Nous
ferons, a cet égard, comme tout le monde ; l'objection n'a
pas une très grande portée.
On a dit aussi que l'expérience de Beaulieu n'a pas été
suffisamment prolongée pour inspirer une confiance aveugle
dans ses résultats. Je suis loin de méconnaître la valeur de
cette observation. Je dois dire seulement, à la décharge de
M. Lcfort, que son puits a fonctionné aussi longtemps que
l'a permis le crédit mis à sa disposition. D'un autre côté, il
ne faut pas exagérer les inquiétudes que peut faire concevoir
la continuité de la filtration dans son appareil. Que peut-on
craindre ici, en effet ? On peut craindre le colmatage et la
formation de drains supprimant l'épuration de l'eau.
Le colmatage ne semble pas devoir être beaucoup à
redouter, pour les raisons que voici : Le puits est placé au
milieu du courant le plus rapide, qui le nettoie d'une manière
permanente. La vitesse de pénétration de l'eau dans l'ilot
filtrant est toujours inférieure à celle du fleuve. Pour fonc-
tionner de manière satisfaisante, le puits n'a pas besoin
qu'on ouvre toutes ses barbacanes ; dès lors, on pourra
toujours ne déboucher que celles des rangs le plus élevés,
c'est-a-dire celles qui correspondent à l'eau la moins impure.
La partie inférieure, plus exposée que les autres à l'engor-
gement, ne sera mise en service qu'en temps d'éliage,
autrement dit au moment où la Loire est trop limpide pour
déposer un sédiment notable. En admettant que la partie
supérieure s'encrasse néanmoins, elle se desséchera lorsque
les eaux baisseront et la vase, déposée à sa surlace, ne
'295
résistera probablement pas au premier flot qui viendra la
heurter. Pour tous ces motifs, le puits de Beaulieu me parait
offrir des garanties de durée bien supérieures à celles des
galeries filtrantes d'Angers, de Lyon, de Toulouse, etc., qui
cependant fonctionnent depuis un temps relativement très
long. Si, par hasard, quelque cause impossible à prévoir dès
ce jour vient en compromettre le service, l'accident aura
pour toutes conséquences de conduire à enlever une
couche de sable à la périphérie, pour la remplacer par du
sable neuf. Il n'y a là rien qui soit d e nature à effrayer pour
l'avenir.
La formation des drains et, par suite, leur influence
nuisible, est encore bien moins à supposer dans le système
de M. Lefort. Effectivement, le milieu filtrant est ici beau-
coup plus homogène que celui des anciennes galeries, qui
sont formées de dépôts superposés par ordre de densité.
Dans ces dépôts, toutes les couches ne sont pas également
propres au filtrage. Celles dont les éléments sont le plus
grossiers deviennent toujours le siège principal du courant
et le clarifient d'une manière très imparfaite. 11 importe donc
beaucoup de mélanger les différentes strates dont est com-
posé le lit du fleuve, et ce résultat est complètement atteint
dans le mode de construction adopté par M. Lefort.
Supposons pourtant que, malgré les précautions excep-
tionnelles prises par l'inventeur, le massif soit exposé à être
sillonné de ces drains auxquels on donne communément le
nom de renards. L'inspection du liquide fourni par les
diverses barbacanes en avertira de suite le surveillant du
filtre et la fermeture de l'orifice, dont l'eau est défectueuse,
coupera court immédiatement au mal. Aucun autre système
de filtre ne donne pareille faculté.
Je dois citer encore, bien qu'elles soient peu importantes,
deux autres critiques adressées au puits de Beaulieu : Dans
296
l'ilot de sable, dont il est formé, on ne peut, dit-on, voir
ni régler aucune des conditions de la filtration; on apprécie
seulement l'eau filtrée. En second lieu, l'obligation d'affecter
aux puits les parties profondes des rivières, sera nuisible à
la navigation.
S'il est vrai que le système des filtres horizontaux permette
de vérifier à la fois l'état de la surface filtrante et celui de
l'eau épurée, cet avantage n'est qu'une conséquence de son
imperfection. Ce genre de filtre a le défaut de retenir inté-
gralement le limon semi-vivant disséminé dans l'eau a
clarifier; il faut bien, dès lors, qu'on puisse enlever pério-
diquement la couche superficielle, à peine de voir cesser la
filtration; de là la nécessité de laisser celte couche a
découvert ou facilement accessible. Dans le filtre de M.Leforf,
on ne règle pas directement l'arrivée de l'eau, comme dans
le cas précédent, mais on y parvient en modérant sa sortie.
Le résultat est absolument le même. La première objection
ne tient pas.
La seconde est moins soulenable encore, du moins à
Nantes. Le bras du fleuve qui touche le puits d'expériences
mesure environ 250 mètres, en largeur. Alors même qu'on
ne conserverait pas l'alignement du puits actuel et qu'on
empiéterait de 50 mètres ou plus sur le chenal, pour l'ins-
tallation d'une série de puits filtrants, il resterait assez
d'espace pour assurer le service de la navigation de manière
a ne préoccuper aucun de ceux qu'elle intéresse.
Après avoir bien impartialement étudié la question, il me
semble incontestable que l'eau filtrée par le système de
M. Lefort l'emporte sur celles dont on se contente à Paris et
ailleurs. L'appareil qui la fournil est, sous lous les rapports,
supérieur à ses congénères, et rien n'autorise à craindre
que sa durée ne soit pas au moins égale à la leur. 11 ne
veste plus qu'à déterminer si les conditions matérielles de sa
297
construction en font une solution pratique de l'alimentation
delà ville de Nantes.
Avec un diamètre de deux mètres, et 6 barbacanes à
chaque rang', le puits d'expériences a fourni régulièrement
1,500 mètres cubes d'eau par 24 heures, la Loire étant a
la cote de 2ra,05. M. Lefort a calculé qu'un puits de trois
mètres de diamètre, muni de 10 barbacanes par rang et
entouré d'un massif filtrant complètement baigné par le
fleuve, on atteindrait un débit moyen de 2,500 mètres cubes
par 24 heures.
A ce compte, et la population de Nantes étant de
127,000 habitants, une série de douze puits suffirait à
filtrer 30,000 mètres cubes d'eau par jour, soit environ
250 litres par habitant. C'est là le minimum que l'on doive
demander. Pour assurer une consommation individuelle de
400 litres par jour, assurément désirable, il faudrait vingt
puits. Nous nagerions alors dans l'abondance et pourtant
nous serions encore loin du luxe des Romains d'autrefois,
qui disposaient d'une distribution quotidienne de 1,500 litres
par tête.
M. Lefort propose de ranger ses filtres en file linéaire,
devant le banc de Beaulieu, et de les englober dans un
unique massif de sable, élevé de 1 mètre au-dessus des plus
hautes eaux observées.
Chaque filtre, entièrement terminé, coûterait approximati-
vement 40,000 fr. En ajoutant h la dépense motivée par
l'érection de douze appareils semblables, celle qui résulterait
de la mise en place des collecteurs et de leur raccordement
à une citerne de puisage, creusée sur la rive du fleuve, on
arrive à un total de 737,194 fr. 40 c. Mettons en chiffres
ronds 800,000 fr., avec l'imprévu. Celte somme devrait être
portée a 1,250,000 fr., si l'on voulait mettre a la disposition
de chaque habitant 400 lîtres d'eau par jour.
MX
Ni Tune ni l'autre de ces dépenses ne sont, à mon avis,
de nature à faire abandonner le projet de M. Lefort. Quand
on songe à la grandeur du service que rendrait à la popu-
lation nantaise une large distribution d'eau véritablement
filtrée, la question financière perd de son importance; il faut
la reléguer au second plan. A bien examiner les choses,
d'ailleurs, toutes les villes privées comme la nôtre de sources
salubres à leur portée, ont été obligées, pour s'approvisionner
d'eau potable, de consentir des sacrifices autrement con-
sidérables que celui dont on nous menace. On peut , au
surplus, faire sans regret une grosse dépense, lorsqu'il s'agit
d'acheter la sécurité de la vie, qui nous manque aujourd'hui
complètement.
En résumé, les avantages du puits filtrant de M. Lefort
sont les suivants :
1° 11 donne l'eau du fleuve lui-même et non celle de
nappes souterraines qui lui seraient inférieures en qualité;
<2° Cette eau est merveilleusement limpide, agréable a
boire et très peu chargée de micro-organismes ;
3° Il débite plus d'eau filtrée que tous ses congénères;
4° Il s'engorgera vraisemblablement beaucoup moins vite
que les puits et les galeries analogues antérieurement
aménagés ;
5° Il est facile de le nettoyer à l'intérieur et à l'extérieur,
de vérifier la qualité de l'eau fournie par chaque barbacane
et d'obturer les ouvertures qui laisseraient couler de l'eau
mal purifiée, cela sans interrompre la distribution de l'eau
dans la ville, puisque chaque puits peut être isolé des autres,
en cas de besoin ;
G0 En admettant qu'il vienne à s'engorger, il peut être
aisément régénéré par le remplacement de tout ou partie du
massif de sable qui le constitue;
7° Il fonctionne avec une pression faible et variable a
TYPE DE PUn
SYSTÈME DE M. L'INGÉÏ
Section Iiorixonfak AB .
."T^c.titv^cwu^tt cftwjieM 9cU"oC .à4*tiwttf2wtoa£(t
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FILTRANT
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Détails dune barbacane .
Section hrigùfudmal& Élévation
[Xa/ tcite 4vw<ta.u.uiu.e, £xtèï-uu/L£- c^ Cad
I ; »ct£ *M. Grttvt*
-tllillll^jj
*.. - V . ■ ■■ <■ ii.i
««-.»
pp&WeSi oaq .,°.°$L°fi\°.e$
299
volonté et il permet de puiser l'eau dans les couches les
plus favorables, grâce à ses barbacancs multiples, que l'on
ouvre ou que l'on ferme suivant la hauteur du fleuve;
8° Son installation est moins onéreuse que celle des
galeries filtrantes, bien moins encore que l'adduction de
sources éloignées qui, du reste, font ici défaut, dans un
rayon abordable.
Dans un sujet aussi délicat que celui-ci, il est assurément
logique de faire une part a l'inconnu. Cependant, plus
j'analyse les conditions de fonctionnement du puits de
Beaulieu, plus je prends confiance en son avenir. J'espère
que ma conviction deviendra prochainement celle de tous
et que la ville de Nantes aura bientôt contracté, envers
l'ingénieux et désintéressé inventeur du filtre nouveau, une
de ces dettes que l'on n'acquitte jamais.
LEAU DE LA LOIRE
PENDANT LE ROUISSAGE DU LIN ET DU CHANVRE
AU POINT DE VUE DES MATIÈRES ORGANIQUES DISSOUTES
Par A. Andouard.
La période autorisée du rouissage en Loire commence vers
le 15 août et finit le 15 octobre chaque année. Les routoirs
sont échelonnés tout le long du fleuve, jusqu'à la tête de
Hic Héron, qui est la station la plus voisine de Nantes
(5 kilomètres environ).
L'Administration départementale ayant désiré connaître
l'influence que peut exercer la présence du lin et du chanvre,
sur la proportion des principes organiques dissous dans l'eau
de la Loire, a fait prélever par les soins de l'Administration
municipale, de nombreux échantillons de cette eau, du
21 juillet au 7 octobre de cette année.
Sept stations avaient été choisies pour le puisage :
1° Bellevue, en face le chemin conduisant à Sainte-Luce ;
2° A 800 mètres en aval de la première station, en face
le chemin communal conduisant à la Divate ;
3° Tête de File Héron, 780 mètres en aval de la deuxième
station ;
4° Milieu de l'île Héron, 740 mètres en aval de la troisième
station ;
301
5° Au bas de l'île Héron, 900 mètres en aval de la station
précédente ;
G0 A la hauteur du puits d'expériences de M. Lefort,
800 mètres en aval de la cinquième station ;
7° A 100 mètres en aval du pont de la Vendée, 470 mètres
au-dessous du puits de M. Lefort.
Le tableau qui suit relate l'état du fleuve pendant la durée
des opérations :
Echelle Saint-Félix.
Dates. Courant. Epoque de la marée. Basse mer. Pleine mer.
Heures. Cotes. Heures. Cotes.
21 juillet.. . Jusant. Fin du gros de l'eau.. . 7,00 0m,3l 9,25 0«n,92
29 — .. — .. Commt du gros de l'eau. 2,00 0 ,18 5,55 0 ,95
5 août Flot .. Moite eau 7,15 0,18 10,10 0,88
12 — .. Jusant. — 2,18 0 ,02 4,55 0 ,70
19 — .. — .. Fin du gros de l'eau... 7,12 0 ,01 9,00 1 ,05
26 — .. — .. Morte eau 12,33 0 ,02 4,08 1 ,35
2sept Flot .. Gros de l'eau 6,20 0 ,14 9,35 0 ,95
9 — .. Jusant. Morte eau 12,50 0 ,06 3,25 0 ,33
16 — .. — .. Gros de l'eau 5,30 0 ,02 8,35 1 ,02
23 — ,. — .. Morte eau 10.40 0 ,04 1,45 0 ,37
30 — .. — .. Gros de l'eau 5,30 0 ,78 7,40 1 ,98
7 octobre. — .. Morte eau 10,50 0 ,35 12,50 0 ,41
14 — .. —.. Gros de l'eau 5,00 0 ,19 7,00 1 ,20
21 — .. Flot.. Morte eau 9,15 0 ,14 11,50 0 ,30
28 — .. Jusant. Gros de l'eau 4,28 0 ,18 6,40 1 ,28
Les prélèvements ont été effectués de semaine en semaine,
entre huit et dix heures du matin et remis aussitôt au
laboratoire de la Station. A compter du n° 3 de chaque date,
le fleuve se trouve partagé par l'île Héron en deux parties
désignées sous les noms de bras de Pirmil et de bras de
la Madeleine. Le bras de Pirmil représente ici toujours la
rive gauche. Dans le bras de la Madeleine, trois échantillons
ont été pris : sur la rive droite, au milieu et sur la rive
302
gauche. Pour ne pas rompre l'unité du relevé général des
analyses , les échantillons rive gauche du bras de la
Madeleine sont enregistrés à part.
L'analyse a été pratiquée d'après la méthode de Kubel-
Tiemann, au moyen du permanganate de potassium, agis-
sant en liqueur acide. L'eau était préalablement filtrée au
papier. La durée, de rébullition était de cinq minutes. Les
résultats sont exprimés par les poids d'oxygène employé à
la combustion des matières organiques contenues dans un
litre d'eau.
Dates. !
21 juillet
29 juillet,
4 août,
12 août.
ions.
Rive droite.
Milieu.
Rive gauche.
Gr.
Gr.
Gr.
1
0,0030
0,0024
0,0026
2
0,0025
0,0024
0,0025
3
0,0029
0,0025
0,0024
4
0,0026
0,0022
0,0025
5
0,0029
0,0022
0,0024
6
0,0026
0,0024
0,0022
1
0,0020
0,0018
0,0017
2
0,0023
0,0020
0,0022
3
0,0021
0,0017
0,0020
4
0,0019
0,0016
0,0016
5
0,0017
0,0017
0,0020
6
0,0016
0,0015
0,0017
7
0,0018
0,0016
0,0015
1
0,0016
0,0018
0,0016
2
0,0022
0,0018
0,0015
3
0.0022
0,0018
0,0019
4
0,0022
0,0018
0,0019
5
0,0019
0,0018
0,0024
6
0,0017
0,0019
0,0018
7
0,0019
0,0018
0,0019
1
0,0019
0,0018
0,0015
303
Dates. Stations. Rive droite. Milieu. Rive gauche.
Gr. Gr. Gr
(CrTuSgeTnt ^ ^ 0,0°23 °'0016 0,°016
12 août 3 0,0018 0,0021 0,0016
— 4 0,0020 0,0016 0,0017
— 5 0,0016 0,0016 .0,0017
— 6 0,0019 0,0018 0,0019
— 7 0,0020 0,0017 0,0017
19 août 1 0,0020 0,0016 0,0016
— 2 0,0015 0,0013 0,0014
— 3 0,0017 0,0014 0,0013
— 4 0,0019 0,0014 0,0014
— 5 0,0014 0,0014 0,0015
— 6 0,0015 0,0014 0,0017
— 7 0,0014 0,0013 0,0014
26 août 1 0,0049 0,0021 0,0038
— 2 0,0020 0,0021 0,0020
— 3 0,0032 0,0030 0,0033
— 4 0,0018 0,0017 0,0020
— 5 0,0019 0,0022 0,0020
— 6 0,0016 0,0016 0,0016
— 7 0,0021 0,0016 0,0017
2 septembre. 1 0,0026 0,0025 0,0026
— 2 0,0028 0,0022 0,0020
— 3 0,0026 0,0024 0,0022
— 4 0,0024 0,0023 0,0020
— 5 0,0020 0,0029 0,0025
— 6 0,0020 0,0019 0,0022
— 7 0,0018 0,0023 0,0021
9 septembre. 1 0,0017 0,0017 0,0017
— 2 0,0018 0,0018 0,0022
— 3 0,0016 0,0017 0,0017
— 4 0,0026 0,0019 0,0017
304
Dates. Stations. Rive droite. Milieu. Rive gauche.
Gr. Gr. Gr.
9 septembre. 5 0,0018 0,0020 0,0017
— 6 0,0020 0,0020 0,0019
— 7 0,0018 0,0018 0,0019
16 septembre. 1 0,0014 0,0012 0,0024
— 2 0,0014 0,0017 0,0020
— 3 0,0015 0,0022 0,0016
— 4 0,0012 0,0013 0,0012
— 5 0,0014 0,0013 0,0012
— 6 0,0011 0,0012 0,0012
— 7 0,0012 0,0011 0,0012
23 septembre. 1 0,0017 0,0015 0,0018
— 2 0,0016 0,0013 0,0015
— 3 0,0014 0,0015 0,0015
— 4 0,0017 0,0015 0,0014
— 5 0,0015 0,0018 0,0016
— 6 0,0014 0,0014 0,0013
— 7 0,0014 0,0014 0,0013
30 septembre . 1 0,0032 0,0052 0,0026
— 2 0,0026 0,0050 0,0024
— 3 0,0033 0,0022 0,00'29
— 4 0,0025 0,0044 0,0022
— 5 0,0026 0,0035 0.0028
— 6 0,0024 0,0025 0,0026
— 7 0,0026 0,0031 0,0024
7 octobre... 1 0,0028 0,0026 0.0025
2 0,0025 0,0023 0,0025
3 0,0023 0,0024 0,0021
4 0,0025 0,0023 0,0024
5 0,0020 0,0022 0,0024
6 0,0021 0,0019 0,0028
7 0,0022 0,0021 0,0021
• m • • •
305
Bras de la Madeleine, rive gauche.
Dates.
21 juillet
— > » ' ■ • • • •
Ji\j •"— • • • i
2iô ■""■ * • « #
4 août
4 —
4 -
12 —
1 M ~~ * • • . . .
12 —
19 —
19 —
19 —
26 -
26 —
26 —
2 septembre.
2 — ..
Matières
Statious. organiques.
3
3
5
6
3
5
6
3
5
6
3
5
6
3
5
6
3
5
Gr.
0,0025
0,0017
0,0017
0,0018
0,0017
0,0017
0,0017
0,0017
0,0016
0,0019
0,0013
0,0013
0,0015
0,002i
0,0017
0,0017
0,0025
0,0019
Dates.
2 septembre
9
9
9
10
16
16
16
23
23
23
30
30
30
30
7
7
7
Matières
Stations, organiques.
octobre.
6
3
5
6
3
4
5
6
3
5
6
3
4
5
6
3
4
o
Gr.
0,0018
0,0021
0,0020
0,0018
0,0012
0,0012
0,0010
0,0011
0,0013
0,0015
0,0014
0,0023
0,0021
0,0024
0,0021
0,0023
0,0024
0,0022
Plusieurs faits se dégagent des analyses ci-dessus.
En premier lieu, le rouissage a augmenté la souillure de
la Loire, en matériaux organiques, d'une manière intermit-
tente, marquée principalement à la fin d'avril et à la fin de
septembre. L'augmentation atteignait parfois le quadruple
de la quantité correspondant au minimum observé ; elle
décroissait, habituellement, à mesure qu'on s'avançait vers
les stations d'aval.
L'eau qui longe la rive droite est généralement un peu
20
306
plus chargée d'éléments organiques que celle de la rive
gauche et que celle du milieu du fleuve.
La même remarque résulte de la comparaison des chiffres
correspondant aux prélèvements faits au milieu et sur la rive
gauche du bras de la Madeleine. Les derniers accusent
presque toujours moins de matières organiques que les
premiers, à fortiori moins encore que les eaux de la rive
droite. Il semble que la pollution du fleuve ait lieu surtout
de ce côté et que les eaux souillées se mélangent imparfai-
tement aux autres. Le fait est sensible en juillet et en août ;
en septembre il est moins constant. Je ne le donne pas
comme l'expression d'une loi ; je constate seulement qu'il
coïncide avec la position géographique des principales agglo-
mérations urbaines assises au bord de la Loire. Il a du reste
son intérêt, pour le cas où un système de filtrage serait
établi dans le bras de la Madeleine. S'il se maintient, c'est
bien vers la grève de Beaulicu qu'il sera utile de placer le
système en question.
L'examen bactériologique de l'eau n'a pas pu cire fait
pendant la période du rouissage. Des réparations, exécutées
au laboratoire de la Station agronomique, à cette époque,
n'ont permis que les recherches chimiques seules suscep-
tibles d'être poursuivies avec une installation provisoire.
SITUATION DU VIGNOBLE
DE LA LOIRE-INFÉRIEURE EN 1890
Par A. Andouard,
Directeur de la Slalion agronomique.
A ne consulter que les apparences, on serait tenté de
croire que le vignoble du département s'est relevé, en 1890,
des chocs répétés qui l'avaient affaibli pendant les précédentes
années. L'ensemble de la végétation est meilleur qu'au
dernier exercice ; la maturation des sarments s'accomplit
d'une manière normale -, la récolte, sans être rémunératrice,
n'est pas nulle et la région vilicole est en ce moment le
siège d'une activité à laquelle nous n'étions malheureuse-
ment plus accoutumés. Gardons-nous cependant de concevoir
trop de sécurité. Nous recueillons présentement le bénéfice
de conditions climalologiques moins défavorables qu'en
18b9; mais le péril ne s'est pas éloigné, il nous environne
au contraire de plus en plus et l'examen attentif de nos
plantations n'est rien moins que rassurant. Une me sera que
trop facile de justifier cette appréciation, en faisant le recen-
sement des ennemis mulliples qui déciment notre vignoble. .
Parasites végétaux. — Le mildiou a fait tardivement son
apparition cette année. Les pluies du printemps lui avaient
cependant prêté un appui prolongé; mais elles étaient froides
et la persistance des basses températures a duré jusqu'au
308
milieu de juillet. A ce moment, le soleil est devenu plus
chaud et le parasite a commencé à paraître dans les vignes
non sulfatées. Gomme il fallait s'y attendre, il s'est révélé à
peu près partout en même temps. Vers le 15 août, quelques
vignes perdaient déjà des feuilles et l'inquiétude d'une invasion
grave devenait légitime. Le hasard a voulu que ce malheur
nous fût épargné. Les vents du nord et de Test ont régné
presque exclusivement pendant les mois d'août et de septem-
bre, en même temps que le soleil prodiguait généreusement
ses rayons. De ce concert heureux est résulté un ralentis-
sement marqué dans le développement du peronospora. Le
champignon n'a pas moins continué à vivre, mais il vivait
misérablement et il n'a pu affermir que lentement la prise
de possession du feuillage tout entier. Par suite de celte
marche retardée, plusieurs vignes non soignées avaient
encore quelques feuilles à la iîn de septembre, mais quelles
feuilles ? La sève les abandonnait à grands pas et leur chute
s'accentuait chaque jour davantage.
A côté de ces clos désolés, où le raisin n'a pas mûri, l'œil
se reposait agréablement sur des vignes de parfaite conser-
vation. L'élan a été considérable cette année vers le traite-
ment préventif et la bouillie bordelaise a 1 ou 3% de sulfate
de cuivre a été pour ainsi dire le seul remède ubiiisé. Elle a
complètement réussi partout où elle a été bien faite et bien
appliquée ; mnis combien souvent n'a-t-clle pas été mal ou
trop tard employée ! A cet égard, l'instruction du vigneron
est loin d'être suffisante. 11 n'a, trop souvent, ni le respect
des proportions à conserver aux divers éléments de la
bouillie, ni l'empressement nécessaire pour devancer le
parasite, ni le soin minutieux, ni l'exactitude qu'exige la
distribution régulière du mélange préservateur. Parfois même
il lui manque aussi la confiance en l'opération qu'il exécute.
Avec de tels éléments, les insuccès ne doivent pas faire
309
défaut. Ils étaient encore nombreux cette fois ; les circons-
tances favorables rappelées plus haut les ont dissimulés, mais
il ne fallait pas beaucoup chercher pour les apercevoir.
Dans les clos négligemment traités, presque toutes les feuilles
étaient tigrées de petites taches de mildiou. Evidemment, le
cuivre était intervenu trop tard, ou n'avait pas été assez
abondamment ou assez également réparti sur les feuilles.
Malgré ces accidents inévitables, plus de la moitié du
vignoble offrait et offre, même à l'heure actuelle, une végé-
tation très satisfaisante. Les feuilles sont encore toutes
attachées aux rameaux ; par suite, le raisin a mûri dans de
bonnes conditions et le bois aura toute la qualité désirable. On
peut donc dire que le mildiou n'a pas causé de grands ravages.
Le résultat serait meilleur encore et conduirait plus sûre-
ment à l'extinction du mal, si tous les possesseurs de vigne
se mêlaient du combat. A cet effet, M. Fontaine, par
dévouement à la chose publique, a émis le vœu que la loi
de 1888 sur la destruction des parasites de toute nature
fût rigoureusement mise en vigueur. Il n'a pas semblé
possible de donner une sanction efficace à cette loi, qui
demeure, hélas ! purement platonique.
Anthracnose, pourridié, etc.s— Les dommages causés
par Yanthracnose ont été très restreints ; ils sont presque
négligeables. Toutefois, dans la crainte de les voir augmenter,
on ne saurait trop recommander d'en prévenir le retour par
des badigeonnages au sulfate de fer, effectués pendant la
saison froide.
Le pourridié ne s'est pas montré aussi anodin ; il exerce
toujours une funeste influence, sur nombre de points de la
rive gauche de la Loire. Bien que le mal ne soit ni foudroyant,
ni trop généralisé, il mérite qu'on lui accorde une attention
sérieuse. Des drainages bien compris faciliteraient beaucoup
sa disparition.
310
M. Fontaine a remarqué de plus an peu (Yoïdiurh, sur
des raisins de pinot el de (p-os-plant, qui n'onl pas été
sérieusement atteints. Il pense avoir aussi rencontré des
traces de coniothyrium et de rot gris, mais si peu impor-
tantes, qu'elles n'ont amené aucune préoccupation.
Parasites animaux. — La situation est moins belle, en ce
qui regarde les destructeurs appartenant au règne animal.
La cochylis abondait encore au printemps dernier, princi-
palement dans tout le sud de notre région viticole et, sans
les intempéries que j'ai déjà signalées, elle y aurait porté
de nouveau la dévastation. Elle s'est évanouie sous l'influence
des pluies el des orages du mois de juin. On ne rencontrait
que des sujets isolés, à l'époque de sa deuxième éclosion.
Le phylloxéra a suivi une marche inverse. Jusqu'à la fin
de juillet, sa multiplication est restée faible partout, entravée
qu'elle était par la froidure du sol. Les chaleurs des deux
derniers mois lui ont donné un essor considérable et les
insectes sont très nombreux actuellement.
Ce n'est pas seulement leur nombre qui s'est accru, c'est
aussi la superficie du territoire sur lequel ils accumulent
sourdement les ruines. Les anciennes taches se sont agrandies
de près de 400 hectares, et six communes nouvelles, dont
deux appartiennent aux arrondissements de Paimbœuf el de
Chàtcaubriant, sont venues y joindre l'apport que voici, dans
lequel se trouve comprise la zone suspecte :
Commune de Ligné °2 hectares.
— Saint-Mars-du-Désert. 1 —
Treillières 4 —
— Saint-Léger c2 —
Bouguenais 1 —
Port-Saint-Père S —
Total 13 hectares.
311
Ces découvertes ne sont pas pour nous surprendre ; elles
étaient prévues et, vraisemblablement, elles ne résument pas
toute l'extension du fléau.
Une augmentation parallèle se manifeste sur les parcelles
détruites, qui, de 78 bectares en 1889, s'élèvent a 251 bec-
tares 50 ares en 1890. De telle sorte qu'aujourd'hui, nous
comptons au minimum 900 bectares contaminés, plus une
zone suspecte, que M. Fontaine évalue à 250 bectares.
Dans le total des vignes anéanties et portées présentement
au passif du phylloxéra, il y a certainement une part à faire
a l'œuvre du mildiou, mais il est difficile de dire quelle en
est l'importance. Le vigneron arrache silencieusement les
victimes du peronospora ; on ne saura que très approxima-
tivement ce qu'il faut imputer à l'un et à l'autre parasite.
Examinons maintenant la résistance qui a été opposée aux
fléaux dont il vient d'-êlre parlé.
Défense. — Syndicats. — Les avantages offerts aux
syndiqués, pour le traitement de leurs vignes, sont tellement
grands, qu'on a peine a croire que tous les viticulteurs ne
se soient pas bâtés d'en profiter. 11 en est pourtant ainsi.
Des 14 Syndicats qui fonctionnaient en 1888, il ne reste
présentement que 12. Celui de Thouaré, qui n'avait pas fait
acte de vitalité l'an dernier, a prolongé sa léthargie en 1890.
Celui du Loroux-Boltereau, bien plus intéressé à la lutte
cependant, a également suspendu ses opérations. Parmi ceux
qui agissent encore, la plupart sont en voie de prospérité,
ou tout au moins dans le statu quo originel. Par contre,
ceux de Mauves, d'Oudon et de Vertou ont enregistré la
retraite regrettable d'une partie de leurs adhérents, soit en
raison de l'arrachage des vignes, soit pour cause de décou-
ragement. Voici l'état de ces Syndicats :
312
Surfaces
Communes. syndiquée?. Adhérent?. Budget.
H. A. C.
Ancenis 56 95 55 20 341 f 73
Barbectiat 03 03 00 12 377 58
Bignon (Le) 1G7 00 00 95 1.002 00
Cellier (Le) 39 00 00 5 234 00
Clisson 180 70 20 03 1.020 21
Couffé 143 78 00 116 882 4G
Mauves 39 63 51 21 237 81
OudOD 72 54 50 109 . 435 27
Sàint-Jean-de-Corcoué. 40 02 00 43 240 12
Vallet 172 07 00 25 1 .030 02
Varades . . . . '. 110 48 73 159 063 02
Verlou 171 41 00 97 342 82
Faisons des vœux pour que, Tan prochain, cette nomen-
clature soit grossie par les communes où le phylloxéra vient
d'être trouvé ; elles auront tout intérêt à organiser sans
retard la défense.
Traitements. — Le service phylloxérique a poursuivi avec
le zèle habituel la sulfuration des surfaces phylloxériques
déjà délimitées. La tâche commence à devenir pesante, en
raison de l'agrandissement du territoire infesté. Notre dévoué
délégué départemental y suffît toujours, mais il regrette que
les allocations attribuées à son service ne suivent pas la
même progression que la zone maladi . Si des ressources
nouvelles ne sont pas affectées à cette œuvre, il faudra cesser
de tenir les promesses failes aux Syndicats, ce qui entraînera
plus d'une conséquence fâcheuse.
Déjà M. Fontaine a dû réduire le nombre des hectares
précédemment sulfurés par ses équipes et le tolal traité, celle
année, est un peu inférieur à celui de 1889. Celle nécessilé
est douloureuse, car l'efficacité du sulfure de carbone est
313
indéniable dans les vignobles de la rive droite, où il est
régulièrement appliqué depuis plusieurs années. La Commis-
sion départementale l'a reconnu dans une visite récente ; il
serait bien fâcheux de ne pas soutenir vigoureusement la
lutte. •
Pépinières. — Mais s'il est logique de travailler sans
faiblesse a la conservation de nos vieilles vignes, il est utile
également de prévoir les besoins qui naîtront le jour où la
coalition des indifférents, des incrédules et des découragés
avec le phylloxéra aura tellement étendu l'empire de celui-ci,
qu'il deviendra presque impossible de continuer à lui dispu-
ter le terrain. Ce jour-là, le viticulteur demandera la résur-
rection de son vignoble à des cépages capables de braver
impunément la piqûre de l'insecte. C'est pour être prêt à
cette éventualité que, de tous côtés, on se livre à la culture
de la vigne américaine. A l'heure présente, il n'est proba-
blement pas, dans la Loire-Inférieure, de commune qui ne
compte plusieurs plantations de ce genre. Un nombre consi-
dérable de propriétaires- en possèdent, depuis plusieurs années,
et quelques-uns ont obtenu des résultats dignes d'intérêt.
Mais ces efforts individuels ne sont pas un enseignement à
la portée du public et pourraient parfois manquer de méthode.
Les Sociétés d'agriculture et l'Administration du département
elle-même, ont admis qu'il était bon de créer des pépinières-
spéciales, où l'on réunirait les variétés de cépages améri-
cains les plus recommandées, afin de déterminer quelles sont
celles qui s'adapteront le mieux aux terres de la région.
En exécution de cette pensée, quatre pépinières ont été
successivement établies : à La Persagotière, à Vallet, à
Oudon et à La Turballe.
Celle de La Persagotière, à Nantes, occupe 15 à 20 ares.
On y cultive 12 variétés américaines, dans les meilleures
conditions possibles.
314
À Vallct, la pépinière mesure environ 30 ares. Elle est
sous la surveillance de Y Administration et actuellement en
très bon état. Elle renseignera bientôt sur les espèces appe-
lées à se plaire dans notre principal cenltc vilicole.
La pépinière d'Oudon a déjà* été l'objet de l'examen du
Comité de vigilance. Habilement dirigée, elle nous dira, dans
quelques années, quels sont les cépages d'Amérique présen-
tant le plus de garanties d'avenir sur la rive droite. Alors, la
pépinière d'études sera transformée en pépinière d'approvi-
sionnement et pourra fournir une très grande quantité de
boutures à toute la contrée.
Quant à la dernière, elle a été confiée aux sables marins de
La Turballe, dans le dessein de soustraire aux atteintes du
phylloxéra les plants de vigne et les rejetons qu'ils sont
appelés a fournir. C'est exclusivement une pépinière d'appro-
visionnement, organisée grâce à une subvention spéciale du
Conseil général. Les boutures qui s'y trouvent plantées ont
été un peu éprouvées par la sécheresse des dernières semai-
nes. Mais il convient de laisser écouler le temps avant de
juger d'une tentative faite dans des conditions de culture qui
paraissent difficiles, il faut le reconnaître.
Expériences. — Quelques expériences ont été tentées dans
le courant de l'année, avec le bienveillant concours de plu-
sieurs propriétaires. Elles ont été dirigées contre le mildiou
et contre le phylloxéra.
Bouillie bordelaise céleste. — Notre honorable collègue,
M. de Fleuriot, a bien voulu se charger de contrôler la
valeur parasiticide du sulfosaccharate de cuivre, préconisé
par M. Pons, comme succédané de la bouillie bordelaise.
L'essai a été fait sur des parcelles disséminées dans un clos
de quatre hectares. 11 a comporté trois applications, de 500
litres chacune, du mélange obtenu suivant les indications de
l'auteur, en délayant °2 kil. de sulfosaccharate dans 100 litres
315
d'eau. Le reste du clos a reçu aux mêmes époques, c'esl-à-
dire aux mois de juin, juillet et août, à raison de 600 litres
par hectare, le liquide cuprique ci-dessous :
Sulfate de cuivre c2 kil.
Chaux vive 2 —
Eau 100 litres.
Les résultats ont été absolument identiques dans les deux
cas.
J'ai fait, de mon côté, des expériences analogues, avec de
la bouillie céleste gracieusement mise a ma disposition par
M. Pons. J'avais choisi pour cela , dans la commune de
Bouguenais, deux parcelles mesurant chacune environ 20
ares, distantes l'une de l'autre d'un kilomètre et com-
plètement entourées de vignes non soignées. Les trois asper-
sions avec le mélange sus-indiqué ont eu lieu le 6 et
le c29 juin , puis le 25 juillet. Les deux premières ont été
suivies de pluies abondantes, moins de 24 heures après leur
terminaison. Malgré cet accident la poudre cuprique est
restée adhérente à la feuille et paraissait encore au
moment de l'aspersion suivante. L'effet a été très satisfaisant.
A de rares exceptions près, les feuilles sont encore intactes
aujourd'hui , alors que les vignes voisines sont fortement
dépouillées.
Le sulfosaccharate de cuivre s'est donc montré aussi
efficace que la bouillie bordelaise ; il semble n'avoir d'autre
défaut que son prix trop élevé.
Dans une autre vigne, commune de Verlou, située au
milieu d'un clos sulfaté à plusieurs reprises avec beaucoup
de soins, on a pratiqué le traitement préventif, vers les mêmes
dates, avec une bouillie bordelaise sucrée de la composition
que voici :
316
Sulfate de cuivre 1.000 gramm.
Chaux vive 500 —
Sucre cristallisé 350 —
Eau 100 litres.
Ici, le cuivre n'était pas combiné d'avance avec le sucre,
comme dans le produit de M. Pons ; les deux substances
avaient été mélangées seulement à l'état de dissolution. Cepen-
dant, l'adhérence du dépôt cuprique aux feuilles et la pré-
servation de celles-ci ont été complètes. L'union chimique
préalable des deux éléments n'est donc peut-être pas in-
dispensable à l'efficacité delà bouillie. Ce point de la question
ne manque pas d'intérêt, attendu qu'il a pour conséquence
immédiate une réduction notable du prix de revient de la
bouillie céleste.
Eydrocarbonate de cuivre. — La bouillie bourguignonne
à l'hydrocarbonate de cuivre additionné de mélasse a fait
l'objet d'une troisième expérience, effectuée dans la commune
de Bouguenais. 40 arcs lui avaient été consacrés. Le liquide
préservateur avait pour composition :
Sulfate de cuivre 2.000 gramm.
Carbonate de soude cristallisé 2.300 —
Mélasse. 500 —
Eau 100 litres.
11 a été répandu, à la dose de 5 hectolitres par hectare,
les mêmes jours que la bouillie céleste, ce qui revient à dire
qu'il a essuyé les mêmes pluies abondantes et prolongées
que celle-ci. Sa persistance sur les feuilles n'a rien laissé à
désirer, non plus son action, car le 10 octobre les feuilles
étaient toutes intactes.
La proportion du cuivre était ici double de celle de la
bouillie céleste, mais inférieure d'un tiers à celle de presque
tous les mélanges analogues préparés dans les diverses
317
communes du département. L'effet ayant été au moins aussi
satisfaisant dans les deux premiers cas que dans le troisième,
il faut admettre, qu'en le dissolvant, le sucre et la mélasse
rendent le métal beaucoup plus actif, d'où la possibilité
d'atteindre le môme but avec une dose deux ou trois fois
moindre de sulfate de cuivre.
Insecticide Aima mater. — Deux essais de cette subs-
tance ont été faits, l'un par M. de Flcuriot, l'autre par moi,
dans des conditions différentes.
M. de Fleuriot a opéré sur des vignes pbylloxérées traitées
au sulfure de carbone. Il a employé l'insecticide à la dose
de 250 grammes par cep. L'expérience n'a pas donné de
résultat à l'égard du phylloxéra, dont il n'a pas diminué la
densité ; mais la végétation n'en est pas moins restée très
belle.
Mon essai a été fait dans la commune de la Chapelle-
Basse-Mer, avec l'insecticide offert par la Compagnie qui
l'exploite. Le 20 juillet, j'ai pris dans deux taches pbyl-
loxérées 50 pieds de vigne un peu fatigués, mais encore
presque tous résistants. Ils portaient, à cette époque, très peu
de phylloxéras et ils n'ont jamais été sulfurés. Après les
avoir fait déchausser sous mes yeux, comme il est prescrit
dans les instructions délivrées avec le produit, j'ai fait
répandre autour de chacun d'eux 250 grammes d'insecticide
préalablement mêlés à une quantité convenable de terre. Le
tout a /Hé recouvert immédiatement avec le reste de la terre
et abandonné en cet état pendant deux mois et demi. Le
8 octobre, j'ai procédé a un nouvel examen des racines ;
j'ai trouvé sur toutes, indistinctement, un nombre d'insectes
•bien supérieur à celui du mois de juillet. L'influence de
l'insecticide avait été nulle. Quant à la végétation, elle n'avait
aucunement bénéficié de la présence de l'Aima mater; rien ne
distinguait les ceps traités de ceux qui les environnaient.
318
De ce qui précède, il résulte que si le mildiou a laissé,
en 1890, un répit très relatif à la vigne, le phylloxéra lui a,
par contre, livré un assaut plus redoutable que ceux du
passé. Est-ce à dire qu'il faille pour cela désespérer de
l'avenir? Le Comité de vigilance ne le pense pas. Si pénible
et si décevante que soit la lutte contre un ennemi insaisis-
sable et sans cesse renaissant, il est nécessaire de la mener
courageusement. Pour nous y engager, nous avons l'exemple
de la Bourgogne et du Bordelais, qui soutiennent depuis
longtemps leurs vignobles au moyen des insecticides. En
agissant ainsi nous gagnons du temps ; et qui sait si les
recherches qui surgissent ardentes de tous côtés n'amèneront
pas une découverte dont nous pourrons recueillir les fruits ?
Et si le sort persiste à trahir nos efforts, la partie ne sera
pas encore perdue, puisque nous pourrons toujours recourir
aux cépages exotiques dont l'étude se poursuit maintenant
sous nos yeux.
J'annexe à cet exposé le relevé de la surface actuelle du
vignoble, dressé par M. Fontaine, délégué départemental. On
y remarque avec satisfaction 160 hectares nouvellement
plantés :
ÉTAT DU VIGNOBLE EN 1890.
Vignes malades mais résistant encore.
ARRONDISSEMENT d'aNCEMS.
Commune d'Ancenis 35 hectares.
— Anetz 12 —
— Le Cellier 70
— Couiï'é 80 —
— Joué-sur-Erdre 10 —
— Mésanger 8 —
'rr
A reporter G215 —
319
Report 215 hectares.
Commune de Montrelais 69 —
Oudon 120 -
— Pannecé 2
La Rouxière 5 —
— Saint-Gércon 45 —
— Saint-Herblon 30 -
Saint-Mars-la-Jaille 2 —
— Teille 1 —
Varades 30 —
— Ligné 2 —
Total 521 hectares.
ARRONDISSEMENT DE CHATEAUBRIANT.
Commune de Saint-Mars-du-Désert 1 hectare.
ARRONDISSEMENT DE NANTES.
Commune de Barbechat fiO hectares.
— Le Bignon 25 —
La Boissière 10 —
— Bouguenais 1 —
— Carquefou 10 —
La Chapelle-Basse-Mer 25 —
— Gorges 3
— La Haye-Fouassicre 3 —
— Le Landreau 25 —
— Le Loroux-Botlereau 25 —
— Mauves 100- —
— Mouzillon 5
— LePallet 1 —
A reporter 293 —
320
Report 293 hectares.
Commune de La Remaudièrc 3 —
Remouillé 1
— Rezé 2 —
— Saint-Colombin 4 —
— Saint-Eticnnc-de-Corcoué ... G —
Saint-Herblain 2 —
— Saint- Jean-de-Corcoué 15
— Saint-Julien-de-Concelles 15 —
— Saint-Léger 2 —
— Sainte-Luce 6 —
Thouaré 10 —
— Treillières 4 —
— Vallet 10 —
Total...... 373 hectares.
ARRONDISSEMENT DE PAIMBŒUF.
Commune de Port-Sain t-Père 3 hectares.
Récapitulation.
VIGNES MALADES.
Arrondissementd'Ancenis 521 hectares.
— Chàleaubiïant 1 —
— Nantes 373 —
— Paimbœuf 3 —
Total 898 hectares.
Surface totale du vignoble au 31 décem-
bre 1890 30.453 hectares.
Vignes nouvellement plantées 1G0
Total 30. Cl 3 hectares.
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321
D'autre part 30. 61 3 h »
A déduire : vignes détruites 251 50
Vignes existantes en 1890 30.361h50
Vignes malades . . . 898 hectares. /
— suspectes . . 250 — j
Vignes paraissant indemnes °29.213h50
Sur la carte ci-contre , les communes viticoles infestées
par le phylloxéra sont teintées en rouge ; celles qui semblent
encore indemnes sont colorées en vert.
!21
CHAMP D'EXPÉRIENCES
DE LA STATION AGRONOMIQUE DE LA LOIRE-INFÉRIEURE
pendant l'exercice 1889-1890
Par A. Andouard.
Il n'y a pas encore beaucoup à se louer, dans la Loire-
Inférieure, de l'année agricole qui vient de finir. Le mois
d'octobre 1889 a été tellement pluvieux, qu'à grand'peine il
a permis les semailles du seigle et de l'avoine. Celles du
froment ont dû presque toutes être reportées à novembre,
dont fort heureusement la constitution climatologique a été
bonne.
Un mouvement de sève général s'est dessiné en janvier
1890, un peu exagéré peut-être par suite de l'élévation de la
température. 11 a été réprimé, dès le commencement de
février, par un refroidissement notable, qui a persisté jusqu'à
la fin de mai, pour faire place a une humidité excessive,
dont on se plaignait encore aux derniers jours d'août. Par
surcroît, plusieurs tempêtes et même un véritable ouragan,
survenu le 17 juillet et accompagné d'une trombe d'eau
désastreuse, ont fait sentir leur funeste influence sur les
cultures du département el, en particulier, sur celles de la
Station.
La chaleur, à part quelques périodes sans durée, n'est
323
réellement venue qu'en septembre. Alors a commencé une
phase de sécheresse compromettante pour la végétation et
pour les ensemencements d'automne. Avec de semblables
conditions, il était interdit de compter sur de brillantes
récolles. Presque toutes, en effet, ont été modestes, sans
pourtant cesser de porter en elles un enseignement relatif.
Aucun changement n'a été apporté au plan de culture
antérieurement suivi. Mais, en ce qui concerne les engrais,
le plâtre a été réintégré dans les mélanges, a la place du
carbonate de chaux, et les produits solubles (nitrate de
soude, sulfate de potasse) ont été semés en couverture, au
printemps, au lieu d'être enfouis a l'automne. La nature des
engrais était d'ailleurs la même qu'en 1888-1889, sur les
cinq planches de chaque série :
1: Phosphate fossile, nitrate de soude, plâtre.
2: — — — suif, dépotasse.
3: Superphosphate, — —
4: Fumier, plâtre.
5: Scories phosphoreuses, nitrate de soude, plâtre.
Chaque parcelle (10 ares) a reçu le dixième des quantités
d'éléments fertilisants calculées ici pour 1 hectare :
12 3 4 5
Azote c25kil. 25.-kil. 25kil. 126 kil. 25 kil.
Acide phosphorique. . 186 - 186— 178— 84— 150 —
Potasse — 100 108
Chaux totale 480—480—480— 500—510 —
Par suite d'une, erreur, la parcelle n° 4 a reçu, en couver-
ture, du nitrate de soude qui ne devait pas lui être donné.
lre Série: Parcelles 1 à 5.
Froment.
Pour compléter l'expérience commencée Tannée dernière,
3-24
au sujet de la meilleure disposition à donner à la lerre pour
obvier à la stagnation de Tenu pendant la saison pluvieuse,
j'ai divisé chaque parcelle en deux bandes égales, dans le
sens de la longueur. L'une des deux bandes a été ensemencée
à plat, au semoir ; l'autre, façonnée en cinq billons, a été
ensemencée à la volée.
Les semailles ont eu lieu les 25 et 26 octobre 1889, pour
les sillons, et le 13 novembre suivant pour les parties à plat.
Chacune des moitiés des quatre premières parcelles a reçu
7kil. de blé de pays, récolté a la Station l'année précédente.
Les deux parties de la cinquième parcelle ont été emblavées
avec du Victoria, également récolté à la Station et employé
en même proportion que le blé indigène. Celte quantité était
trop forte pour les bandes semées en ligne ; elle a servi à
cette démonstration.
La germination a commencé le 16 novembre, sur les
sillons, le 29 seulement sur les parties plates. Dans les deux
cas, la levée s'est montrée un peu plus précoce sur les
parcelles 2 et 4 que sur les autres.
Toutes les bandes se sont bien comportées pendant le mois
de décembre, qui a été sec et froid. Cependant, vers la fin,
les parcelles 2 et 4 présentaient une nuance verte plus
prononcée que celle des aulrcs. La même apparence s'est
maintenue jusqu'en février; en outre, les blés des mêmes
parcelles avaient, comme développement, une réelle avance
sur les autres. Au mois de mars, un relèvement se produit sur
les parcelles 1 et 3 ; la parcelle 5 est toujours la moins belle;
par contre, le n° 4 offre un développement plus grand que
les autres. Cette gradation va subsister jusqu'à la maturité.
L'influence du façonnement de la terre est également a
noter. Au début d'avril, le n° 1 excepté, tous les autres blés
sont plus beaux sur sillon que sur planche. Eu mai, le n° 1
est toujours sensiblement plus vigoureux et plus serré sur
325 •
planche que sur sillon. La différence inverse, présentée par
les moitiés des autres parcelles, est visiblement atténuée,
mais encore a l'avantage des sillons.
L'épiage a commencé le 29 mai sur les sillons et deux ou
trois jours plus lard sur les planches. Il s'est généralisé vers
le 5 juin et il était terminé le 12. La floraison a été simul-
tanée sur toutes les parcelles. Elle a duré du 15 au 27 juin.
A ce moment, le blé de la parcelle 4 atteint une hauteur
inquiétante, en raison de l'excès d'azote qu'il a reçu ; il est
évidemment moins robuste que les autres.
Le 29 du même mois, une pluie abondante couche tous
les blés du champ d'expériences. Ils se relèvent assez bien,
deux jours après, pour tomber de nouveau pendant l'orage
du 4 juillet. Le mal n'était encore que partiels celte époque;
presque lous les blés s'étaient redressés. La trombe du
17 juillet les a tous versés d'une manière définitive.
Malgré cet accident, malgré des pluies fréquentes et un
ciel généralement sombre, ils ont mûri assez promptement.
On les a coupés le 28 juillet; peu de jours après, ils étaient
en meule. Sur la parcelle 3, la paille et les épis étaient
notablement plus courts que partout ailleurs. Le produit
total des planches et des sillons est indiqué ci-après :
Planches. Sillons.
Parcelle n<M 410 kil. 435 kil.
— n° 2 515 — 540 —
n° 3 290 — 375 —
n° 4 465 — 530 —
n° 5 327 — 380 —
Il est manifeste que les sillons ont donné plus que les
planches. Toutefois, l'avantage n'est pas très grand et il peut
être dû, en partie, à l'excès des semences disposées en lignes,
excès qui s'est opposé au tallage sur les planches. L'expé-
rience sera renouvelée.
326
J'ai procédé au battage de la récolte le 23 août. Les blés
ont été pesés avec soin et versés à la trémie, pour l'apprécia-
tion du poids de l'hectolitre. Voici les résultats :
Rendements à Vhcclare.
Poids
Parcelle.
Espèce.
Paille.
Grain.
Hectol.
del'hectol
1.
Blé du pays. .
6. 180 kil.
2.270 kil.
30,2
75 kil.
2.
• •
8.310 —
2.240 —
28,0
80 -
3.
• •
4.400 —
2.250 —
30,0
75 -
4.
• •
7.8G0 —
2.190 —
27,3
80 -
5.
4.950 -
2.120 —
28,2
75 -
Sauf sur les parcelles 3 et 5, la paille était abondante et
longue; le fait était prévu, en raison de l'humidité du prin-
temps et de l'été. Il est juste d'ajouter qu'une certaine
quantité d'herbes folles, développées après la chute du blé,
est venue peut-être en grossir le poids, bien que, pour cette
cause, j'aie réduit celui-ci d'un peu plus d'un dixième.
Moins satisfaisante était la proportion du grain, amoindrie
qu'elle a été par les conditions fâcheuses au milieu desquelles
s'est accomplie la maturation. Le rendement est cependant
moyen; les grains étaient petits, mais assez ronds et plus
riches en principes nutritifs que je ne m'y attendais :
Composition centésimale du grain.
Acide
Parcelle.
Espèce.
Azote.
phosphorique.
Potasse.
Chaux.
N° 1.
Blé indigène. .
1,89
0,99
0,462
0,04
N° 2.
• •
2,05
0,97
0,498
0,04
N° 3.
—
1,90
0,94
0,463
0,03
N° 4.
—
1,92
0,82
0,500
0,03
N° 5. Blé Victoria.. 1,90 0,99 0,482 0,04
827
Composition centésimale de la paille.
Acide
Parcelle. Espèce. Azote, pbospborique. Potasse. Chaux.
N° 1. Blé indigène.. 0,50 0,16 0,743 0,25
N° 2. — .. 0,60 0,16 0,856 0,20
N° 3. — .. 0,65 0,20 0,824 0,17
N° 4. — .. 0,70 0,20 0,830 0,20
N° 5. Blé Victoria.. 0,70 0,15 0,570 0,20
Les données favorables du premier tableau sont confirmées
par le dosage du gluten, dont le quantum est normal, à
l'exception du n° 3 :
Parcelle. Espèce. Gluten °/0.
N° 1. Blé indigène 10,70
N° 2. — 11,48
N° 3. 8,47
N° 4. — 9,60
N° 5. Blé Victoria 10,88
11 ne faut pas cependant accorder à cette apparence plus
qu'il ne convient. Les blés étaient maigres, partant pauvres
en matière amylacée. De là leur titre en azote et, par suite,
en gluten. Il eût mieux valu, pour la qualité de la farine,
un équilibre plus parfait entre les divers éléments qui cons-
tituent le grain de blé.
Les fumures appliquées aux cinq parcelles de froment
ont coûté cette fois un peu moins que les années précé-
dentes :
Fumure de la parcelle n° 1 : 115 francs par hectare.
— — n° 2 : 170 —
n° 3 : 168 — — '
— — n° 4 : 160 — —
— n° 5 : 127 — —
328
Le calcul du produit brut de chaque parcelle donne les
résultats que voici ; j'ai réduit encore un peu les poids de
paille portés au tableau du rendement, pour la raison déjà
donnée. La paille a été comptée à 3 fr., le grain à 24 fr.
les 100 kil., cours de l'époque.
Produit brut, par hectare.
N° 1 . Blé de pays : 6,000 kil. paille 180 f »
2,270 — ffrain 544 80
Total 724 f 80
N° 2. 8,000 kil. paille 240 f »
2,240 — grain 537 60
Total 777 f GO
r
N° 3. 4,000 kil. paille 120
2,250 — grain 540
Total 660 f »
N° 4. — 7,500 kil. paille 225 f »
2,190 — grain 525 60
Total 750 f 50
N° 5. Blé Victoria : 4,700 kil. paille 141 f »
2,120 — grain 508 80
Total 649 f 80
Le produit brut le plus élevé appartient à la parcelle 2.
Mais si on lient compte du prix de l'engrais complet donné
à cette parcelle, on voit que l'excédent , nul vis-à-vis du
n° 1, se réduit à 115 fr. sur le n° 3, à 17 fr. sur le n° 4 et
à 85 fr. sur le n° 5, en négligeant les centimes.
329
L'engrais de la parcelle 1 coûte moins que les autres,
c'est lui qui a l'avantage sur tous, au point de vue de la
production ; il donne 2 fr. de plus que l'engrais complet,
117 fr. de plus que le superphosphate azoté, 19 fr. de plus
que le fumier, 87 fr. de plus que les scories azotées.
Malgré la valeur de la récolte qu'il a excitée, le fumier
n'a manifesté de supériorité productive que sur le super-
phosphate et sur les scories azotés ; il l'emporte de 98 fr.
dans le premier cas et de 68 fr. dans le deuxième.
Les scories azotées n'ont d'avantage que sur le super-
phosphate.
Ce dernier engrais est le moins favorisé de tous ; il met
la parcelle qui lui correspond en perle sur toutes les
autres. :
Il était nécessaire d'établir ce parallèle entre les diverses
fumures employées ; mais il y a lieu de remarquer que,
dans une année comme celle-ci, les comparaisons n'ont pas
la même valeur que dans une année favorable : elles exigent
des réserves.
2e Série. — Parcelles 6 à 10.
Fourrages verts.
Le trèfle incarnat tardif occupait la parcelle 6 ; la
variété hâtive avait été semée sur la parcelle 7. Les deux
espèces ont été semées le 20 septembre 1889. Les limaces
n'ont pas tardé à leur faire une guerre acharnée, qui a
été funeste à la première plus qu'à la seconde ; on peut
en juger par le calcul des récoltes, fait pour 1 hectare.
Trèfle incarnat hâtif 39 . 500 kil .
— - tardif 26.700
Huit jours après le trèfle, on semait jarosse hâtive, sur
la parcelle 8, jarosse tardive sur la parcelle 9. Les limaces
330
ont respecté la variété hâtive, devenue fort belle malgré
l'intempérie de la saison ; elles ont décimé la variété
tardive.
Jarosse hâtive 51 .000 kil. a l'hectare.
— tardive 20.500— —
Le froid et la [il aie de l'hiver et du printemps ont été très
préjudiciables an seigle et à Yavoine semés comme fourrage
sur la parcelle 10, au commencement d'octobre.
Le seigle n'a pas pu germer. Il était tellement clair, au
mois d'avril 1890, que je l'ai fait labourer et remplacer
par de l'avoine de printemps, qui n'a pas mieux prospéré.
Il n'y a pas lieu d'enregistrer cette maigre récolte.
L'avoine a été un peu moins éprouvée à l'automne; mais
elle a périclité pendant l'hiver et n'a donné que 19,000 kil.
à l'hectare d'un fourrage assez bien nourri mais très
court.
La composition de ces divers fourrages a été, sous le
rapport alimentaire, meilleure que le temps ne l'avait fait
espérer :
Acide
Azote. phosphorique.
Trèfle incarnat hâtif 0,270 % 0,172 %
— — tardif... 0,304 0,186
Jarosse hâtive 0,255 0,168
— tardive 0,280 0,175
Avoine 0,300 0,165
L'avoine avait reçu la fumure ordinaire à la parcelle 10 :
scories phosphoreuses et nitrate de soude. Aux légumineuses
on n'avait donné que du phosphale fossile ou du super-
phosphate et du plaire, plus du sulfate de potasse au trèfle
tardif.
331
3e Série. — Parcelles 11 à 15.
Choux fourrages.
Le 15 juin 1889, on a planté sur la parcelle 15, en
surface égale, des choux moelliers blancs et rouges.
Des choux à mille têtes ont été piqués, le 15 juillet, sur
les parcelles 11 h. 14.
Le temps peu favorable de:> mois de juillet et d'août a
ralenti leur développement. Les choux moelliers surtout ont
souffert et n'ont acquis ni la taille, ni la force qu'ils ont
dans les bonnes années. Ils ont été récoltés le 29 novembre.
Les choux à mille têtes se sont en partie mieux comportés.
Les plus beaux étaient ceux des parcelles 12 et 14. Toutefois,
ceux de la planche 14 ont décliné vers le milieu de février
1890, tandis que les autres sont restés très verts jusqu'à la
fin de leur végétation.
Tous ont fleuri le 23 mars 1890. On les a coupés succes-
sivement du 12 au 28 avril. Leur production totale a été
la suivante :
Parcelle 11. Chou mille têtes : 28.700 kil. à l'hectare.
— 12. — 36.080 — —
— 13. — 28.460 — —
— 14. — 34.340 — —
Feuilles. Tiges.
— 15. Chou moellier blanc. 20.000 kil. 15.215 kil.
— rouge. 21.200 — 17.670 —
La supériorité des parcelles 12 et 14 est sans aucun doute
le fruit de la potasse contenue dans l'engrais complet (12)
et dans le fumier (14). La récolte des choux moelliers est
médiocre, connue tronc et surtout comme feuille. Voyons
la qualité :
332
Composition centésimale, à l'état vert-
Acide
Parcelles. Espèce. Azote. phosphorique. Potasse.
il . Chou mille têtes 0,23 0,26 0,36
12. — 0,29 0,25 0,43
13. — 0,22 0,27 0,38
14. — 0,24 0,20 0,44
13. Moellier blanc (feuilles). 0,23 0,21 0,37
— rouge — 0,27 0,22 0,42
— blanc (tronc).. 0,17 0,18 0,34
— rouge 0,20 0,21 0,40
Des six récoltes du tableau, la plus nutritive est celle de
la parcelle 12, qui a fourni le maximum de substances
protéiques. Les choux nos 11 et 13 contenaient plus d'acide
phosphorique que les autres ; la potasse élait dominante
dans ceux des nos 12 et 14.
Quant aux choux moelliers, la variété rouge l'emporte sur
la blanche. La différence, peu prononcée pour l'acide phos-
phorique, est plus sensible pour l'azote. La variété rouge
semble être décidément la meilleure des deux.
4e Série. — Parcelle 16 à 20.
Betteraves, Rutabagas, Pommes de terre.
A. — Rutabagas.
L'ensemencement des rutabagas a été fait, en place et en
poquet, le 6 juillet 1889, sur les parcelles 16 à 19. La
germination a été régulière, il n'y a pas eu un seul emplace-
ment vide. Vers la fin d'août, les plants étaient peu déve-
loppés, ceux de la parcelle. 18 principalement. La différence
était encore plus marquée au commencement d'octobre ; elle
s'est maintenue jusqu'à l'arrachage , qui a eu lieu lin
novembre ; la pesée l'indique nettement :
333
Parcelle 16 38.500 kil. à l'hectare.
— 17 39.800 — —
— 18 30.000 — —
— 19 37.600 —
Composition centésimale, à l'état vert.
Acide
Parcelle. Azote. phusphorique. Potasse. Chaux.
16 0,% 0,14 0,139 0,121
17 0,19 0,13 0,228 0,152
18 0,26 0,16 0,186 0,145
19 0,20 0,14 0,224 0,116
Sous le rapport du rendement, la parcelle .à l'engrais
complet (17) est la mieux partagée ; celle au superphosphate
(18) est la plus pauvre ; la parcelle au fumier (19) vient en
troisième ligne.
En ce qui concerne la richesse en éléments nutritifs, les
rutabagas nourris au superphosphate valent mieux que les
autres ; viennent ensuite, dans l'ordre décroissant, ceux des
nos 16, 19 et 17.
B. — Betteraves.
Semées le 28 mai 1889, sur la parcelle 20, les betteraves
(variété jaune longue d'Allemagne) ont débuté par une végé-
tation satisfaisante. Leur vigueur primitive a fléchi à deux
reprises, en août et en octobre, probablement par suite de la
froidure et de l'humidité de la 'saison. Aussi le 28 novembre,
jour de leur extraction, leur poids à l'hectare n'était que de
36,550 kil., après un nettoyage soigneux et l'ablation dn
toutes les feuilles.
334
Composition centésimale, à l'état vert.
Azote 0,163
Acide phosphoriquc. . . 0,096
Potasse 0,328
Chaux 0,052
Sucre 5,847
La qualité vient compenser la quantité; le produit est très
bon.
G. — Pommes de terre.
Un changement a été apporté cette année a la fumure des
pommes de terre. L'action des engrais purement chimiques
me semblant suffisamment étudiée, je n'ai pas voulu priver le
sol plus longtemps de l'apport d'humus qui lui est nécessaire
et j'ai donné à chaque parcelle 2,500 kil. de fumier d'étable,
plus 50 kil. de plâtre et 30 kil. de sulfate de fer.
On a planté celle fois, le 26 avril 4890: Magnum bonum
sur les parcelles 16 à 19, Bichter imper •ator sur la parcelle
20. Les tubercules de Magnum étaient entiers ; ceux de
Uichtcr avaient été partagés en gros tronçons, pour cause
d'insuffisance de semence.
Les premières feuilles apparaissent le 13 mai, sur la par-
celle 20. La variété Magnum ne sort de terre que huit jours
plus tard.
Le 16 juin, Richter entre en fleur ; Magnum est encore en
retard de huit jours. A ce moment, les deux variétés sont
très vigoureuses et très développées. Je fais procéder à une
aspersion générale de bouillie d'hydrocarbonate de cuivre à
2 % ; toutes les feuilles en sont littéralement criblées.
Le 20 juin, le temps étant toujours humide, on récidive
l'arrosage à l'hydrocarbonate de cuivre -
Vers le milieu de juillet, la floraison est à son apogée ; les
335
fanes ont acquis un développement magnifique et les recher-
ches les plus minutieuses n'y font pas apercevoir la moindre
trace de peronospora. Par précaution cependant, je fais
donner une troisième aspersion cuprique, le 26 juillet. Le
5 août, la maladie se révèle sur toutes les planches a la fois,
faible à la vérité, mais certaine. Ce qui surprend ici, c'est
que l'explosion du peronospora survienne dix jours après un
traitement énergique et très soigneusement fait. La variété
Richter imperalor n'est pas atteinte au même degré que la
Magnum ; elle est néanmoins malade.
Une quatrième aspersion d'hydrocarbonate de cuivre est
aussitôt pratiquée partout. Grâce ' à son action sans doule,
les Veuilles résistent pendant tout le mois d'août, quoique
tachées. Mais elles souffrent et elles noircissent à vue d'oeil,
dans les premiers jours de septembre , celles des Magnum
plus rapidement que celles des Richter.
L'arrachage a lieu le 22 septembre ; les tubercules sont
magnifiques partout et très nombreux, surtout sur la parcelle
20 ; voici leur poids, ramené à une culture d'un hectare,
avec la proportion des gros et des petits tubercules sur
chaque parcelle :
Parcelle. Variété. Tubercules. Total.
16. Magnum bonum.. Gros.. 20,350 \
Petits. 4,500J24<8S0kil-
17. — Gros.. 21,400) n, „nn
Petits. 3,300 I 24'700-
18. - Gros.. 18,750 j
Petits. 4,950) 2ÏMUU
J 25,700 —
19. — Gros.. 21,600
Petits . 4,100
20. Richter imperator. Gros . . 33,100
Petits . 3,000 <
336
L& récolte a été magnifique sur toutes les parcelles,
notamment sur le n° 20, où le rendement de la variété
Richtcr impcrator surpasse celui de la Magnum bonum de
29 % et donne une fois de plus raison a M. Aimé Girard,
son savant promoteur. Est-ce le sulfate de fer qui a excité
cette riche production, il serait difficile de l'affirmer, et sans
doute les conditions atmosphériques y ont aidé ; ce qui est
certain, c'est que jamais le Champ d'expériences n'avait porté
si belle récolte. L'invasion du peronospora faisait craindre un
tout autre résultat ; son action a été heureusement entravée
par les traitements dirigés contre lui; elle a été tardive, par
la même moins grave, et elle n'a pas arrêté le développe-
ment des tubercules. Son influence a été un peu plus marquée
sur la richesse en éléments nutritifs:
Composition centésimale, à l'état vert.
GROS
TUBERCULES.
Acide
Parcelle.
Azole.
phosphorique.
Potasse.
Chaux.
Fécule.
16..
0,26
0,16
0,352
0,054
17,50
17..
0,25
0,18
0,364
0,052
19,28
18..
0,25
0,13
0,400
0,043
19,15
19..
0,20
0,17
0,402
0,040
19,02
20..
0,20
0,15
PETITS
0,425
TUBERCULES.
0,046
17,01
16..
0,30
0,12
0,438
0,023
20,69
17..
0,33
0,14
0,470
0,030
18,06
18..
0,32
0,11
0,432
0,027
18,82
19..
0,34
0,10
0,432
0,024
19,40
20..
0,28
0,14
0,445
0,028
18,56
Plusieurs faits se dégagent des tableaux ci-dessus : les
gros tubercules sont, pour la plupart, un peu plus riches en
337
fécule, en acide phosphoriquc et en chaux que les petits ;
ils contiennent moins d'azote et de potasse que ces derniers.
En somme, la récolle est un peu faible au point de vue des
éléments nutritifs.
V. — Seigle de Schlanstedt.
La parcelle n° 0 a été consacrée à la comparaison du
seigle de Schlanstedt et du seigle indigène, semés le 19
octobre, en surface égale et en lignes. La fumure a consisté
à l'automne en phosphate de Pernes (1,000 kil. à l'hectare)
additionné de plâtre (500 kil. à l'hectare). Au prinlemps, les
deux moitiés de la parcelle ont reçu en couverture du nitrate
de soude, à raison de 150 kil. à l'hectare.
La germination a commencé le 27 octobre, pour le seigle
de Schlanstedt, en avance de trois jours sur le seigle de
pays. Les limaces ont un peu ravagé les deux semis, malgré
plusieurs épandagcs de chaux vive.
La végétation du seigle de Schlanstedt a été singulière.
Jusqu'au mois d'avril, son élongalion a été fort lente et, à
celte époque, sa hauteur était à peine la moitié de celle du
seigle indigène. Son seul avantage sur ce dernier était d'avoir
tallé beaucoup plus que lui. Il n'a commencé à épier que le
2 mai, quinze jours après le seigle de pays. A la fin d'avril,
il prend un accroissement sensible, qui s'accentue avec une
grande rapidité. Le 15 mai, au début de sa floraison, la
longueur de la lige est presque la même pour les deux
espèces. Dix jours plus tard, le seigle russe avait dépassé
l'indigène et, à la récolte, il mesurait 0m,25 de plus que lui.
Tous deux ont été coupés le 23 juillet et battus le 23 août.
Us ont donné, à la bascule, pour 1 hectare :
Puillu. Grdin.
Seigle de Schlanstedt ... 8,G50 kil. 4,500 kil.
— indigène 7,-200 — 3,600 —
22
338
Poids de l'hectolitre mesuré à la trémie :
Seigle de Schlanstedt 70 kil.
— indigène 66 —
Composition centésimale du grain.
Acide
Espèce. Azote. phosphorique. Potasse. Chaui,
D , e . , , 1( ( Gros. 1,80 0,89 0,G44 0,04
S. de Schlanstedt.. „
I Menu. 1,86 0,93 0,528 0,05
( Gros. 1,60 0,89 0,614 0,04
ind,gene î Menu. 1,70 0,90 0,528 0,06
A tous égards, le seigle de Schlanstedt vaut mieux que le
nôtre. Sa production est encore supérieure celte année a
celle de l'an dernier. Désormais, il sera seul cultivé à la
Station, dans le but de voir s'il maintiendra ses qualités
actuelles.
ANNEXE.
1° Avoine.
J'ai continué, au dernier exercice, à expérimenter côte à
côte Yavoine grise de Vendée et Y avoine noire de Bre-
tagne. Les semailles ont été faites le 23 octobre 1889, au
semoir, sur planches de quatre raies, séparées par une rigole
étroite et profonde. Le terrain mesurait environ 60 arcs.
L'avoine noire occupait 15 planches ayant reçu pour
unique engrais des phosphates de nature différente, en
proportion telle qu'ils pussent fournir 180 kil. d'acide phos-
phorique par hectare : sur les cinq premières planches,
thermo-phosphate Desailly ; sur les cinq suivantes, un produit
phosphaté spécial fabriqué par M. Desailly et titrant 12,20%
339
d'acide phosphorique ; sur les cinq dernières, phosphate du
Boulonnais.
L'avoine grise était répartie sur onze planches semblables
aux premières, dont cinq additionnées de thermo-phosphate
et six de phosphate du Boulonnais.
Germination le 9 novembre pour la variété noire, le 10
pour l'avoine grise; très belle pour les deux.
Au mois de mars, la variété noire prend une avance qu'elle
garde jusqu'à la fin et dont la mesure est donnée par la
pesée faite à la récolte le 24 juillet 1890 et que je rapporte
à 1 hectare, en la calculant sur la production moyenne des
trois phosphates :
Espèce. Paille. Grain.
Avoine grise 2,500 kil. 1,600° kil.
— noire 3,600 — 2,180 —
La paille de la variété grise était beaucoup plus grosse
que celle de la variété noire.
L'hectolitre de grain, mesuré à la trémie, pesait :
Avoine grise 49 kil . *
— noire 50 —
La densité est sensiblement la même, mais la différence
de rendement est écrasante en faveur de l'avoine noire et
tout à fait inusitée ; la cause qui l'a produite n'a pas été
découverte. Mais les divers phosphates appliqués a leur
culture ont donné des résultats qu'il est nécessaire de marquer
par des chiffres.
Le thermo-phosphate a produit à l'hectare, sur l'avoine
noire, 400 kil. de grain de plus que le produit spécial de la
même fabrique et 250 kil. de grain de plus que le phosphate
du Boulonnais. Il semble avoir une activité particulière. Sur
l'avoine grise, l'écart n'a été que de 140 kil. à l'hectare,
mais toujours dans le même sens.
340
La valeur alimentaire des deux grains n'est pas exactement
la même ; toutefois, la différence est très faible ; en voici la
mesure, :
Composition centésimale des grains.
Acide
Espèce. Azole. phosphorique. Polasse. Chaux.
Avoine grise... 1,80 0,78 0,490 0,03
noire.. 1,80 0,84 0,386 0,04
2° Blés divers.
Quatre blés ont été semés en dehors du Champ d'expé-
riences, à plat et en lignes, sur planches de quatre raies.
La fumure, uniforme pour tous, a consisté en un mélange de
fumier, 10,000 kil. et phosphate fossile, 1,000 kil. par
hectare. La proportion totale d'acide phosphorique se trou-
vait un peu forte ; elle était nécessaire parce que la terre
emblavée n'avait pas encore été additionnée de phosphate
ou de superphosphate.
t
A. — Blé Bordier.
Ce nouvel hybride de M. Vilmorin a été semé le 31 octobre
1889 sur billons.
La germination s'est dessinée le 17 novembre; les aiguilles,
très vertes dès le début, ont fourni des tiges solides, sans
être très grosses, et dont la belle tenue ne s'est pas démentie
un instant, malgré les tourmentes des mois de juin et de
juillet. C'est à peine si quelques poignées ont été couchées
par la trombe du 17 juillet.
Le tallage a été très remarquable.
L'épiage a eu lieu le 1er juin ; la floraison, le 8. La matu-
rité était complète le 28 juillet.
341
Rendement à l'hectare :
Paille 5,310 kil.
Grain 1,860 —
L'hectolitre, mesuré à la. trémie, pesait 75 kil.
Rendement en hectolitres : 24,8.
Le grain, bien nourri, était moyennement développé, mais
un peu léger par rapport aux autres. Il avait peut être encore
pour défaut de ne pas adhérer suflisamment à ses glumes et
de s'égrener un peu facilement. Cependant, sa belle appa-
rence et sa composition élémentaire le font classer en bon
rang parmi les variétés prolifiques.
Composition centésimale du grain.
Gros .
Menu
Acide
*
Azote.
phospliorique.
Potasse.
Chaux.
Gluten sec
1,40
0,07
0,46-2
0,03
8,80
1,50
0,97
0,455
0,03
—
Co?nposilion centésimale de la paille.
0,15 0,23 0,660 0,10
B. — Blé Redschaff de Dantzick.
M. le Gte de Juigné, député de la Loire-Inférieure, avait
eu la gracieuseté de m'offrir de la semence de blé Redschalï',
qu'il cultive depuis un certain nombre d'années avec un
succès soutenu.
J'ai semé ce blé le 28 octobre 1889, à côté du blé Bordier.
Il est sorti de terre le 12 novembre. Sa végétation a été
très belle ; il a tallé également partout, à 12 ou 14 tiges, et
il a résisté aux orages déjà cités. Sa hauteur n'a jamais
égalé tout à l'ait celle du précédent, mais elle en approchait
et la nuance était aussi bonne sur les deux variétés.
342
11 a fleuri huit jours plus tard que le blé Bordier, mais on
a pu le couper a la même époque que les autres, sa matu-
ration n'était pas en retard.
Poids de la récolte : paille, 5,922 kil. a l'hectare.
— grain, 2,112 — —
Poids de l'hectolitre de grain mesuré a la trémie : 80 kil.
Rendement en hectolitres : 26,4.
Tous ces résultats sont supérieurs à ceux du blé Bordier.
11 en est à peu près de même de la composition chimique :
Composition centésimale du grain.
Acide
Azote. phosphorique. Potasse. Chaux. Gluten.
Gros 1,70 0,91 0,501 0,03 9,17
Menu 1,80 0,93 0,463 0,04 —
Composition centésimale de la paille.
0,60 0,G20 0,700 0,18
G. — Blé Schiriff.
Celle variété provenait de la récolte faite à la Station, en
1888, cl soigneusement triée. Elle a été semée en ligues et
à plat le 9 novembre 1889.
Germination le 2 décembre seulement; auparavant on
n'apercevait que quelques aiguilles isolées. Il a paru souffrir
un peu de l'humidité, au commencement de 1890, puis il
s'est remonté, sans laller beaucoup, et il est parvenu sans
accident à maturité.
Epiage le 3 juin, floraison le 12.
Rendement par hectare : paille, 5,623 kil.
— — grain, 1,620 —
848
Poids de l'hectolitre de grain mesuré a la trémie : 80 kil.
Rendement en 'hectolitres : 20,2*
Le grain est petit, quoique le blé n'ait pas versé. Le
rendement est insuffisant, mais la qualité laisse moins à
désirer.
Composition centésimale du grain.
Acide
Azote, phosphorique. Potasse. Chaux. Gluten.
Gros 2,10 0^8 0,540 0,04 9,70
Menu 2,00 0,94 0,548 0,03 —
Composition centésimale de la paille.
0,80 0,15 0,640 0,25
D. — Blé Victoria.
Semé le 8 novembre, il apparaît déjà le 17 et il devient
aussitôt la pâture des limaces, qui le dévorent encore au
mois de janvier, malgré des épandages de chaux et de
cendres réitérés, dont, il est vrai, la pluie neutralise presque
immédiatement l'effet. La conséquence de cette guerre
prolongée a été d'éclaircir considérablement nombre de
points de l'emblavure. Fort heureusement, le blé a vigou-
reusement tallé, ce qui relève un peu sa production.
Epiagc le 29 mai, floraison le 8 juin.
Moisson le 28 juillet. La paille est très courte, néanmoins,
le blé a un peu versé.
Rendement à l'hectare : paille, 5,837 kil.
— — grain, 1,878 —
Poids de l'hectolitre de grain mesuré à la trémie : 75 kil.
Rendement en hectolitres : 25.
344
Composition centésimale du grain.
Acide
Azote. phosphorique. Potasse. Chaux. Gluten.
Gros 1,80 0,99 0,484 0,04 10,60
Menu 1,90' 0,95 0,614 0,04 —
Composition centésimale de la paille.
0,50 0,30 0,620 0,10
3° Essais de sulfate de fer.
L'action de cet, utile auxiliaire a élé étudiée à nouveau
sur une prairie naturelle, sur des pommes de terre et sur
des vignes placées clans des conditions différentes.
Prairies. — Deux prairies hautes, contigués, à sous-sol
de même nature, mesurant environ 1 hectare 1/2 chacune,
ont eu comme fumure, à l'automne : 1,000 kil. de phosphate
fossile à l'hectare ; au printemps : 200 kil. de sulfate d'am-
moniaque et aulanl de sulfate de potasse , [tour la même
superficie. Sur l'une d'elles, j'ai fait répandre en plus, au
commencement d'avril, 300 kil. de sulfate de fer par
hectare.
La récolte de foin n'a pas été bonne ; la pousse avait été
contrariée par le défaut de chaleur du printemps ; mais il y
a eu différence notable entre la production des deux prairies :
Fumure sans sulfate de fer : 3,080 kil. à l'hectare.
— avec — 4,445 — —
11 semble bien ici que l'excédent de la deuxième prairie
sur la première, soit le fait du sulfate de. fer, car toutes les
autres conditions étaient les mêmes.
Pommes de terre. — C'est dans le champ d'expériences
que j'ai essayé l'effet du sulfate de fer sur les variétés
Magnum bonum et Richler iraperator. J'ai déjà cité les belles
345
récoltes obtenues; elles sont d'autant plus probantes que,
dans un champ voisin, les mêmes pommes de terre, ayant
eu le secours des mêmes engrais dépourvus de sulfate de
fer, ont donné à peine 20,000 kil. de tubercules.
Vigne. — Quarante-cinq pieds de vigne, distants de
1 mètre et appuyés sur un mur de <2ra,50 de hauteur, ont
reçu chacun 45 gr. de sulfate de fer et 80 gr. de plâtre, en
plus d'une forte quantité de fumier. Leur végétation a été
des plus vigoureuses ; la couleur des feuilles était d'un beau
vert foncé, jusqu'à la fin de septembre.
Dix autres pieds de vigne, plantés à 0m,80 les uns des
autres et bien nourris de fumier, pénètrent dans une serre,
dont ils tapissent tout le vitrage. Une tranchée de 0ra,(20 de
profondeur sur 0n,,50 de largeur a été ouverte à 0m,25 des
souches. J'y ai fait répandre un mélange de 2 kil. de plâtre
et de 1 kil. de sulfate de fer, puis on a aussitôt comblé la
tranchée. Je redoutais un peu l'effet d'une aussi forte dose
de sel ferrugineux. Loin d'être nuisible, elle a paru fort
utile, car jamais la serre n'avait été si bien garnie de raisins;
il y en avait à profusion, et bien des grappes mesuraient
plus de 0ra,25 de longueur.
Dans une troisième vigne, en plein champ cette fois,
105 ceps ont été traités aussi par le plâtre et le sulfate de
fer. Il ne leur avait été donné aucun engrais depuis plusieurs
années. L'effet n'a pas été aussi marqué que dans les deux
cas précédents, mais il était visible que la vigne végétait
beaucoup plus activement que celle du voisinage, à laquelle
on n'avait pas fourni la même fumure.
Conclusions.
1° Les engrais employés dans le Champ d'expériences
doivent être rangés dans l'ordre décroissant ci-dessous,
34G
d'après le rendement et d'après la valeur nutritive ou vénale
du blé de pays semé dans les quatre premières parcelles :
Ordre de rendement.
Paille. Grain.
Engrais complet. Phosphate fossile azoté.
Fumier. Superphosphate azoté.
Phosphate fossile azoté. Engrais complet.
Superphosphate azoté. Fumier.
Valeur nutritive. Produit brut.
Engrais complet. Phosphate fossile azoté.
Superphosphate azoté. Engrais complet.
Phosphate fossile azoté. Fumier.
Fumier. Superphosphate azoté.
Le blé Victoria, mal venu, placerait les scories à peu
près sur le plan du superphosphate azoté.
2° Le trèfle incarnat hâtif a fourni un rendement normal.
La variété tardive n'a donné qu'une demi-récolte.
La jarosse hâtive a fourni un beau rendement. La variété
tardive n'est pas bien venue.
Le seigle fourrage a manqué complètement.
h" avoine fourrage a donné une récolte moyenne et de
bonne qualité.
Pour le trèfle et la jarosse, les variétés mal réussies
étaient plus riches que les autres.
3° Le rendement et la valeur alimentaire des choux à
mille têtes classent les engrais producteurs dans l'ordre
décroissant ci-après:
Rendement. Valeur nutritive.
Engrais complet. Engrais complet.
Fumier. Phosphate fossile azoté.
Phosphate fossile azoté. Fumier.
Superphosphate azoté. Superphosphate azoté.
347
Les choux moelliers rouge et blanc ont donné un produit
médiocre. Le meilleur des deux était le routée, en tant que
valeur alimentaire.
4° La récolte, et la richesse des rutabagas conduisent au
classement suivant des engrais qui les ont produits :
Rendement. Valeur nutritive.
Engrais complet. Superphosphate azoté.
Phosphate fossile azoté. Phosphate fossile azoté.
Fumier. Fumier.
Superphosphate azoté. . Engrais complet.
Médiocre récolte de betteraves sur scories phosphoreuses
azotées. La qualité est très bonne.
Pour les pommes de terre, variété Magnum bonum,
voici le classement des engrais, toujours décroissants, par
rapport : à la production totale, à la valeur nutritive et a la
richesse en fécule :
Rendement. Valeur nutritive. Fécule.
Fumier. Phosph. foss. azoté. Engrais complet.
Phosph. foss. azoté. Engrais complet. Superph. azoté.
Engrais complet. Superph. azoté. Fumier.
Superph. azoté. Fumier. Phosph. foss. azoté.
La variété Richter imperator a produit beaucoup plus
que la précédente, mais sa richesse nutritive et sa richesse
en fécule sont un peu faibles.
5° Le seigle de Sclilanstedl a été supérieur au seigle du
pays, à tous les points de vue.
6° L'avoine noire de Bretagne a continué de surpasser
Yavoine grise de Vendée, sous tous les rapports.
7° Le blé Bordier est une très belle variété, robuste et
prolifique. Si sou rendement n'a été que de °2;> hectolitres,
la faute en est certainement à l'intempérie de la saison.
8° Le blé Redschaff de Dantzick s"est très bien comporté.
348
Il paraît susceptible de rendements plus élevés que celui de
cette année.
9° Le blé Schiriff n'a pas bien réussi.
10° Le blé Victoria n'a pas été à son niveau habituel ;
mais il a déjà fait ses preuves, c'est le temps qu'il faut seul
accuser de son faible rendement.
11° Il ressort des analyses effectuées sur les diverses
cultures de la Station que, presque toujours, les produits
peu développés sont plus riches en éléments nutritifs que
ceux dont la taille ou le volume est plus considérable.
12° Le thermo-phosphate de chaux a produit plus
d'avoine que le phosphate fossile du Boulonnais.
13° Le sulfate de fer s'est montré un stimulant énergique
pour le foin, pour la pomme de terre et pour la vigne.
QUESTIONS
DE
GÉOGRAPHIE ANCIENNE
Par Léon MAITRE.
GRANN0NA ET GUERANDE.
Les Saxons ont-ils donné leur nom aux rivages du pays
guérandais, ou faut-il réserver le nom de rivage saxon au
littoral de la Normandie?
J'avais cru répondre suffisamment a celte question en mon-
trant, a l'aide de l'histoire, que ces barbares étaient venus
jusqu'à Angers, sous le règne de Childéric, qu'ils combattirent
contre le roi de Cornouaille, Grallon, à l'embouchure de la
Loire, vers 495 et qu'ils répétèrent leurs incursions au VI8
siècle, sous l'épiscopat de saint Félix (i). Appuyé sur ces faits,
je me croyais fondé à dire que ces barbares avaient bien pu
commencer plus tôt leurs actes de piraterie et ravager nos côtes
dès le commencement du Ve siècle, c'est-a-dire sous le règne
d'Honorius, époque où la Notice des Dignités de l'Empire parle
vaguement d'un littas saxonicum. Je reconnais que je n'ai pas
remonté assez haut le cours des événements et que j'ai laissé la
(') Voir les Annales de la Sociélé Académique de 1889, p. 247.
350
porte ouverte aux objections, pour ceux qui tiennent au littoral
de la Manche,
Je retourne donc aux sources et j'interroge l'historien
Eulrope. Celui-ci nous rapporte que sous Dioctétien, c'est-à-
dire à la fin du IIIe siècle, Carausius reçut la mission de main-
tenir l'ordre sur les côtes de la Belgique et de YArmorique
que les Francs et les Saxons dévastaient (<). Tout le monde
sait que le nom d'Armorique, dans les textes anciens, s'applique
non pas aux côtes normandes seulement, mais encore à notre
Bretagne et même au littoral inférieur. C'est un point hors de
contestation (-). Voila donc une première, preuve que les
Saxons pouvaient étendre leurs pillages jusqu'à l'embouchure
de la Loire, bien avant Childéric.
Il y en a une autre. A. Marcellin, pour le IVe siècle, nous
apprend que, sous Valenlinien, les Romains curent, à combattre
les Saxons. Peu importe sur quel champ de bataille, l'essen-
tiel est que nous sachions que ces ennemis faisaient parler
d'eux et de leur humeur guerrière avant le règne d'IIonorius.
Quand les Empereurs jugèrent à propos de dresser le tableau
de la répartition des forces de l'Empire, sur les territoires
menacés par les barbares, au début du Ve siècle, peut-être
même à la fin du précédent, les côtes infestées par les Saxons
étaient si étendues qu'il fallut désigner plusieurs oflieiers pour
leur tenir tête (3). La Notice des Dignités nomme plusieurs fois
(1) Aptid Bononiam per traclum Belgicœ et Armoricœ pacandum mare
acceperat, qnod Franci et Saxones infestabant. (Liv. IX, chap. XX.)
(2) .le ne fais que répéter ce qu'a déjà dit M. l'abbé Gallard dans l'article
spécial qu'il a consacré au Trait armoricain [Bull, de la Société Archéologique
de Nantes de 1884, p. 53-00. Extenditur Tracttts Armoricani et Nervicani
limilis per provincias quinque, per Aquitaniam primam cl secundam Senoniam,
secundam Lugdunensem et tertiam. [Trésor de Grévius, t. VU.)
(3) Cornes liltoris suxonici per Britauiiias. (ISolilia dignilaluin, edit. Seek,
p. 104, 121, 120.)
351
un chef qu'elle appelle le Comte du Rivage saxon dans les
Bretagnes, et, quand elle arrive h la seconde Belgique, c'est-
à-dire au pays qui s'étend entre la Somme et l'Escaut, elle
porte que le chef a sous ses ordres des cavaliers Dalmates qui
sont placés à Marris in litore saxonico (*).
Ce n'est pas tout. 11 y a une troisième mention de ce rivage
saxon qui revient dans la rédaction de la Notice des Dignités
de l'Empire, à l'endroit où elle énumère les troupes placées
sous le commandement du personnage éminent qu'elle appelle
le Duc des Armoricains et des Nerviens (2). On y voit appa-
raître un tribun dont la résidence est fixée dans une station
nommée Grannona, située sur le rivage saxon (3).
Cette ville nous étant inconnue, nous sommes réduits aux
conjectures sur la portion de nos côtes qu'on a voulu désigner.
Les uns veulent que ce soit la côte normande, les autres la
côte bretonne. Relisons la Notice et, en pesant chacun des
termes de sa rédaction, voyons s'il est possible de découvrir de
quel côté se trouve la vérité.
Le personnage dont nous avons parlé est le chef de tous les
postes maritimes, son autorité s'étend de la Garonne à la Pre-
mière Belgique. Il a pour mission particulière de surveiller les
descentes des pirates, on le devine au nombre de garnisons
rangées, de dislance en distance, sur les bords de l'Océan.
Comme tous les chefs de corps d'armée, il a deux légions à sa
disposition, lesquelles, suivant la Notice, s'appellent la Première
Armorique et la Première Flavienne, forces qui ne sont pas
trop considérables pour l'immensité de la région qu'il gou-
(1) Ibidem, p. 207.
(s) Siib dispositions viri speclabilis ducis Annonçant et Nervicani. (Notilia
dignitaltm )
(3) Tribunus cohortis primœ novœ Annoricœ Grannona in lit tore saxonico.
{Ibidem.)
352
verne(t). Les auxiliaires qui remplissent les cadres appartiennent
à diverses nations. On y voit des barbares de la Gorogne (Carro-
nenses), des Maures (Mauri), des Andalous (Marieuses), des
Ossoniens (Ursarienses), des Dalmates (Dalmatœ), des Hongrois
(Grannonenses), des Suèves, des Balaves, des Francs, des Sar-
niates et des Teïphales (2). Chacune de ces garnisons est com-
mandée invariablement par un préfet, et indiquée avec la même
formule. La rédaction ne change que pour deux officiers: pour
le tribun de la cohorte de la Première Armoricaine en rési-
dence à Grannona et pour le préfet des soldats de la Première
Flavienne établi à Goutances (Constantin).
Comme la Notice ne leur donne pas de barbares a commander,
on est fondé à croire qu'ils sont à la (été de légionnaires et
qu'ils occupent chacun le siège d'un gouvernement militaire.
Le fait parait certain au moins pour Goutances, dont le nom,
sorti de Constantia castra, s'est étendu à tout le Cotcntin, en
souvenir de son antique suprématie.
La légion qui avait son centre à Goutances envoyait des
détachements en divers endroits, notamment à l'embouchure
de la Seine, comme le dit positivement Ammien Marcelin; et ce
camp secondaire est encore nommé Constantia castra, ce
qui indique clairement que du Couesnon à la Seine, on ne
rencontrait que des soldats d'une même légion, la Première
Flavienne (3). Aucun mol ne nous contredit dans le texte, au
(') Ricli, Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines. Legio.
(2) Prefeclus militum Carronensium, Maurorum, MarUnsium, Ursariensiitm,
Ttalmalarum, Grannonensium, Baiavornm, Francorum, Sarmatarum, etc. Pour
tout le monde ces barbares sont des auxiliaires à la solde de l'Empire, mais
pour M. Oiieux ce sont des milices locales. Voir Annales de la Société
Académique de 18!)0, p. 121.
(^ Qui (Matrona et Sequana) (luentes per Lugdunensem post circumclausum
ambitu insulari Parisiorum caslellum, Luteliam nomine, consociatim mcautes
protinus prope Castra Constantia fiinduntur in mare [Livre XV, cliap. 11. Ammien
Marcellin).
353
contraire. Le préfet de CoiUances (i) est immédiatement suivi
d'officiers fixés avec leurs troupes à Rouen, à Avranches, à
Granville, à Bayeux, c'est-à-dire le long de la côte qui s'étend
de Dol au Havre ; la seconde ligne de postes établis en arrière,
au Mans et à Rennes, ne vient qu'après.
Puisque nous connaissons, à n'en pas douter, le plan de
défense des côtes normandes avec l'emplacement choisi pour
chacune des garnisons, il en résulte que Grannona n'est pas
à chercher de ce côté, mais au delà, dans la partie qui s'étend
du nord-ouest au sud-ouest, autour de la presqu'île armori-
caine, contrée également très exposée aux incursions des
pirates , et qui devait être gardée avec non moins de
vigilance.
Que dit la Notice à ce sujet? Elle place un tribun à Grannona,
ville indéterminée il est vrai, mais rangée de telle façon dans la
liste, que le chercheur n'a pas à s'écarter d'un certain rayon.
Son ressort est limité par la série des officiers qui l'accom-
pagnent et qui ont leur résidence incontestable autour des côtes
bretonnes, depuis la Vilaine jusqu'à la Rance, dans des villes
connues comme Vannes, la cité des Osismiens (Finistère),
Ploumanach et Met h.
Nous avons épuisé toutes les désignations de la Notice, et
nous n'avons pas rencontré de garnison pour surveiller la côte
qui s'étend de la Vilaine à la Garonne, si ce n'est Poitiers, sur
la seconde ligne. 11 nous reste pourtant à identifier les noms dès
deux stations de Blabla et de Grannona, ce sont les deux
dernières à déterminer. Il est clair que nous n'irons pas les
chercher du côté de Bayeux. Nous aurons plus de chance de
les découvrir à l'embouchure des fleuves dont nous n'avons pas
encore parlé. Puisqu'on a pris soin de garder la Seine par un
(*) Prefeçtus militum Primas Flaviœ, Constarttia. Ce préfet pouvait faire
l'intérim du Tribun absent ou avoir une dignité de plus que ses collègues.
23
354
double campement de troupes, il n'est pas possible que la
Loire et la Garonne aient été oubliées.
Blàbia parait convenir parfaitement à Blaye; quant a
Grannona, on a pensé depuis longtemps à Guérande, parce
que cette ville est sur un plateau exceptionnellement élevé du
haut duquel une garnison peut aisément surveiller l'embouchure
de deux fleuves. Du haut des murs de Guérande, la vue
embrasse le littoral qui s'étend de la Vilaine à la Loire et perce
l'horizon jusqu'à Belle-Isîe, quand le temps est favorable.
Cette situation se recommande d'elle-même à l'attention et
mérite nos préférences , sans qu'il soit nécessaire d'éta-
blir la moindre filiation étymologique entre Guérande et
Grannone. Ce qui prouve que nous ne nous trompons
pas , c'est que le pays guérandais est couvert de ruines
romaines et est desservi par un réseau de voies pavées qui
permettait à la garnison de Grannona de se porter dans
toutes les directions.
De ce que Blabla suit Grannona, au lieu de la précéder,
dans l'énuméralion des postes maritimes, il n'en faut pas inférer
que la Notice est un document rédigé sans attention, au mépris
de tout ordre géographique. L'Administration romaine, si
régulière, si méthodique dans tous ses mouvements, n'aurait
pas commis une pareille négligence. Voici l'explication que
j'ose présenter comme acceptable. Après avoir désigné le
chef-lieu du gouvernement Grannona, le rédacteur a été forcé
de commencer son énuméralion par le point le [dus éloigné au
sud, Blaye, avant d'entamer la liste des cités de l'Armorique.
C'est la même nécessité qui l'a conduit à citer Rouen après
Coutanccs, pour suivre après la série des postes de l'ouest à
l'est.
Les auteurs qui ont voulu trouver Blabia sur nos côtes
n'ont pas pris garde qu'ils laissaient sans défense un im-
mense territoire, de même qu'en plaçant Grannona au Cotenlin,
355
on prive la Loire de la forteresse dont elle avait si grand
besoin (i).
Il n'est pas vraisemblable que le généralissime de l'Armo-
rique et des Aquitaines ait négligé de surveiller les deux cours
d'eau qui pouvaient le plus sûrement aider les pirates dans
jeurs incursions à l'intérieur. C'est pourtant la conséquence qui
ressort de la théorie de M. Orieux. Mon contradicteur veut que
Grannono, station des Hongrois de Gran, citée entre Avranches
et Bayeux, soit la même localité que Grannona, résidence du
Tribun de la cohorte de la première Armorique, et dépense
beaucoup d'érudition pour montrer que les deux officiers qui
commandaient ces postes pouvaient vivre l'un près de l'autre,
ce qui équivaut a soutenir que les chefs vivaient d'un côté et
les garnisons de l'autre (2).
Les deux légions étant admises, il est plus raisonnable de
croire que chacune avait son tribun, l'un à l'ouest, l'autre au
nord, en position de donner des ordres rapides, et d'en surveiller
l'exécution. Vouloir réduire le litlus saxonicum aux côtes
normandes en tout temps, parce que les auteurs du VIe siècle
nous parlent de Saxons établis a poste fixe autour de Bayeux,
c'est commettre un anachronisme et aller contre le témoignage
des contemporains qui, exposés aux dévastations continuelles
des" pirates, répétaient le nom de Saxon partout où ces barbares
abordaient. Dans l'état actuel de la science, il n'est pas possible
de traduire Grannona plus justement que par Guérande. C'est
l'opinion que j'ai soutenue dans la cinquième livraison de mes
Villes disparues. Les contradictions n'aboutissent qu'à semer
des doutes inutiles, tandis que notre application des textes
concorde avec les découvertes comme avec les exigences de la
stratégie.
(') C'est l'erreur que j'ai commise moi-même dans mon premier travail et
que je m'empresse de rectifier.
(2) Prefectus militum Grannonensium Grannono.
350
Je répète que je crois au passage des Saxons dans la Loire-
Inférieure et même à leurs établissements permanents. Ils
occupaient les environs du bassin du Croisic quand les Bretons
ont fait invasion, ils y travaillaient à la confection des salines.
C'est une conviction non pas hasardée, mais fondée sur les
mots saxons qui sont restés dans le langage vulgaire du pays.
Il y avait une saline nommée Bernaliardisca (1), or, le nom
de Bernard est germain. Dans l'organisme des salines, je
remarque le ladurc, c;est le lieu où les paludiers viennent
prendre leur change ; en allemand, laden veut dire charger.
Vaderne est un canal par lequel circule l'eau saturée de la
saline; en allemand, adern veut dire veine. D'où sont venus ces
mots s'ils n'ont pas été importés du Nord sur nos côtes? et qui
est-ce qui a eu la puissance de les implanter, si ceux qui les
prononçaient n'ont pas habité le pays pendant longtemps ? Pour
tous ces motifs, je maintiens ma thèse et je persiste à croire à
la présence de Grannona surja côte Guérandaise.
On est surpris que l'archéologie constate beaucoup de ruines
à l'embouchure de la Loire et prétende y découvrir plusieurs
villes antiques; on oublie que la Loire-Inférieure est l'une des
plus riches vallées du monde, aussi capable d'attirer l'ai lent ion
que la Normandie et le Morbihan. Les anciens se sont toujours
arrêtés dans les pays les plus plantureux, et surtout à la portée
des grands fleuves, afin d'avoir des transports faciles sous la
main. Qu'on étudie historiquement l'embouchure de. chacun des
fleuves de la Gaule, on verra qu'il n'y a pas d'estuaire qui ne
soit environné de ruines pressées.
Pour la Seine, nous avons non seulement deux villes, Lille-
bonne et Caudebec (Juliobona cl Latomagus), mais encore un
camp [Gonstantia Castra). Le Rhône a Marligues, Marseille,
Arles et Montpellier; la Rance, Alelh; la rivière d'Auray, Locma-
(') Cartulaire de Redon, p. 'il.
357
riakcr; la Gironde a Royan, Blaye et le Verdon; l'Adour a
Bayonne (Lapurdiim), et on voudrait que la Loire, avec son
vaste estuaire découpé, n'ait pas eu, elle aussi, ses places de
commerce et sa forteresse et qu'il nous soit interdit d'y placer
Grannona, Curbilon et Veneda!!
Après tant d'exemples d'une habitude constante, il faut
pousser le scepticisme bien loin pour entreprendre de nous
démontrer que la Loire a fait exception, que le plus beau pays
de France, la vallée la plus fertile a été désertée par les Anciens,
dans un département où nous trouvons leurs établissements à
chaque pas. Anelz, Saint-Géréon, Mauves, Nantes, Couëron,
Savenay, sont des stations pleines de monnaies et de débris
d'industrie romaine, et on voudrait que les civilisateurs de la
Gaule se soient arrêtés là, sans deviner les avantages d'une
position avancée sur la pointe de Saint-Nazaire. Il suffit
d'énoncer cette prétention pour en montrer toute la fragilité.
Mais laissons l'érudition, si vous le voulez, et consultons la
poésie, elle vous dira que les plus beaux raisonnements ne
valent pas les impressions, que les lieux habités de toute anti-
quité se révèlent d'eux-mêmes à ceux qui savent les regarder.
Les hommes n'ont jamais été insensibles aux beautés que la
nature se plaît à accumuler sur certains points. Un de nos
derniers Préfets, M. Glaize, qui a beaucoup lu et beaucoup
voyagé, qui connaît toutes les côtes de la Méditerranée, me
disait, à propos de mes appréciations sur la Basse-Loire, une
parole qui m'a bien frappé : « Le bassin du Croisic est mer-
veilleux, il rappelle les plus beaux sites de l'Orient, c'est une
de ces contrées que les navigateurs ont préférées à toutes les
autres dès l'origine de la civilisation. »
II
PORTUS BR1VATÈS ET LE TRAIT DU CROISIC.
Tout le monde sait que les longitudes du géographe
358
Ptolémée sont très erronées. D'Anville faisait remarquer qu'il
comptait 148 degrés de longitude entre le méridien de l'Ile-de-
Fer des Canaries et la plus orientale des cinq embouchures du
Gange, au lieu de 108 degrés qu'il y a en réalité (i). Quand
nous avons a fixer sur la carie l'emplacement d'une cité antique
ou d'un port, il est donc prudent de prendre d'autres guides
et de recourir surtout aux lumières de l'archéologie. Il y a des
auteurs qui conservent néanmoins un attachement injustifiable
pour le vieux géographe, et qui le prennent pour un indicateur
impeccable. On en a vu qui ont mieux aimé défigurer la carte
de leur pays et placer un port dans les vases de la Vilaine que
de lui donner tort. Il en est un qui, par amour pour Ptolémée,
a osé rayer de la géographie ancienne et de la liste de nos
vieux ports le Trait du Croisic.
Quand on agite une aussi grosse question il faut avoir au
moins des armes solides, des arguments irréfutables; or,
ce n'est pas le cas du système qui s'est produit tout ré-
cemment.
L'affaissement du sol de nos côtes depuis l'époque historique
n'est pas un fait prouvé, tant s'en faut ; il est, au contraire,
rejeté par les géologues modernes , notamment par plusieurs
Universités. On explique tout aussi bien par la rupture des
cordons littoraux les effets que M. Orieux attribue à un
affaissement. Les ateliers inondés pouvaient être protégés à
l'origine par une digue que les ouragans ont rompue, et la voie
romaine qui traverse les marais de Ponldarm a pu être faite
dans les conditions où nous la trouvons pour franchir un
mauvais pas et donner de la consistance à un terrain déjà
mouillé, il y a 1800 ans. Quant au petit bronze de Télricus
relire des vases mobiles de Penhoèt, c'est une découverte trop
minuscule pour qu'on puisse en l'aire une arme de guerre capable
(') Mémoires de l'Académie des Inscriptions, 1768, t. XXXll, |>. 604.
359
de renverser les théories fondées sur des constatations nom-
breuses et indiscutables.
Ce que j'ai rencontré dans mes fouilles du Trait du Croisic
est autrement concluant. J'ai cité des carcasses de bateau
enfouies dans le sol des marais assez profondément pour qu'elles
aient passé inaperçues parmi les paludiers qui ont établi les
plus vieilles salines (i). On se rappelle que j'ai cité aussi plusieurs
ateliers gallo-romains dont le but unique était d'utiliser l'argile
fine qui forme le fond de cette baie, argile plastique et grasse,
déjà très abondante au IIIe siècle, qui ne peut avoir été
apportée là que par un séjour très prolongé des eaux marines.
Je ne sais quelle est l'épaisseur de ces alluvions, mais il est
bien certain que si nous relevons le sol jusqu'à 7 mètres nous
en fermons l'entrée à la mer et nous sommes obligés de
recourir à un miracle pour expliquer comment les Romains,
introducteurs de l'industrie salicole dans le pays, ont pu faire
des salines dans une plaine où les siècles précédents n'avaient
pas préparé le terrain spécial que réclame cette culture.
Notre contradicteur croit être très sûr de ses affirmations
parce que le chenal actuel du port du Croisic est obstrué par
des rochers à fleur d'eau. Son hypothèse de l'affaissement lui
permet d'en faire une véritable barrière puisqu'il ajoute
7 mètres à la hauteur actuelle et il ferme ainsi la porte aux
navires vénètes que je voulais y introduire avec les Phéniciens.
Malgré sa perspicacité, il n'a pas tout vu, il n'a regardé que
la pointe de Penbron ou, aveuglé par son idée préconçue, il
n'a pas aperçu les autres entrées que la nature a préparées
ailleurs.
Au bas du coteau de Clis, il y a un magnifique étier, celui
(') Si les paludiers avaient aperçu les membrures du bateau, à l'origine, ils
se seraient empressés de les retirer pour se chauffer, car le bois manque com-
plètement dans le pays.
360
de l'Enclis qui traverse une plaine d'alluvions basses et qui
déboucherait sans grandes dépenses en face de La ïurballe si
nos ingénieurs voulaient le prolonger. Le jour où on voudra
creuser un nouveau chenal dans la partie que je signale, rien
ne sera plus facile. L'Océan est passé par là aux époques
géologiques, de même qu'il entourait complètement le rocher
de Pcnbron, rattaché aujourd'hui à la terre ferme par une
falaise fragile que le moindre ouragan peut rompre. Telle est
l'unique digue qui, du côté de l'ouest, sépare notre bassin
intérieur de la haute mer.
Du côté du Pouliguen, le sol est si plat, les marais salants
opposent une barrière si légère au mélange des eaux, qu'on
pourrait presque indiquer le chenal que suivaient les marées
des temps préhistoriques.
J'ai encore un fait à présenter et non une hypothèse : c'est la
découverte d'une ardoise marquée de caractères phéniciens a
Clis. Elle n'est pas venue là par terre, elle a été évidemment
apportée par les bateaux de ces hardis navigateurs qui, du
fond de l'Orient, vinrent débarquer leurs produits dans tous nos
ports, plusieurs siècles avant notre ère (»).
III
CORMLON ET SAINT-NAZAIRË (2).
On a présenté d'étranges arguments pour essayer d'ébranler
l'opinion que j'ai émise sur l'antiquité du port de Sainl-Nazaire.
On m'a répondu que le mouillage était détestable cl, pour
preuve, on a invoqué la préférence accordée à Paimbœuf au
XVIIe siècle.
(') Temporibus Tarquinii l'risi ex Asia Phoceensium juventns in ultimos
Galliœ sinus, nauibus prufecta, magnas res annis gessit. (JUSTIN.)
(2) Ce chapitre est destiné à compléter l'étude que j'ui publiée dans les
Annales de Bretagne de 1889.
361
Ces raisons toucheraient sensiblement le lecteur s'il était
prouvé que la côte de Paimbœuf présente des avantages bien
supérieurs à ceux de la rive opposée ; au contraire, tout le
monde sait que les vents d'ouest et les courants sont aussi
mauvais a Paimbœuf que chez sa rivale, peut-être davantage,
que les rives y sont plates et sans abri, tandis que le bassin de
Saint-Nazairc est abrité par le coteau des Préaux.
La fortune de Paimbœuf n'a tenu qu'au caprice de quelques
négociants nantais qui voulaient faire un avant-port maritime
aussi rapproché que possible de leur ville, pour la facililé de
leurs armements, et créer une place d'échange où les navires
étrangers pourraient trafiquer avec eux sans être forcés de
franchir les bas-fonds sablonneux du fleuve. Paimbœuf n'a
jamais été que la succursale de Nantes, sa rade a été préférée
parce qu'elle était plus rapprochée du chef-lieu et non pour
l'excellence de son mouillage.
Le port de Gorbilon était un port libre, indépendant, il s'est
fondé entre Saint- Nazaire et Méan à une époque où la Loire
se portait beaucoup plus sur sa rive droite que sur sa rive
gauche. Les courants étaient si violents qu'ils avaient creusé
un immense golfe que les alluvions ont rempli peu à peu, par
la succession des siècles et que l'Histoire constate comme les
sondages des géologues. On sait qu'au XIe siècle Sainl-Nazaire
se nommait Saint-Nazaire-du-Golfe (Sanctus-Nazariits-de-
Simtario) (').
Qu'on se reporte à 2000 ans en arrière et qu'on supprime la
niasse des apports annuels du fleuve, on apercevra aisément la
courbe profonde que décrivait la rive droite avant de toucher
l'Océan. Elle se devine encore aujourd'hui, quand on descend
vers l'embouchure. Il est évident qu'il y avait en face de
Mcndin une corne proéminente derrière laquelle les navires
(') Arcliiv. départ. H. 51.
?62
légers dos Phéniciens pouvaient relâcher et séjourner sans
crainte à l'abri des fureurs de la mer. Dans tous les cas, qu'on
doute ou qu'on ne doute pas, le fait est prouvé, l'anse de
Penhouèt était un port avant l'ère chrétienne, les bateaux qui
venaient y mouiller y ont laissé bon nombre de pierres percées
d'ancrage que M. l'ingénieur Kcrviler a retrouvées et avec
lesquelles il faut compter dans la solution du problème qui nous
occupe.
J'ai dit que la proximité du bassin du Brivet était aussi un
motif de croire à la présence d'un port sur la rive de Méan,
j'aurais dû faire remarquer que la plupart de nos ports se sont
fondés près des confluents des cours d'eau. Rezé est a l'embou-
chure de la Sèvre, Nantes est à l'embouchure de l'Erdre. 11 ne
serait pas étonnant que les Phéniciens eussent recherché le
Brivet, car ils aimaient à commercer avec les populations
industrielles comme celles dont j'ai parlé. J'ai cité beaucoup de
découvertes faites dans notre siècle. Qui sait si nos prédéces-
seurs n'en ont pas exhumé tout autant dans les siècles passés
et n'ont pas négligé, par ignorance, de nous transmettre des
collections d'antiquités? Chaque génération a dû recueillir des
débris de l'industrie ancienne et si là notre en recueille encore,
après quinze siècles de culture et de travaux, il faut bien croire
que le pays était couvert de fabricants et de négociants à
l'époque des armes de bronze.
Les géographes nous disent qu'après avoir prospéré, le port
de Gorbilon disparut, et ils n'en indiquent pas les raisons.
Quand un village ou une ferme sont brûlés et qu'ils sont recons-
truits, ils prennent le nom de Villeneuve, synonime de résur-
rection. Le même événement est arrivé à Saint-Nazaire. Quand
celte bourgade recul les reliques de saint Nazaire avant le VIe
siècle, elle avait un nom assurément qui changea à l'arrivée
du saint, el ce nom ne pouvait être que Novio dunum, en
français Noyon ou Nyon. Ce n'est pas moi qui l'invente, c'est
363
la tradition qui le dit et voici comment. La chaussée romaine
qui conduit de Savenay à la poinle de Saint-Nnzairc, s'appelle
la chaussée de Nyon, au-delà de la bulle de S cm ; ce nom de
Nyon est trop particulier pour avoir été imaginé sans raison,
il ne peut être que l'écho sans cesse répété de l'histoire d'une
ville déchue puis relevée.
Au surplus, on peut soutenir a priori que les villes décorées
du nom d'un saint sont généralement antiques, parce motif que
les apôtres des premiers siècles recherchaient les centres popu-
leux plutôt que les solitudes. Quand Grégoire de Tours nous
rapporte que des reliques de saint Nazaire étaient déposées dans
le bourg qui nous occupe, cela ne veut pas dire que la popula-
tion fût riche et habitât dans des palais dont nous devrions
retrouver les traces, cela signifie seulement que la côte n'est
jamais demeurée déserte et que, sur l'emplacement de Corbilon,
une agulomération nouvelle s'était formée.
Mon contradicteur me reproche d'être trop attaché à l'em-
bouchure du fleuve, il voudrait m'entraîner à sa suite dans la
Haute-Loire, sur des rives où personne n'a jamais trouvé la
moindre antiquité. Malgré Strabon, d'après lequel les Anciens
avaient coutume de s'embarquer pour la Bretagne à l'embou-
chure des quatre grands fleuves de la Gaule, il affirme que
Corbilon pouvait être à l'intérieur comme Bordeaux et Rouen.
L'argument est absolument sans force, attendu que jamais les
géographes n'ont dit que nos grands fleuves avaient seulement
un port. De ce que Rouen et Bordeaux sont des villes antiques,
il ne s'ensuit pas qu'elles n'avaient pas de rivales. (Juliobona)
Lillebonne est une station romaine bien au-dessous de Rouen ;
(Novio regum) Royan est une station du même genre bien
reconnue à l'embouchure de la Gironde (1). Si la Seine et la
(') Lillebonne est à une certaine distance de la Seine, ee fleuve cependant a
pu servir pour ses transports.
864
Garonne ont eu des ports très avancés, comme ceux que je
cite, et bien d'autres qui se révéleront, je ne vois pas pourquoi
on refuserait de croire à la possibilité d'un port dans le golfe
de Saint-Nazaire.
Comparons la situation de ce dernier avec les deux ports les
plus anciens de la Gaule : Narbonne est au fond d'un golfe qui
s'appelle l'étang de Sigean, et ii Marseille la côte de la Méditer-
ranée décrit une courbe très sensible qui a beaucoup de ressem-
blance avec celle de Méan. Voilà des raisons tirées de la lopo-
grapbie, des coutumes, de l'histoire et de la tradition qui méri-
tent d'être prises en considération et qui, dans tous les cas, ont
plus de poids que de simples négations.
IV
CONDEVINCUM (1) ET NANTES.
En laissant de côté les lumières de l'observation directe et
en s'attacbant trop au texte des géographes un de nos collègues
est arrivé à des déductions surprenantes. Qu'on en juge. Il s'est
fait l'apôtre de celte idée que les Samnites ont habité la Loire-
Inférieure et, au lieu de les cantonner autour de la Brière, il
leur donne tout le pays nantais jusqu'à Ancenis et au-delà.
Cette générosité l'empêchant de placer les Nannèles dans leur
patrie naturelle, il les refoule vers la Normandie et ne les
ramène qu'au temps des invasions. Je n'invente rien, cette
théorie historique est imprimée. M. Orieux a découvert que les
peuples de la Gaule se sont livrés, au Ve siècle de notre ère, à
un véritable chassé-croisé qui avait échappé jusqu'ici à tous
nos historiens. Si quelque érudit, aussi passionné pour les textes,
se met un de ces jours à commenter la Table de Peutinger,
(') Toutes les villes ont eu un nom. Dariorigum Venetorum, Lutetia
Parisiorum. — Potins Nannetum n'est pas un nom.
365
nous en verrons bien d'autres." Les Parisii seront transportés sur
les bords de la Garonne ou du Rhin.
Notre collègue ne s'embarrasse pas des conséquences de sa
théorie absolument personnelle, il est persuadé que les peuples
se déplacent comme les régiments, qu'il suffît de l'ordre d'un
Gouverneur pour les détacher du sol qui les a vus naître et les
envoyer là où le caprice veut les conduire. Rome a pu agir
ainsi envers les Barbares nomades qui menaçaient l'Empire,
mais où a-t-on jamais lu que les envahisseurs aient transplanté
les indigènes?
Certains peuples, tels que les Guriosolites et les Diablintes
ont disparu nominalement de la carte parce qu'ils ont été
englobés par de puissants voisins, il ne s'en suit pas qu'ils ont
laissé une place vide que d'autres ont prise. Chaque peuplade
de la Gaule avait sa capitale, ce qui prouve qu'elle avait ses
coutumes, ses lois, sa religion ; celle des Nannèles se nommait
Condevincum, nom celtique qui signifie confluent, nom très
commun chez nous, duquel sont dérivés tous les Condé et les
Candé de notre géographie.
Nantes est aussi à un confluent, son nom est donc d'accord
avec sa situation et pas n'est besoin d'envoyer les Nannètes à
Condé-sur-Noireau pour avoir la rencontre de deux rivières.
Une capitale politique ne se fonde pas en un jour, ni en un
siècle, il lui faut la succession des générations multipliées. Si
elle est renversée, elle se relève après le départ du vainqueur.
Troie fut reconstruite jusqu'à sept fois sur le même emplace-
ment. Les hommes ne se dispersent pas plus facilement que les
fourmis quand ils ont établi leurs pénates quelque part.
Bien que Nantes ait porté le nom de Viens , synonyme de
bourg, il n'en résulte pas que ce centre politique et religieux
occupait un rang secondaire. 11 est reconnu par tous les archéo-
logues que nos chefs-lieux tels qu'Angers, Tours, Bordeaux,
Saintes, étaient des villes ouvertes sans aucune fortification avant
3GG
le IVe siècle. Le centre gaulois était peut-être peu étendu, mais
à côté vivait une population gallo-romaine riche et influente,
dispersée dans la banlieue.
Les parents de saint Donatien et de saint Rosatien étaient
établis à l'extrémité du faubourg Saint-Clément, d'autres étaient
sur la place Viarmes ou sur le coteau du Bourgneuf. Leurs
villas ont été détruites pour défendre la cité contre les Barbares :
c'est un fait historique qu'il faut accepter, malgré toutes nos
préventions.
Les capitales des peuples sont les premières villes qui aient
été entourées d'une muraille d'enceinte. Nantes est dans ce cas,
elle fut pourvue d'une ceinture de briques et de moellons dont
la base reposait sur les ruines de ses monuments mutilés et
décapités dans un moment de panique universelle. On ne peut
pas démolir un pan de ces murailles sans trouver des stèles _
funéraires ornées de bas-reliefs, des fûts de colonnes, des cha-
piteaux et des inscriptions (•).
Est-ce qu'une simple bourgade aurait pu, sans magistrature,
sans aristocratie, sans collège sacerdotal, fournir tant de beaux
matériaux? Les ruines du Vieux Nantes annoncent toute autre
chose qu'un village de pécheurs. Si les Romains sont venus
déployer tout le luxe de leurs constructions au confluent de
l'Erdre et de la Loire, c'est qu'ils y trouvaient déjà établie une
agglomération commerçante et industrieuse : Condevincum.
Peu importe l'étenduedeson territoire. Les [dus grandes cités ont
eu des débuts très humilies. Lulèce, dans son île de la Seine,
ne couvrait pas plus de place que Nantes au début de notre ère.
Ce sont les Romains qui les ont aidées toutes les deux à se
développer en les parant d'édifices somptueux et en imprimant le
mouvement au commerce.
(') Les dernières fouilles de la Porte Saint-Pierre ont donné des matériaux
provenant d'un grand monument.
367
CARIACUM, AULA QUIRIACA ET PIRIAC
Fortunat est obscur, comme tous les poêles de la décadence;
les noms des lieux qu'il a cités ne peuvent pas toujours être
identifiés à coup sûr ; il y en a un pourtant dont la tradition a
été approuvée généralement, c'est celui de Cariacum. Ce prélat
écrivant à son contemporain saint Félix, lui parle des charmes
de sa propriété et la caractérise par un mot qui la fixe bien sur
les bords d'un fleuve : devexus in amnem. On est convenu
qu'il s'agit de la terre de Chasseil, en Sainle-Luce, domaine
qui fut de toute antiquité dans la mense épiscopale, sur les
bords de la Loire.
Ce nom de Cariacum se retrouve une seconde fois dans le
récit d'un voyage que fit Fortunat, voyage qui lui causa bien
des émotions (i). Il faillit y perdre la vie sans doute, car les
trois quarts de ses vers sont consacrés à nous dépeindre la
tempête effroyable qu'il a essuyée, et oublie complètement de
nous parler de l'objet principal du voyage, les fêtes célébrées en
l'honneur de saint Aubin. On voit qu'il n'a jamais navigué, car
tout l'impressionne. Il parle des périls qu'il a courus, des flots,
de l'Aquilon, des vagues, des inondations, des murmures ter-
ribles de l'océan (murmura Ponli), des vents déchaînés, des
bonds que faisait sa barque sur des montagnes d'eau (aquosa
cacumina), des abîmes qui séparent les vagues (liquidas monte-
vacante vias), enfin de la tempête écumanle qui fait bouillonner
les flots de la mer (fluet ibus pela y i).
Voilà le récit que M. Oiïeux voudrait intituler un voyage sur
la Loire. Les poètes se permettent des licences, mais aucun n'a
(') Sa pièce est intitulée de itinere. Il aurait dû prendre pour titre de tém-
pestate. *
368
jamais osé appliquer les mois de pelagus et de ponlus à un
fleuve. J'ai vu bien des fois la Loire pendant les inondations,
je n'ai jamais vu ses eaux soulevées par les vents de façon à
former ce qu'on appelle des vagues.
Fortunat est allé de Poitiers à Angers rejoindre son collègue
l'évêqûe Domilien. Celui-ci l'a entraîné, dit-il, [rapuit) pour le
conduire aux fêtes de Saint-Aubin. Quelle est l'église où la
solennité eut lieu? Ce ne peut être celle d'Angers, autrement
il aurait dit relinuit, il me retint. 11 y avait dans le diocèse de
Nantes, à Guérande, une basilique où l'on conservait des reliques
de saint Aubin ; il serait possible qu'ils se soient rendus par
eau dans le trait du Croisic et alors le voyage par mer s'expli-
querait naturellement.
Quant à Cariacum, je l'ai appliqué à Piriac pour deux rai-
sons solides : d'abord parce que cette localité est ainsi nommée
dans une charte de 1126; ensuite parce qu'elle est sur l'itiné-
raire que Fortunat dut suivre pour aller sur la Vilaine au
monaslère de Tehillaç. Je, sais que l'identification de Tincilla-
censis locus avec Tehillaç n'est pas indiscutable, cependant on
avouera qu'elle s'accorde mieux avec l'ensemble du récit que
les traductions proposées jusqu'ici par les auteurs angevins.
Je n'ai pas pris Tehillaç au hasard, je l'ai choisi dans une
contrée qui a eu des rapports certains avec l'Anjou. J'y vois
d'abord le prieuré de Moutonnac (')i fondation pieuse dépen-
dante, dès le IXe siècle, de l'abbaye de Saint-Aubin, puis un
village appelé la Ville Aubin, enfin je lis dans la vie de saint
Aubin, écrite au XIIe siècle, qu'il se déroba dans un monaslère
du nom de Tincilliacense Ç>) et je me souviens que Guérande
(') Mullunnacus, 850. (Diplôme, arch. de Maine-et-Loire, H. 170.) Plus
tard le prieuré passa je ne sais comment à l'abbaye de Toussaint, d'Angers.
(-) Mox in Tincilliacensi monasterio se subdidil. {Us du XII* siècle, i° 96,
Bibl. munieip. d'Angers.)
360
a érigé une basilique à ce grand saint dont elle conservait
( es reliques. Voilà bien des motifs sérieux pour croire que
Fortunat s'est éloigné de l'Anjou quand il est allé aux fêtes de
Saint- Aubin.
VI
LES CITERNES ROMAINES DE BATZ.
Il existe près du bourg de Bàtz, adossées à une éminence
rocheuse, de laquelle on domine les marais, trois excavations
qui ressemblent de loin à des grottes faites pour abriter les
douaniers ; quand on s'approche, on remarque bien vile que
ce sont des constructions hémisphériques allongées, voûtées
en coupole, dont le flanc a été éventré par la curiosité. Quand
elles étaient intactes, elles ressemblaient à ces silos arabes qui
servent à cacher des provisions.
Dans le principe, on ne pouvait y pénétrer que par l'œil
pratiqué dans la voûte, œil évasé en entonnoir large d'un
mètre au dehors et de 0m,88 en dedans. Ces trois récipients
sont accolés les uns aux autres de telle façon qu'ils forment
une masse compacte et représentent en plan trois cercles
tangents, un en arrière, deux en avant. Leur contenance est
au moins de G00 litres chacun. La maçonnerie est faite si
habilement que la brèche ouverte dans le flanc n'a pas le
moins du monde ébranlé l'ensemble, les pierres sont noyées
dans un mortier de briques pilées pareil au ciment romain, et
aussi résistant. Les parois sont revêtues d'un enduit lisse,
très net ; le fond est dallé de grosses pierres plates très solide-
ment ajustées et la couronne du regard est maçonnée au moyen de
feuilles d'ardoises et de petites briques avec une telle précision
que l'orifice pouvait se boucher hermétiquement ('). On ne
(') L'emploi de l'ardoise est très ancien, je l'ai constate d'une façon certaine
dans des édifices de l'époque romaine en Bretagne.
24
370
peut pas douter qu'on ait eu l'intention d'en faire des citernes.
Au niveau du carrelage, on aperçoit un premier canal, et a
0m,30 au-dessus, une autre bouche de conduit qui servaient
évidemment à l'écoulement d'un liquide.
Jusqu'au mois de juin 1890, on ne connaissait, pas autre
chose, on croyait que les conduits indiqués faisaient commu-
niquer les trois récipients et on n'allait pas chercher plus loin
l'énigme de leur construction. Aussi, quand le Congrès breton
réuni au Groisic en 1887, fit l'excursion du bourg de Batz,
les visiteurs se contentèrent de regarder et restèrent coi.
Personne n'osa se prononcer.
J'ai cru que dans un pays aussi fréquenté par les étrangers,
il était honteux de laisser plus longtemps planer le mystère
sur des monuments qui ont certainement un caractère de
haute antiquité. Autorisé et encouragé par le propriétaire,
M. de Verncuil, j'ai tenté une fouille du côté évenlré, c'est-à-
dire au Nord, et voici ce que j'ai mis à découvert.
En suivant la direction des canaux qui s'annoncent intérieu-
rement et en cherchant leur issue à l'extérieur, j'ai vu que. le
liquide se déversait au moyen de trois avant-becs en granité
faisant saillie comme les gargouilles de nos cathédrales. Les
trois orifices inférieurs d'un diamètre assez large permettaient
de nettoyer les récipients et de vider la vase tandis que les
trois orifices supérieurs plus étroits distribuaient modérément
le contenu a ceux qui se présentaient. Le liquide ne pouvait pas
être autre chose que de l'eau, car il n'est pas vraisemblable que
le vin ait jamais été assez commun à Batz pour être logé dans
des citernes.
Ceux qui venaient puiser devaient passer d'abord par une
cour que j'ai déblayée et qui m'a donné des débris assez récents,
notamment des ardoises de toiture, des morceaux de meule
de moulin, des pierres de granit mouluré, des fragments de
corniche en luffeau et de crazanne. Comme elle formait cavité
371
elle a servi de dépôt à tous les décombres des alentours. Cette
cour est pavée grossièrement de pierres inégales et délimitée
par des murs sans chaux dont les matériaux sont assemblés
avec de la terre («). Pour approcher des trois fontaines, il
fallait franchir une porte avec jambages en granit et entrer dans
une sorte de réduit où la base des citernes présente sur deux
côtés des parois enduites en belle chaux lisse qui contrastent
singulièrement avec la maçonnerie grossière des alentours.
Le fond du réduit sous les becs de déversoir est sans carrelage.
En cherchant le périmètre complet de la grande cour à l'extré-
mité Nord, je suis tombé sur une petite cavité creusée dans
le roc , a forme ovale, dont les contours irréguliers sont
maçonnés avec de la chaux et des pierres (?).
Il est clair qu'il y a là un assemblage de constructions de
différents âges où chaque partie a un cachet particulier, une
couleur différente, ce qui n'est pas surprenant. L'éminence de
Trémondel, voisine du bourg, a vu passer bien des générations
qui, toutes ont laissé là leur empreinte, c'est l'un des beaux
emplacements du pays. On sait qu'il était occupé dès le IXe
siècle, puisque le nom de Montret figure dans les chartes à
côté de celui de Batz comme son complément obligé Baf
Montret. La construction primitive fut remplacée par un logis
qui devait occuper les pentes du mamelon et dont les matériaux
ont été utilisés de diverses manières. Ils ont servi en dernier
lieu à la construction d'un moulin et d'un logement de meunier,
en 1619. A son tour le moulin a disparu-, son cerne n'est plus
guère indiqué que par un relief en cercle et une énorme pierre
taillée, portant la trace du gond de la porte. G'est-là ce qui
explique la quantité innombrable de beaux matériaux qui sont
(*) Elle a 6 mètres de large sur 14 mètres de longueur,
(2) Elle a l niche sur 0m,85.
372
accumulés dans les clôtures des terrains de la bulle et la
variété des débris exhumés (').
La seigneurie de Trémondet, d'un ressort très restreint, avait
sans doute son manoir et son siège sur l'emplacement des
citernes au Moyen-Age (-). Elle s'est fondue ensuite dans le
domaine voisin, le jour où la famille de Kerbouchard, illustrée
par le renom de l'amiral de Bretagne, en fit l'acquisition et
s'établit dans le pays de Batz. Dans leurs déclarations au
Domaine, les propriétaires s'intitulent alternativement seigneurs
de Kerbouchard ou de Trémondet, ce qui indique bien qu'il
y a eu fusion et consolidation. Le monument qu'on appelle la
fuie de Kerbouchard n'est pas autre chose que la fuie de
Trémondet.
S'ensuit-il que nous soyions sur les ruines d'une somptueuse
demeure, bâtie avec le luxe et le confort déployés par les
architectes de la Renaissance sur les bords de la Loire et
ailleurs?
Rien n'est plus facile que de se représenter exactement ce
qu'était la résidence d'un seigneur féodal au bourg de Batz, au
temps des croisades.
Ce qu'où a construit dans les temps les plus prospères, c'est-
à-dire au XVe siècle et plus lard peut nous servir à mesurer ce
qu'était le luxe de l'habitation antérieurement. Le logis des
sires de Kerbouchard est encore debout ; ses dimensions sont
celles de la plus modeste gentilhommière qu'on puisse imaginer.
Une salle basse, une chambre haute, quelques dépendances
autour d'une cour et un puits, des fenêtres minuscules, un
escalier en granit droit et abrupt satisfaisaient leurs exigences.
Leurs voisins, les seigneurs de Kerlan et de Kerdréan n'eu deman-
(») Avon de l(>'2'.), Batz, Sénech. de Guérandc (Loire-Inférieure, série B'.)i
(-) Il y avait aussi un logis de Trémondet à Piriac. Lequel était le principal ?
Je l'ignore.
373
datent pas davantage ; ils vivaient sans ambition du produit de
leurs salines et de quelques champs de blé, des pigeons de leur
fuie ou du poisson de la côte et buvaient l'eau de leur puits ou
des fontaines publiques qui ça et là demeurent a ciel ouvert.
Les prieurs de Batz qui étaient les mieux logés et les mieux
approvisionnés avaient aussi leur puits ; ils n'ont laissé après
eux aucun réservoir. Il est d'usage dans le pays depuis des
siècles de puiser l'eau à boire dans des vases à large panse en
terre rouge, d'une contenance de 12 à 15 litres et de les
remplir seulement au fur et à mesure des besoins du ménage.
L'installation des citernes de Trémondet annonce un raffine-
ment de mœurs qui est absolument en dehors des habitudes
simples de ce pays éloigné jadis de tout centre civilisé. On a vu
que leur construction était faite en vue de remplacer un filtre,
de séparer l'eau claire de l'eau trouble. L'ouverture supérieure
est assez large pour qu'un homme puisse y entrer et les nettoyer
et la maçonnerie est assemblée avec un ciment d'une finesse
rare, qu'on n'est pas habitué a rencontrer dans les édifices de
notre pays, et d'une adhérence telle qu'il fait corps avec le
granité contre lequel il a été appliqué. Les briques qui orment
la couronne de l'orifice sont d'une pâte fine qui contraste avec
la grossièreté de celles qui se voient dans les plus vieilles cons-
tructions de la contrée. Je me suis procuré des briques enlevées
aux maisons les plus anciennes ; j'en ai pris dans les cheminées
de revécue de Nantes, qui sont du XVe siècle, et partout je
n'ai rencontré que de la terre cuite imparfaitement, mêlée de
gros sable non broyé. Tout autres sont les produits de la
fabrication antique. J'ai reconnu dans les briques de nos
citernes de Trémondet la trace noire qui caractérise celles de
nos stations romaines, et je n'hésite pas a les regarder comme
l'œuvre du grand peuple qui a laissé tant de traces de son
passage autour du Trait du Croisic.
Les Romains attachaient une si grande importance à la
374
qualité de l'eau qu'ils entreprenaient des travaux immenses pour
amener certaines sources jusqu'à leurs villas. Les citernes sont
avec les ponts les monuments qu'ils se sont plu a répandre dans
tout l'univers (•). Ils ne construisaient jamais une seule citerne,
mais deux ou trois. Vitruvc enseigne qu'il faut les agencer de
manière qu'en passant de l'une à l'autre, l'eau puisse se. clarifier.
Pline dit aussi qu'il est bon d'en construire deux afin que les
immondices s'arrêtent dans la première, et que l'eau de la
seconde soit pure. C'est bien l'application du même principe
qui a dirigé l'exécution des citernes de Trémondet, et c'est là
un des principaux motifs qui me font croire à leur antiquité.
Pourquoi cette attribution serait-elle invraisemblable quand
nous avons rencontré les ouvrages des Romains à Saille, à
Clis, à Guérande, à Escoublac ?
Cette île n'est pas un pays neuf, elle était habitée bien
longtemps avant notre ère par une peuplade celtique qui érigeait
des menhirs et qui pratiquait le commerce avec les contrées
d'outre Loire. Je montrerai à qui voudra une monnaie en
electrum marquée au type piclon, qui fut trouvée pendant mon
dernier séjour à Batz, à 100 mètres de la butte de Trémondet.
Elle est antérieure de deux siècles à Jésus-Christ. Toutes les
générations ont passé sur nos côtes et chacune a laissé des
traces si distinctes de son séjour, qu'il n'est pas possible de les
confondre. 11 y a dans la construction des citernes une supé-
riorité de main-d'œuvre qu'on chercherait vainement dans les
maçonneries du prieuré de N.-D. du Mûrier ou de la fuie de
Kerbouchard et qui les classe hors rang.
J'ai cité', après les avoir fouillées, les villas de Clis, de la
Motte, de Kerfur, du Diolet, de Saille ; je n'ai pas réussi
cependant à convaincre tous mes lecteurs de l'attraction
(') Daremberg et Suglio. Dictionnaire des Antiquité), grecques el romaines.
Voir le mol citerne.
375
qu'exerça le Trait du Croisic sur les Anciens. Mon contradicteur
n'est pas sensible aux impressions que font sur tout observateur
une grande accumulation de ruines et les vestiges exhumés des
industries disparues. On a beau lui montrer une contrée couverte
de menhirs et de dolmens, les bijoux précieux qui remplissent
les vitrines de notre musée, les armes de bronze et de fer, les
monnaies qui, en 1816, circulaient encore comme à l'époque
des Antonins, et un réseau de voies pavées venant converger
sur un même centre, il ferme les yeux à l'évidence quand il
devrait proclamer avec nous que pas un pays n'est plus digne
de l'attention des archéologues.
Chaque génération depuis quinze siècles emporte les débris
de ceux qui ne sont plus, renverse les édifices pour cultiver le
sol, trace des sillons sur les ateliers, fond les métaux et les
matières précieuses, et cependant nous les derniers venus, nous
trouvons encore à glaner! Et les sceptiques voudraient que nous
leur montrions des constructions romaines à chaque pas ! Cette
exigence paraîtra bien injuste envers nous qui avons poussé,
aussi loin que possible, l'enquête à faire à travers cet immense
territoire.
\
COMPTE RENDU
DES
TRAVAUX DE LA SECTION DE MÉDECINE
PENDANT L'ANNÉE 1890
Par M. le Dr POLO, secrétaire.
Messieurs,
Le 13 décembre 1889, le Bureau de la Section a été ainsi
constitué :
MM. Al ti mont Président.
Ollive Vice-président.
Polo Secrétaire.
Pérochaud Secrétaire adjoint.
Le S janvier de l'année courante , la Seciion devait
installer le nouveau Bureau. Mais [tour la première fois
depuis hi guerre la séance ne fut pas ouverte. L'influenza
sévissait dans notre ville et les médecins étaient à leur poste
près des malades ou frappés eux-mêmes par l'épidémie.
Si celle-ci nous a forcé de chômer une fois, elle nous a fait
bien travailler aussi. Nous avons beaucoup parlé d'elle à nos
séances.
MM. les D™ Barthélémy, Hervouel et Mahot furent désignés
pour réunir les documents d'un rapport sur la marche
377
locale de l'influenza. M. Hervouet fut chargé de la rédaction
de ce rapport. Dans son travail, notre confrère étudie le début
de la marche, les symptômes de l'épidémie. Le caractère do-
minant observé chez les malades a été l'abattement. L'influenza
est contagieuse. Les victimes ont été nombreuses , mais,
heureusement, si tous étaient frappés, ils ne mouraient pas
tous. A Nantes, en effet, la mortalité a été relativement
minime. Les complications se sont manifestées surtout à la
peau, aux yeux et aux oreilles. A ce sujet MM. les Drs
Dianoux, ïeillais et Polo ont fourni à M. le Rapporteur des
documents concernant chacun la partie dont ils s'occu-
pent. La discussion sur l'influenza a rempli plus d'une séance.
M. le Président et M. le Dr Ecoty, médecin au 65e de ligne,
ont rapporté des cas intéressants observés par eux pendant
l'épidémie.
M. le Dr Ollive nous a lu un rapport médico-légal au
sujet d'une accusation d'attentat à la pudeur sur un enfant.
L'accusation était portée par l'enfant lui-même. L'expertise
démontra la fausseté de cette déclaration et fit rendre la
liberté à l'accusé.
M. le Dr Barthélémy a rendu compte des maladies conta-
gieuses qu'il a eu à traiter aux pavillons d'isolements pendant
le premier semestre de l'année 1890 : diphtérie, rougeole,
coqueluche, érysipèle. Trois cas de variole furent observés
provenant d'un même foyer de la ville. M. Barthélémy fit
immédiatement vacciner tous les habitants de la maison
contaminée. Les chambres des malades furent soigneusement
désinfectées au soufre et leurs effets passés à l'étuve. Aucun
autre cas ne se produisit dans le quartier. Une épidémie qui
aurait pu être terrible fut ainsi arrêtée dès le début, par
la vaccination et la désinfection. Voilà, il me semble, une
conséquence indubitable des derniers progrès de. la médecine.
Ce fait nous indique aussi la place que doit occuper
378
l'hygiène dans la pratique courante de l'art ou plutôt de la
science médicale. Oui, la médecine est bien une science. Si,
en effet, le. praticien, au milieu des obscurités existant encore
pour lui, doit avoir le coup-d'œil par lequel il devine plutôt
qu'il ne voit ; s'il doit, dans certains cas, sentir comme l'artiste
plutôt que raisonner comme le savant, cela devient de plus en
plus rare. Pour lui, rien ne peut remplacer la connaissance des
découvertes chaque jour plus nombreuses d'où se déduisent
contre la maladie tant d'applications vraiment, scientifiques.
M. le Dr Bonamy, revenant sur un sujet qui lui est cher,
nous a lu un travail très complet sur le traitement de la
diphtérie par les vapeurs d'eucalyptus. Pendant le quatrième
semestre de l'année dernière, M. Bonamy a eu a soigner
à l'hospice Saint-Jacques un assez grand nombre d'enfants
atteints de la diphtérie. Les malades, opérés ou non, ont été
tous soumis aux pulvérisations d'eucalyptus conjointement
avec un traitement tonique. Le résultat a été excellent.
M. le Dr Pérochaud a rapporté un cas intéressant de '
tétanos infantile, un autre de myélite antérieure aiguë chez
un enfant de six ans.
M. Fleury a communiqué à la Section une note sur une
nouvelle formule d'injection hypodermique de chlorydrale
basique de quinine.
M. le Dr Boiflin a rendu compte de trois opérations de
laparotomie, la première, pour un rétrécissement dn colon
ascendant, les deux autres pour des salpingites suppurées
doubles. Ces opérations, il n'y a pas bien longtemps, auraient
été traitées de téméraires, elles sont aujourd'hui devenues
possibles et même indiquées au chirurgien, grâce à une
antisepsie et surtout à une asepsie rigoureuses. Les trois
cas rapportés par M. Boiffin ont été suivis de guérison.
M. le Dr de Larabrie nous a lait une communication sur
le traitement des fibromes utérins par l'électrolyse. 11 a
379
rapporté les excellents résultats obtenus par lui et a donné
les indications et les contre indications du traitement.
Enfin, M. le Dr Polo a lu l'observation d'un malade atteint
d'une gourme syphilitique du larynx, produisant l'asphyxie.
Le traitement classique s'élant montré insuffisant, la guérison
complète a été obtenue par des injections de peptonate de
mercure.
Vous le voyez, Messieurs, nos séances ont été assez bien
remplies, nous sommés heureux de constater sous ce rapport
un réel progrès sur l'année dernière. Quelques modifications
ont été apportées dans le fonctionnement de la Section.
L'heure de la séance a été avancée, cinq heures au lieu
de huit. Chose plus importante et dont nous devons nous
féliciter, notre Journal de Médecine de l'Ouest a fusionné
avec la Gazette Médicale de Nantes, qui est devenue notre
organe officiel. Les jetons de présence ont été supprimés,
mais celte mesure n'a point empêché nos confrères d'assister
en aussi grand nombre aux séances, guidés exclusivement
par l'intérêt de la science.
Dieu merci, nous n'avons eu cette année à déplorer ni
mort ni démission. Au contraire , plusieurs jeunes confrères
sont venus donner du sang nouveau à notre Société médicale.
MM. les Drs Ecot, Landois, Valenlin, de Larabrie, se sont
fait admettre dans nos rangs. Nous pouvons donc dire que,
nous du moins, ne sommes point menacés par la dépopula-
tion.
COMPTE RENDU
DES
TRAVAUX DE LA SECTION DES LETTRES
PENDANT L'ANNÉE 1889-1890
Par M. Francis MI3RLANT.
Messieurs,
Le Bureau de la Section des Lettres, pour l'année 1889-
1890, a été constitué ainsi qu'il suit:
Président MM. de Chastellux.
Vice-Président Le Beau.
Secrétaire Francis Merlant.
Secrétaire adjoint . Emile Oger.
Nous avons eu la douleur de perdre un de nos plus vieux
collègues, M. Manchon, décédé à Nantes le °25 décembre 1889.
Membre de la Société Académique depuis le 1er avril 1859,
M. Manchon était un des plus assidus à toutes nos séances
et, en particulier, aux séances de la Section des Lettres.
Aimable et bienveillant, il laisse parmi nous le souvenir
d'un excellent confrère et d'un littérateur distingué.
Quelques jours après, ce. deuil était suivi d'un autre non
moins cruel pour nous.. Nous perdions, le 7 janvier,
M. Ivouxel, ancien commissaire de la marine.
381
M. le Président a consacré à nos deux collègues des
notices nécrologiques qui ne sont que l'expression de nos
bien sincères regrets.
Notre Section a continué cette année le cours de ses
travaux, mais faut-il l'attribuer a cette fatale influenza ? elle
a été moins laborieuse que l'année précédente.
M. Orieux a poursuivi ses études sur la Contrée guéran-
daise commencées l'an dernier.
Il a quitté Grannona et Gorbilon pour s'occuper de Portus-
Brivates, de Vénéda et de la Grande-Brière.
Il nous montre avec une incontestable autorité comment
s'est déterminée dans cette contrée la formation de la lourbe.
Est-ce l'effet des marées qui, jadis, se sont retirées des
espaces qu'elles couvrent aujourd'hui?
L'auteur ne le pense pas. Il croit plutôt a un affaissement
du sol de 3 ou 4 mètres au-dessous du niveau des marées.
A la suite de cet affaissement, l'œuvre simultanée du flot,
du temps et de l'argile a forme la couche terrestre.
Plusieurs brochures ont été envoyées a la Société
Académique.
C'est d'abord Notre-Dame de la Blanche, très intéres-
sante étude de M. le Dr Viaud-Grand-Marais, l'historiographe
de Noirmoulier.
Le monastère de Notre-Dame de la Blanche fut fondé au
XIIe siècle par les Terriens au Pilier, puis transféré à Noir-
moulier et mis au séquestre par la Constituante. Vendu
plus tard à un fabricant de produits chimiques, il devint
enfin une importante exploitation agricole.
M. Emile Oger, chargé par la Section des Lettres de lui
remettre une note sur la « Houri, » charmant roman de
Mrae Riom, nous a donné un compte rendu du plus haut
intérêt.
Un de nos nouveaux confrères, M. Loiseau, nous a fourni
382
une remarquable élude philosophique sur la douleur. L'auteur
prend la douleur sons ses différents aspects, au point de
vue moral et.au point de vue physique. Il étudie ses ravages
et aussi les différents remèdes que la science économique a
essayé d'y apporter pour en tirer des conclusions de la plus
haute moralité.
Avant de passer à la poésie, je rappellerai Erdra ou la
Légende de l'Erdre que j'ai eu l'honneur de lire à l'une de
nos séances
i
Enfin, M. Dominique Caillé et M. Emile Oger nous ont
charmés a différentes reprises par la lecture de leurs beaux
vers.
Je ne citerai pas, Messieurs, les titres de ces pièces dont,
j'en suis sûr, vous n'avez oublié ni la grâce ni l'agrément.
Espérons, ce sera ma conclusion, que l'an prochain votre
Section, plus laborieuse, nous permettra d'applaudir à des
travaux plus nombreux que cette année.
COMPTE RENDU
DES
TRAVAUX DE LA. SECTION D'HISTOIRE NATURELLE
POUR L'ANNÉE 1889-1890
Par M. Th. VIAUD. secrétaire.
Messieurs,
Le Rureau de la Section des Sciences naturelles a été
constitué, pour 1889-1890, de la façon suivante :
MM. Ménier, président.
Le Beau, vice-président.
Gadeceau, trésorier.
Bureau, bibliothécaire.
Viaud, secrétaire.
La composition de la Section est restée la même et,
comme Tannée précédente, les communications se rapportent
à la botanique et à la zoologie.
Botanique.
M. Ménier continue ses recherches mycologiques cou-
ronnées d'ailleurs d'heureux résultats. En décembre, il fait
384
passer sous les yeux des membres présents un grand nombre
de photographies de champignons, entre autres : Lepiota
excoriata, Lepiota procera, Lepiota clypeolaria, Boletus
variegatus, Boletus fiai us, Boletus luteus, Ciitocybe
inversa, Tricholoma saponaccum, Entoloma limdum,
Russula nigricans, Russula adusla, Scleroderma corium,
etc. En janvier, il signale deux nouvelles espèces de Lépiotes,
qu'il figure et décrit ainsi dans le tome V du Bulletin de
la Société mycologique de France:
« Lepiota littoralis. Cli. Mén. Saint-Brevin, Bourgneuf-
» en-Retz, sables du Collet.
» Celle remarquable espèce, que j'ai trouvée pour la
» première fois à l'automne de 1888, est assez abondamment
» répandue dans les sables du littoral, depuis Mindin jusqu'à
» Saint-Brevin et au delà dans la baie de Saint-Michel. Elle
» croit solitaire ou par groupes sur les talus destinés à
» protéger les vignes contre l'action du vent de la mer.
» Elle se développe en grande partie dans le sable et ne
» montre ordinairement à la surface que- son chapeau déjà
» étalé. C'est seulement sur quelques individus jeunes et le
» plus souvent totalement enfouis qu'on peut rencontrer des
» débris aranéeux blancs, d'un voile bien distinct de la
» cuticule du chapeau. On peut en retrouver aussi des traces
» sur le bulbe du pied. Le caractère, tiré de la présence
» d'un voile général très fugace dans ce champignon, m'a
» paru insuffisant à lui seul pour en faire une amanite,
» alors que par tous les autres caractères, l'aspect, la surface
» du chapeau, l'anneau, la texture même, il rappelle les
» lépiotes, parmi lesquelles je n'hésite pas à le ranger. La
» conservation du voile est d'ailleurs exceptionnelle et me
» semble due à la nature spéciale du sol, qui esl ici un sable
» lin. Celte lépiote appartient an groupe Procerœ. La taille
» est variable: diamètre du chapeau, 0m,07 à 0^12;
385
» hauteur du pied, 0m,08 à Ora,10 sur 1™,00 à lm,05 de
•> largeur. Par sa marge excoriée, elle se rapproche de
» Lepiola excoriata , dont elle diffère beaucoup par
» ailleurs.
» M. Lajunchèrc m'a dit récemment l'avoir rencontrée
» dans les sables du Collet. Je ne l'ai pas vue au nord de la
» Loire dans les dunes de Portnichet et de la Baule que j'ai
» parcourues il la même époque; elle est plutôt à rechercher
» dans le sud-ouest et le midi de la France.
» Lepiota arenicola. Ch. Mén. Mindin, près Saint-
» Brevin, le Collet, près Bourgneuf-en-Relz.
» Cette espèce pourrait être prise, à première vue, pour
» une forme plus petite et blanche de la précédente, dont
» elle possède le pied bulbeux et l'anneau. Elle s'en dislingue
» facilement par son chapeau blanc, satiné, brillant, et les
» spores en général ellipsoïdes. Elle habite les parties déjà
» fixées et un peu herbeuses des premières dunes, parmi les
» mousses, les lichens, les graminées et autres plantes
» formant la première végétation littorale. Elle s'écarte peu
» de cette zone; on la trouve encore à l'entrée des premiers
>. semis de pins maritimes, mais elle manque complètement
» sous le couvert des anciennes plantations. Elle est beau-
» coup plus commune que le Liepota clypeolaria, var. alba
» Bres. au milieu de laquelle elle vit. C'est un champignon
» très délicat, que j'ai mangé plusieurs fois seul ou mêlé à
» Lepiota clypeolaria et à Lepiota illinita. Malheureuse-
» ment, il retient toujours une petite quantité de sable, dont
« il est diflicile de le débarrasser.
» M. Lajunchère me l'a envoyé des sables du Collet et
» m'a dit avoir bien observé des débris de volve à la
» base. C'est, comme la précédente, une lépiote amma-
» niloïde. »
25
38G
En février, M. Ménier rend compte d'une excursion fuite
par lui la veille, 2 février, entre Saint-Nazaire et Saint-
Marc La douceur de, la température lui a permis de
récolter le clalhre cancellé et Clavaria crislata, sur une
souche de bois, il put recueillir trois espèces assez rares :
Auricularia mesenterica , Schizophyllum commune ,
Hirneola Auricula Judœ, les deux dernières, nouvelles
pour le département. En mai, il présente un polypore du
bouleau offrant une particularité curieuse : l'hymenium s'est
produit sur les deux faces supérieure et inférieure de ce
champignon, par suite d'une chute de l'arbre et du renver-
sement consécutif du champignon. 11 présente en même
temps des rameaux de Sabine sur lesquels se sont développés :
Pythia cupressi et Gynosporangium sabinm. Ce dernier
champignon est une Urédinée dioïqùe vivant alternativement
sur la sabine et le poirier, dont il attaque les feuilles et les
jeunes rameaux pouvant causer ainsi un dépérissement
fâcheux et même la mort de l'arbre. En juillet, en même
temps qu'il présente un lichen nouveau pour le déparlement,
Ricasolia herbacea ou lœlhevireus, récollé le 3 juillet sur
un hêtre dans la forêl du Gàvre, et un champignon : Mela-
nogasler ambiguus, que lui avait transmis M. Saint-Gai,
professeur à l'Ecole d'agriculture de Grand-Jouan, il donne la
liste suivante des champignons rares ou nouveaux de la
Loire-Inférieure communiqués par le Dr Quélet à l'Association
française pour l'avancement des sciences et insérés dans son
Imllclin de 1889.
Dictyolus Cyphellocfurmis (Pleurotus) Berk. Sur liges
sèches de pomme de terre, allée de la Branclioire, entre la
Contric et Sainl-Ilcrblain, 4 juillet 1888. Nouveau pour la
flore mycologique de France.
Gyroporus scaber, var. flqvescens. Maubreuil, 1888, cl
387
forêt du Gâvre, 3 juillet 1889. Variété nouvelle pour la région
déjà signalée dans les Vosges et la Nièvre.
Leucoporus brumalis, var. fuligineus. Quel. La Maillar-
dière , sur racine de charme au ras du sol. Variété
nouvelle pour la région , déjà signalée dans le Jura et la
Provence.
Phellinus versatilis, conchatus. Quel. pèclinatus,Fr. var.
Merïierii. Conchoïde, tomenteux, soyeux, jaune souci, sulfurin
sur les bords, chair mince, très coriace, jaune fauve; tubes
fins et courts, pores punctiformes, jaune fauve à reflet
argenté; spores ovoïdes (3 à 4 ja) hyaline, puis jonquille.
A rautomne, sur l'ajonc, coteaux maritimes de la Kerncrie,
à la pointe Saint-Gildas.
Slereum insi<jnitum. Quel, espèce nouvelle. Maubreuil,
1888.
Peziza biocarpa. Cuit. ; parc de Saint-Brevin. Nouveau
pour la flore mycologique de France.'
A la même séance, il présente un fruit de Mandragore,
envoi de M. le Dr Milry, médecin dans un régiment d'artillerie
à Nîmes.
Gomme vous le voyez, Messieurs, l'activité de M. Ménier
est infatigable ; il ne ménage ni son temps, ni ses peines à
la tâche qu'il a entreprise, mais aussi ses efforts sont cou-
ronnés de bien beaux succès.
M. Gadeceau récolte, le 1er juin, dans une excursion à
Campbon, Euphorbia palustris et Cirsium eriophorum,
plantes signalées, il y a deux ans seulement, dans la Loire-
Inféricurc par M. Guiho. Il présente à la Section, dans la
même séance, une petite composée, Myriogene minuta,
récoltée par lui dans une caisse de Cycadées venue du Japon
à l'exposition de 1889.
388
Zoologie.
M. Le Beau continue ses communications sur le saumon,
les civclles et les huîtres.
L'année dernière, notre honorable confrère vous avait
communiqué les résultats de son enquête sur la reproduction
du saumon. Il avait fait pêcber des saumoneaux dans la
basse Loire, comme on en trouve également dans la haute
Loire, au Puy, et dans la Vienne; la preuve se trouvait faite
que le saumon, contrairement aux assertions des pécheurs,
fraie bien en Loire. Il avait également constaté l'existence et
l'état des grappes d'œul's sur deux femelles prises en février
1888. Cette année, M. Le Beau a pu continuer ses observa-
tions. Une soixantaine de saumons, pris dans les derniers
jours de décembre 1889, ayant été saisis au moment de leur
expédition, tant de Nantes que de Cordemais, furent examinés.
Ils ne présentaient aucune différence d'aspect extérieur entre
les mâles et les femelles. Point de beccards. Ces poissons,
dont la taille moyenne était de 0m,75 à ()n\80 et le poids
moyen de lOkil., étaient magnifiques et pleins de santé ; ils
furent tous ouverts. Parmi eux se trouvaient cinq mules.
Leurs laitances étaient très maigres. Quant aux femelles,
elles donnèrent 27 grappes d'œufs. Comme dans les poissons
examinés en février, l'année précédente, ces grappes étaient
formées d'œufs fortement agglutinés, de couleur rosée,
ayant an plus la grosseur d'une forte tête d'épingle; toute-
fois, quelques grappes se trouvaient plus développées. Ces
œufs paraissaient dans le même état, à un examen extérieur,
que ceux d'un saumon pris, le 1S novembre 1888, à Hoche-
Maurice, et d'autres saunions pris, le 6 janvier, à Roche-
Maurice et à Tile Pivin. Œufs et laitances provenant de ces
divers saunions furent envoyés à Paris.
M. Le Beau se demande quelle conclusion tirer de l'étal
380
l'udimen taire de ces grappes d'œufs. Dans l'état de nos
connaissances, on pont admettre qu'un certain nombre de
ces poissons ne devaient pas frayer l'année où ils ont été
pochés, et que, pour les autres, d'après l'opinion de M. le
l)r Vaillant, le développement des œufs se fait en quelques
jours, quelques semaines tout au plus, assez rapidement
pour que les saumons les plus avancés parmi ceux pris à
hauteur de Nantes soient en état de frayer aux environs
d'Issoire, par exemple.
Les recherches concernant la reproduction du saumon se
trouvent donc ainsi circonscrites, et on peut espérer, par un
ensemble non discontinu d'observations sur tout le parcours
du fleuve, voir se dégager les lois de celle reproduction.
Cette étude présente pour nous le plus grand intérêt ; c'est
elle seule qui pourra nous amener à une réglementation
rationnelle de la période d'interdiction de cette pêche, qui
fournit une partie importante de leurs moyens d'existence à
un grand nombre d'habitants de notre département.
Les civelles disparaissent, d'après l'opinion générale, dès
le mois d'avril, A partir de ce moment, les civelles ont perdu
leur couleur blanche, elles ont noirci, leur colonne vertébrale
s'est développée, elles sont passées à l'état de petites anguilles,
qui se sont dispersées en remontant les cours d'eau.
M. Le Beau a constaté en août la présence de civelles
n'excédant pas la longueur du doigt, dans un réservoir
alimenté par les eaux de la Loire.
M. Le Beau a terminé ses fort intéressantes communica-
tions en nous décrivant les appareils de M. Bouchon-Brandely
pour la culture de l'huître en eau profonde et en nous faisant
connaître les résultats obtenus avec ces appareils au Croisic
et dans la baie du Bile.
« Le principe, dit M. Le Beau, sur lequel repose cetle
890
» nouvelle culture des huîtres esl que ces mollusques
» trouvent dans les eaux courantes tout ce qui leur est
» nécessaire pour leur nourriture, de sorte que plus le cou-
» rant est fort, plus la nourriture est abondante. Un des
» avantages les plus essentiels du procédé de M. Bouchon-
» Brandely est que l'huître se trouve du même coup
» soustraite à l'action de tous ses ennemis naturels qui lui
»> font une guerre acharnée sur le sol de la mer, plus d'eu-
» vahissement par les moules, plus d'asphyxie par les vases,
» plus de carnages par les astéries et les bigorneaux perceurs,
» plus de gelées par les grands froids. L'huître se balance
» tranquillement dans son hamac de fil de fer, et peut
» même, s'il lui prend fantaisie de se retourner, ce qui ne
» nuira en rien à son développement, regarder d'un air
» gouailleur ceux qui restent a l'attendre sur le sol, mais ne
» voient plus rien venir. »>
Ces appareils sont constitués par de grands plateaux
circulaires en fil de fer galvanisé, avec un écarlement de
mailles calculé suivant la dimension des huîtres qui devien-
dront, au nombre de cent environ, les pensionnaires de
chaque plateau. Ces plateaux s'emboîtent les uns au dessus
des autres et sont reliés entre eux par une tige centrale, un
couvercle mobile ferme l'appareil en dessus. Cet appareil
peut être fixe ou mobile : dans le premier cas il est fixé au
sol par un bâtis, dans le second il est muni d'un grappin et
d'une bouée.
Des huîtres, des moules, des maires et des palourdes furent
placées dans ces appareils tant au Croisic que dans la baie
du Bile au mois d'août, tardivement par conséquent, et
examinées en novembre. A peine ces mollusques ont-ils pu
profiter de la pousse d'automne qui, d'ailleurs, fut mauvaise
partout. La mortalité était à peu près nulle. Les maires el
les palourdes, dont l'habitat ordinaire est le sable, étaient
391
restées absolument stationnants. Quant aux moules, leur
pousse avait été de près de 3 centimètres et celle des
huîtres de 10 à 15 millimètres.
Les appareils ont été remis en place pour la campagne
prochaine et nous espérons que M. Le Beau voudra bien nous
communiquer les résultats obtenus.
Quant à ceux constatés, ils sont magnifiques et permettent
d'espérer la multiplication à l'infini des surfaces d'élevage
sans rien enlever de leurs avantages aux parcs actuels pour
la production du naissain et l'engraissement.
M. Le Beau nous fait également remarquer la rapidité de
la croissance de l'huître dans la baie du Bile dans les con-
ditions ordinaires d'élevage.
M. le Dr Bureau signale à la Section, dans la séance de
janvier, la capture de deux oiseaux déposés actuellement au
Muséum de Nantes : un Ibis falcinelle jeune, Ibis falcinellus,
tué dans les marais de Vouillé, près Luçon, le 30 octobre
1889, et une Foulque macroule, Fulica air a, entièrement
blanche, tuée sur le lac de Grand-Lieu le 20 octobre 1889.
M. le Dr Viaud-Graisd-Marais fait, à la même séance de
juillet, une communication au nom de M. le Dr Llénas,
membre correspondant de la Société, résidant a Portoplata,
dans l'île de Saint-Domingue. Des terrassements faits entre
Portoplata et Saint-Domingue pour l'établissement d'une
voie ferrée ont mis au jour des sépultures d'Indiens Ciguayos.
Ces Indiens vivaient à Saint-Domingue lors de la découverte
de cette ile par Christophe Colomb. Ils ont disparu rapide-
ment après l'arrivée des Espagnols.
M. le Dr Llénas a transmis à notre collègue la photo-
graphie d'un crâne d'indien Ciguayo. Ce crâne est remar-
quable par son aplatissement portant sur le frontal et les
temporaux, et son caractère 1res prononcé de dolicocéphalie.
892
Il est tout à fait analogue aux crânes des Astéques et des
Indiens tôles plates. En même temps M. Viaud-Grand-Marafs
a reçu de M. Llénas des figurines de terre cuite de même
provenance, sans doute des représentations de divinités. Ces
figurines sont très remarquables par leur ressemblance au
moins quant à la disposition des cheveux tressés et enroulés
autour de la tête, avec les divinités égyptiennes. Ces figurines
sont bracycéphales.
DE L'INTEMPERANCE
DISCOURS
PRONONCÉ
DANS LA SÉANCE DU 24 NOVEMBRE 1890
Par M. Julien MERLAND ,
Juge suppléant au Tribunal civil de Nantes,
Président de la Société Académique de Nantes et de la Loire-Inférieure.
Messieurs,
Quelques-uns de mes prédécesseurs au fauteuil présidentiel
vous ont entretenus des nobles vertus de l'humanité. Obéis-
sant à la loi des contrastes, je veux à mon tour vous
dépeindre un des vices les plus honteux de l'homme. C'est,
en effet, en regardant le mal face à face, en luttant avec
lui corps à corps, que l'on doit le combattre, et pour en
triompher, il ne faut pas craindre de déchirer les voiles.
Le vice dont je vais vous parler, c'est l'Intempérance.
Depuis le jour où le jus de la vigne fut découvert, les
hommes n'ont cessé d'en faire l'usage le plus immodéré et
ce qui aurait dû être pour eux un reconstituant utile est
devenu un poison délétère. Dans tous les temps, à toutes
A
H
les époques, chez tous les peuples, le vin a élé la cause
de grands crimes et de grands malheurs.
La Bible nous apprend qu'à peine l'Arche était-elle arrêtée
sur le mont Ararat, et Noé en était-il sorti, qu'il oubliait
sa dignité dans les fumées du vin , si bien que Japhet
était obligé d'étendre sur lui son manteau.
Ce fut à la suite d'une orgie, où le vin avait coulé trop
abondamment, qu'Alexandre le Grand tua Clilus, et si le
crime resta impuni en raison de la puissance du coupable,
l'impartiale histoire n'en a point absous la mémoire du fils
de Philippe.
Dans cette Lacédémone, que Lycurgue, par ses lois dures
et sévères, avait fait si forte et si puissante, les nobles
Spartiates, comprenant le danger du vin, faisaient enivrer
leurs esclaves et les donnaient ensuite en spectacle à
leurs enfants , afin de dégoûter ceux-ci de semblables
excès.
Si de la Grèce nous passons à Rome, nous voyons pendant
les premiers siècles la sobriété y être en grand honneur
et Rome jouir alors d'une puissance incontestée. Mais sous les
successeurs d'Oclave-Auguste, il n'en est plus de même.
Déjà le sensuel Horace chantait avec bien de la complaisance
le vin de Falernc. L'histoire redit, en se voilant la face,
les orgies des Tibère, des Néron, des Caligula et de celle
brute à figure humaine, Vilellius, qui, ivre de vin et gorgé
de chair, trouva la mort dans une émeute soldatesque. Les
meilleurs empereurs n'échappèrent point à la contagion et
le vertueux Trajan lui-même avait élé obligé de défendre
qu'on exécutât les ordres qu'il donnerait après ses trop
longs repas ('). Lorsque l'exemple émane de si haut, il est
bien difficile d'admettre qu'il n'ait pas été suivi par en bas.
(') V. Duruy, Abrégé d'Histoire romaine, page 30'.).
in
N'est-ce point là une des causes de la démoralisation du
Bas-Empire ? Un jour le trône fut mis aux enchères et
trouva preneur ! Quand un peuple est tombé dans un tel
état, il faut peu de chose pour l'anéantir, et pour détruire
le plus puissant empire du monde, il a suffi d'une horde
de barbares vomie de l'Extrême-Orient.
Mais, Messieurs, je ne veux point m'étendre sur des
souvenirs d'un autre âge. Je ne veux point faire ici un cours
d'histoire et surtout d'histoire ancienne. Je veux aborder
l'histoire contemporaine. Le mal est assez grand, assez
visible, pour- que j'en constate la gravité, les conséquences,
et que je me demande les remèdes à y apporter pour le
combattre.
Si, un jour de foire ou de marché, vous parcourez les
chemins de nos campagnes -, si, un jour de fête ou un
dimanche, vous traversez nos rues et nos places, vous verrez
des hommes marchant d'un pas lourd et inégal, chancelant
et titubant à chaque instant. Ces hommes battent les maisons,
au risque de briser les devantures des magasins ou trébu-
chent sur les banquettes de nos routes, tout prêts à tomber
dans les fossés ; et ils vont ainsi, jusqu'à ce que rencontrant
un léger obstacle, ils s'arrêtent ne pouvant le franchir, ou
plutôt s'y heurtant, se laissent choir à terre où ils restent
étendus de longues heures, à moins qu'un passant complai-
sant ne les reconduise chez eux ou qu'un agent de l'autorité
ne les emmène au poste.
Les hommes, dont je viens de tracer le triste portrait,
ont dépensé en une journée le prix du travail d'une semaine
entière. De cabarets en cabarets, ils n'ont quitté les tables
fumantes qu'à bout d'argent ou renvoyés par le cabarclier.
Leur raison, ce noble don de Dieu à l'homme, qui le sépare
de la bête, ils l'ont laissée au fond d'une bouteille de vin
blanc ou d'un verre d'absinthe. Rien ne les dislingue plus de
la brute. Ils se sont mis à son niveau. Je me trompe. L'animal
IV
a conscience du danger et veille à sa propre sécurité.
L'ivrogne ira se jeter de lui-même dans la rivière ou se
précipitera sous les roues d'une voiture ou d'une loco-
motive.
Mais laissons-le étendu sur la voie publique et pénétrons
dans son domicile.
Nous y assistons au spectacle le plus navrant.
La maison sue la misère la plus noire. La femme hâve et
déguenillée a vu son chétif mobilier s'en aller pièce par
pièce chez le fripier. Ses vêtements, elle les a elle-même
vendus ou déposés au mont-de-piété. Les* enfants sont
couverts de haillons. Ils vous entourent en vous demandant
un morceau de pain. La faim ! ils crient la faim, parce que
le père a eu trop soif. Il n'y a plus de pain à la maison,
parce que le père a trop bu de vin.
Et ce tableau, je ne l'ai point peint de couleurs trop
sombres !
Puis, lorsque le père de famille va rentrer, ce seront des
reproches qu'il adressera a sa femme et à ses enfants. Ce
sera par des coups qu'il répondra à leurs demandes trop
justifiées.
Quel sera l'avenir de ces malheureux enfants ? Je ne veux
d'abord vous en parler qu'au point de vue de leur santé.
M. Monod, au Congrès de l'Assistance publique, dont il est
le directeur, a présenté, en 1889, un très remarquable
rapport sur les enfants d'ivrognes. 11 en résulte qu'un père
ou une mère ivrogne donne le plus souvent naissance à
des enfants dégénérés. D'après les statistiques, les trois
quarts des enfants idiots ou épileptiques sont issus de parents
alcoolisés. M. Monod cite plusieurs exemples. J'extrais
textuellement les lignes suivantes : « Un homme bien portant,
sobre, avait eu deux enfants, un fils cl une fille bien portants
aussi tous les deux. Après la naissance de sa fille, le père
tomba dans l'ivrognerie. 11 eut encore quatre enfants. Le
premier de ces qualre-la fut faible d'esprit, les trois autres
furent trois idiots. »
M. Monod cite d'autres exemples. Ainsi, un ménage
d'ivsognes ayant eu neuf enfants dont pas un de constitution
saine ; ainsi, une famille composée de cinq enfants, dont trois
de constitution robuste, un hystérique et un autre arriéré.
Or il fut appris que pendant la période où étaient nés ces
deux déshérités de la nature, le père s'était livré à des excès
alcooliques.
Le Petit Journal du 26 août 1889, auquel j'ai emprunté
ces extraits, ajoute : Il faut arracher les enfants aux parents
indignes et les ivrognes doivent être rangés dans cette classe
honteuse.
Et le Petit Journal a bien raison.
Voilà pour l'avenir des enfants au point de vue de leur
santé. L'avenir, au point de vue de leur moralité, est plus
sombre encore. Je frémis d'y songer. Car ce n'est plus la
misère physique avec sa hideuse escorte ; c'est la misère
sociale avec ses tristes conséquences.
Privés de direction, privés de bons conseils, n'ayant sous
les yeux que de mauvais exemples, que deviendront ces
enfants ? Le jour où la faim sera plus forte, où le dénûment
sera plus grand, l'enfant tendra la main sur le trottoir pour
mendier un petit sou. La mendicité est cousine germaine du
vagabondage. De cet enfant, qui était né peut-être pour
occuper dans la société une place honorable, l'inconduite du
père en aura fait un vagabond et puis, plus tard, pis encore,
un voleur ou un escroc. Bientôt le fils, devenu jeune homme,
s'assoira sur les bancs de la police correctionnelle ou de la
cour d'assises pour devenir au bagne un numéro. Bientôt la
fille, à laquelle on n'aura pas inculqué des idées de travail,
descendra dans la rue demander à la débauche un moyen
d'existence. De chute en chute, elle ira un soir enfouir sa
jeunesse et sa fraîcheur au fond de quelque mauvais lieu.
VI
Demandez aux forçats et aux filles publiques comment ils
ont été élevés et quelle était la conduite de leurs parents.
Ils vous répondront et vous verrez que je n'ai rien exagéré.
0 hommes ! ô pères de famille ! Combien, au contraire,
si vous aviez su économiser sur votre paye de chaque
semaine, vous eussiez eu une, existence heureuse, vivant
dans vos enfants entourés de leurs soins et de leur recon-
naissance pendant votre vieillesse ! Combien vous fûtes
coupables ! Comment votre exemple n'arrête-t-il pas les
débauchés et ne fait-il pas réfléchir les ivrognes ?
Il est pourtant quelques exceptions. Elles sont rares. J'en
veux citer un cas.
Dans une ville voisine de la nôtre, j'ai connu un père de
famille qui, délaissant sa femme et ses enfants, de débauche
en débauche, était tombé dans un tel état qu'un jour il fut
trouvé mort derrière une porte. Il laissait trois enfants, deux
fils et une fille. Ceux-ci ont répudié l'héritage paternel. Bien
que très jeunes, ils ont compris, sans doute, que l'inconduite
avait été la cause du malheur et de la mort de leur père.
Aidés de bons conseils, de bons avis, ils sont devenus
aujourd'hui d'habiles et d'honnêtes ouvriers, vivant dans
l'aisance. Ils sont estimés dans leur ville et si, un jour, ils
se marient, nul doute qu'à rencontre des exemples qu'ils ont
reçus, ils ne guident leurs enfants dans le sentier du devoir.
Mais, je le répète, de pareils cas sont rares et les mauvais
exemples des parents sont désastreux pour les enfants.
Quelles seront, du reste, pour l'ivrogne lui-même, les
conséquences de son inconduite ? L'alcoolisme conduit à la
mort, à la folie, au suicide. Consultez les statistiques,
compulsez les registres des maisons d'aliénés et vous venez
combien de fois dans la colonne « causes d'aliénation
mentale, » combien de fois seront inscrits les mots « excès
alcooliques. » Ouvrez les statistiques criminelles au tableau
« suicides» et vous y lirez bien souvent la même mention.
VII
Les hôpitaux et les asiles d'aliénés regorgent do malades
atteints du delir'mm tremens, et Ton sait que cette maladie
est presque incurable. La folie alcoolique augmente dans des
proportions effrayantes. M. Garnier vient de publier à ce
sujet, dans les Annales d'hygiène, un très intéressant travail
duquel il résulte qu'en trois ans, de 1886 à 1889, le chiffre
des séquestrations pour folie alcoolique s'est élevé de 25 %•
Tous les médecins vous diront, en outre, que les alcooliques
sont prédisposés à toute espèce de maladies et que chez eux
la moindre affection prend de suite de grands caractères de
gravité.
Je me rappelle qu'au Lycée, temps déjà bien éloigné de
moi, on nous faisait apprendre une fable de Florian, intitulée :
La Mort se choisissant un premier ministre. Celle fable
a toujours frappé mon attention. Permettez-moi de la repro-
duire.
La Mort, Reine du monde, assembla certain jour,
Dans les Enfers, toute sa cour
Elle voulait choisir un bon premier ministre,
Qui rendit ses Etats encor plus florissants.
Pour remplir cet emploi sinistre,
Du fond du noir Tartare, arrivent à pas lents,
La Fièvre, la Goutte et la Guerre.
C'étaient trois sujets excellents.
Tout l'Enfer et toute la Terre
Rendaient justice à leurs talents.
La Mort leur fit accueil. La Peste vint ensuite ;
On ne pouvait nier qu'elle n'eut du mérite.
Nul n'osait le lui disputer
Lorsque d'un médecin arriva la visite,
Et l'on ne sut alors qui devait l'emporter.
La Mort même était tn balance :
Mais les Vices étant venus,
Des ce moment la Mort n'hésita [dus,
Elle choisit l'Intempérance.
VIII
Oui ! le fabuliste a raison. L'Intempérance, c'est le meil-
leur ministre de la mort. C'est le pourvoyeur le plus sûr de
la barque a Caron.
Si, maintenant, vous quittez les asiles d'aliénés et les hôpi-
taux, séjour de la souffrance et de la mort, et si vous péné-
trez dans les salles d'assises ou de police correctionnelle, si
vous assistez aux débats judiciaires, vous verrez que, pour
s'excuser des crimes ou des délits qu'on leur reproche,
'ivresse est presque toujours la seule cause qu'invoquent les
accusés. — Vous avez volé? — J'étais ivre. — Vous avez
injurié ? — J'étais ivre. — Vous avez frappé ? — J'étais
ivre. — Vous avez incendié ? — J'étais ivre. — Vous avez
assassiné? — J'étais ivre (i).
Voulez -vous maintenant me suivre aux Chambres civiles
chargées de juger les séparations de corps et les divorces ?
Voulez-vous écouter la lecture des enquêtes ? Vous y enten-
drez presque toujours les mêmes phrases que l'on pourrait,
pour ainsi dire, imprimer d'avance. Neuf fois sur dix , les
causes de la désunion sont l'ivresse avec ses conséquences
forcées, les coups et les injures.
Ah ! Messieurs ! arrivons à supprimer l'ivresse et, en même
temps, nous aurons plus qu'à moitié supprimé les audiences
(') « La statistique de 1887 attribue aux progrès de l'alcoolisme l'aug-
» mentation très notable des délits de coups et blessures. Le nombre en
» était de 16,025 dans la période de 1871-1875. Il s'est élevé à 21,065 en
» 1887. D'après cette même statistique, la consommation de l'alcool a
» triplé. Aussi le nombre des cas de folie produit par l'alcoolisme a doublé.
» Le dixième des suicides est attribué à l'ivrognerie. Sur 8,202 suicides,
» 820, en 1887, ont été causés par l'abus des spiritueux. L'alcoolisme a
» déterminé encore le vingtième des morts accidentelles. »
(Extrait d'un remarquable travail : La Criminalité féminine, par Louis
Proal, conseiller a la Cour d'Aix. — Correspondant, année 1890, tome III,
p. 495.")
IX
criminelles et correctionnelles et réduit clans de grandes pro-
portions les demandes de séparations et de divorces.
C'est incontestablement dans les classes ouvrières des
villes et des campagnes que l'on trouve le plus grand nombre
de gens adonnés à l'ivrognerie. Est-ce à dire que l'on n'en
trouve que la ? L'Intempérance, à des degrés différents, a
pénétré partout. Les classes dirigeantes n'ont pas été a l'abri
de la contagion. Si les cas sont plus rares, on peut pourtant
en compter d'assez nombreux. Il est même des hommes que
leur naissance, leur intelligence, leur haute situation, n'ont
pas préservé du mal. Bien des noms illustres se pressent
sous ma plume. Je ne veux en citer aucun, pas même celui
du poète, qui a su le mieux chanter l'amour et la jeunesse.
Hélas ! il avait mis aux pieds d'une coquette, sa jeunesse à
lui avec ses nobles inspirations, son talent, sa belle intelli-
gence, sa vie même. Elle lui a tout pris. Trahi, désabusé,
abreuvé de chagrins^ il a demandé au vin l'oubli de ses
maux et cet oubli, il l'a trouvé dans la tombe, où il est
descendu prématurément. Ah ! Messieurs, pilié pour lui ! Il
avait vu sa maîtresse infidèle, sa vie brisée. Pitié pour lui !
Plantons un saule au cimetière : son ombre sera légère à la
terre où il dort ! ,
Combien d'autres belles intelligences ont sombré dans des
circonstances semblables ! Combien de gens, auxquels la vie
s'ouvrait belle et souriante, ont vu leur existence s'évanouir
dans les fumées. de l'ivresse et ont dû aux excès alcooliques
la perte des dons heureux qu'ils avaient reçus de la
nature.
Quoi d'étonnant d'après cela que tous les législateurs
aient cherché à combattre les dangers de l'Intempérance.
Permettez-moi une rapide revue de la législation ancienne.
Nous verrons ensuite les moyens que nos lois mettent à
notre disposition pour combattre le mal et nous nous deman-
derons si ces moyens sont suffisants et efficaces.
En remontant à la plus haute antiquité, nous voyons que
Lycurgue faisait arracher la vigne et que Dracon punissait
l'Intempérance de la peine de mort (•). Les soldats romains,
du moins dans les premiers siècles, ne buvaient que de l'eau
et du vinaigre, et Mahomet avait défendu le vin a ses
sectateurs.
En France, François Ier, par l'édit du 1er août 1536,
avait puni l'ivresse de peines très sévères. Quiconque était
trouvé en état d'ivresse était pour la première fois détenu
prisonnier au pain et à l'eau ; la deuxième fois, il était
battu de verges ou de fouet dans la prison ; la troisième
fois, il était fustigé publiquement, et enfin, en cas de nouvelle
récidive, il était puni d'amputation de l'oreille, d'infamie
et de bannissement. Si, en étal d'ivresse, il commettait une
mauvaise action, il devait être puni davantage pour ladite
ébriété à l'arbitraire du juge (-).
Plus tard une ordonnance de 1560 {m'i- 25) défendit aux
habitants des villes, bourgs et villages, sous peine d'amende
ou de prison, d'aller boire ou manger dans les cabarets
et le commentateur ajoute qu'on punissait du carcan les
contrevenants à ces dispositions (3).
Un édit de Louis XIV fut également rendu en pareil matière.
Mais toutes ces lois étaient tombées en désuétude, et jusqu'en
1873, aucune pénalité ne frappait l'ivresse en France.
11 n'en était [tas de même en pays étrangers. Depuis déjà
(') Il parait qu'il en c'iait de même a Rome. Voici en effet un passage que
l'on peu! lire clans le travail déjà cité de M. Louis Proal, la Criminalité féminine:
(Correspandant, année 1890, tome III, page 495). « Les Romains n'étaient
pas indulgents pour les femmes qui s'enivraient ; elles étaient punies de
mort. Valère Maxime en cite un exemple (L. VI, cliap. 3). Chacun, dit-il,
trouve qu'elle avait justement expié par une punition exemplaire la violation
des lois de la sobriété ; car toute femme, qui fait un usage immodéré du
vin, ferme son cœur à toutes les vertus et l'ouvre à tous les vices. »
(-) Magasin Pittoresquej tome III, page 312.
(:1) Magasin Pittoresque, tome III, page 228.
XI
longtemps, en Suède, on avait édicté des peines sévères
contre les. ivrognes. Je les trouve énumérées dans un rapport
publié eu 1854 par M. de Watteville, inspecteur des établis-
sements de bienfaisance, rapport intitulé : de l'Adminis-
tration des bureaux de bienfaisance et de la situation
du paupérisme en France (•). Tout homme trouvé en
état d'ivresse est frappé les premières fois d'une amende
et perd ses droits d'électeur et d'éligible. En cas de récidive,
il subit la peine du pilori devant l'église paroissiale. En cas
de nouvelle rechute, il est condamné à la détention, puis
à six mois, puis à un an de travaux forcés. Tout individu
coupable d'avoir excité une personne a boire est frappé de
peines d'amende. Tout ecclésiastique, qui s'est mis en état
d'ivresse, perd son bénéfice. Les fonctionnaires sont suspendus
et révoqués. Jamais l'ivresse n'est acceptée comme l'excuse
d'un délit. Un homme mort ivre n'est pas enterré dans le
cimetière. Enfin deux fois pas an les ordonnances sur
l'ivresse sont lues du haut de la chaire par les pasteurs.
En Russie, la législation a été également de tout temps
très sévère. De nombreuses lois ont été édictées à ce sujet.
Elles portent les dates des 3 juillet 1729, 3 février 1738,
8 avril 1782, 3 juin 1837, 23 mars 1839 et 15 août 1845.
Le nouveau Gode russe s'est inspiré de toutes ces dispositions
dans ses art. 241, 242, 243 et 244 relatifs à la répression
de l'ivresse. Un article spécial porte que les pharmaciens
perdent le droit de diriger leurs pharmacies, s'ils ne mènent
pas une vie sobre. Enfin le Gode russe reconnaît la pres-
cription de l'église évangélique-luthérienne, qui considère
l'ivrognerie comme une cause de divorce.
De son côté, la loi de Mecklembourg-Schwerin de 1843
condamne à la détention l'homme ivre qui trouble l'ordre et,
en cas de récidive, le frappe de peines corporelles.
(') Magasin Pittoresque, lonu' XX1U, page '207.
XII
La France, comme je l'ai dit, avant 1873 n'avait aucun
moyen de punir l'ivresse. Sous l'Empire, on avait pensé que
le décret de 1851 sur la police des cabarets suffisait pour
arrêter les progrès du mal. Les cabareliers, qui devaient se
munir d'une autorisation spéciale qu'on pouvait leur refuser
et leur retirer, étaient placés sous la dépendance abso'ue et
pour ainsi dire arbitraire des préfets et on avait cru que
cette surveillance suffisait. Des raisons, peut-être étrangères
à un but de moralisation, avaient fait rendre ce décret. Des
raisons analogues le firent peut-être aussi abroger. On
restait alors absolument désarmé, et des législateurs, qui
étaient en même temps des moralistes, comme par exemple
M. Théophile Roussel, estimèrent à juste titre qu'il était
urgent de combattre le mal par des dispositions législatives.
Ce fut à la suite de longues et intéressantes discussions
que fut volée la loi du 23 janvier 1873, actuellement encore
en vigueur.
Aux termes de cette loi, toute personne trouvée en état
d'ivresse manifeste dans un lieu public, est punie pour la
première fois d'une amende de 1 a 5 fr. ; en cas de récidive
dans l'année, d'un emprisonnement de 1 à 5^ jours ; en cas
de nouvelle récidive, toujours dans l'année, d'une peine de
6 jours à 1 mois de prison et d'une amende de 1C fr. a
300 fr. Enfin, en cas d'une quatrième récidive, la peine de
prison et celle d'amende peuvent être portées au double.
Sont punis de la même peine, les débitants et cabareliers
qui donnent à boire à des gens manifestement ivres ou qui
servent des boissons alcooliques à des mineurs de 16 ans.
Toute personne, qui a subi deux condamnations en police
correctionnelle pour des délits ci-dessus spécifiés, peut être,
par le deuxième jugement, déclarée incapable d'exercer tout
ou partie de ses droits civils. L'affichage du jugement peut
aussi être ordonné par le Tribunal.
Enfin est puni d'une peine de G jours à 1 mois de prison
XIII
et d'une amende de 16 fr. à 300 fr., toute personne qui a
fait boire jusqu'à l'ivresse un mineur de 16 ans.
Les pénalités, comme on le voit, sont assez sérieuses,
bien qu'elles soient loin d'avoir la gravité certainement
excessive de la législation ancienne.
Cette loi a-t-elle produit les effets que l'on espérait en
obtenir ? Il est bien évident que non, puisque tout nous
démontre les progrès sans cesse croissants de l'alcoolisme.
Du reste, dans les campagnes, la loi est restée à peu près
lettre morte. La gendarmerie, astreinte à de nombreux
services très pénibles, ayant à surveiller plusieurs communes
souvent assez éloignées les unes des autres, la gendarmerie,
dis-je, ne peut guère s'occuper de dresser des procès-
verbaux contre tous les ivrognes qu'elle rencontre les soirs
de marchés ou de fêtes. Les gardes champêtres sont aussi
peu disposés à verbaliser en pareille matière. Les maires,
eux-mêmes, craignent souvent de froisser leurs électeurs.
Aussi, il est bien rare de voir exercer des poursuites pour
ivresse devant la simple police rurale. Dans les villes où le
personnel de la police est beaucoup plus nombreux, la
surveillance est mieux exercée et le nombre des poursuites
pour contraventions ou délits est assez élevé. Depuis cinq
ans, de 1885 à 1889, dans l'arrondissement de Nantes, on
compte une moyenne environ par an de 800 poursuites en
simple police et de 120 poursuites en police correctionnelle,
et les chiffres vont toujours en augmentant. C'est ainsi, qu'en
1889, ils se sont élevés à 1,145 en simple police et a 130 en
police correctionnelle. Chose triste à noter, les femmes y
sont comprises dans la proportion de plus d'un tiers. Il est
des individus, qui comparaissent jusqu'à huit et dix fois et
davantage, dans une seule année, devant le Tribunal correc-
tionnel. Je pourrais en citer certains, et surtout certaines
femmes qui, libérés le malin, sont le soir arrêtés en état
d'ivresse manifeste et le lendemain condamnés de rechef.
XIV
Leurs noms sont bien connus dos magistrats, et lorsqu'on
leur demande leur état-civil, quelques-uns répondent en
souriant qu'il est inutile de leur poser ces questions, puisque,
pour ainsi dire, presque chaque semaine on les leur adresse.
Il est à Nantes, et de même évidemment dans les autres
villes, des hommes et des femmes qui ont subi plus de
trente et quarante condamnations , toujours pour ivresse.
Que la peine soit légère, qu'elle soit sévère, elle n'empêche
point ces ivrognes de retomber dans leurs fautes, et certes,
devant ces natures absolument dévoyées , la justice est
impuissante.
Un travail très intéressant vient d'être publié dans le
Magasin pittoresque (année 1889). 11 en résulte que, de
1878 à 1887, la moyenne des poursuites exercées a été de
150 par 100,000 habitants, proportion effrayante quand on
songe surtout combien de cas échappent à toute constatation
et quand on sait aussi que la loi n'atteint que l'ivresse
publique et n'a pas à rechercher les gens qui s'enivrent dans
leurs propres demeures.
Une statistique a été dressée par département. 11 faut
croire aux statistiques, bien que quelques esprits, et je suis
un peu de ceux-là, n'y aient pas une confiance absolue.
Cependant, on doit le reconnaître, c'est une base qui peut
servir d'indication dans de certaines limites. Eh bien ! la
Bretagne est classée parmi les contrées où les poursuites
sont presque les plus nombreuses. La proportion est de
616 pour 100,000 habitants dans le Finistère, de 266 dans
le Morbihan, de 241 dans la Loire-Inférieure ('). Autant de
victimes, Messieurs, prédisposées aux maladies les plus
graves! Le choléra, tant redouté de tout le monde, est moins
à craindre et est loin d'être aussi meurtrier.
Depuis la liberté donnée à tous d'ouvrir un débit de bois-
(') Mugasin pittoresque, année 188'.), fi. 382.
XV
sons, le nombre des cabarets a augmenté dans des propor-
tions énormes. Songez qu'il y a un débit pour 95 habitants
dans les départements de la Vendée et de la Loire-Inférieure
et que dans certains autres départements on rencontre un
débit pour 52 habitants.
Et encore quelles sont les boissons que Ton y sert ? La
fraude, qui a pénétré partout, s'est surtout manifestée dans
la vente des boissons alcooliques. Consultons encore de nou-
veau les statistiques officielles. Elles nous apprendront que,
sur 1,864,514 hectolitres d'alcool, 23,240 seulement ont le
vin pour origine. Le reste, soit 1,841,274 hectolitres, a été
fabriqué au moyen de grains, de betteraves, de pommes de
terre, de mélasses, de châtaignes, même de glands de chêne
et contient des substances toxiques. De là, des maladies
graves, des désordres organiques et aussi les 9,928 aliénés
alcooliques qui ont été enfermés dans nos hospices au cours
d'une seule année (<).
Que les ivrognes se rassurent donc ! Viennent le phylloxéra
et le mildiou , vienne la destruction complète de nos
vignobles ! ils trouveront encore dans les boissons frelatées
un moyen de satisfaire leurs passions, ruiner leur santé et
absorber un poison qui les conduira tôt ou tard à la folie,
au suicide, à la mort. Est-ce que, dans quelques siècles, le
monde ne serait plus peuplé que d'épileptiques , d'idiots
et d'aliénés ? Est-ce que nos arrière petits-fils , produits
de générations dégénérées, incapables de comprendre les
mots honneur, devoir, patrie, oublieux des grandes actions
de nos ancêtres, ne sauraient que s'entr'égorger ? Est-ce que,
dans quelques siècles, il ne serait plus nécessaire de créer des
caisses d'épargne, de construire des écoles ; mais faudrait-il
(') Extrait du remarquable discours prononcé par M. le sénateur Halgan,
vice-président de la Société Industrielle de Nantes, à la réunion de la dite
Société, le 29 décembre 188V).
XVI
bâtir des hôpitaux et des bagnes et, au lieu du Panthéon,
portant gravée sur sa façade celte fière devise : « Aux Grands
Hommes, la Patrie reconnaissante, o les hommes du jour
élèveraient-ils un temple au dieu Bacchus et inscriraient-ils sur
son frontispice : « Aux alcoolisés, la gratitude publique. Gloire
à l'Intempérance. » O siècle qui va bientôt finir, quels seront
ceux qui te succéderont ? Serions-nous les derniers des
Romains et la fortune du monde serait-elle destinée à som-
brer devant quelques fûts d'eau-dc-vie !
S'il en est ainsi en France, la situation est la même à
l'étranger. En Belgique, par exemple, la consommation de
l'alcool ne fait qu'augmenter. Depuis quinze ans, elle s'est
accrue de 37 % et, comme conséquences, les cas de folie et
de suicide ont progressé dans les mêmes proportions (45 %
pour la folie, 80 % pour les suicides). Enfin, le pays dépense
en boissons fortes, 135 millions par an, tandis que l'Etal ne
consacre que 16 millions a l'instruction publique. Il y a
5,500 écoles et 130,000 cabarets (i).
Si les pénalités sont restées impuissantes à réagir contre le
mal, est-ce qu'elles ne sont pas assez sévères? Je ne le
pense pas. Ce n'est point, je crois, la peur seule de l'amende
ou de la prison, qui empêchera les ivrognes de s'adonner à
leurs penchants. Je voudrais cependant que chacun sut que
l'ivresse n'est point une excuse pour les faits délictueux dont
elle peut être la cause. Les tribunaux, qui doivent être les
vigilants gardiens des lois, sont souvent enclins a trouver
des circonstances atténuantes dans l'état d'ivresse des accusés
et les juges se montrent souvent d'autant plus indulgents que
l'inculpé était plus ivre. C'est une tendance fâcheuse à laquelle
il faut résister. L'édit de François 1er portait que l'individu
qui commettait un crime en étal d'ivresse, devait être puni
davantage pour la dite ébriétè à l'arbitraire du juge.
(») Extrait du Petit Journal, no du 1 niais 1889.
XVII
Laissons le moins possible à l'arbitraire des hommes. Mais
pourquoi la loi ne ferait-elle pas de l'état d'ivresse une
circonstance aggravante ? Lorsqu'un homme est poursuivi
pour vol, par exemple, on relève, suivant les cas, les circons-
tances aggravantes d'effraction, de nuit, d'escalade, de domes-
ticité, etc., et le jury doit être appelé a statuer, par oui ou
par non, sur ces diverses questions. Pourquoi n'ajouterait-
on pas cette question bien simple : L'accusé était-il en état
d'ivresse ?-Et si la réponse était affirmative, pourquoi la loi
n'aggraverait-elle pas la peine ? Puisque l'ivresse est un
délit, pourquoi l'homme, qui aurait joint un délit à un autre
délit, ou à un crime, ne serait-il pas puni plus sévèrement?
J'irais plus loin. Je voudrais que le juge de simple police et
le juge correctionnel fussent, dans toutes les affaires soumises
à leur juridiction, obligés de résoudre la même question et,
en cas d'affirmative, d'aggraver la peine. Si chacun savait
que, loin de l'excuser, sou état d'ivresse le rendrait plus cou-
pable des faits qu'il pourrait commettre, quelques-uns, peut-
être, réfléchiraient avant de se mettre dans un pareil état et
en craindraient davantage les conséquences.
En ce qui concerne les pénalités à édicter contre l'ivresse,
je ne verrais que cette disposition à ajouter à l'ensemble de
notre législation. La loi de 4873 me semble suffisamment
sévère et je ne crois pas qu'on puisse l'étendre davantage.
Je ne pense pas, non plus, qu'on doive poursuivre l'ivresse,
à l'aide de dispositions pénales, dans ses derniers retranche-
ments, c'est-a-dire dans l'intérieur du domicile privé. Ce
serait alors ouvrir la porte à des abus de toule sorte. Ce
serait violer ce qu'il y a de plus respectable au monde : la
demeure des citoyens.
Mais il est d'autres armes dont on doit faire usage. Je ne
veux point examiner ici, en détail, la réglementation si déli-
cate et si complexe de la police des cabarets, ni celle de la
surtaxe des alcools. Ce sont la des matières qui ne peuvent
B
XVIII
être étudiées dans un discours académique. 11 appartient à
nos Députés, a nos Sénateurs, à nos Gouvernants d'envisager
avec soin et de résoudre ces questions. C'est au développe-
ment de l'instruction sous toutes ses formes, c'est a la bonne
éducation à donner aux enfants qu'il faut surtout avoir
recours. Les moralistes, les philanthropes, ces véritables amis
de l'humanité, ont cherché et cherchent à lutter sans cesse.
Sous l'inspiration d'hommes de bien, des sociétés de tempé-
rance se sont fondées un peu partout (i). Des récompenses
sont accordées à la sobriété. Chaque année, l'Académie fran-
çaise décerne des prix de vertu. Les noms des Montyon et
des Gobert sont sur toutes les lèvres et la postérité devra
garder plus pieusement leur mémoire que celle des hommes
qui tuent avec le fer ou le canon.
Ce sont ces œuvres philanthropiques qu'il importe d'encou-
rager, et si, peut-être, elles n'ont pas donné de suite tous
les résultats désirables, ne désespérons pas pour cela, Quand
un mal a des racines aussi profondes et aussi vieilles, il faut
du temps et des efforts pour les extirper. Au lieu de décou-
rager, soutenons donc toutes les œuvres moralisatrices.
S'il est peu d'hommes qui puissent être des Montyon et des
Gobert, tous, dans la mesure de nos moyens, nous pouvons
et nous devons travailler au même but. Luttons de toutes
nos forces contre l'alcoolisme, puisque ce mot est devenu
(') Je ne puis m'expliquer ce qu'a osé écrire M. Renan, il y a quelques
années. J'extrais du travail déjà cité de M. Proal, La Criminalité féminine,
les lignes suivantes : « C'est au moment où l'ivrognerie fait courir a la santé
et à la moralité publique des dangers si inquiétants que M. Renan en prend
la défense, dans les termes suivants : Les sociétés de tempérance, dit-il,
reposent sur d'excellentes intentions, mais sur un malentendu. Au lieu de
supprimer l'ivresse pour ceux qui en ont besoin, ne vaudrait-il pas mieux
essayer de la rendre douce, aimable, accompagnée de sentiments moraux? Il
y a tant d'hommes pour lesquels l'heure de l'ivresse est, après l'heure de
l'amour, le moment où ils sont le meilleur. » Journal des Débats, 7 octobre
1883. — (Correspondant, année 1800, tome III, p. 495.)
XIX
dernièrement tristement français. A nous qui faisons partie
des classes dirigeantes, il est de notre devoir de donner
l'exemple par nos conseils, par notre vie surtout. Si l'ouvrier
nous voit moins fréquenter les cafés ou les brasseries de nos
villes, il n'entrera pas aussi souvent dans les cabarets ou les
tavernes borgnes. S'il nous voit plus rarement attablés à la
devanture des estaminets luxueux, il ira plus rarement aussi
dans les bouges puants des assommoirs de carrefour. S'il
nous voit moins désœuvrés, plus adonnés au travail, lui-
même restera moins oisif, et il travaillera plus gaiement
quand il verra les favorisés de la fortune ne pas rester dans
l'inaction.
Tous, dis-je, quelle que soit notre situation, nous pouvons,
nous devons exercer une influence salutaire. Les femmes
elles-mêmes, Mesdames, doivent nous venir en aide. Vous
n'ignorez pas quelle est votre autorité. C'est sous votre
impulsion que s'accomplissent les grandes choses. C'est
aussi sous votre impulsion que se commettent les grands
crimes. Vous êtes les apôtres du bien et du mal. Vous êtes,
dans une large mesure, les arbitres des destinées des
peuples. Blanche de Caslille, Jeanne d'Albret, ont eu des
fils qui se sont appelés Saint-Louis, Henri IV. Pervertis ont
été les tils d'Isabeau de Bavière et de l'Italienne, l'inspiratrice
de laSaint-Barlhélemy. Aux pieds d'Agnès Sorel, Charles VII
a oublié la Vierge qui mourait pour lui. Au milieu d'ignobles
débauches s'est éteinte la race des Valois et le poignard
du moine Jacques Clément, en frappant le dernier fils de
Catherine de Médicis, n'a fait que hâter la fin d'un prmee
usé par les excès. Si la France de Louis XV ne sait plus
vaincre sur les champs de bataille ; si nous sommes obligés
de subir la honte de Rosbach ; si nous assistons, l'arme au
liras, au partage de la Pologne expirante, nous envoyant son
dernier cri d'agonie : — « Dieu est trop haut et la France est
trop loin ; » — si le pays se uréoarc d'affreuses représailles ;
XX
si des flots de sang vont couler de tous les côtés , la cause
en est, en grande partie, à trois femmes que la postérité a
flétries, en clouant, au pilori de l'histoire, les noms de
jyjrues je Châteauroux, de Pompadour et de Dubarry. Dans
toutes les classes de la société, quel que soit le rang où la
naissance ou la fortune l'ait placée, l'influence de la femme
se fait sentir. Donnez donc, Mesdames, l'exemple aux femmes
du peuple. Faites-leur voir comment vous savez rendre
votre intérieur agréable à vos maris, comment vous savez
élever vos enfants. Gardez ceux-ci dans la voie du bien.
Montrez aux femmes, aux mères des ouvriers et des culti-
vateurs, comment elles doivent s'y prendre. Détournez vos
fils d'être des oisifs, des désœuvrés, des libertins. Inspirez-
leur l'amour du travail. Veillez sur leur conduite. Empêchez-
les de fréquenter les estaminets et les cafés. Retenez-les dans
leurs écarts. Je fais appel à votre cœur, à votre raison. Vous
pouvez être les auxiliaires les plus actives de la lutte que je
prêche. Ne manquez pas a ce devoir.
C'est en effet une croisade universelle, à laquelle je convie
tout le monde. Que tous s'enrôlent sous le môme drapeau !
Que tous le tiennent d'une main ferme ! Que personne ne se
dérobe a l'appel ! Ecrivains dans leurs livres, journalistes
dans la presse, députés a la tribune, avocats a la barre,
magistrats sur leur siège, instituteurs dans l'école, prêtres
du haut de la chaire, femmes au sein de la famille, combat-
tons ensemble le fléau ! De même qu'au Sénat romain, le
vieux Caton s'écriait chaque jour : « Guerre à Cartilage, »
de même, nous, Français du XIXe siècle, ne cessons de
répéter : « Guerre, guerre, sans trêve ni merci, à
l'Intempérance. »
RAPPORT
SUR LES
TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE
DE LA LOIRE-INFÉRIEURE
PENDANT L'ANNÉE 1889-1890
Pau M. le Dr PÉROOHAUD, secrétaire général.
Messieurs,
Ce n'est pas sans appréhension que je viens m'acquitter
de la mission que la Société Académique m'a fait l'honneur
de me confier. Mes prédécesseurs ne m'ont point rendu la
lâche facile.
Oserai-je, comme celui qui fut votre secrétaire général, il
y a deux ans, éluder l'aridité du rapport en lui annexant
les séductions d'une conférence. J'aimerais mieux pouvoir
marcher sur les traces de celui a qui je succède immédiate-
ment, si je pouvais me flatter de savoir comme lui allier la
solidité du fond à l'élégance de la forme; mais ce sont la
des dons de nature qu'il ne faut pas songer à imiter, sous
peine de se faire appliquer un apologue de notre grand
fabuliste.
XXH
Heureusement pour moi, en fait de secrétaires généraux
de la Société Académique, mes souvenirs personnels ne
remontent pas plus loin, car, sans aucun doute, mon
découragement irait croissant avec le nombre de mes
prédécesseurs.
Donc, sans y penser davantage, je ferai de mon mieux.
Je veux compter sur la bienveillance de mes collègues,
parce que je sens que j'en ai grand besoin, et aussi sur la
bienveillance de l'auditoire exceptionnel que cette fête nous
amène; j'y compte, sans y avoir d'autre droit que ma propre
sympatbie et mon respoct pour ce public dont la présence
rend ma tache plus difficile encore. Comment, en effet,
arriver à lui plaire avec des sujets qui n'ont rien de plaisant?
Au moins, ferai-je tous mes efforts pour l'ennuyer le moins
possible.
Permettez-moi, dès maintenant, de remercier les gracieux
artistes qui , l'année dernière , ont bien voulu vous prêter
un concours désintéressé : leur talent , qui a rompu si
agréablement les lectures de votre séance générale, a été
salué par des bravos unanimes. Merci donc a Mlle Blanchos
pour le charme avec lequel elle a su dire la Fiancée du
Timbalier et ce délicieux monologue : Miss Schoking.
Merci à Mlle Marquet, qui a enlevé avec maestria le grand
air si difficile des Noces de Jeannette; à M. Goffoël, dont
la belle voix de ténor, si chaude et si bien timbrée, a mérité
vos légitimes applaudissements. Merci, enfin, à Mlle Ballzinger
dont, près de vous, l'éloge serait superflu.
Avant d'entrer dans le détail des travaux de notre Société,
je dois, suivant l'usage, vous rendre compte des changements
survenus dans notre personnel, dans la composition du Bureau
et dans celle du Comité central.
M. Julien Merland a succédé à M. Andouard, dont le
XXIII
discours, aussi remarquable par l'éloquence que par l'érudi-
tion, enlevait l'année dernière, tous vos suffrages.
M. le Dr Bonamy a été élu vice-président. Vous m'avez
fait riionneur de nie confier les fonctions de secrétaire gé-
néral ;\ M. Francis Merlant a été nommé secrétaire adjoint ;
M. Delteil, trésorier ; M. Guénel , bibliothécaire, et M. Gabier,
bibliothécaire adjoint.
Le Comité central se trouvait constitué de la façon
suivante : MM. Poirier, Linycr et Séineril, pour la Section
d'Agriculture; MM. Lefeuvre, Ollive, Raingeard, pour la
Section de Médecine; MM. de Ghastellux, Le Beau, Orieux,
pour la Section des Lettres; MM. Gadeceau, Gallandreau,
Legendre, pour la Section des Sciences naturelles.
Plusieurs membres nouveaux sont venus grossir nos rangs,
indice certain de notre prospérité et garantie sérieuse de
travail pour le présent et pour l'avenir. Ce sont : M. Emile
Oger, dont vous avez pu entendre dans cette salle, l'année
dernière, proclamer le nom comme premier lauréat de nos
Concours; M. Le Carpentier, substitut; M. Rouche ,
M. Liébault, M. Victor Loyscau; puis toute une phalange
de savants, tous inscrits à la Section de Médecine: M. Douteau,
professeur à l'Ecole de Médecine; MM. les Drs Ecot, Bossis,
Valentin, Landois.
La mort, cette année encore, nous a cruellement éprouvés,
car nous avons perdu deux de nos collègues. M. Julien
Merland a rendu à chacun d'eux l'hommage qui lui était dû.
Scra-t-il permis à votre humble Secrétaire général de déposer
à son tour une couronne sur les tombes à peine fermées où
reposent MM. Manchon et Rouxcl.
M. Manchon était un des vétérans de votre Société; depuis
vingt-sept ans il partageait vos travaux, et nul n'était plus
que lui assidu à vos réunions. 11 a souvent fait partie du
Comité central et a été successivement secrétaire et président
XXIV
de la Section des Lettres. En 18G7, il a été élu vice-président
de la Société, et depuis 1882 il en était le bibliothécaire
adjoint. Hélas! depuis quelques années déjà, les infirmités
ne lui permettaient plus de montrer la même activité qu'au-
trefois; chaque jour sa santé déclinait, mais, jusqu'au dernier
moment, il a conservé cette politesse exquise, celte urbanité
parfaite, qui faisait que jamais il n'abordait quelqu'un de
nous sans un mot aimable et affectueux.
M. Rouxel faisait partie de votre Société depuis l'année
1870. Professeur, d'abord au collège d'Ancenis, puis au collège
d'Angers, il abandonna bientôt la carrière universitaire,
suivit ses penchants et entra dans la marine. Chevalier de
la Légion-d'Honneur, il prit sa retraite en qualité de
commissaire adjoint de la marine et vint se fixer parmi
nous. En outre des nombreux travaux et rapports qu'il
publia soit à la Société de Géographie, soit dans notre
Société, M. Rouxel, dont l'activité était infatigable, acceptait
toujours la tâche ingrate de mener à bien les enquêtes de
commodo et incommodo dont le chargeaient nos munici-
palités. Ce n'est pas tout : dans le quartier populeux et
pauvre qu'il habitait, notre regretté collègue prodiguait
sans compter ses secours et ses conseils; jamais, il n'a
marchandé aux malheureux ni son temps, ni sa peine, ayant
pris pour devise : « qu'il faut savoir faire le bien pour le
bonheur de le faire. »
J'ai hâte, Messieurs, d'arriver aux travaux qui ont si bien
rempli les séances de nos Sections.
Ces travaux sont nombreux et considérables. Les uns,
essentiellement techniques, comme ceux de médecine, par
exemple, ne sont pas susceptibles d'un examen analytique
détaillé, surtout dans une séance publique.
Je dois me borner [tour ceux-là à une appréciation générale
ou même à un simple énoncé, renvoyant à nos publications
XXV
les personnes qui voudraient en faire l'objet d'un examen
plus approfondi. Je pourrai m'arrèter un peu plus sur les
autres, sur les études d'histoire et de critique, sur les œuvres
purement littéraires, sur celles, en un mot, qui sont du
domaine commun à tous les gens lettrés.
Néanmoins, je serai forcé, pour ne pas allonger démesuré-
ment ce rapport, d'être bien plus bref que je ne voudrais.
Très convaincu du mérite des œuvres dont je vais vous
entretenir, je voudrais vous faire partager ma conviction.
Les sujets scientifiques vont nous occuper tout d'abord.
M. le professeur Ménier, un des membres les plus distingués
de la Section des Sciences naturelles, continue ses savantes
et patientes recherches sur les champignons. Les résultats
qu'il a obtenus sont déjà considérables, aussi le Congrès des
'mycologistes vient-il, dans une de ses dernières séances, de
lui accorder, à l'unanimité, la présidence.
Cette année encore, les nombreuses excursions qu'il a
faites ont toutes été aussi fructueuses. Plusieurs nouvelles
espèces de champignons ont été découvertes et décrites.
C'est ainsi qu'il signale deux nouvelles espèces de Lépiotes,
que l'on trouve répandues, l'une, dans les sables du littoral,
depuis Mindin jusqu'à Saint-Brevin, sur les talus destinés à
protéger les vignes contre l'action du vent de la mer-, l'autre,
dans les parties déjà fixées et un -peu herbeuses des premières
dunes, parmi les mousses, les lichens et les graminées.
M. Gadeceau vous a produit de curieux spécimens
ÏÏEuphorbia palustris et de Cirsium eriophorum signalés,
il y a deux ans seulement, dans la Loire-Inférieure.
M. Le Beau a continué ses communications sur les mœurs
du saumon. Il a fait pécher des saumoneaux dans la Basse-
Loire ; comme on en trouve également dans la Haute-Loire,
au Puy, et dans la Vienne, la preuve se trouve ainsi faite
que, contrairement aux assertions des pécheurs, le saumon
XXVI
fraie bien en Loire. Enfin, M. Le Beau vous a lu deux autres
mémoires: l'un, sur la civelle; l'autre, sur les appareils de
M. Bouchon Brandely, pour la culture de l'huître en eaux
profondes. Ces appareils, sorte de cages en fil de fer galvanisé,
maintiennent l'huître à une certaine distance des bas-fonds,
ce qui permet à cet intéressant mollusque de narguer ses
ennemis attachés au sol : moules, astéries, bigorneaux,
perceurs, etc.
L'éminent professeur d'histoire naturelle, M. le Dr Bureau,
aussi habile chasseur que savant ornithologiste, a fait la
capture de deux oiseaux, rares dans notre département, un
ibis falcinelle et une foulque macroule entièrement blanche.
Ces deux oiseaux sont actuellement déposés au Muséum de
Nantes.
Enfin, M. le Dr Viaud-Grand-Marais a pu vous présenter
des crânes d'indiens. Giguayos. Ges indiens vivaient à Saint-
Domingue lors de la découverte de l'île par Christophe
Colomb. En même temps que ces crânes, absolument dolyco-
cépbales, et tout à fait analogues à ceux des Astèques et des
indiens Têtes-Plates, M. le Dr Llénas envoyait à notre collègue
des figurines de terre cuite. Ces figurines, trouvées dans les
mêmes fouilles, sont sans doute des divinités et sont très
remarquables par leur ressemblance avec les divinités
égyptiennes.
J'arrive à rémunération des travaux de la Section de
Médecine. Vous me permettrez, Messieurs, de m'acquitter un
peu sommairement de cette partie de ma lâche; ce n'est pas
que les sujets manquent, mais ils ont un caractère trop
spécial [tour qu'on puisse en parler avec détail dans une
réunion comme celle-ci. Je me bornerai donc à donner une
idée générale de la direction (pie nous avons suivie et je ren-
verrai, pour plus ample informé, à l'excellent compte rendu de
mon collègue et ami, M. le Dr Polo, secrétaire de la Section.
XXVII
M. le Dr Ollivc a traité devant vous plusieurs sujets de
médecine légale.
M. le Dr Bonamy, revenant sur un sujet qui lui est cher,
vous a lu un travail très complet sur le traitement de la
diphtérie par les vapeurs d'eucalyptus. 11 vous a lu également
une très intéressante observation de fièvre lypho-palustre.
M. le Dr Barthélémy, que la Section de Médecine est
heureuse de compter au nombre de ses membres les plus
actifs, nous a rendu compte des maladies contagieuses qu'il
a eu à traiter aux pavillons d'isolement.
M. le Dr Pérochaud vous a rapporté un cas de tétanos
infantile, un autre de myélite antérieure aiguë chez une
enfant de 6 ans.
M. le Dr Boiffin vous a lu les observations de trois opéra-
tions de laparotomie : la première, pour un rétrécissement
du colon ascendant; les deux autres, pour des salpingites
suppurées doubles.
M. le Dr de Larabrie vous a communiqué un mémoire très
intéressant et très consciencieusement étudié sur le traitement
des fibromes utérins par l'électrolyse.
Il me faudrait encore citer les travaux de MM. Ecot, Polo,
Hcrvouët, Attimont; mais je me borne à cette simple énumé-
ration, pour les raisons que j'ai dites plus haut.
Je veux cependant vous dire un mot de l'épidémie qui a
sévi cette année sur noire ville. L'influenza, puisqu'il faut
l'appeler par son nom, s'est montrée à Nantes pendant le
mois de décembre, surtout pendant la seconde quinzaine;
mais son plus grand effort a porté sans aucun doute sur le
mois de janvier. Vous avez beaucoup parlé d'elle à vos
séances. MM. les Drs Barthélémy, Mahot, Ilervouët furent
désignés pour réunir les documents d'un rapport sur la
marche locale de cette épidémie. La rédaction en fut confiée à
la plume alerte de M. Ilervouët. 11 vous a retracé les princi-
XXVIII
paux symptômes observés et vous a montré que la dépression
nerveuse , ['asthénie , semble en avoir été le caractère
dominant. L'élément catarrbal n'a pas été constant; il
a même manqué chez bien des malades , et pourtant
ce sont ces déterminations broncho-pulmonaires qui ont
été les complications les plus graves , souvent même
mortelles.
Ce sont ces raisons qui ont porté un grand nombre de nos
collègues à émettre un doute sur la nature de celle affection.
En effet, elle ne rappelait en rien la grippe, celle du moins
que nous avons l'habitude d'observer sous ce nom. Aussi,
le savant rapporteur de la Commission a-t-il été bien inspiré
dans sa discussion sur la nature de cette épidémie; il admet
plusieurs variétés de grippes, maladies infectieuses; la
maladie que nous avons observée en est une variété.
Nous venons, Messieurs, de jeter un coup d'œil rapide
sur les travaux d'histoire naturelle et de médecine. Il me
reste à vous entretenir de travaux purement littéraires,
comprenant des œuvres de critique, de poésie, d'histoire.
Commençons par la critique.
M. Emile Oger, dont je suis heureux de retrouver une
fois de plus le nom sous ma plume, vous a lu une élude
très approfondie sur un roman de notre collègue Mme Uiom,
la.Houn. Dans ce style vif et léger qui lui est familier,
M. Oger vous a donné une analyse très complète des amours
de Pierre Cassabère et de Jeanne Caste! . Ils veulent s'unir,
mais la mère de Pierre, une femme de tête, à défaut de cœur,
s'y oppose. Jeanne n'a rien. Par cupidité, elle force son fils
à épouser la marraine de Jeanne ; celle-ci est vieille ,
mais elle est riche, et Pierre consent. 11 consent, puis il
part; il part pour l'Amérique, espérant à son retour être
libre et épouser alors sa Jeanne bien aimée. Mais, hélas! il
n'anïvr que pour assister à l'enterrement de Jeanne la jeune:
XXIK
le bon Dieu s'est trompé; la marraine vivait! la filleule était
morte.
Ce roman est donc triste; mais comme le fait remarquer
mon aimable collègue, « ce n'est pas seulement une tristesse
poignante, une mélancolie à faire pleurer qui se dégagent
de l'œuvre de Mme Riom, c'est, avec le châtiment final, une
haute et éloquente leçon. •>
Mais M. Emile Oger n'est pas seulement un critique érudit,
c'est encore et surtout un poète. Il vous a lu, cette année,
sous un titre frais et coquet, Ocèanes, de gracieuses marines
qui, sous forme de sonnet, sont dessinées par un amoureux
sincère de nos dunes bretonnes. On y respire un peu de
celle acre senteur qu'exhalent les varechs et les goémons,
et certains de ces petits tableaux, riches en couleur, font
heureusement augurer de l'avenir poétique de noire jeune
collègue.
Dans Haines et pitié, je remarque surtout une pièce
patriotique : « Sous escorte. » Il s'agit d'une française qui
vient d'enseigner à son fils la haine de l'envahisseur. Ces
vers nous prouvent que les jeunes français de notre temps
ne ressemblent pas tous au personnage de La lutte pour la
vie. Us nous reportent presque à l'époque de fièvre où
M. Emile Bergerat chantait Les cuirassiers de Reischoffen,
M. André ïheuriet Les paysans de VArgonne, M. Catulle
Mendès La colère d'un franc tireur.
Enfin, tout dernièrement, M. Oger nous a lu sous le litre :
Les deuils, de délicieuses poésies. Ces belles pages doivent
être lues tout entières, et je crains de commettre une
véritable mutilation en vous en extrayant un passage. La
longueur de ce rapport , qui a peut-être déjà fatigué votre
attention, me met dans la nécessité de .vous en citer seu-
lement quelques strophes.
Je choisis au hasard les deux suivantes :
XXX
L'HERBIER.
Mon herbier est un reliquaire,
Et les reliques, — simples fleurs, —
Longtemps ont gardé mon mystère:
Chaste amour, suprêmes douleurs.
Elles ont, sûres confidentes,
Entendu le trop lourd secret,
Les folles prières ardentes,
Les cris d'espoir ou de regret.
Par elles, j'ai pu tout relire:
Sourires clairs, jeunes aveux.
Par elles, souffrir ce martyre
Dont je mourrai, mais que je veux.
Ne portent-elles point encore
La trace du doigt parfumé
Très pur, très fin, couleur d'aurore,
De l'ange saintement aimé?
El n'ai-je point dans leurs pétales
Rêvé le ciel de ses grands yeux,
Son front aux clartés virginales,
Ses cheveux blonds, son cou neigeux !
Pauvres fleurs, vous êtes flétries :
Mais, vous restez ce souvenir
Que dans les mornes rêveries
Ma lèvre sait toujours bénir.
Pauvres douces (leurs, je vous aime
Et sans couleurs et sans parfums.
Je vous aime, tombeau suprême
Du passé, des espoirs défunts.
XXXI
GOUTTES D'EAU.
Je sais un roc étrange, au bord de flots lointains.
De ses flancs brunis par les saisons, goutte à goutte,
Une eau s'épanche et, claire, en zigzags incertains
Sur le sable creusés, coule et s'égare toute.
Je sais une jeune âme où, sans jamais tarir,
Une larme bruit, larme deux fois sacrée,
Larme d'amour rêvé, larme de souvenir
Que toi seule pourrais boire, ô douce adorée.
Des pêcheurs vous diront le mystère du roc.
— u La lame, ce jour-là, menaçait. De la grève,
» On nous guettait avec, dans le cœur, ce tic toc
» Qui précède un malheur, qui suit un mauvais rêve.
» Mais nous rentrions tous, tous sauf un matelot.
» La veuve devint folle. ■ — Et cette pauvre femme
» Venait ici souvent. — Elle parlait au flot,
» Lui réclamait son homme, ou le traitait d'infâme.
» Un soir, conduits par Dieu, les vents et l'Océan
» Ont jeté les galets de la côte sur elle,
» Et, pour l'ensevelir, fait ce tombeau géant.
» Et la folle, malgré la mort même, fidèle,
» Verse des pleurs — cette eau, — de son regard ouvert
» Dans l'ombre. Qui pourrait expliquer qu'on entende
» Des sanglots, par les nuits obscures, nuits d'enfer,
» Retentir, lourds d'angoisse, au large et sur la lande?
Et l'âme? Son secret? N'ai-je point trop souffert?
XXXII
M. Francis Meriant, mon aimable voisin, vous a lu une
charmante nouvelle , Erdra ou la légende de l'Erdrc.
M. Loyseau vous a fourni une remarquable étude philoso-
phique sur la douleur. L'auteur prend la douleur sous ses
différents aspects : au point de vue moral et au point de
vue physique. Il étudie ses ravages et aussi les différents
remèdes que la science a essayé d'y apporter, pour en
tirer des conclusions de la plus haute moralité.
M. Maître, qui, vous le savez, Messieurs, est un chercheur
insatiable, vous a lu une étude très approfondie sur « Les
Chatelliers en Bretagne. »
Les Chatelliers et tous les ouvrages en terre sous forme
de buttes ou de retranchements ont été considérés jusqu'ici
comme des travaux militaires destinés au campement des
troupes ou à la stratégie. M. Léon Maître, en étudiant la
topographie du pays de Blain et ses richesses naturelles, a
remarqué que le plus souvent, les prétendus camps très
multipliés au nord de notre département et rares au sud,
accompagnent des dépôts de scories de fer ou des gisements
à exploiter. Il en a conclu que les ouvriers se retranchaient
dans ces enceintes mal définies jusqu'ici. L'une d'elles, qu'il
a fouillée avec soin, lui a donné un foyer et du minerai
travaillé. Il prouve d'ailleurs que la situation de beaucoup
de Chatelliers est tout a fait défavorable au point de vue
militaire et que leurs fondateurs ont été plus préoccupés de
se rapprocher des cours d'eau et des contrées forestières
(pie de (aire des postes d'observation. 11 résulte de ce fait
que la conquête romaine dans notre pays a été plutôt une
occupation industrielle et commerciale qu'une entreprise
guerrière et brutale.
Notre éminenl collègue M. Orieux a continué ses recherches
sur la Contrée guérandaise devant l'histoire ancienne.
L'année dernière il nous avait parlé de Grannone qu'il
XXXIII
plaçait à Bayeux ; cette année il aborde l'élude du Porl-
Brivale qu'il place dans l'estuaire de la Vilaine.
En effet , au temps de Grégoire de Tours, la Vilaine
s'appelait Vicinonia. Ptolémée, qui mentionne lePort-Brivate,
fixe sa situation entre la Loire au sud et YErius au nord.
Or, l'Erius répond a la rivière d'Auray, et le Port-Brivate
répond sur la Vilaine, aux données de Ptolémée.
D'un autre côté, en parlant de l'affaissement du sol de
notre littoral, l'auteur de la Contrée guérandaise pense qu'au
temps de Ptolémée, le trait du Groisic était au-dessus
du niveau de la mer. On trouve en effet sur ce terrain des
chênes, des monuments de pierre, des armes, des monnaies,
des ustensiles de ménage. Or, comme nos ancêtres les
Celtes plaçaient leurs monuments hors des eaux, que les
chênes ne poussent pas sous l'eau, il s'ensuit que ce terrain
était -au-dessus du niveau des eaux lorsque les arbres y
sont nés, lorsque les pierres celtiques y ont été placées.
L'affaissement du sol ne se serait produit que plus tard,
vers l'an 267.
Parmi les noms anciens qu'on attribue a cette contrée,
M. Orieux ne voit guère que celui de Veneda qui puisse
s'appliquer à Guérande.
Je ne puis suivre le récit de notre collègue, et je dois
laisser de côté la situation de Cariacum et celle de l'abbaye
de Tincillac pour arriver sans retard à la mystérieuse
Corbilon. M. Orieux croit, dans l'état actuel de la question,
qu'il est absolument impossible d'affirmer que Corbilon fut ici
ou qu'il fut là. Il hasarde cependant une opinion, et, de
déduction en déduction, il arrive à émettre cet avis que
Corbilon pourrait être cherché à une lieue de Nantes, sur
la rive gauche du fleuve, vers un lieu appelé Corbon. Après
la ruine de leur ville, les habitants de Corbilon ont dû
chercher à la remplacer dans le voisinage et c'est alors
c
XXXIV
qu'ils ont fini par concentrer leurs affaires à Nantes, alors
une simple bourgade de pêcheurs admirablement située au
confluent de deux rivières.
Ce travail remarquable fait, Messieurs, le plus grand
honneur à notre Collègue, et vous me permettrez de lui
adresser en votre nom, mes plus sincères félicitations.
Un jeune poète, M. Dominique Caillé vous a lu celte
année trois pièces de vers : Son autobiographie littéraire,
un sonnet sur Louis XIV aux dunes, d'après le tableau
de Tatlegrain. Enfin une petite poésie : Les Mésanges de
l'Enfant Jésus.
Je n'ai pas l'intention de vous analyser ces œuvres, de
vous en expliquer le charme, de chercher à pénétrer le secret
de leur pouvoir sur l'âme du lecteur. Pour qui a lu : Au bord
de la Chèzine, Parisina, Sous la Tonnelle, Lever
d'Étoiles, toute nouvelle composition de M. Dominique
Caillé est accueillie avec bonheur. Les vers de notre collègue
sont ciselés avec une dextérité qui ne leur enlève ni la grâce,
ni rémotion. Ce sont, comme on dit aujourd'hui, des mor-
ceaux d'anthologie, dont la très élégante facture témoigne
d'un poète qui connaît a merveille les règles de la prosodie
moderne. Quels délicieux sonnets nous lui devons! Quelles
perles poétiques il sait enchâsser dans ses belles rimes d'or!
Ecoutez plutôt cette charmante poésie :
LES MÉSANGES DE L'ENFANT JESUS.
Marie était assise au seuil de sa demeure
Et tournait son fuseau lourd de laine en songeant ,
Et Joseph se courbait sur le rabot, à l'heure
Où le petit Jésus jouait avec saint Jean.
Jésus dans ses doigts blancs prenait un peu de fanges
Sur le bord d'un vieux puits, au milieu de la cour,
Sa main en pétrissait de légères mésanges
Que son souffle envoyait dans l'azur tour à tour !
XXXV
Comme Jean stupéfait admirait ce prodige ,
Jésus lui dit : Mon souffle en tout temps, en tout lieu,
Redonnera la vie au lys mort sur sa tige
Et fera s'envoler les âmes au ciel bleu.
Il me reste à vous parler de deux ouvrages de M. Alcide
Leroux : une pièce de vers et un récit de voyage écrit en
prose. Mais cette prose, Messieurs, comme elle est belle;
avec son superbe coloris, avec le souffle éloquent qui l'anime,
nous sommes tentés de la prendre pour de la poésie, à laquelle
seule la rime ferait défaut. C'est l'impression du moins que
m'a laissée la lecture de son Voyage en Palestine.
Cette année, notre collègue nous a conduits au bord de ce
lac fameux qui s'appelle la Mer Morte. Rien de pittoresque et
de varié comme cette excursion h travers les montagnes nues
de la Judée, au bord du lit desséché du Cédron, sur ces
rives lugubres et continuellement dévorées par le soleil. Le
monastère grec de Saint-Sabas et quelques tribus de Bédouins
animent seuls aujourd'hui ceUe solitude qui servit longtemps
d'asile à des légions d'anachorètes. A l'extrémité de ce désert,
qui commence à Jérusalem, se trouve la Mer Morte, dont le
nom soulève tant de questions, aussi intéressantes pour la
science que pour l'histoire. La Mer Morte impressionne le
voyageur rien que par son aspect ; pour vous en donner une
idée, je ne saurais mieux faire que de vous citer quelques
lignes de la description que nous en a tracée M. Leroux.
« Instinctivement, je m'arrêtai devant celte masse d'eau
entourée de rivages sinistres et de lugubres souvenirs. La
nappe liquide dormait lourdement et semblait inerte et
huileuse. Néanmoins, elle était bleue et paraissait limpide.
Le sable fin et terne était semé de fragments de bitume
arrondis par le frottement; nul débris de coquillage ou de
plante marine ne s'y trouvait mêlé. En face, et a peu de
distance, la ligne rouge, abrupte, des montagnes de Moab,
XXXVI
formait une Longue muraille couleur de fer rouillé, à peine
ébréchée, à peine ondulée à son sommet. A droite, se
dressaient les cônes desséchés et grisâtres des monts de
Judée. Entre ces deux lignes de hauteurs qui ne se ressem-
blent que par leur aridité horrible, la Mer Morte se déroulait
monotone et engourdie jusqu'à une distance de vingt-cinq
lieues. Un soleil de plomb laissait tomber à flots ses rayons
sur ces flancs de montagnes éternellement brûlés, et la
chaleur accumulée depuis des milliers d'années au fond de
ce gouffre pesait comme un fardeau sur la surface unie et
tiède. D'ailleurs, aucune brise, aucun souffle ne venait troubler
l'eau et l'atmosphère dont l'immobilité semblait inébranlable.
Pour distraire le regard, rien sur celle mer désolée: pas une
voile, pas une barque, pas un oiseau; rien sur ce rivage
qu'une longue traînée de branches mortes et brisées, blanches
comme l'ivoire, dont l'enchevêtrement désordonné formait
comme une ceinture d'ossements autour de l'empire de la
mort. »
Laissez-moi maintenant, Messieurs, détacher quelques vers
de la poésie que M. Leroux vous a lue à une de vos dernières
séances : Le Parthénon. De tous les nombreux voyages
qu'il a faits en savant et en poète, notre collègue nous a
rapporté des tableaux saisissants; il nous a initiés aux splen-
deurs de la Grèce antique. Il a vu Athènes, il a visité ses
ruines superbes, les temples de Gérés et d'Hercule, le
gymnase de Mercure , les Gynosargcs , l'Olympieum ,
l'Erectheum, les Propylées, mais surtout le Parthénon. La
plus grande partie de ces temples est dédiée a Minerve.
S'il demande à quels dieux tous ces temples, hélas!
Brisés appartenaient, on lui dit : A l'allas !
A l'allas l'Erecthée ! à l'allas le l'androse,
Le temple où la Victoire, oisive, se repose ,
Enfin, le Parthénon, source de la beauté,
XXXVII
Où, depuis doux mille ans, puise l'humanité !
A Pallas Atliènè, ce. travail de génie,
Où perce en longs reflets la raison infinie !
A la Vierge Pallas, ce divin monument
Qui, de l'idéal même, est un rayonnement.
Et noire collègue termine par cette apostrophe à Minerve :
Qui donc es-tu , Pallas? N'es-tu qu'une déesse
A peine supérieure à l'humaine faiblesse ?
Qu'une divinité soumise aux passions
Comme les dieux communs aux vieilles nations?
Non, tu n'es pas cela ; mystérieux emblème,
Image sans défaut de la splendeur suprême ,
Tu résumes en toi les attributs divins
Qu'Atbène entrevoyait par ses grands écrivains ;
Tu résumes en toi l'éternelle Sagesse ,
L'éternelle clarté dont le regard s'abaisse
Jusqu'à l'homme et l'éclairé en son épaisse nuit.
Au milieu des éclats du plaisir qui s'enfuit
Tu règnes triomphante, impassible, immoitelle,
Môme après deux mille ans, tu nous apparais, telle
Que t'honoraient les Grecs, inclinant leurs cimiers
Au milieu de leurs dieux, tous rangés à tes pieds.
Aussi nous, nous à qui s'est enfin révélée
La divine pensée à nos yeux dévoilée,
Nous t'aimons, ô Pallas, comme un premier rayon
Annonçant le soleil caché sous l'horizon.
Je termine, Messieurs, car j'ai peur d'abuser de vos
instants ; et pourtant, quoique long, ce rapport est encore
bien incomplet ; la faute en est aux nombreux travaux que
j'ai eu à vous présenter. Gomme nos pères ont travaillé,
nous continuons à le faire ; et si mes paroles n'ont pas trahi
ma pensée, si j'ai pu faire briller suffisamment à vos yeux
le mérite des œuvres sorties de notre sein, vous penserez
avec moi, que cette année encore, la Société Académique
est digne de ses prédécesseurs.
RAPPORT
DE
LA COMMISSION DES PRIX
SUR
LE CONCOURS DE L'ANNÉE 1890
Par M. Francis MERLANT, secrétaire adjoint.
Messieurs,
La Société Académique est heureuse de constater qu'un
nombre important de candidats a voulu, cette année, briguer
ses suffrages.
Le Concours comprend en effet quinze ouvrages tant en
prose qu'en poésie : un seul a dû être écarté comme ne
remplissant pas les conditions nécessaires pour avoir le
droit même d'être cité.
Je, vous parlerai tout d'abord de deux volumes imprimés.
Le premier a pour titre: « M«r Hidel, évoque de Philippopolis,
vicaire apostolique de Corée, d'après sa correspondance. »
Mte1 Hidel naquit à Chantcnay, aux portes de Nantes ;
dès son enfance il manifesta sa vocation religieuse et à
peine ordonné prêtre, il embrassa la carrière si pénible du
missionnaire.
XXXIX
Noble cœur, avide de dévouement, il part pour la Corée
dont il veut être l'apôtre. Là il eut a lutter contre toutes les
difficultés d'un pays inconnu et contre toutes les hostilités
d'un peuple païen. Poursuivi, traqué, torturé même, il dut
fuir plusieurs fois cette terre arrosée du sang de ses confrères
martyrs, mais il y revint toujours avec une nouvelle et
infatigable ardeur.
Sacré évêque par le pape Pie IX, il regagna son poste
devenu de plus en plus périlleux, pour rentrer quelques
années après mourir en France le corps brisé, mais l'âme
heureuse d'avoir accompli une si noble mission.
Celte vie est racontée dans un style simple et rapide ;
les lettres de l'Evêque missionnaire habilement enchaînées
forment pour ainsi dire la trame du récit ; de nombreuses
anecdotes semées cà et là augmentent le charme de la narration
et en soutiennent l'intérêt. Tout d'abord l'on pourrait penser
que le travail de M. l'abbé Piacentini n'est qu'une compi-
lation heureuse, qu'un arrangement ingénieux de la corres-
pondance de Msr Ridel. Pour mener sa tâche à bonne fin,
l'auteur a dû nécessairement puiser dans la collection im-
portante des lettres de l'évêque; mais il faut aussi voir
là un travail personnel, une élude approfondie d'un pays
peu connu jusqu'à ce jour. Les descriptions géographiques
de la Corée, la peinture des mœurs de ses habitants et
de la diplomatie de ses gouvernants donnent à cet ouvrage
une réelle valeur.
M«r Ridel, Messieurs, est notre compatriote ; grâce à
M. l'abbé Piacentini, son souvenir ne périra pas parmi nous,
aussi la Société Académique est-elle heureuse de remercier
l'auteur et de lui décerner une médaille de vermeil.
M. Olivier de Gourcuff envoie au Concours un recueil de
poésies « Le Rêve et la Vie. »
C'est une tâche à la fois agréable et facile pour le critique
XL
d'avoir à se prononcer sur un semblable livre, car il n'y
a que des louanges à faire. « Le Rêve et la Vie, » qui a eu
l'honneur d'une préface de M. Jules Simon, est une suite de
poésies qui roulent pour la plupart sur des sujets bretons.
On y retrouve constamment le l aient déjà bien connu de
l'écrivain et en plus une véritable verve poétique.
Vous pouvez en juger par celte pièce si gracieuse :
NOËL ANCIEN.
Salut, fêle jolie et la plus poétique
0 Noël triomphant.
Où Dieu, préférant aux palais un toit rustique,
S'est fait petit enfant !
Dans un pauvre taudis le Sauveur vient dé naître,
Souriez, vastes cieux !
Humble et chétif, voici le Roi, voici le Maître ,
Résonnez, chants joyeux.
Ange, sur son front pur, ouvrez vos blanches ailes
Jaloux de l'adorer.
Bergers et paysans, cœurs naïfs et fidèles
Venez le célébrer.
Bourgeois, au couvre feu, gagnez votie demeure,
Rentrez chez vous sans bruit.
Chauffez-vous et veillez, bientôt tintera l'heure
La messe de minuit.
Sur son biniou plaintif, un gars breton, un paire,
Qui se nommait Noël,
Chantait ces airs, tandis que crépitait dans l'àtre
La bûche de Noél.
Votre Commission, Messieurs, décerne à notre compatriote
une médaille d'argent grand module.
Nous passons maintenant aux manuscrits en commençant
par la poésie. Je demande pardon aux auteurs de ne parler
XL!
qu'assez brièvement de leurs ouvrages, retendue du Concours
ne me permettant pas d'abuser de la bienveillante attention
de l'auditoire.
Voici d'abord des « Bégaiements, » poésies fugitives.
A la lecture de ce recueil, on ne peut s'empêcher de dire :
voilà l'œuvre d'un jeune. Ils respirent la jeunesse en effet,
ces vers charmants, d'une tournure agréable et surtout
d'une délicatesse presque naïve mais voulue, qui en fait le plus
grand mérite. La facture n'est peut-être pas parfaite, on y
rencontre quelques négligences, mais ce sont des défauts
sans gravité et bien vite oubliés.
Ecoutez ces deux poésies :
QUAND JE SERAI VIEUX!
Quand je serai vieux, quand tu seras vieille,
Que le temps aura blanchi nos cheveux,
Parles soirs d'hiver, les soirs où l'on veille,
Nous nous redirons les premiers aveux !
Et puis au printemps, qu'avril ensoleille,
Dans les sentiers verts nous irons tous deux
Quand je serai vieux, quand tu seras vieille,
Que le temps aura blanchi nos cheveux.
Et nous sourirons aux gais amoureux,
Jeunesse à la nôtre en tous points pareille,
Qui s'en vont courir dès l'aube vermeille :
Et nous prierons Dieu pour qu'ils soient heureux
Quand je serai vieux, que tu seras vieille !
PRIÈRE POUR UNE MÈRE DONT L'ENFANT VA MOURIR.
Mon Dieu, laissez l'enfant à la mère qui pleure,
Pourquoi faudrait-il donc que ce cher ange meure.
11 est si joyeux et si beau !
Laissez-le vivre encore et cachez ce tombeau !
XLII
Laissez car ce pauvret l'ut sa seule espérance !
Elle endura pour lui bien souvent la souffrance
Sans se plaindre jamais a vous.
Et quand c'était pour lui, souffrir lui semblait doux!
Laissez et rendez vite au chérubin qui râle
Des couleurs pour orner son petit front si pâle
Et que tous deux en l'avenir,
En s'embrassant, Seigneur, ils puissent vous bénir.
N'est-ce pas là le véritable souffle poétique ? L'expérience
qui ne s'acquiert, en poésie comme en toute autre chose,
qu'avec l'âge, manque à l'auteur ; encore un peu de temps
et de travail et il arrivera presque à la perfection. Que la
médaille d'argent grand module soit un encouragement, en
même temps qu'une récompense pour ses « Bégaiements. »
C'est encore un jeune sans doute, l'auteur des « Sonnets
pour les Demoiselles; » charmant recueil où les sujets
nouveaux et bien choisis ne tombent pas dans la banalité si
redoutable pour les débutants. L'exécution ne laisse rien à
désirer et l'on sent là un véritable poète qui mène habile-
ment sa rime, plutôt que sa rime ne le mène.
Je vous citerai un sonnet double, ingénieux dialogue en
vers :
LE BAPTÊME DES CLOCHES.
Alice M * * *
LES JEUNES MARRAINES.
L'heure s'avance. Il faut que nous partions enfin,
Mais nous avons voulu vous contempler encore
Avant que vous montiez dans le clocher sonore
Où l'on fera vibrer vos grosses voix d'airain.
XLIH
C'est que nous les aimons, nos filleules nouvelles,
Et, pour solcnniscr vos premiers tintements,
Nous n'avons lien omis, ni les fines dentelles,
Ni les flambeaux, ni l'or des divins ornements,
Ni les fleurs, ni le ehœur des hymnes triomphales.
Et, sous les vieilles nefs des riches cathédrales,
On n'en fêta jamais avec autant d'amour.
Mais vous, quand vous serez là-haut, graves et seules,
Vous rappellerez-vous de nous, brunes filleules,
Et ne ferez-vous rien pour nous à votre tour ?
Et les cloches de répondre a leurs jeunes marraines
u. .
LES CLOCHES.
Belles, rassurez-vous, nous vous aimons de même,
Vous reviendrez parmi les fleurs et les flambeaux,
Tremblantes de bonheur sous le saint diadème,
Et nous vous chanterons nos refrains les plus beaux.
Puis, lorsqu'en souriant l'aïeule grise et blême,
Avec un chérubin viendra sous ces arceaux.
Nous sonnerons encor pour un autre baptême,
Nos plus gais carillons tombent sur les berceaux.
Tranquillisez-vous donc, adorables marraines !
Et, quand vous fermerez vos paupières sereines,
Pour le dernier sommeil, toutes ;i petits coups,
Rythmant plaintivement le psaume et la prière,
Nous tinterons un glas si discret et si doux,
Qu'il n'éveillera pas les mortes dans la bière.
Voilà , Messieurs , deux poésies empreintes d'une douce
mélancolie, qui, à elles seules, méritent aux « Sonnets poul-
ies Demoiselles » une médaille d'argent grand module.
XLIV
Sous ce lilre : « Coccinelle, d nous avons reçu un ensemble
de pièces dont les principales sont : « Le Pinson, l'Oiseau,
la Sensilive, le Petit Breton. •> Nous y trouvons une grande
facilité de versification ; il est regrettable que quelques
incorrections et expressions mal choisies se soient glissées
dans plusieurs morceaux.
« Le Petit Breton » est une poésie gracieusement racontée.
LE PETIT BRETON.
Le Petit Breton, l'arme sur l'épaule,
Le long des vieux quais traîne son pas lourd.
C'est le premier soir qu'il se voit si drôle
A faire le guet au pied de la tour.
Il songe au pays, aux enfants de Dole,
A son dur labeur, aux champs d'alentour,
Aux enlacements, le soir sous le saule,
Et son œil s'emplit de larmes d'amour.
Mais un bruit s'éveille. Il tremble, il écoute.
Rien ne brille, rien ne longe la route.
La prison s'endort, les volets sont clos.
Votre Commission, Messieurs, accorde à l'auteur une
médaille de bronze.
Nous passons à un recueil de sonnets précédés d'une
pièce de plus longue haleine sur Carnac, où le poète évoque
les souvenirs et les légendes que rappellent tous ces « fiers
menhirs toujours mystérieux. » « Le mont Saint-Michel, »
« Le Mariage à Saint-Marc, » « Quentin Matsys, » sont des
morceaux irréprochables au point de vue de la forme. Ce
sont des sujets historiques, toujours très difficiles à traiter
pour un poète. Le nôtre a toutefois tiré bon parti tout
spécialement de l'histoire si touchante de Quentin Matsys,
XLV
ce maître flamand, tour à tour forgeron, sculpteur et
peintre :
Délaissant pour jamais, nous dit-on, l'enclume et le ciseau,
Pour celle qu'il aimait, il saisit le pinceau.
D'un simple forgeron, l'Amour fit un Apelle.
Une médaille de bronze sera la récompense bien méritée
de ces sonnets presque sans défaut.
« Le Mal du pays » comprend une série de sonnets (le
sonnet est, vous le voyez, Messieurs, plus que jamais a la
mode) dont le second « A Michel Columb » inspiré par ce
merveilleux tombeau des Carmes, qui est peut-être la plus
grande richesse artistique de notre cathédrale, se termine
très heureusement par ces strophes :
D'un prince, ce tombeau rappelle la mémoire,
En voyant le chef-d'œuvre élevé pour sa gloire
Qui ne sent un regret en son âme frémir !...
Sculpteur, qu'une auréole immortelle environne.
Plus grand par ton talent, que lui par sa couronne,
C'est dans ce monument que !u devrais dormir !
« Excelsior » « Ange et Femme, » pièces mélancoliques
et tendres, et dans un autre genre les vers sur « l'Alsace »
animés d'un véritable souffle patriotique, méritent également
d'être cités.
Une mention honorable est accordée a l'auteur de ce
recueil.
« Les Rêveries » contiennent des poésies d'une bonne
facture et d'une haute moralité. Le poète, on le sent à la
lecture de ces vers, est une âme remplie des sentiments les
plus délicats et les plus élevés. Tantôt, c'est une souffrance
qu'il cherche h consoler. — Condoléances à M***, à l'occasion
de la mort de son époux ; — plus loin, c'est une suite de
XLVI
pensées graves et philosophiques inspirées par le spectacle
du trépas — Méditation auprès d'une couche funèbre.
A ce manuscrit est jointe une spirituelle fantaisie médico-
littéraire : « Les Microbes. »
Rendons justice a la patience absolument bénédictine qu'il
a fallu a l'auteur pour mener à bonne fin l'exécution de ses
« Microbes, » car si, en poésie, il est toujours facile de trouver
une rime à amour ou à bonheur, la tâche est rude lorsqu'on
se heurte à des expressions comme « pneumocoque ou
stomatite. »
Les « Rêveries » et « Microbes » reçoivent une mention
honorable.
Je termine, Messieurs, la poésie, en vous rendant compte
de deux manuscrits que votre Commission n'a pas cru devoir
récompenser.
Le premier, intitulé « Le Travail, » contient trois morceaux
dont la forme est passable, mais dont le fond manque de
relief. Nous conseillons au poète d'aborder des sujets moins
ternes et il n'y a pas à douter que, dans un .prochain
Concours, il ne remporte une juste récompense.
L'auteur du dernier manuscrit « Satyres, » serait-il un
désespéré de la vie ? On semblerait le croire à la lecture de
ses poésies, et puisque lui-même nous avoue qu'il préfère le
fouet à la louange, je lui parlerai avec la plus grande
franchise et lui dirai :
Il faut être maître dans l'art pour toucher à la satyre.
Horace et Boileau ont admirablement réussi là où d'autres
bons poètes ont piteusement échoué. Avant dune de vous
lancer dans une carrière aussi ardue et de vous armer de la
marotte de Triboulet, repassez un peu, je vous prie, les
règles de votre prosodie.
Je vous parlerai maintenant, Messieurs, des manuscrits en
prose du Concours.
XLVII
« De l'amélioration des logements d'ouvriers dans ses
rapports avec le rétablissement de l'esprit de famille. »
Tel est le titre d'une étude philanthropique qui débute par
un tableau saisissant de ,1a misère qui dévore la classe
ouvrière dans « ce Paris, si brillant, la tête et le cœur de la
France, le pivot de la civilisation, mais aussi le sein de
misères atroces et de vices immondes. » L'auteur dont
nous venons d'emprunter les expressions nous montre la
détresse engendrant le crime et le crime augmentant la
détresse. Il cherche le remède à ce malheur de notre société
et croit le trouver dans l'amélioration des logements
d'ouvriers. Cette question, il la met au premier rang pour
le bonheur de l'Etat, « car, dit-il avec raison, la question
ouvrière est une question vitale dont la solution prime
toutes les autres. »
Pour la résoudre, notre économiste propose quelques
moyens, dont, voici les principaux : Décentralisation manu-
facturière; création de maisons-casernes, ou mieux, de
cottages, pour mettre les habitants à l'abri d'une promiscuité
pernicieuse; formation de Sociétés ayant ce but, par l'asso-
ciation de capitalistes qui favoriseraient autant que possible
dans ces constructions l'épargne de la classe ouvrière.
Rien de plus pratique que ces conclusions, et leur appli-
cation, déjà tentée dans une mesure plus ou moins grande
par les œuvres philanthropiques qui commencent à s'élever
en France et en Angleterre, a produit d'heureux résultats.
En dehors des qualités remarquables du style, je ne saurais
trop faire ressortir la grandeur de l'idée du sujet. Aussi, la
Société Académique, reconnaissante a l'auteur de sa commu-
nication, lui décerne-t-elle une médaille d'argent grand
module.
Un mémoire sur l'agriculture dans la Loire-Inférieure nous
fait un exposé précis et rapide de la situation de notre
XLVIII
département, au point de vue de sa production et surtout de
son administration agricole, que l'auteur divise en trois
genres d'exploitation: la location à prix déterminé, la culture
par colonat et la mise en culture par le propriétaire lui-
même.
Les idées de ce travail sont nettement exprimées, et le
mémoire obtient une médaille de bronze.
Sous le titre de « Notes et Souvenirs, » nous avons un
recueil de six nouvelles, dont une principalement mérite
d'être citée : « La Couronne. » La narration en est simple,
bien conduite, et l'idée originale. Notre conteur a l'habitude
de la plume , il la conduit habilement ; mais, qu'il prenne
garde à sa trop grande facilité qui l'exposerait peut-être a
des longueurs nuisibles à l'intérêt de ses récits.
La Commission lui accorde une mention honorable.
« Les Contes de la Loire-Inférieure » est un manuscrit en
prose joint aux sonnets dont je vous ai parlé précédemment:
« Mont Saint-Michel, Quentin Matsys, » etc. Ce sont des
notes recueillies par un observateur ami de la légende.
Pourquoi ne nous les a-t-il pas présentées sous une forme
plus littéraire; il se contente d'une simple énumération,
quand il avait sous la main des sujets si féconds et si
intéressants.
Votre Commission, cependant, lui sait gré de sa bonne
volonté de chercheur et lui décerne une mention honorable.
J'ai terminé, Messieurs, l'exposé du Concours de cette
année. Nous sommes heureux de constater son importance ;
espérons que le prochain ne le cédera en rien à celui-ci et
que de nombreux candidats viendront mériter vos suffrages
et vos applaudissements.
CONCOURS DE 1890.
RÉCOMPENSES DÉCERNÉES AUX LAURÉATS
PAR LA SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE.
Médaille de vermeil,
M. l'abbé Piacentini, pour son ouvrage : M%T Ridel, évéque
de PhilippopoliSj vicaire apostolique de Corée, d'après sa
correspondance.
Médailles d'argent (grand module),
M. Olivier de Gourcuff, pour son volume de poésies :
Le Rêve -et la Vie.
M. Aymerillot (E. Marchand), pour ses poésies : Sonnets
pour les Demoiselles.
M. Emile Blandel, sous-officier au 65e de ligne, pour ses
poésies : Bégaiements.
M. Michel Loueneau, pour son ouvrage : De l'améliora-
tion des logements d'ouvriers dans ses rapports avec le
rétablissement et l'esprit de famille.
Médailles de bronze,
M. Emile Métaireau, sous-officier au 65e de ligne, pour
ses poésies : Coccinelle.
D
Mme Loïc Tremor, pour ses poésies : Sonnets.
M. Emmanuel Gabier, à Rougé, pour son Mémoire sur
l'agriculture dans la Loire-Inférieure.
Mentions honorables,
G. de S., pour ses poésies : Le Mal du pays.
Senex, pour ses poésies : Rêveries, Microbes.
M. André de Verlais, pour ses Notes et Souvenirs.
Mme Loïc Tremor, pour ses Contes de la Loire -Inférieure.
PROGRAMME DES PRIX
[proposés
PAR LA SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE DE NANTES
POUR L'ANNÉE 1891.
lpe Question. — Etude biographique sur un ou
plusieurs Bretons célèbres,
2e Question. — Etudes archéologiques sur les
départements de l'Ouest.
(Bretagne et Poitou.)
Les monuments antiques et particulièrement les vestiges
de nos premiers âges tendent à disparaître. L'Académie
accueillerait avec empressement les mémoires destinés à en
conserver le souvenir.
3e Question. — Etudes historiques sur l'une des
Institutions de Nantes.
4e Question. — Etudes complémentaires sur la
faune, la flore, la minéralogie et la géologie
du département.
5e Question. — Rapport sur le renouvellement des
traités de commerce internationaux.
lu
6c Question. — Etude sur les égouts collecteurs
dans les villes.
7e Question. — Etude sur les épidémies locales
de diphtérie.
8e Question. — Canalisation de l'électricité pour
les villes.
9e Question. — Transport de l'énergie par les
moyens connus : câble télodynamique ; air com-
primé ou raréfié ; eau forcée ; électricité.
La Société Académique, ne voulant pas limiter son Concours
à des questions purement spéciales, décernera une récom-
pense au meilleur ouvrage :
De morale,
De poésie,
De littérature,
D'histoire,
D'économie politique,
De législation,
De science,
D'agriculture.
Les mémoires manuscrits devront être adressés, avant le
<20 août 1891, ii M. le Secrétaire général, rue Sul'l'ren, 1.
Chaque mémoire portera une devise reproduite sur un paquet
cacheté mentionnant le nom de son auteur.
Tout candidat qui se sera fait connaître sera de plein droit
hors de concours.
lui
Néanmoins, une récompense pourra être accordée, par
exception, aux ouvrages imprimés traitant de travaux inté-
ressant la Bretagne et particulièrement le département de la
Loire-Inférieure, et dont la publication ne remontera pas a
plus de deux années.
Les prix consisteront en médailles de bronze, d'argent, de
vermeil et d'or, s'il y a lieu. Ils seront décernés dans la
séance publique de novembre 1891.
La Société Académique jugera s'il y a lieu d'insérer dans
ses Annales un ou plusieurs des mémoires couronnés.
Les manuscrits ne sont pas rendus ; mais les auteurs
peuvent en prendre copie, sur leur demande.
Nantes, décembre 1890.
Le Secrétaire général, Le Président,
Dr PÉROCHAUD. Julien MERLAND.
EXTRAITS
DES
PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES
pour l'année 1890.
Séance du 18 décembre 1889.
Allocution de M. Andouard, président sortant.
Allocution de M. Julien Merland, nouveau président.
Admission en qualité de membres résidants de : 4° M. le
Dr Bossis (rapporteur, M. Le Grand de la Liraye) ; °2° de
M. Emile Ogcr (rapporteur, M. Gabier); et en qualité de
membre correspondant, de M. Douteau, pharmacien à Chan-
tenay (rapporteur, M. Ménier).
La contrée guérandaise dans l'histoire ancienne (suite),
par M. Oricux.
Séance du % janvier 1890.
Notice nécrologique sur M. Manchon, par M. Julien
Merland, président.
Admission en qualité de membres résidants de :
1° M. Ilouche, négociant (rapporteur, M. Delteil) ;
cl° M. le Dr Ecot (rapporteur, M. Boiffin) ;
3° M. Le Carpenlier, docteur en droit, substitut du Procu-
reur de la République (rapporteur, M. Julien Merland).
Poésies, par M. Oger.
LV
Séance de 8 février 1890.
Nominations de M. Francis Merlant, comme secrétaire
adjoint, en remplacement de M. D. Caillé, non acceptant, et
de M. Gahier, comme bibliothécaire adjoint, en remplace-
ment de M. Manchon, décédé.
Notice nécrologique, sur M. Rouxel, par M. Julien Merland,
président.
Voyage en Orient (suite), par M. Alcide Leroux.
La contrée guérandaise clans Vkistoire ancienne
(suite), par M. Orieux.
Poésies, par M. Oger.
Séance du 5 mars] 1890.
Admission en qualité de membres résidants de :
1° M. le Dr- Valenlin (rapporteur, M. le Dr Attimont) -,
2° M. Liébault, ingénieur (rapporteur, M. Delteil) ;
La contrée guérandaise dans V histoire ancienne (suite),
par M. Orieux.
Voyage en Orient (suite), par M. Alcide Leroux.
Séance du 2 avril 1890.
Admission en qualité de membre résidant de :
M. le Dr Landois (rapporteur, M. Hervouët).
Erdra, légende nantaise, par M. Francis Merlant.
Compte rendu par M. Oger du roman de Mme Riom:
La Houn.
La contrée guérandaise dans l'histoire ancienne (suite),
par M. Orieux.
Séance du 7 mai 1890.
Admission en qualité de membre résidant de :
M. Victor Loyseau, libraire (rapporteur, M. Gahier).
LVI
De la destination des chatelliers en Bretagne, par
M. Maître.
La contrée guérandaise dans l'histoire ancienne (fin),
par M. Orieux.
Sous escorte, poésie, par M. Oger.
Séance du 2 juillet 1890.
M. Poirier signale une publication fort intéressante reçue
par la Société : 7e rapport de la Revue géographique des
Etats-Unis.
Autobiographie littéraire, poésie, par M. D. Caillé.
De la douleur, étude psychologique, par M. Loyseau.
Poésies, par M. Oger.
Séance du 1er octobre 1890.
Rapport sur les travaux de la Section de Médecine, par
M. le Dr Polo, secrétaire.
Rapport sur les travaux de la Section des Lettres, par
M. Francis Merlant, secrétaire.
Rapport sur les travaux de la Section des Sciences natu-
relles, par M. Viaud, secrétaire.
Le Parthénon, poésie, par M. Alcide Leroux.
Le petit Mort, poésie, par M. Oger.
Séance du 5 novembre 1890.
Poésies, par M. Oger.
Séance générale annuelle tenue le °24 novembre 1890,
dans la salle des Beaux- Arts.
Discours du président, M. Julien Merland, sur Y Intem-
pérance.
lvii
Rapport du secrétaire général, M. le Dr Pérochaud, sur
les travaux de la Société, pendant l'année 1890.
Rapport, du secrétaire adjoint, M. Francis Merlant, sur le
Concours des prix.
Mlle Guyot, MM. Glaverie, Rucognani et Baron, artistes du
Grand-Théâtre, et M. S. Bonjour, ainsi que M. Henri
Weingacrtner, pianiste-accompagnateur, ont prêté leur
obligeant concours.
Séance, d'élections du 25 novembre 1890.
M. le Président donne lecture de deux lettres de MM.
Bonamy et Guénel qui déclinent toute candidature, le premier
à la présidence, le second aux fonctions de bibliothécaire.
Sont élus :
Président MM. le Dr Guillemet.
Vice-président Gadeceau.
Secrétaire général Francis Merlant.
Secrétaire a'djoint le Dr Sanson.
Bibliothécaire Viard.
Bibliothécaire adjoint.. Gahier.
COMITÉ CENTRAL.
M. Julien Merland, président sortant.
Section d'agriculture, commerce, etc.
MM. Linyer, Semeril, Andouard.
LVIII
Section de médecine.
MM. Ollivc, Raingeard, Gourraud.
Section des sciences, lettres et arts.
MM. Le Beau, Orieux, Dupré.
Section des sciences naturelles.
MM. Gallandrcau, Legendre et Viaud.
SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE DE LA LOIRE-INFÉRIEURE.
Année 1891.
LISTE DES MEMBRES RÉSIDANTS.
SECTION D'AGRICULTURE,
COMMERCE, INDUSTRIE ET SCIENCES ÉCONOMIQUES.
Andouard, 0. I., chimiste.
Chevalier, vétérinaire.
Cormerais, conseiller général.
Cossé (Dominique).
Cossé (Victor).
Delteil #, pharm. prinçipi de marine.
Goullin (Gustave), négociant.
Cte de Landemont.
Lechat #, 0. A., négociant.
Le Gloahec (Louis), vétérinaire.
Linyer, avocat.
Maisonneuve, ingénieur.
Mercier, pharmacien.
Pilon (Eugène), industriel.
Poirier, ingénieur civil des mines.
Renaud (Paul) &, industriel.
Rouche, négociant.
Sémeril, pharmacien.
Mis de Ternay, conseiller général
Viard, chimiste.
Vincent (Léon), industriel.
Vincent (Joseph), industriel.
MEWBBES AFFILIÉS.
Gourraud.
Ménier.
De Chastellux.
Merland (Julien).
Merlant (Francis).
SECTION DE MÉDECINE.
Attimont,
docteur
-médecin.
Bureau, 0. A.,
docteur-
Barthélémy,
id.
Chachereau,
id.
Berneaud
eaux,
id.
Chariier, 0. I.
id.
Blanchet,
id.
Cochard,
id.
Boiflin,
id.
De Larahrie,
Bonamy,
id.
Dianoux,
id.
Bossis,
id.
Ecot,
id.
id.
LX
Gaudueheau, docteui
'-médecin.
Malherbe fils, 0. A.,
docteui
•-mé
Genuit,
id.
Ménager,
id.
Gergaud,
id.
Mon 1 fort, 0. A.,
id.
Gourraud,
id.
Ollive,
id.
Grimaud #,
id.
Pérochaud,
id.
Guénel,
id.
Poisson,
id.
Guillemet, 0. A.,
id.
Polo,
id.
Hervouèt,
id.
Porson,
id.
Heurtaux, 0. I.,
id.
Raingeard,
id.
Jollan de Clerville,
id.
Rouxeau fils,
id.
Kirchberg,
id.
Samson,
id.
Laénnec, 0. I.,
id.
Simoneau,
id.
Landois,
id.
ïeillais #,
id.
Lefeuvre,
id.
Thibault,
id.
Le Grand de la Liraye,
id.
Viaud-Grand-Marais
,0. A.
,id.
Luneau,
id.
Valentin,
id.
Mahol,
id.
SECTION DES LETTRES, SCIENCES ET ARTS.
Biou, juge de paix.
Caillé (Dominique).
De Chastellux $, anc. sous-préfet.
Dolmelsch, 0. A.
Dupré >&, ingénieur de la marine.
Follioley (abbé) «&, 0. I., proviseur
du Lycée de Nantes.
Gabier, avocat.
Heurtin (abbé).
Larocque, 0. 1., direc. de l'E. des Se.
Le Deau, 0. #, 0. 1., commissaire
de la marine.
Le Carpentier, substitut.
Mgr Le Coq.
Legrand, avocat.
Lcnoir, architecte.
Leroux, avocat.
Livet (E.-A.)#, 0. 1., chef d'inst.
Loyseau, libraire.
Maître, 0. 1., archiviste.
Merland (Julien), juge suppléant.
Merlant (Francis), négociant.
Morcl, 0. L, principal de collège.
Oger (Emile).
Orieux #, agent-voyer en chef lion.
Mme Riom.
Rivaud, 0. #, 0. 1., préfet de la L.-I.
Rousse, banquier.
MEMBRES AFFILIES.
Cbachereau.
Linyer.
Deltcil.
Ollive.
Hcrvouèt.
Poirier.
Legendre.
LXI
SECTION DES SCIENCES NATURELLES.
Allaire, pharmacien. Legendre, architecte.
Callandreau, pharmacien. Ménier, 0. A., pharmacien.
Coquet (l'abbé). Moyon, pharmacien.
Gadeceau, négociant. Rauturau, id.
Guingeard, pharmacien. Robert, id.
Joùon, 0. A., docteur-médecin. Viaud, id.
MEMBRES AFFILIÉS.
Le Beau. Ménager.
Jollan de Clerville. Viaud- Grand-Marais.
Dr Bureau. Viard.
Léon Vincent.
Bureau.
Président MM. Dr Guillemet.
Vice-Président Gadeceau.
Secrétaire général Francis Merlant.
Secrétaire adjoint Dr Samson.
Trésorier Delteil.
Bibliothécaire-archiviste. . . . Viard.
Bibliothécaire adjoint J. Gabier.
Comité central.
M. Julien Merland, président sortant.
Agriculture. Médecine Lettres. Sciences naturelles.
Linyer. Ollive. Le Beau. Callandreau.
Sémeril. Raingcard. Gabier. Legendre.
Andouard. Gourraud. Dupré. Viaud.
Comité de rédaction.
Le Président, le Secrétaire général, le Trésorier, le Bibliothécaire,
membres de droit.
Agriculture. Médecine Lettres. Sciences naturelles.
Maisonneuve* Griinaud. De Chastellux. Gadeceau.
Poirier. Ollive. Oger. Viaud.
LXII
ORGANISATION DES SECTIONS.
Médecine.
Président MM. Ollive.
Vice-Président Chachereau.
Secrétaire général Pérochaud.
Secrétaire adjoint Boiffin.
Trésorier Lefeuvrc.
Bibliothécaire Le Grand de la Liraye.
Lettres.
Président MM. Le ] Beau.
Vice-Président Gabier.
Secrétaire , E. 'Oser.
Secrétaire adjoint Loyseau.
Agriculture.
Président MM. Viard.
Secrétaire Poirier.
Sciences naturelles.
Président MM. Le Beau.
Vice-Président Viaud.
Secrétaire Legendre.
Secrétaire adjoint Guingcard.
Trésorier Gadeceau.
Bibliothécaire , Dr Bureau.
TABLE.
Statuts et règlement intérieur de la Société 6
Liste des membres résidants faisant actuellement partie de la
Société 21
Liste des membres résidants décédés, démissionnaires ou devenus
correspondants (de 1880 à 1 889) 25
Liste des membres correspondants 26
Liste des Sociétés correspondantes 27
Allocution de M. Andouard, président sortant 31
Allocution de M. Julien Merland, président nommé , 33
Notice nécrologique sur M. Manchon, par M. Julien Merland 37
Notice nécrologique sur M. Rouxel, par M. Julien Merland 40
Océanes, par M. Emile Oger 45
Sous escorte, par M. Emile Oger. , 52
Compte rendu du roman La Houn, de Mme Riom, par M. Emile Oger 60
Erdra, légende de l'Eidre, par M. Francis Merlant 67
Autobiographie littéraire, par M. Dominique Caillé 82
Louis XIV aux dunes, par M. Dominique Caillé 86
Les Hémiptères delà Loire-Inférieure, par l'abbé J. Dominique.., 87
La Contrée guérandaise devant l'histoire ancienne, par M. E. Orieux. 117
La Douleur, sa nature chez l'individu et dans la société, etc., par
M. V. Loiseau 241
Le Parthénon, poésie, par M. Alcide Leroux 252
Un an aux Iles du Salut, par M. Delteil 256
Route déserte, poésies, par M. Emile Oger 271
L'eau de la Loire filtrée d'après le système de M. Leforl, par
A. Andouard 282
XL1V
L'eau de la Loire pendant le rouissage du chanvre et du lin, au
point de vue des matières organiques dissoutes, par A. Andouard. 303
Situation du vignoble de la Loire-Inférieure en 1890, par A.
Andouard .. 310
Champ d'expériences de la Station agronomique de la Loire-Inférieure
pendant l'exercice 1889-1890, par A. Andouard 322
Questions de géographie ancienne, par Léon Maître 349
Compte rendu des travaux de la Section de médecine, par M. Polo.. 37G
Compte rendu des travaux de la Section des lettres, par M. Francis
Merlant 380
Compte rendu des travaux de la Section des sciences naturelles, par
M. Th. Viaud 383
Discours prononcé par M. Julien Merland à la séance annuelle du
24 novembre 1890 1
Rapport sur les travaux de la Société Académique pendant l'année
1889-90, par M. le Dr Pérochaud XXI
Rapport de la Commission des prix sur le concours de l'année 1890,
par M. Francis Merlant XXXVIII
Récompenses décernées aux lauréats du Concouis de 1890... XLIX
Programme des prix proposés par la Société Académique pour 1891. LI
Extraits des procès-verbaux LIV
Liste des membres résidants de la Société Académique pour 1891. L1X
Mme \vn Camille Mellinet, pi. du Pilori, 5. — L. Mcllinet et C'e, sucers.
k£Sn
i
EXTRAIT DU REGLEMENT
DE LA SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE.
La Société public un journal de ses travaux , sous le titre
d'Annales de la Société Académique de Nantes et du département de
la Loire-Inférieure. Ces Annales se composent des divers écrits lus à
la Société ou à l'une des Sections. — La Société a le droit, après qu'une
des Sections a publié un travail, de se l'approprier, avec le consente-
ment de l'auteur. — Les Annales paraissent tous les six mois, de manière
à former, a la fin de l'année , un volume de 500 pages in-8°.
Les Annales de la Société sont publiées par séries de dix années. —
Le Règlement de la Société est imprimé à la tête du volume de chaque
série , ainsi que la liste des membres résidants , classés par ordre de
réception.
Le choix des matières et la rédaction «ont exclusivement l'ouvrage de
la Société Académique.
Le prix de la souscription annuelle est de :
5 francs pour Nantes ;
7 francs hors Nantes , par la poste.
Lt mandes de souscriptions peuvent être adressées franco à M1"1' v*
Melliuet, éditeur et imprimeur des Annules, place du Pilori, 5.
GETTY CEN
ER LIBRARY
3 3125 00621 8339